GOUVERNANCE DES BANQUES MAROCAINES : REGULATION ET COMPARAISON DES PRATIQUES

GOUVERNANCE DES BANQUES MAROCAINES : REGULATION ET COMPARAISON DES PRATIQUES

Kawtar ENNAYER – Doctorante

Université Mohamed V – SOUISSI

Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales de Salé

4ème année du cycle doctoral – Filière : Economie Appliquée

 

 

 

Résumé :

L’objectif de l’article est de présenter les nouvelles exigences règlementaires en matière de gouvernance bancaire au Maroc, de décrire les mécanismes internes de gouvernance des banques marocaines et de comparer leurs pratiques.

Pour la comparaison des mécanismes de gouvernance entre les banques marocaines, l’actionnariat semble un critère pertinent qui nous a permis de distinguer entre deux catégories de banques.

Nous différencions dans cet article entre les groupes bancaires privés marocains et les banques à actionnariat étranger.

Mots clés : gouvernance bancaire, théories du gouvernement d’entreprises, actionnariat, comités de gouvernance, concentration de la propriété.

Abstract :

The aim of this article is to introduce the new regulatory requirements on banking governance in Morocco, to describe the internal mechanisms of governance in Moroccan banks and compare their practices.

For the comparison of governance mechanisms between Moroccan banks, ownership seems a relevant criterion that allowed us to distinguish between two categories of banks.

We distinguish in this article between Moroccan private banking groups and banks with foreign sharehold.

 

Keywords : Bank governance, theories of corporate governance, ownership, governance committees, concentration of ownership.

 

INTRODUCTION

Le terme de « gouvernance » s’est imposé au cours des années 90 comme le symbole d’une nouvelle modernité dans le gouvernement des entreprises. Au fil des années et après de nombreux débats, la gouvernance d’entreprise a pris beaucoup plus d’importance et n’est plus un simple effet de mode mais bien une tendance de fond.

Pour ce qui est de la gouvernance bancaire, la nature même de l’activité des établissements de crédit, les place au cœur des problématiques de gouvernance.

En effet, dans le secteur financier et plus particulièrement le secteur bancaire, cette notion a pris de l’ampleur notamment après les différentes crises financières. Plusieurs chercheurs et théoriciens ont mis la lumière sur ce concept et l’ont placé parmi les mécanismes responsables des difficultés qu’ont connu les banques touchées par la crise. D’ailleurs un bon nombre de ces chercheurs ont lié les problématiques qu’a connues la sphère financière à une mauvaise gouvernance au niveau du système financier en général et spécifiquement dans les banques.

Au Maroc, le mouvement de gouvernance d’entreprise a connu une prise de conscience importante par les opérateurs économiques et les pouvoirs publics en 2007. « Cette prise de conscience a conduit à la création en cette même année de la Commission Nationale : Gouvernance d’Entreprise »[1].

Cette instance publique-privée sous le pilotage conjoint de la Commission Générale des Entreprises Marocaines (CGEM) et le Ministère des Affaires Générales et de la Gouvernance (MAGG) a  été chargée de codifier les bonnes pratiques de Gouvernance d’Entreprise au niveau national et d’en véhiculer les principes et les valeurs.

Le secteur bancaire marocain n’est bien évidemment pas en reste, une structure de gouvernance efficace prend toute son importance dans le cas des institutions bancaires de par leur rôle important et leur responsabilité dans le mode économique.  Ainsi les premiers textes règlementaires[2] régissant les mécanismes de gouvernance au sein des établissements de crédit ont vu le jour également à la même période (2007). Une directive de Bank Al Maghrib (la banque centrale) traitant les règles de gouvernance bancaire dessina le cadre global de gouvernance et clarifia les rôles des organes délibérants et des organes de direction.

Dans ce contexte, les banques au Maroc ont obéi de manière plus ou moins rigoureuse aux règles de bonne gouvernance ; en effet, bien que la Directive de la Banque Centrale ait professionnalisé les pratiques, elle offrait néanmoins de la souplesse aux banques quant à la conformité à ses propos (par exemple, le texte insistait sur la nécessité d’avoir un nombre approprié de membres indépendants dans l’organe délibérant de l’établissement bancaire, sans pour autant déterminer un quota obligatoire, il exigeait la mise en place de certaines dispositions mais dont l’application demeurait tributaire de la taille de l’établissement ce qui laissait aux banques des ouvertures dans l’interprétation des normes règlementaires).

En 2014, de nouveaux textes font leur apparition pour compléter et actualiser la réglementation existante, en explicitant voire imposant un certain nombre de dispositions allant de la composition des organes délibérants (par le recrutement obligatoire d’une proportion bien définie de membres indépendants dans les organes d’administration et les comités y afférents), à la fréquence des comités spécialisés (devenus trimestriels), passant par la définition détaillée des prérogatives de ces différents organes, leurs missions et périmètres et donnant une forte dimension aux aspects de conflits d’intérêt et de gestion des risques. Les nouvelles exigences ont également mis l’accent sur les modalités de communication, la fiabilité et la richesse du contenu des reportings des établissements de crédit que ce soit en interne vis-à-vis des organes de gouvernance ou en externe vis-à-vis des clients, investisseurs et public de façon générale.

REVUE DE LITTERATURE ET PARTICULARITES DE LA GOUVERNANCE BANCAIRE : QUELQUES ENSEIGNEMENTS EMPIRIQUES

Le métier du banquier est fondé sur la confiance. Une confiance à tous les niveaux qui permet aux différentes parties prenantes de construire, dans de bonnes conditions, une relation saine et durable avec l’établissement bancaire.

Une confiance de la part des clients qui déposent leur argent et qui cherchent la sécurité de leurs opérations, une confiance de la part des actionnaires qui confient la gestion de la banque à des dirigeants, la confiance du personnel dans l’institution et la confiance du Régulateur dans les démarches entreprises par l’établissement…

Cette confiance qui lie plusieurs intervenants ne peut s’installer qu’avec une bonne gouvernance d’ensemble.

Ainsi, cette multitude d’intervenants fait que le système bancaire est très lié par de multiples relations (financements en consortium, partage de risques, refinancements, garanties, système de paiement…) et cela constitue une des spécificités les plus importantes de la gouvernance bancaire. Une défaillance d’un maillon de la chaine peut provoquer des effets sur l’ensemble de la profession.

Les impacts d’une mauvaise gouvernance auraient une influence doublement négative : en interne avec une défaillance en chaîne du contrôle interne et en externe car la défaillance financière liée à une gouvernance inadaptée pourrait toucher d’autres acteurs du système bancaire.

Pour cela, la gouvernance des banques, au cœur des débats liés à la crise financière actuelle, fait l’objet d’une vaste littérature. Ci après une synthèse des principales conclusions tirées d’études empiriques sur des échantillons de banques de différentes origines.

  1. Enseignements tirés sur la concentration de la propriété :

Les premières études ayant examiné la relation risque et structure de capital remontent aux travaux de Berle et Means (1932) et ceux de Jensen et Meckling (1976). La relation entre la prise de risque et la structure actionnariale est complexe. Les résultats sont sensibles à la période, la nature de la mesure du risque, la nature de la relation et aussi à l’échantillon de l’étude.

Les actionnaires majoritaires ont de grandes motivations pour maximiser la valeur de l’entreprise et sont capables de collecter les informations et de surveiller les dirigeants. Ils peuvent donc aider à maîtriser un des principaux problèmes de l’entreprise à savoir les conflits d’intérêts entre actionnaires et dirigeants (Jensen et Meckling, 1976)[3]. Selon Shleifer et Vishny (1988)[4] la manière optimale d’assurer le contrôle des dirigeants, dont le résultat est un bien collectif, consiste à en faire assumer les coûts par les actionnaires majoritaires.

  1. Cumul des fonctions de Président du conseil et du Président Directeur Général :
  • Séparation des deux fonctions : Partisans de la théorie d’agence

Les partisans de la théorie d’agence plaident en faveur de la séparation entre la fonction du président du conseil d’administration et du président-directeur général : Le cumul de ces deux fonctions favorise l’enracinement du président-directeur général et embrouille la gestion et le x contrôle exercés par le conseil d’administration (Mallette et Fowler, 1992).

Le président-directeur général qui est responsable des stratégies de la firme est amené, dans le cadre de son poste au sein du conseil d’administration, à évaluer ces mêmes stratégies (Mallette et Fowler, 1992). Davantage, le cumul des deux fonctions augmente la capacité du dirigeant à influencer la nomination et la durée des mandats des autres administrateurs (Godard et Schatt, 2000).

  • Unicité du commandement

D’autres chercheurs suggèrent que la dualité améliore la vision stratégique de la firme (Simpson et Gleason, 1999). Ils recommandent le cumul des deux fonctions. Les adeptes de ce point de vue soulignent que la consolidation de ces deux principaux postes de direction permet une unicité du commandement et de leadership à la tête de la firme. Cette dernière facilite les prises de décisions stratégiques et émet ainsi des signaux rassurants aux parties prenantes (Finkelstein et D’Aveni, 1994).

  • Etudes sur le secteur bancaire[5]

Le débat théorique sur l’efficacité de l’occupation du poste de président-directeur général et du président du conseil d’administration par une même personne demeure ouvert. Ce débat concerne aussi le secteur bancaire dont les études sont faibles en ce qui concerne la dualité.

Dans le secteur bancaire, « un conseil d’administration doté d’un président fort qui ne dirige pas l’activité de la banque aura plus certainement une influence saine sur la politique de la banque qu’un conseil dont le président en est aussi le principal dirigeant » (Greuning et Bratanovic, 2004, p. 41).

  1. Taille de l’organe délibérant :

Des études menées par Yermack (1996) sur un échantillon de 452 entreprises industrielles américaines sur la période 1984-1991 et par Eisenberg et al. (1998) sur un échantillon de petites et moyennes entreprises finlandaises sur la période 1992-1994 mettent en évidence une relation inverse entre la taille du conseil et la performance de la firme : un grand conseil est caractérisé par l’augmentation des problèmes de coordination/communication et des problèmes d’agence qui peuvent devenir plus sévères.

Par ailleurs l’analyse conduite par PATHAN en 2009 sur 212 banques holding américaines entre 1997-2004 a montré qu’au sein des banques, un conseil d’administration restreint est associé à une prise de risque excessive.

  1. Indépendance des administrateurs :

Une étude menée par Nguyen et Nielsen (2010) souligne que l’annonce de la mort subite d’un administrateur indépendant conduit à une chute du cours de l’action de 0,85% en moyenne. Leur analyse porte également sur l’importance du degré d’indépendance de l’administrateur décédé ; plus celle-ci est élevée, plus la réaction est importante.

Brick et Chidambaran (2005) étudient théoriquement et empiriquement l’impact du monitoring du conseil d’administration sur la performance. Leurs résultats empiriques sur un échantillon de 2841 firmes sur la période 1997-2001 indiquent que l’indépendance du conseil d’administration est corrélée négativement avec la prise de risque, mesurée par la volatilité des actions.

PRINCIPAUX APPORTS DES NOUVEAUX TEXTES REGLEMENTAIRES SUR LA GOUVERNANCE AU SEIN DES BANQUES MAROCAINES 

Dans la perspective de voir les banques marocaines adopter des niveaux supérieurs de gouvernance et afin de promouvoir les meilleurs pratiques, Bank Al Maghrib a procédé à la refonte de ses textes règlementaires par l’adoption et la précision de certaines dispositions influant sur le gouvernement d’entreprise.

En effet, la révision de la directive relative à la gouvernance au sein des établissements de crédit et de la circulaire régissant le contrôle interne dans les banques a pour objectif la prise en compte des récentes recommandations bâloises. Pour cela, une enquête sur les pratiques de gouvernance au niveau des banques a été réalisée par le Régulateur afin d’apprécier l’existant et le niveau de conformité afin de faire progresser, le cas échéant, l’ensemble des banques de la place vers les meilleurs pratiques et standards.

Les principaux apports, à notre sens, sans prétendre être exhaustifs, peuvent être énumérés ainsi :

  • L’obligation de nommer selon des proportions bien définies des administrateurs indépendants :

« Afin de renforcer l’impartialité et l’objectivité des décisions prises, le tiers des membres de l’organe d’administration doit être indépendant… »[6].

Avec les nouvelles précisions apportées par cette disposition, Bank Al Maghrib, met l’accent avec force sur la nécessité de recruter  des membres n’ayant pas de relation directe ou indirecte avec l’établissement afin d’apporter un œil neuf pour une plus grande valeur ajoutée et une meilleure efficacité des travaux des conseils. Ces derniers pourront recueillir les conclusions des comités spécialisés et interroger l’organe de gestion sur cette base.

Cette nouveauté constitue une grande avancée dans les modes de gouvernance des banques marocaines. D’ailleurs, dans le cadre de la réforme de la nouvelle loi bancaire  (publiée au Bulletin Officiel, le 22 janvier 2015), celle-ci a instauré l’obligation de doter les organes d’administration des établissements de crédit de membres indépendants qui, par dérogation à la loi sur la Société Anonyme, ne doivent pas être actionnaires.

Ce texte structurant prévoit également des dispositions permettant à la banque centrale de s’opposer à toute nomination d’une personne au sein des organes d’administration, de direction ou de gestion d’un établissement de crédit, si elle estime que les mandats exercés dans d’autres institutions peuvent entraver l’accomplissement normal de ses fonctions.

  • Un rôle renforcé des organes délibérants :

« L’organe d’administration est responsable en dernier ressort de la solidité financière de l’établissement. Il définit ses orientations stratégiques y compris sa politique d’extension aussi bien au niveau local qu’à l’international et assure la surveillance de la gestion de ses activités »[7].

Etant considéré comme le responsable ultime de la solidité de la banque, l’organe délibérant a vu son rôle se renforcer à travers les nouvelles dispositions règlementaires dans l’objectif de pouvoir mener à bien sa mission et l’exercer dans de bonnes conditions.

En effet, les nouveaux textes exigent que les membres constituant l’organe délibérant, aient une bonne connaissance de leur mission et de l’établissement, aient les compétences nécessaires pour la compréhension des activités de la banque.

Leur implication dans les travaux de l’organe délibérant et des comités auxquels ils participeront ainsi que leur rôle de prévention des conflits d’intérêts doivent également être compris et acceptés.

L’évaluation périodique de ces travaux permettra de favoriser leur efficacité.

Ainsi une formation spécifique devra être dispensée systématiquement au recrutement d’un nouvel administrateur.

  • Un développement du périmètre et de l’utilisation des comités spécialisés :

Il est indéniable que l’implication de l’organe délibérant ne peut plus se limiter à une surveillance périodique de la gestion d’une banque à travers des réunions de suivi de l’activité et des résultats. Cela suppose donc de mettre en place des comités émanant de l’organe délibérant, indépendants de l’organe de gestion, et qui consacrent un temps suffisant pour traiter les sujets techniques et spécialisés en faisant appel aux compétences nécessaires, et en rendant compte à l’organe délibérant, de façon approfondie et régulière, des conclusions, des écarts et des recommandations.

Dans cette perspective, le cadre règlementaire marocain a été complété par de nouvelles exigences visant à améliorer et renforcer la gestion et le suivi des risques. Ainsi, la loi bancaire, la directive de Bank Al Maghrib relative aux règles de gouvernance et la circulaire de contrôle interne ont instauré l’obligation d’instituer le comité d’audit et le comité des risques, lesquels devraient être de l’émanation du conseil d’administration et dont la fréquence est devenue désormais trimestrielle (en fonction de la taille de l’établissement).

A cet égard, le conseil d’administration doit veiller en permanence à ce que les décisions prises par l’organe de direction soient d’une part, en cohérence avec la stratégie de l’établissement, et d’autre part, en respect des politiques risques et des degrés d’aversion au risques approuvées à son niveau.

  • Des politiques de rémunération claires, transparentes et en harmonie avec la stratégie de l’établissement et ses objectifs à long terme : 

La nouvelle directive relative à la gouvernance des établissements de crédit accorde une attention particulière à la politique de rémunération globale au sein d’une banque.

Cette politique doit permettre, au regard des nouvelles dispositions, de prévenir les conflits d’intérêt et de promouvoir une gestion efficace des risques.

La directive détaille l’ensemble des composantes de la rémunération qui doivent être clairement définies et formalisées que ce soit pour les membres de l’organe d’administration, les dirigeants ou le personnel.

Elle a également mis la lumière sur le principe de cohérence globale des niveaux de rémunération avec le degré d’implication, des administrateurs et notamment des non exécutifs, dans les travaux du conseil.

LA SITUATION DES BANQUES MAROCAINES AU REGARD DES MECANISMES DE GOUVERNANCE

Présentation de l’échantillon :

En 2014, le secteur bancaire marocain se compose, hors les 6 banques off-shore, de 19 établissements bancaires. La structure du paysage bancaire marocain peut être décrite comme suit :

–          Modèle de banque universelle : existence de plusieurs métiers (Cf. banque de détail, banque de marché, gestion collective… / AWB, BMCE, SGMA, BMCI, CDM).

–           Modèle du groupe BP: structure organisationnelle différente d’une banque classique avec des  Banques Populaires Régionales exerçant l’activité de banque de détail et la Banque Centrale Populaire  qui est la banque d’investissement et de financement du Groupe.

–           Banques spécialisées : Caixa / Banco Sabadell / Citibank  (Corporate), FEC (collectivités locales), Al Barid Bank (Retail), CFG / Arab bank (investissement et conseil), Bank al Amal (MRE), CDG capital (banque d’affaires et d’investissement), Médiafinance (conseil et gestion d’actifs).

–           Ex – Organismes Financiers Spécialisés (CAM et CIH) : adoption d’une stratégie « multi-métiers » après une concentration de leurs actifs (secteurs agricole, immobilier)  qui a lourdement pesé sur leurs fonds propres.


 

Les banques spécialisées sont écartées de notre analyse dans la mesure où il s’agit d’établissements qui ne font pas directement de crédit (cas des banques d’affaires et d’investissement) ou le font pour une clientèle bien particulière (barid bank « retail », Fonds d’équipement communal « collectivités locales »).

Notre échantillon s’est basé sur les parts de marché en termes de crédits[8]. Ainsi, il en ressort que les 3 premières banques de la place à elles seules s’accaparent plus de 65% de part de marché en termes de distribution de crédits par caisse. Les 3 étant cotées en bourse.

Il aurait été plus simple de se contenter uniquement de ces dernières en raison de disponibilité et continuité des données, sauf que cela peut poser un problème en termes de représentativité de notre échantillon d’où l’intégration de 3 autres banques.

L’échantillon couvrira ainsi 6 banques représentant ensemble 87% des crédits distribués à l’économie.

Les banques de notre échantillon sont les suivantes :

Sigle Banque
BCP Banque Centrale Populaire
AWB Attijari Wafa Bank
BMCE Banque Marocaine du Commerce Extérieur
SGMA Société Générale Maroc
BMCI Banque Marocaine du Commerce et d’Industrie
CDM Crédit Du Maroc

Le régulateur a sans doute voulu à travers les nouvelles dispositions règlementaires des structures de gouvernance plus claires, optimales, indépendantes et objectives. Aujourd’hui plus que jamais, les banques marocaines vont devoir faire évoluer leur gouvernance et se mettre à niveau par rapport aux nouvelles exigences règlementaires.

L’examen de leurs mécanismes de gouvernance à fin 2014 met en lumière plusieurs avancées pour se mettre en conformité avec les nouvelles exigences règlementaires.

En effet, la comparaison sectorielle suivante met en lumière certains indicateurs qui nous ont paru les plus importants en matière de gouvernance des banques.

Ils ont été choisis :

  • en partant de l’idée que la capacité du conseil d’administration à remplir ses rôles d’une manière optimale dépend essentiellement de sa composition et de sa taille.
  • et suivant la théorie de KLEIN (1998) qui attribue l’efficacité du conseil également à une troisième caractéristique, à savoir, l’efficacité du contrôle exercé sur les dirigeants à travers les comités spécialisés.

Ainsi, dans le tableau ci après, sont récapitulés les principaux indicateurs[9] de gouvernance choisis pour notre comparaison, à savoir :

  • La concentration de propriété : cet indicateur a été retenu afin de le confronter à la composition de l’organe d’administration qui devrait être structuré de manière à ce que même en présence d’actionnaires dominants ou de contrôle, aucune concentration excessive de pouvoir décisionnel ne soit possible (nombre de siège par exemple).
  • La dualité: cet indicateur permet d’indiquer si l’établissement est gouverné par un conseil d’administration avec un Président qui cumule les fonctions de contrôle et de gestion (Président Directeur Général) ou bien par un Directoire et conseil de Surveillance, ce qui suppose une séparation entre l’organe de contrôle et l’organe de gestion.
  • Taille de l’organe d’administration: désigne le nombre des membres de l’organe d’administration. Celui ci est composé en règle générale d’une majorité de membres non dirigeants dont le nombre doit concorder avec la taille de l’établissement, la complexité, la diversité et les perspectives de développement de son activité.
  • Durée de mandat des administrateurs: critère retenu pour comparer les différentes pratiques au sein des banques marocaines. Il nous a parut pertinent de le rajouter car il permet de mesurer la souplesse accordée par l’établissement pour apporter des changements dans la composition de son organe d’administration.
  • Les critères relatifs à la qualité des administrateurs (exécutifs, indépendants…) ainsi qu’à leur ancienneté, permettront comme mentionné ci-dessus d’apprécier la composition de l’organe d’administration.
  • D’autres critères liés notamment à la formalisation des notes de gouvernance, des chartes des administrateurs…
Banques de l’échantillon AWB BCP BMCE SGMA BMCI CDM
Concentration de propriété 48% (*) 39% 57% 67% 78%
Dualité OUI OUI OUI NON NON NON
Taille de l’organe d’administration 9 12 11 12 15 9
Durée de mandat en années 6 6 6 3 3 5
Nombre d’administrateurs dirigeants (membres exécutifs) 1 6 2 0 0 0
Nombre d’administrateurs indépendants 1

(moins d’un an)

2 (moins d’un an) 1 2 (moins d’un an) 3 (moins d’un an) NC
Nombre de membres de nationalité étrangère 4 2 2 7 6 6
Nombre de membres l’organe d’administration qui y siègent  depuis plus de 12 ans 6 0 5 7 7 4
Nombre de membres l’organe d’administration qui y siègent  depuis moins de 6 ans 1 7 0 5 8 (dont 5 moins d’un an) 5
NOMBRE DE REUNIONS 5 2 3 4 4 4
Charte de l’administrateur Oui NC Oui NC Oui NC
Nombre de comités spécialisés 4 (+ Comité stratégique) 3 3 3 3 2
Règlement intérieur Oui Oui Oui Oui Oui Oui

 

(*) Selon l’article 17 de la loi n°42-07 modifiant et complétant la loi 12-96, portant réforme du Crédit Populaire du Maroc, le capital social de la Banque Centrale Populaire est détenu à hauteur d’au moins 51% par l’Etat et les Banques populaires régionales. Toute autre personne morale ne peut détenir, directement ou indirectement, une part supérieure à 15% dans le capital de la Banque Centrale Populaire. Toute autre personne physique ne peut détenir une part supérieure à 5% dans le capital de la Banque Centrale Populaire.  En 2014, les 6% du capital de la BCP restant en détention du Trésor a été cédé au profit des banques populaires régionales.

A travers cette comparaison, nous pouvons clairement distinguer entre les pratiques de gouvernance des banques à capitaux marocains et les banques à actionnariat étranger.

En effet, ces dernières (au nombre de 3 dans notre échantillon : SGMA, BMCI et CDM) sont toutes des firmes contrôlées, avec un premier actionnaire détenant plus de 50 % du capital.

Par contre les banques à capitaux marocains, le premier actionnaire détient moins de 50% du capital. La BCP étant la seule à avoir un capital diffus (actionnariat régi par la loi N° 42-07).

Cette distinction étant confortée par la cohabitation de deux grands modèles d’administration :

  • Le premier type, qui est plutôt appliqué chez les grands groupes marocains privés, comportant un conseil, qui exerce une fonction de contrôle sur l’exécutif, lui-même constitué d’un ou plusieurs mandataires sociaux agissant par délégation (conseil d’administration).
  • Dans le second type d’organisation prôné par les banques marocaines à actionnariat étranger, voit cohabiter deux organes collégiaux ayant, pour l’un des attributions de surveillance, et pour l’autre une fonction exécutive (Conseil de surveillance et Directoire) 

Par ailleurs, la composition des organes délibérants de l’ensemble des banques marocaines a évolué courant cette dernière année (depuis la sortie des nouveaux textes règlementaires) par l’intégration d’administrateurs indépendants. Cela traduit la volonté des banques de se conformer aux nouvelles exigences, bien que le minimum requis n’ait pas encore été atteint.

Néanmoins, le nombre d’administrateurs étrangers semble plus important dans les établissements à actionnariat international, ce qui peut s’expliquer par la forte représentativité du groupe d’appartenance de l’établissement dans l’organe d’administration.

Pour ces mêmes établissements, ayant tous adopté le mode de gouvernance par conseil de surveillance, nous constatons l’absence de membres exécutifs dans les organes délibérants, contrairement aux établissements à actionnariat majoritairement marocain, lesquels comptent des membres exécutifs allant de 1 (Président Directeur Général) à 6 membres.

Pour ce qui est de l’ancienneté des administrateurs, nous remarquons que prés de la moitié des membres de conseils, pour l’ensemble des banques (sauf la BCP) siègent depuis plus de 12 ans. Cette ancienneté permettra, certes, aux conseils de s’enrichir de leurs expériences, mais pourraient également amoindrir sa capacité critique ou innovante.

La durée de mandat pourrait être une variable de souplesse dans la composition des conseils d’administration, dans la mesure où, il semble être plus facile de procéder à des changements au niveau du conseil à l’échéance des mandats plutôt qu’en cours de ceux-ci, sauf pour des cas exceptionnels.

Dans ce cadre là, les banques à capitaux marocains ont toutes adopté des durées de mandats de 6 ans contrairement aux banques à capitaux étrangers qui ont plutôt des mandats de 3 à 5 ans.

Pour les comités rattachés à l’organe délibérant, les banques semblent intégrer les nouvelles donnes règlementaires. Ainsi, l’ensemble des banques de l’échantillon se rapprochent des standards exigés (3 comité dont un dédié à l’analyse des risques).

CONCLUSION

Comme annoncé plus haut, l’objectif principal de cet article étant d’une part, de simplifier la compréhension des nouvelles exigences règlementaires marocaines en matière de gouvernance des établissements de crédit et d’autre part, de contribuer à faire progresser la connaissance de la  gouvernance des banques marocaines, en offrant un descriptif des principaux mécanismes internes et en effectuant une comparaison des pratiques des différents établissements.

De là, nous pouvons conclure que l’actionnariat semble avoir un impact très important sur les pratiques de gouvernance.

Deux modes de gouvernance semblent pouvoir être distinguées aujourd’hui au Maroc: les banques à capitaux marocains et les banques contrôlées par un actionnaire majoritaire influent (filiales de groupes français).

Par ailleurs, les deux modes de gouvernance semblent chercher l’équilibre qui permettra un fonctionnement conforme aux intérêts des différentes parties prenantes de l’établissement.

Ainsi les banques à capitaux majoritairement marocains sont plutôt adeptes de la théorie de l’unicité du commandement et de leadership à la tête de la firme (Président Directeur Général). Cela peut s’expliquer par l’implication des actionnaires dans la gestion de leur patrimoine.

Par ailleurs, pour les firmes contrôlées par des Groupes étrangers, ces derniers n’ayant pas la possibilité de gouverner directement l’établissement, délèguent sa gestion à un organe exécutif, lequel est surveillé par un organe indépendant, dont la plupart des cas, est fortement représenté par l’actionnaire majoritaire.

Cependant pour ce qui est de la mise en conformité aux nouvelles dispositions règlementaires, l’ensemble des banques, quelque soit leur actionnariat, sont entrain de faire évoluer leurs gouvernance pour se rapprocher aux meilleurs standards et pratiques.

Ces conclusions demeurent néanmoins purement descriptives, basées uniquement sur une comparaison des modalités de gouvernance annoncées dans les publications des banques (rapports annuels, notes d’informations…). Elles proposent cependant une base de réflexion pour des travaux ultérieurs, pouvant porter sur la convergence des pratiques de gouvernance des banques marocaines ou l’analyse de l’influence des mécanismes de gouvernance étudiés sur la gestion des risques et sur la performance des banques.

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Directive du Wali de Bank Al Maghrib, N°1/W/2014 du 30 octobre 2014, relative à la gouvernance au sein des établissements de crédit.

Circulaire du Wali de Bank Al Maghrib, N° 4/W/2014 du 30 octobre 2014, relative au Contrôle interne au sein des établissements de crédit.

La nouvelle loi bancaire marocaine adoptée en novembre 2014 dite « loi bancaire », publiée au Bulletin Officiel n° 6328 (version arabe) et n° 6340 (version française) le 5 mars 2015.

Rapports annuels des banques de l’échantillon.

Notes d’informations des banques marocaines disponibles au niveau des publications des émetteurs sur le site du Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières (www.cdvm.gov.ma).

[1] Commission Nationale ‘Gouvernance d’Entreprise’ (mars 2008), code marocain de bonnes pratiques de gouvernance d’entreprise.

[2] Il s’agit principalement de deux textes publiés par Bank Al Maghrib, lesquels ont été refondus et remplacés par de nouveaux textes sortis en 2014 :

  • Directive n° 50/G/2007 du 31 août 2007 relative à la gouvernance au sein des établissements de crédit, remplacée par la Directive N°1/W/2014 du 30 octobre 2014 ;
  • Circulaire n° 40/G/2007 du 2 août 2007 relative au Contrôle interne remplacée par la Circulaire N° 4/W/2014 du 30 octobre 2014

[3] Jensen M.C., Meckling W.H., (1976),  Theory of the Firm: Managerial Bihavior, Agency Costs, and Ownership Structure, Journal of Financial Economics, Vol 3, pp 305-360.

[4] Mork R. et al., (1988), Management Ownership and Market Valuation, Journal of Financial Economics, vol 20, pp 293-315.

[5] Hennie Van GreuningSonja Brajovic Bratanovic, (2004), Analyse et gestion du risque bancaire : Un cadre de référence pour l’évaluation de la gouvernance d’entreprise et du risque financier, éd. ESKA, Banque mondiale

[6] D N° 1/W/2014, 30/10/2014, Directive du Wali de Bank Al Maghrib relative à la gouvernance au sein des établissements de crédit

[7] D N° 1/W/2014, 30/10/2014, Directive du Wali de Bank Al Maghrib relative à la gouvernance au sein des établissements de crédit.

[8] Parts de marché calculées à partir de données du Groupement Professionnel des Banques du Maroc et communications financières.

[9] Les indicateurs de gouvernance ont été collectés au niveau des différentes publications des banques marocaines (notes d’informations pour appel public à l’épargne, rapports annuels, rapport sur la responsabilité sociale et environnementale…)

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