La motivation à l’égard du service public dans un contexte pro-clientéliste
Se sacrifier pour autrui dans l’administration publique au Maroc
La motivation à l’égard du service public dans un contexte pro-clientéliste
Jamal Eddine Lahmer, Professeur à la faculté de droit, Université du Bahreïn.
Introduction :
A l’instar du droit français dont il est incontestablement l’héritier, le droit administratif marocain accorde une place incontournable à la notion de l’intérêt général. Une grande partie de l’activité administrative est érigée au rang du service public¨, entendu à la fois dans le sens organique et matériel du terme. La gestion de la fonction publique sous le rapport des ressources humaines, devrait s’inscrire par conséquent dans une logique du désintéressement[1], c’est-à-dire dans l’accomplissement d’un bien commun désintéressé à la fois vis-à-vis de la personne du fonctionnaire et de ses proches.
La motivation à l’égard du service public, cette vocation à servir volontiers les tiers, se révèle au titre d’un substrat culturel de taille au principe de la satisfaction des idéaux juridiques et philosophiques inscrits dans le respect de la dignité humaine et de la justice pour autrui[2]. La défaillance ou la simple faiblesse de cette disposition au dévouement professionnel sine qua non au service public, est susceptible de désarçonner et l’intérêt général et les liens sociopolitiques.
Dans le contexte des bureaucraties administratives, le concept s’affirme comme le pendant négatif des motivations de l’intérêt personnel. Il s’ensuit qu’il s’inscrit en faux contre la théorie du choix rationnel attribuant à la raison instrumentale de l’acteur, la fonction de variable explicative de ses conduites et de ses stratégies ultérieures. Ce type de vocation altruiste emprunte davantage aux paramètres de la rationalité axiologique[3], au fondement de la définition de l’ethos professionnel bienveillant.
La vocation du service public est constituée d’un ensemble de valeurs, de convictions, d’attitudes et de conduites disposant le personnel administratif à se mettre au service des usagers, sur la base de considérations humanistes. Ce qui revient à exclure de l’orbite définitoire adopté, les pratiques d’extinction professionnelle en faveur des attachements primaires, formant ce que Putnam appelle le capital social étroit[4]. Les registres des appartenances affectives et relationnelles sont ainsi déjoués dans la construction conceptuelle de la motivation à l’égard du service public.
L’intégration des valeurs à la définition de ce construit répond à l’exigence de rapporter les aspects visibles de la culture comme pelure de l’oignon, à la programmation mentale profonde, constitutive de la base culturelle de la personnalité. Le caractère relativement stable des valeurs[5], évite au chercheur des conclusions hâtives lorsqu’ils explorent les secteurs fluctuants (non stables) de la psychologie individuelle ou collective, comme les attitudes, les conduites, etc.
L’objectif de cet article s’organise profondément sur l’objectivation de la vocation au service public au sein de la fonction publique au Maroc, c’est-à-dire dans un secteur historiquement dominé par les logiques du néo-patrimonialisme* et les enjeux politiques et sociaux de la relation patron-client. Ce travail repose sur une hypothèse principale selon laquelle les valeurs profondes encouragées depuis la constitution sédimentée de l’Etat marocain, n’auraient pas manqué de façonner les attentes et les perceptions des usagers à l’égard d’un champ d’activité professionnel, appréhendé dans la conscience du Marocain moyen, comme source non seulement de sécurité, mais également d’influence sociale et lignagère. Ce syndrome de patronage-clientéliste, dans lequel était subsumée la fonction publique, a servi de creuset à la formation d’une culture bureaucratique antinomique aux valeurs d’égalitarisme. Toutefois, les fonctionnaires endossant davantage les valeurs postmodernes, affichent une orientation tendancielle à s’inscrire dans un nouveau spectre culturel marqué d’humanisme, celui de la motivation à l’égard du service public.
Après un aperçu historique sur les dimensions formatives du concept de motivation à l’égard du service public et son passage aux comparaisons internationales (I), une analyse para-juridiques des valeurs qui ont dominé la fonction publique marocaine, comme arène de conflit et de dispute sur le pouvoir bureaucratique et la distribution des emplois publics, est envisagée à partir des écrits de l’anthropologie et de la sociologie politique (II), avant de se pencher sur les données de World Value Survey (N=150) afin d’y répertorier le poids des valeurs d’universalisme et d’humanisme chez le fonctionnaire du secteur public et ses orientations morales et culturelles (III).
- Les Dimensions de la motivation à l’égard du service public :
Les études sur la motivation à l’égard du service public s’attachent indirectement à la longue tradition de recherche qui a abordé les motivations à la base de l’orientation au travail dans la sphère des entreprises. Avec l’essor du New Public management, l’étude des forces motivationnelles des agents de l’Etat a été étendue aux administrations publiques[6]. Toutefois, ce voyage des concepts d’un secteur à l’autre ne s’effectue pas, comme l’affirme Karl Marx, sans dommages. Des entreprises de revue, de contextualisation et d’adaptation ont affecté la notion de motivation, quitte à en inventer des aspects nouveaux pour saisir les dimensions sacrificielle et altruiste caractéristiques de la culture juridique du service public. James Perry se veut, sinon le premier inspirateur, du moins l’orfèvre le plus influent qui a donné corps, dans ces entreprises de définition conceptuelle et d’opérationnalisation métrique, à la notion de motivation à l’égard du service public[7]. Un concept qui sera amplement pris en charge par les chercheurs dans le domaine de la gestion publique aux Etats unis, en Europe et en Asie[8].
Les recherches abordant la problématique de la motivation dans les administrations publiques sont allées galopant comme l’illustre le la courbe croissante dans le graphique ci-dessous, construit dans la base de Ngram Viewer[9].
Graphique1. Evolution des recherches sur la motivation à l’égard du service public
Les données du graphique permettent de discerner trois moments relatant chacun l’intensité et la taille des travaux réservés à traiter la problématique. Après une période d’invention relativement lente, succède un tempo marqué d’un saut remarquable aux alentours des années 1996-1998, et suivi d’une stabilité provisoire étalée sur une durée de 6 ans. Vers les années 2004 et plus, les études sur la motivation au sein des administrations tiennent le haut du pavé et enregistre un pic prononcé avec le temps. Dès lors, le sujet s’inscrit avec véhémence dans la sphère de l’objet légitime des sciences de gestion des ressources humaines.
A la base de la motivation à l’égard du service public, explique James L. Perry qui s’oppose à l’explication du comportement des agents de l’Etat au moyen du choix rationnel, se trouvent un certain nombre de prémices sous-jacentes aux motivations professionnelles dans la fonction publique : outre les calculs rationnels difficiles à évincer, des substrats normatifs et motivationnels entrent en jeu. Le concept de soi, les valeurs et les préférences apprises sont également déterminantes[10] . Les dites prémices sont au principe de quatre dimensions formant la substance de la motivation à l’égard du service public : l’attirance vers la politique, l’engagement envers ce qui représente l’intérêt public, la compassion et l’esprit du sacrifice.
Ces dimensions sont traduites en termes d’échelles[11] revisitées à maintes reprises pour capter les configurations fondamentales du construit et les ramener aux dimensions structurantes. La recherche des facteurs responsables de l’émergence de la motivation à l’égard du service public a permis à Perry de mettre la main sur trois blocs de paramètres : Le contexte sociohistorique global, le contexte organisationnel et institutionnel et les caractéristiques individuelles sont supposés exercer une influence évidente sur les orientations morales du comportement professionnel au sein des administrations publiques. Le schéma ci-dessous synthétise le processus théorique de Perry à propos de la motivation à l’égard du service public[12] :
Graphique 2. Le processus théorique de la motivation à l’égard du service public (James L. Perry)
L’engouement des cercles du savoir depuis une dizaine d’année à l’endroit de la motivation des agents de l’Etat font que les études commencent à déborder l’espace organisationnel d’origine du concept. Les dimensions dégagées par James Perry sont de plus en plus sollicitées dans des contextes culturels et professionnels variés[13]. D’où les modifications et les révisions que l’échelle ait subie pour les fins d’épuration et de neutralisation ethnocentrique des biais de désirabilité sociale[14], dans le but d’élaboration d’une métrique jouissant d’une validité transculturelle[15]. Comme la majorité des construits, la motivation à l’égard du service public soulève les problèmes du particularisme culturel nécessitant des procédés métriques et compréhensifs de validation et d’adaptation aux caractéristiques des contextes culturels et institutionnels étudiés.
L’effet de la culture nationale sur les valeurs publiques dominantes, définit souvent l’intensité du fossé enregistré entre les standards juridiques et les comportements réels[16]. Au regard de la liaison entre les processus cognitifs et affectifs des agents de l’Etat et le système des valeurs, diffusé par la culture et les institutions chargées d’inculquer les diverses principes de socialisation, cette catégorie de motivation serait à penser à la fois sur les deux modes du particularisme et de l’universalisme culturel (etic versus emic)[17].
Ainsi, plusieurs travaux collectifs se sont employés à confectionner, dans une visée d’universalisation, des échelles adaptées à l’usage international[18]. Cependant, dans la limite de nos connaissances, les études de gestion publique menées sur les motivations du comportement professionnel du fonctionnaire public au Maroc, n’ont pas suffisamment intégré ce nouvel angle d’attaque pour rendre compte du degré d’évolution de la vocation à servir autrui au travers de l’administration publique.
- Le service public à la croisée des influences culturelles et politiques
La conception que se font les sociétaires de la fonction publique est consubstantielle à leur perception de l’Etat et vice versa. Ce qui implique l’existence de variations significatives d’une nation à l’autre en matière d’endossement des valeurs et des motivations des peuples à l’égard du service public. Les schèmes cognitifs qui affectent l’orientation des agents de l’Etat à se sacrifier pour le bien public subissent l’influence des cultures nationales[19] et celle de l’establishment politique et économique[20].
Ainsi, dans un Etat qui présente une histoire politique et sociale traversée de fond en comble par la domination néo-patrimoniale, les pratiques de l’administration publique constitue une préface anthropologique à la sociologie culturelle de la diffusion de la vocation au service public. Toutefois, il convient en guise de rappel historique, de mentionner que l’organisation précoloniale du Makhzen, était pour longtemps privée d’une bureaucratie administrative institutionnalisée[21], capable d’agir soit en termes de police administrative, soit en termes de service public au profit de la communauté. Gabriel Veyre décrit dans l’intimité du sultan, l’irrégularité et la défaillance des rouages de l’administration centrale au service du Makhzen[22]. Même l’assiduité des vizirs et les moyens de communication de base font diamétralement défaut.
La notion du service public, postérieurement empruntée à l’armature juridico-institutionnelle française, ne dispose pas suffisamment de valeurs pratique et déontologique en l’absence de structures administratives centralisées et déconcentrées à travers le territoire national, lui aussi en crise de définition frontalière. Cet artefact qui aurait pour effet de limiter la fuite des charges publiques vers les montagnes[23], en contrepartie des services et des bénéfices communautaires, semble irréaliste dans un contexte de faiblesse du Makhzen et de sa technologie du contrôle social.
Les élites du Makhzen en quête insatiable de richesse et de pouvoir, comme le nota l’éminent historien français, Henri Terrasse, sont enchâssées dans des groupes d’intérêt dépourvus de volonté morale du changement[24]. Le corps social assiégé, quand à lui, par des divisions et des clivages segmentaires jaloux, se révèle incapable de promouvoir les valeurs de quiétude, d’égalité et de confiance morale.
Profondément hypothéqué par le poids des valeurs du collectivisme vertical[25], l’activisme religieux de la société n’a pas suffisamment influencé les attitudes de tolérance à l’égard d’autrui. Au titre de témoignages de l’ethnographie psychologique, nul n’a mieux circonscrit l’intention intérieure du marocain que ces propos hautement significatifs de George Hardy[26] :
«Un maitre-ouvrier ne veut apprendre les secrets de son art qu’à son fils : si celui-ci n’exercent pas la profession paternelle, ou s’il est malhabile, le maître-ouvrier emporte les secrets dans sa tombe sans consentir à les divulguer. Si Pasteur avait été Marocain, il aurait gagné beaucoup d’argent comme médecin, mais après lui, on serait mort de la rage comme avant»
Ces témoignages historiques s’inscrivant dans des registres écologiques, politiques et socioéconomiques données[27], ne sont pas voués à s’éteindre dans la foulée des entreprises de structuration de l’administration publique à l’ère coloniale et postcoloniale[28]. La bureaucratie administrative était invoquée à réaliser un mariage sédimental subtil empruntant confusément à la rationalité juridique moderne et aux institutions traditionnelles.
Sur le plan culturel, l’administration publique, au lieu de servir les idéaux juridiques solennellement déclarés, s’inscrit paradoxalement dans le faisceau d’instruments de contrôle et de segmentation de la société[29]. Les logiques diverses du patronage-clientélisme, comme modalité d’exercice du pouvoir néo-patrimonial, se sont emparés rapidement des rouages bureaucratiques de l’Etat[30]. Tout se passe comme si la trajectoire de l’histoire culturelle et politique se venge et comme si la dépendance au chemin parcouru saisit brutalement les promesses offertes dans l’horizon politique[31].
La nomination à un poste prestigieux à l’échelon du secteur public est fonction de sujétion, de loyalisme et de fidélité au centre du pouvoir. La dite nomination équivaut à l’attribution quasi-féodale d’un territoire qui est souvent source de prébendes, de faveurs et de nominations subalternes selon des critères biologiques, sociaux, géographiques et politiques. La fonction publique s’apparente de moins en moins à un service public ouvrant des droits subjectifs de prestation et d’employabilité sur le même pied d’égalité. Elle est socialement construite comme un réservoir pourvoyeur de privilèges et de prébendes dont la distribution dépend du pouvoir social acquis le long des trajectoires de patronage, de courtage et de médiation de longue haleine.
Avoir un ami à la cour fonctionne souvent comme une garantie indispensable à la pénétration et au grimpement des échelles de la bureaucratie administrative. Un prétendant au patronage local, comme le rapporte David Seddon dans son étude sur le Nord du Maroc[32], ne peut s’assurer durablement de sa clientèle aussi longtemps qu’il n’a pas ce privilège d’être reconnu d’en haut par l’un des patrons dont le rang est élevé dans l’administration.
Dans une société où la culture de patronage et de clientélisme semble gagner de l’épaisseur sociale et historique, le contrôle néo-patrimonial de la fonction publique s’avère l’un des synonymes puissants du pouvoir sur les hommes ainsi que sur les ressources. Il s’ensuit que la dispute sur le droit de gagner des parts du secteur public se transforme en enjeux qui n’ont pas manqué de stimuler le sens d’arrivisme et de convoitise chez les grandes familles au Maroc[33]. L’attribution des positions publiques suit une logique qui varie en proportion directe du cumul des capitaux historiquement valorisés.
Le modèle de Geertz, développé dans sa sociologie économique du Bazard à Sefrou[34], instruit sur l’usage opportuniste de la Nisba (appartenance collective), pour l’obtention d’un bien sur un marché dont l’information circule de bouche à oreille, s’établit comme un dénominateur commun structurant amplement les relations sociales, non seulement en économie, mais également en matière d’échanges symboliques et politiques. La conduite construite par Pascon au paysan en djellaba blanche, enfourchant sa motocyclette et emportant dans sa sacoche un poulet à un agent public pour l’aider à s’octroyer un crédit, et ce via la médiation d’un mécanicien qui a l’habitude de réparer la voiture du dit fonctionnaire, témoigne de l’efficacité de la Wasta, au niveau de la pénétration des niveaux divers de l’administration publique[35].
L’enjeu du pouvoir néo-patrimonial est de déjouer les règles juridiques explicites relatives à l’égalité et à la méritocratie auxquelles il s’attache pourtant comme signes de sa légitimité de façade. Ces types de conduite contribuent logiquement à une forte clientélisation de la fonction publique et de la société. La gestion du secteur public, comme domaine privilégié de la conquête et de l’entretien de la domination politique, est l’un des indicateurs de l’incapacité de la raison d’Etat à s’autonomiser à l’égard de la société sur le plan économique. Les catégories biologiques, professionnelles, religieuses et économiques du factionnalisme constitué sous la peau du secteur public, ont profondément alourdi la capacité distributive de l’Etat.
Il en résulte une défaillance de l’économie politique du patronage à laquelle la banque mondiale a réservé des thérapies successives par le choc. L’Etat bandit au sens de Mancur Olson, prédaté par ses patrons qui sont à leur tour parasités par une multiplicité de courtiers et de clients[36], pénètre dans une nouvelle ère de déficit où il ne sera ni maître de soi ni de ses ressources naturelles. Les recettes d’assainissement qui lui sont imposées pour diminuer le dosage des relations patrons-clients, l’ont forcément engagé depuis les années 80 dans des politiques anti-distributives génératrices de violences politiques et sociales[37]. L’épuisement de l’économie politique de l’autoritarisme, à cause des pratiques de la prévarication, a précipité le basculement progressif du patronage comme modalité d’allocation des ressources. En atteste cette évolution décroissante des indices de clientélisme et de corruption dans la société marocaine :
Graphe 3 : Evolution du patronage-clientélisme au Maroc
Source:V-Dem [Country- Year/Country-Date] Dataset v7.1
La fonction publique, jadis support fondamental du néo-patrimonialisme, commence à gagner d’institutionnalisation, notamment au niveau des échelons intermédiaires en besoin permanent de fonctionnaires diplômés issus notamment de la couche inférieure de la classe moyenne (Professeurs, infirmiers, techniciens et autres petits fonctionnaires). Cependant, les niveaux supérieurs demeurent fortement personnalisés et relèvent incontestablement des attributions juridiques et extra-juridiques du roi[38]. La logique de la distinction fait que l’investissement patrimonial soit déplacé vers des lieux plus rentables et plus prestigieux. Au moment du dessaisissement du secteur public, les emplois publics devenus plus traversés par les fils du peuple, sont délaissés par les grands patrons, orientés désormais vers des paradis situés à l’abri des compétitions[39].
Cette contextualisation socio-historique de la fonction publique n’est pas une fin en soi. Elle sert d’argumentaire au dessein d’objectiver les valeurs fondamentales promues par le pouvoir et présidant conséquemment à la définition des motivations des marocains et de leurs engouements, dans un contexte d’insécurité physique et économique, à l’employabilité dans la fonction publique. A premier raisonnement, les valeurs dominantes dans et à travers le secteur public, fléchissent vers le déracinement de l’idée du service public au sens psychosociologique du terme. Une administration qui affiche des difficultés à se plier aux règles qu’elle a elle-même édictées, ne saurait constituer un siège à la satisfaction optimale de l’intérêt public et de la motivation au service public.
La rareté endémique des ressources et l’intensité de la compétition sociale subséquente, forment le tableau dans lequel se donnent à lire de façon limpide les rapports de patronage/clientélisme. Y sont également déchiffrables les critères culturels de la bureaucratie administrative au service des rapports de pouvoirs établis :
- Le favoritisme ;
- La recherche de la sécurité ;
- Le conformisme subalterne et tacticien ;
- La prévalence de l’officieux.
Ces critères s’inscrivent en faux contre l’idée de service public comme domaine d’expression des besoins psychologiques supérieurs, notamment l’expression et la réalisation de soi dans une visée humaniste[40]. Néanmoins, les transformations socioéconomiques et les changements démographiques et culturels affectant le noyau dur du néo-patrimonialisme, n’ont pas manqué d’ouvrir des percées dans les conduites professionnelles au sein des bureaucraties administratives. La juridicisation de l’espace néo-patrimonial et l’institutionnalisation progressive des rapports sociaux à l’administration publique[41], ont permis à l’émergence de nouvelles valeurs d’entrer en compétition, voire en conflit avec les anciennes. La régénération démographique des corps professionnels et des candidats aux emplois publics, en plus de la nécessité pour l’Etat d’une méritocratie, bien que minimale, ont été derrière ces nouvelles tendances normatives et culturelles. Un discours moral puisant tantôt dans l’exposé des motifs des réformes de l’administration, tantôt dans la réinterprétation humaniste du legs religieux, tantôt dans la dignité de l’être humain, a amorcé cette vocation de plus en plus déclarée chez les responsables et les subalternes, au service public et à l’intérêt général. Le paragraphe qui suit aura à nous éclaircir sur cette question.
III. L’ethos professionnel du fonctionnaire marocain d’aujourd’hui :
Le déclin du patronage-clientélisme dans le paysage administratif en voie de réglementation et d’institutionnalisation n’est pas seulement lié à l’épuisement des ressources qui ont alimenté pendant fort longtemps les liens de dépendance personnelle. La transition démographique incarnée par la disparition des anciennes générations et l’accès des rejetons de la classe moyenne inferieure à la sphère de la fonction publique ont largement contribué à la modification du paysage administratif et les valeurs qui y sont dominantes.
La montée d’une jeunesse urbaine et semi-urbaine de plus en plus diplômée et la généralisation du concours comme modalité de recrutement aux emplois publics ont relativement transformé par le bas, notamment avec l’extension topographique de l’Etat, les ressorts sociaux de l’administration publique. Les fils de paysans immigrés en ville, ceux des soldats, des forces auxiliaires, des instituteurs et d’autres petits fonctionnaires, n’ont pas manqué d’envahir la bureaucratie d’Etat, profitant des offres d’emplois fournis par les pouvoirs publics malgré le stress des réformes anti-sociales.
Cette masse de fonctionnaires, issue pour la majorité des classes moins favorisées, affiche des idéaux différents de ceux des fils de notables. Socialisé dans un climat socioéconomique relativement différent, cette catégorie manifeste sinon un self- sacrifice, du moins une propension à la compassion en faveur d’autrui. Il n’est pas étonnant de les voir justifier les services publics qu’ils présentent aux tiers, dans un habillage moral puisant dans une réinterprétation de la religion. L’orientation à la négation de soi, indispensable au fonctionnement du service public, compte aujourd’hui des apôtres situés aux diverses échelles de l’administration publique marocaine.
Il est vrai que la vocation du service public nécessite théoriquement, un engagement altruiste de la part des ressources humaines dans le secteur public, mais l’expérience du contact avec l’administration renseigne sur l’existence de variations significatives entre les fonctionnaires. Le degré d’endossement des valeurs d’universalisme et d’humanisme semble déterminant en matière d’orientation des agents de l’Etat à la motivation à l’égard du service public[42]. Le graphique ci-après, travaillé dans les données de WVS, illustre les différences d’orientation aux valeurs d’universalisme dans le milieu des quatre cohortes de fonctionnaires. Dans la psychologie sociale, l’universalisme désigne l’orientation à la compréhension et la protection des intérêts de tous, quelque soit leurs ancrages[43].
Graphique 3. Evolution par cohorte de l’orientation du fonctionnaire marocain à l’universalisme.
Les natifs de la cohorte d’avant 1960, devenus agents de l’Etat à partir de 1970, enregistrent des scores plus bas que les autres cohortes nées entre 1960-1981, et fonctionnarisées à partir de 1980 jusqu’aux années 2000 et plus.
L’amélioration enregistrée au niveau des services fournis par les services publics tiennent en partie aux penchants bienveillants des nouvelles générations de fonctionnaires ; un penchant qui semble paramétré par le niveau d’instruction et l’origine sociale. L’affranchissement progressif vis-à-vis de la morale de la parenté, du aux transformations de la morphologie sociale, aide à se détacher d’un type de familisme extensif[44], caractéristique de la société marocaine. Ce familisme qui ne manque pas d’accompagner les individus partout où ils évoluent, constitue l’un des obstacles affectifs à l’accomplissement des idéaux personnels. Le graphique ci-dessous laisse apparaître l’effet de ce facteur sur l’orientation à l’humanisme dans le milieu des agents de l’Etat et ceux du secteur privé :
Graphique 4. Effet du familisme sur l’orientation à l’humanisme dans les secteurs public et privé
Toute proportion gardée, les valeurs de l’humanisme se voit catégoriquement tendre vers le basculement sous l’emprise du familisme. Ce qui veut dire que l’attachement intense à ce syndrome, inscrit dans l’agenda scientifique depuis le travail célèbre d’Edward Banfield[45], participe effectivement de la souscription des individus au capital social étroit. Il élimine par conséquent le potentiel de la compassion et du sacrifice à l’égard de tout ce qui ne relève pas de l’orbite de la parenté.
Il importe quand même de souligner que les évolutions vers l’inscription morale dans un humanisme compassionnel chez certaines catégories, ne signifie pas qu’il est fait table rase des pratiques de népotisme et de familisme dans les bureaucraties d’Etat. L’émergence de nouvelles motivations dans le milieu professionnel de l’administration publique est similaire au passage dans le ciel d’une hirondelle annonçant un printemps qui fera certainement beaucoup de temps avant qu’il s’installer aisément.
A côté des valeurs à substance universaliste, le fonctionnaire marocain accorde encore une importance cruciale à servir ses siens, parfois en violation intentionnelle des règles de justice et d’équité[46]. A entendre la bienveillance comme un trait culturel qui donne la priorité à l’amélioration du bien-être des personnes avec lesquelles on entre fréquemment en contact (l’« endogroupe »)[47] , le fonctionnaire marocain, dans le cas où il est traversé par l’ethos du dépassement de soi, donne l’importance à servir les proximités génétiques, sociales et géographique, au détriment des proximités fonctionnelles fondées sur le sens civique[48]. Le Marocain est travaillé au fond par le substrat culturel de l’interdépendance. Quand il n’est pas davantage gagné par la soif du pouvoir et de la prédation, il a plus de chance de s’inscrire dans la bienveillance plutôt que dans l’universalisme humaniste. Le graphique ci-après le donne à voir parfaitement :
Graphique 5. Orientation vers la bienveillance et l’universalisme chez les fonctionnaires
Conclusion :
La motivation à l’égard du service public repose sur une assise causale multifactorielle rattachant le micro au macro et vice versa. Dans un contexte historiquement dominé par l’implémentation clientéliste du pouvoir, la rationalité politique prévaut sur l’efficacité économique et sociale de l’administration publique. Les prébendes et les titres de faveurs qui y sont distribués ont contribué à la création d’un climat psychologique hostile à la négation de soi. L’accès à la fonction publique est loin d’incarner la propension à la réalisation de l’idéal de l’identification à l’intérêt général. Au contraire, il s’érige en moyen favorable à l’exercice et à la recherche du pouvoir social.
Le service public, constitué par le droit administratif comme le siège du dévouement au bénéfice du bien public, dégénère en espace de prévalence des valeurs de favoritisme et de calculs égoïstes. Ce climat culturel favorisé d’en haut, est difficilement erradicable même sous l’effet du déclin de la consommation néo-patrimoniale. La culture, comme l’affirme la théorie de l’autonomie fonctionnelle, continue à produire ses effets après la disparition des facteurs structurels responsables de sa genèse. Néanmoins, il importe cependant de mentionner que le couplage entre le déficit des ressources publiques, l’institutionnalisation et la réglementation des rapports sociaux, ainsi que la transition démographique, a profondément déstabilisé l’ordre normatif aujourd’hui en tension urgente avec les revendications sociales de la transparence et de l’équité. Le profil du fonctionnaire est fait, comme en une sorte de mariage bancal, d’un mélange d’attitudes et de conduites empruntant à des registres de valeurs hybrides.
¨ La conception du service public avancée dans le cadre de cette recherche s’étend au-delà de l’acception juridique pour épouser le sens de servir les autres quelque soient leurs appartenances et leurs identités.
[1] Frederickson, G., The spirit of public administration, San Francisco, CA: Jossey-Bass, 1997.
[2] Forcé, M & Parodi, M., Une théorie empirique de la justice sociale, Hermann Editeurs, Paris, 2010.
[3] Boudon, R., Le juste et le vrai, études sur l’objectivité des valeurs et de la connaissance, Paris, Fayard, 1995.
[4] Putnam, R & Goss, K.A., « Introduction », in : Putnam, R (ed), Democracies in Flux. The Evolution of Social Capital in Contemporary Society, Oxford, Oxford University Press. 2002, pp. 1–19.
[5] Hofstede, G., Cultures and Organisations: Software of the Mind, New York, McGraw-Hill, 1991.
* Le néo-patrimonialisme renvoie dans la littérature de science politique au mode de domination politique caractéristique d’un certain nombre de pays arabe. Il englobe entre autres la faiblesse de l’institutionnalisation et la centralité politiques des relations personnelles.
[6] Vandenabeele, W., “Toward a Public Administration Theory of Public Service Motivation: An Institutional Approach”, Public Management Review, 9 (4), 2007, 545–56.
[7] Perry, J. L., & Wise. L. R., “The Motivational Bases of Public Service”. Public Administration Review, 50 (3), 1990, pp. 367-73.
Perry, J. L. “Measuring Public Service Motivation: An Assessment of Construct Reliability and Validity”. Journal of Public Administration Research and Theory 6(1), 1996, pp. 5–22.
Perry, J. L., “Antecedents of Public Service Motivation”. Journal of Public Administration Research and Theory 7(2), 1997, pp. 181–97.
Perry, J. L., “Bringing Society In: Toward a Theory of Public Service Motivation”. Journal of Public Administration Research and Theory 10(2), 2000, pp. 471-88.
Perry, J. L., Brudney, J.L., Coursey, D & Littlepage. L., “What Drives Morally Committed Citizens? A Study of the Antecedents of Public Service Motivation”. Public Administration Review 68(3), 2008, pp. 445-58.
Perry, J. L., Hondeghem, A & Wise. L. R., “ Revisiting the Motivational Bases of Public Service: Twenty Years of Research and an Agenda for the Future”, Public Administration Review 79(5), 2010, pp. 681-90.
[8] Voir dans ce cadre :
Ritz, A., Brewer, G. A., Neumann, O., « Public service motivation: A systematic literature review and outlook”, Public Administration Review, 76(3), 2016, pp. 414-426.
Voir également:
M. Hatmaker, Deneen, M. H, & Smith, A, Sanjay, P & Sushmita. S, “Coauthorship Networks in Public Service Motivation Scholarship: Implications for the Evolution of a Field”, Review of Public Personnel Administration. 37, 2017.. 10.1177/0734371X17701545
[9] Voir le site : https://books.google.com/ngrams/graph?content=public+service+motivation&year_start=1980&year_end=2017&corpus=15&smoothing=3&share=&direct_url=t1%3B%2Cpublic%20service%20motivation%3B%2Cc0#t1%3B%2Cpublic%20service%20motivation%3B%2Cc1
[10] Perry, J. L., “Bringing Society In: Toward a Theory of Public Service Motivation” , op.cit, pp. 476-480
[11] Perry, J. L., Measuring Public Service Motivation, op.cit
[12] Perry, J. L., “Bringing Society In: Toward a Theory of Public Service Motivation” , op.cit, p. 481
[13] Giauque, D et al., « La mise en contexte de la motivation à l’égard du service public. Comment concilier universalisme et particularisme », Revue Internationale des Sciences Administratives, 77(2), 2011, pp. 223-249. DOI 10.3917/risa.772.0223.
[14] Kim, S. H & Kim, S., “National culture and social desirability bias in measuring public service motivation‘, Administration & Society, XX(X), 2013, pp. 1–33. DOI: 10.1177/0095399713498749.
[15]Perry, J. L., Hondeghem, A & Wise. L. R., “ Revisiting the Motivational Bases of Public Service, op.cit
[16] Steers, R & Sanchez-Runde, C. (2002) Culture, motivation, and work behavior. In : Gannon, M and Newman K (eds), The Blackwell handbook of cross-cultural managemen,. Blackwell, 2002, pp. 190-216.
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[48] Geertz, C., Interpretation of culture, selected essays, New York, Basic Books, Inc., Puhlishers, 1973. . L’anthropologue américain souligne dans ce cadre (p. 259-260) :
“By a primordial attachment is meant one that stems from the “givens” -or, more precisely, as culture is inevitably involved in such matters, the assumed “givens” -of social existence: immediate contiguity and kin connection mainly, but beyond them the givenness that stems from being born into a particular religious community, speaking a particular language, or even a dialect of a language, and following particular social practices. These congruities of blood, speech, custom, and so on, are seen to have an ineffable, and at times overpowering, coerciveness in and of themselves. One is bound to one’s kinsman, one’s neighbor, one’s fellow believer, ipso facto; as the result not merely of personal affection, practical necessity, common interest, or incurred obligation, but at least in great part by virtue of some unaccountable absolute import attributed to the very tie itself. The general strength of such primordial bonds, and the types of them that are important, differ from person to person, from society to society, and from time to time. But for virtually every person, in every society, at almost all times, some attachments seem to flow more from a sense of natural-some would say spiritual-affinity than from social interaction.”