Monsif AL HADERI Docteur en droit public

La société de développement territorial et la délégation de services publics Internalisation ou externalisation du service public

 

 

Introduction

Les lois organiques régissant les affaires des collectivités territoriales ont confié à ces entités décentralisées l’exercice d’une multitude de services et les équipements publics qui représentent le cœur de leurs compétences. Elles les ont doté, aussi, d’un certain nombre d’instruments juridiques qui leur permettent d’assurer la gestion desdits services et équipements. Il s’agit en l’occurrence de la régie directe, de la gestion déléguée et de la possibilité de créer des sociétés publiques locales qui sont les « sociétés de développement régional (SDR) » pour les régions[1], les « sociétés de développement (SD) » pour les provinces et les préfectures[2] et les « sociétés de développement local (SDL) » pour les communes[3].

Etant donné que les lois organiques relatives à la décentralisation[4] prévoient un encadrement juridique quasi similaire des trois formes de sociétés sus citées, et par souci de simplification de cet article, nous proposons de les dénommer les « sociétés de développement territorial (SDT)[5] ».

Par ailleurs, il y a lieu de préciser que si la régie autonome[6] est régie par un régime juridique très spécial, la gestion déléguée et la création des SDT demeurent des instruments de gestion qui sont caractérisés chacun par des spécificités qui ne cessent de soulever des interpellations quant au contenu du dispositif juridique les régissant d’une part et des modalités d’exécution des contrats y afférents, d’autre part.

Le présent article a pour objet de clarifier les principaux aspects de comparaison entre la gestion déléguée et la SDT[7] comme modes alternatifs, relativement nouveaux, conçus pour la gestion des services publics locaux, notamment la mise en concurrence et les modalités de passation des contrats, leur contenu ainsi que le contrôle de leur exécution.

  1. La mise en concurrence et les modalités de passation des contrats

Le choix d’un mode de gestion d’un service public, au détriment d’un autre, n’est pas une décision facile. Au cas où il serait opté pour la création d’une SDT ou pour une délégation de gestion d’un service public, le recours aux modalités de transparence pour le choix des partenaires influe amplement sur l’avenir de la relation contractuelle pour les deux cas de figure. Les textes juridiques régissant les instruments de gestion des services publics limitent l’autonomie de la collectivité territoriale en matière du choix du délégataire en cas de gestion déléguée (A), alors qu’ils lui donnent une entière liberté de prise de décision, en matière du choix des partenaires, lors de la création d’une SDT (B).

  1. L’autonomie limitée dans le choix du délégataire en matière de gestion déléguée

La loi sur la gestion déléguée oblige expressément la collectivité territoriale ou son groupement[8] à observer les règles de la mise en concurrence pour le choix du délégataire[9]. Ces règles exigent une publicité préalable afin d’assurer une transparence dans la gestion des affaires publiques d’une part et de donner la possibilité à toutes les personnes morales de droit public ou privé d’y participer, d’autre part. L’objectif principal étant celui de garantir un maximum de rationalité dans le processus de choix du délégataire, lequel délégataire devrait être apte à gérer le service public délégué à ses risques et périls.

Cependant, la même loi sur la gestion déléguée offre à la collectivité territoriale ou son groupement la possibilité de déroger au principe de l’« appel à la concurrence », pour au moins les cas où l’on constate une urgence à assurer la continuité du service public ou lorsqu’aucune offre n’est présentée ou lorsque l’appel à la concurrence est déclaré infructueux[10].

Concernant le premier cas relatif à l’urgence, si l’on admet que les partenariats public-privé (PPP)[11] sont, nécessairement, étalés sur de longues durées, surtout pour le cas des services publics d’envergure qui nécessitent des financements colossaux et des investissements très lourds tels que la distribution de l’eau et l’électricité, la gestion des déchets, le transport public par autobus, etc., l’urgence ne devrait nullement constituer le critère de référence pour recourir à une négociation directe. L’explication réside en réalité dans deux paramètres essentiels.

Le premier est lié au fait que les relations contractuelles réalisées dans le cadre de PPP, d’une manière générale, prennent environ une à deux années de préparation, marquées par des négociations très poussées, pour l’établissement des contrats liés à la gestion des services publics précités. En situation opérationnelle, on se demande ici comment on pourrait engager des négociations, dans le cadre d’une entente directe, afin de mettre en marche un service public, alors que le contrat ne sera adopté et signé qu’ultérieurement, soit une ou deux années après. Cette durée est largement suffisante pour mettre en place des procédures d’appels à la concurrence, couplées à l’établissement des documents y afférents.

Le deuxième a trait à la responsabilité confirmée de la collectivité territoriale, ou de son groupement, qui n’a pas pu se préparer convenablement aux situations d’urgence et aux conditions de réagir en cas de crise. L’entité décentralisée devrait se préparer à l’avance c’est-à-dire avant la fin normale du contrat « actuel », afin de ne pas interrompre la continuité du service public et ne pas bouleverser sa permanence, et ce pour la réalisation du contrat futur[12].

Quant au second cas afférent à la déclaration infructueuse d’un appel d’offres, son explication est d’une extrême simplicité étant donné que les candidats à la gestion des services publics sont devenus plus nombreux et plus spécialisés, aussi bien au niveau national qu’au niveau international. Si aucune offre n’est présentée ou si l’appel d’offres est déclaré infructueux c’est que le montage de l’appel d’offres n’est pas, fort probablement, bien confectionné ou la collectivité territoriale, ou son groupement, exige des conditions que les délégataires « potentiels » n’en disposent pas, chose qui reste loin de la réalité.

Dans les deux cas de figure, le recours à une négociation directe, tout en se fondant sur les motifs précités prévus par la loi sur la gestion déléguée, ne profiterait nullement au service public délégué et porterait atteinte à ses principes, pour la simple raison que les conditions et le climat des négociations privilégieraient les intérêts des délégataires, surtout s’il s’agissait des personnes morales de droit privé, guidés généralement par la logique des affaires, celle de la rémunération des actionnaires.

  1. L’autonomie renforcée dans la création de la SDT

Les dispositions des lois organiques relatives à la décentralisation[13] prévoient globalement que la collectivité territoriale, ou son groupement, peut procéder à la création, ou à la prise de participation dans des sociétés dénommées « SDT », en association avec une ou plusieurs personnes morales de droit public ou privé. Ce dispositif montre que ces entités pourraient créer à elles seules des SDT, avec une participation exclusive à son capital, comme elles peuvent les créer en association avec des personnes morales de droit public ou privé. L’étendue de cette possibilité témoigne d’une autonomie assez large en matière de prise de décision sur le choix d’un modèle ou d’un autre pour la création d’une SDT.

Au cas où une collectivité territoriale, ou un groupement, déciderait de la création d’une SDT, le dispositif juridique sus mentionné ne conditionne pas le recours aux règles de la concurrence pour le choix des partenaires, contrairement à la délégation de gestion des services publics. Elle dispose d’une entière liberté dans le choix entre le fait d’adopter ces règles ou de procéder aux négociations directes avec des partenaires potentiels.

Par ailleurs, les lois organiques relatives à la décentralisation conditionnent la création des SDT spécialement pour la gestion des activités à caractère industriel et commercial, rentrant dans le champ des compétences de la collectivité territoriale concernée, à l’exception de la gestion du domaine privé. Autrement dit, il suffit qu’une activité requière les conditions d’un caractère marchand[14] pour qu’elle fasse l’objet de création d’une SDT.

Dans la même optique, les services et les équipements publics, rentrant dans les compétences de chacune des catégories des collectivités territoriales, sont présentés généralement, dans les lois organiques précitées, selon une liste large et non limitative. Ce constat permet à la collectivité territoriale, ou son groupement, de créer autant de SDT pour la gestion d’un service ou d’un équipement public comme elle peut créer une SDT dédiée à la gestion de plusieurs services et équipements publics.

  1. Le contenu des contrats

Mis à part le mode de la gestion directe, la collectivité territoriale ou son groupement est tenue d’établir un contrat qui devrait régir sa relation avec la SDT qu’elle créée ou avec le délégataire en cas d’une délégation de gestion d’un service public. Cependant, les contrats de délégation des services publics locaux sont régis par un cadre juridique dédié spécialement à cet effet (A). Par contre, bien que les lois organiques relatives à la décentralisation restent muettes quant à ce sujet, l’objet de la SDT ainsi que son tour de table constituent la plaque tournante qui régit sa relation avec la collectivité territoriale, ou le groupement, qui l’a créée (B).

  1. Le montage du contrat de gestion déléguée est fixé par un cadre légal

La loi n° 54-05 relative à la gestion déléguée des services publics prévoit un dispositif juridique important encadrant la relation contractuelle, entre le délégant et le délégataire, dans la limite où elle précise que le contrat de délégation de service public est composé, par ordre de primauté, de la convention, du cahier des charges et des annexes[15]. Cette précision n’est pas cantonnée, uniquement, à la définition du contrat mais elle apporte aussi des précisions quant à son contenu.

Ainsi, la loi précitée cerne les principales dispositions sensées régir la relation contractuelle entre le délégant et le délégataire, notamment la durée du contrat et les conditions de sa prorogation, la gestion des biens et leur descriptif technique, les modalités de tarification, le financement des investissements, la gestion du personnel, les conditions de résiliation du contrat, et les dispositifs de règlement des litiges.

Sans s’atteler à la discussion des dispositions sus mentionnées, il apparaît que le législateur était confronté à deux principales positions ; soit qu’il a voulu fixer les composantes essentielles que le contrat devrait régir et laisser les collectivités territoriales et leurs groupements s’en charger de les détailler en fonction des spécificités du service public qui relève de leurs compétences, soit étant donné qu’il n’a pas été en mesure de les détailler davantage, vu les spécificités en question, il n’a pas voulu s’aventurer dans un domaine aussi vaste et aussi complexe, du moment que la gestion déléguée pourrait engager à la fois la qualité des prestations fournies et l’endettement des générations futures, et ce en fonction de l’ampleur du service ou de l’équipement en question.

Dans les deux cas de figure et étant conscient que la durée de la gestion déléguée qui peut être très longue, le législateur a préféré donné main forte et large aux entités décentralisées de tenir compte des principales règles prévues par la loi sur la gestion déléguée dans le montage des contrats, tout en restant responsables des résultats de l’application de ses clauses vis-à-vis des populations, notamment en matière de la fourniture des prestations et leur qualité.

D’une manière générale, malgré que l’encadrement juridique des principales composantes contractuelles sus mentionnées soit assimilé à des principes ou à des concepts généraux imprécis qui sont difficilement assimilables[16], à l’évidence difficilement applicables en situation opérationnelle d’une part, et qu’il donne une entière liberté à la collectivité territoriale, ou à son groupement, pour rédiger le contrat en fonction des spécificités du service ou de l’équipement public local, d’autre part, il n’est pas déplacé de préciser que ledit encadrement oriente tout de même l’élaboration d’un contrat de gestion déléguée, ce qui n’est pas le cas pour les contrats conclus par les collectivités territoriales ou leur groupements avec les SDT.

  1. Le montage du contrat avec la SDT est fonction de l’objet de sa création et des aspirations des actionnaires

Si la loi sur la gestion déléguée simplifie la « tâche » à la collectivité territoriale, ou à son groupement, pour le montage du contrat pour la gestion d’un service public relevant de sa compétence, la situation n’est pas similaire au cas où il s’agissait d’un contrat conclu entre l’entité décentralisée et sa SDT pour la gestion du même service. Cette tâche devient tellement rude lorsqu’on sait que si les élus locaux et les fonctionnaires relevant des administrations territoriales[17] éprouvent des difficultés énormes dans le montage des contrats de gestion déléguée[18], au demeurant relativement mieux encadrés sur le plan juridique, quel serait leur attitude vis-à-vis des contrats conclus avec les SDT.

A part certaines dispositions qui sont loin d’être des assises juridiques ou même des orientations qui permettent de guider les modalités d’établissement des contrats avec les SDT, les lois organiques relatives à la décentralisation cernent l’objet de leur création, aux activités à caractère industriel et commercial et offrent aux entités décentralisées la possibilité de s’associer avec des personnes morales de droit public ou privé pour la création des SDT, tout en exigeant l’observation de certaines règles particulières, préventives et dérogatoires.

L’objet du contrat conditionne amplement les modalités de son élaboration et de son exécution. Il suffit qu’il soit constaté qu’un service ou un équipement public revête un caractère marchand, rentant dans la compétence d’une collectivité territoriale, que cette dernière puisse créer une SDT pour en confier la gestion. La formalisation de la relation contractuelle entre ladite collectivité et sa SDL est amplement tributaire de la nature du service qui constitue l’objet de la société.

En effet, le montage d’un contrat pour la gestion du transport public par autobus n’est pas nécessairement similaire à celui de la gestion d’une piscine ou d’une salle omnisports. Si les principales composantes du contrat peuvent être quasi similaires, les modalités de financement, surtout lorsqu’ils sont étalés sur de longues durées, sont de surcroît différentes. Le retour sur investissement conditionne, nécessairement, le montage contractuel d’un service ou d’un autre.

Par ailleurs, la constitution d’une SDT, sous une forme partenariale, influe elle-aussi sur le montage contractuel, pour la principale raison liée essentiellement à la rémunération des partenaires, surtout lorsqu’il s’agit des personnes morales de droit privé. Si la logique visant à garantir les principes de service public prime sur toute autre logique, l’association avec des opérateurs du secteur privé n’est pas obligatoirement la même. Ces opérateurs mobilisent les investissements et les expertises nécessaires qui ne sont détenus que par eux. En plus, ils ne sont motivés que par la logique des affaires et la rémunération de leurs actionnaires. Ces derniers conditionnent leur association par des mécanismes qui devraient assurer la rentabilité de leurs contributions financières et, de ce fait, exigent des clauses contractuelles compatibles avec leurs motivations et leurs aspirations.

 

III. Le contrôle d’exécution des contrats

Toute relation contractuelle nécessite des conditions et des modalités de suivi et de contrôle de son exécution, car les autres clauses contractuelles ne peuvent à elles seules assurer une telle mission. Le contrôle constitue la principale mesure qui permet de s’assurer de l’atteinte des objectifs des contrats, dans les meilleures conditions possibles. Abstraction faite des autres contrôles institués par les autres lois et règlements en vigueur[19], si certains types de contrôle sont institués par la loi sur la gestion déléguée des contrats y afférents (A) ils ne sont pas similaires à ceux exercés sur une SDT, où son conseil d’administration demeure la principale structure ayant la responsabilité de ce contrôle, sauf si le contrat déciderait de la mise en place d’autres structures (B).

  1. Le contrôle de la gestion déléguée est régi par des structures légales

Si l’on se réfère à la loi sur la gestion déléguée, ses dispositions donnent une grande importance à la préservation des impératifs du service public. Conscient de cette importance, le législateur a institué les principes de base permettant au délégant de contrôler aussi bien le délégataire que les modalités d’exécution du contrat. C’est ainsi que l’article 17 de la même loi prévoit, entre autres, le droit au délégant de contrôler, par ses soins ou par le recours à des audits ou à des contrôles externes, sur pièce et sur place la bonne marche du service délégué ainsi que les modalités permettant de s’assurer de la bonne exécution des dispositifs contractuels.

Dans le même ordre d’idées et afin de s’assurer de la mise en œuvre effective des engagements contractuels, l’article 18 de la loi sur la gestion déléguée précise que le contrat doit prévoir des structures de suivi et de contrôle de son exécution. C’est le cas des comités permanents de contrôle institués auprès des services de distribution d’eau, d’électricité et d’assainissement liquide délégués par les communes de Casablanca et de Rabat respectivement à Lydec et à Rédal.

Toutefois, des questionnements légitimes se posent quant à l’opportunité du contrôle assuré par lesdits comités alors que leurs activités sont en réalité financées par le délégataire. Encore faut-il se poser d’autres questions sur une telle opportunité si la compétence des ressources humaines des comités de contrôles n’est pas au même pied d’égalité si on l’a compare avec celle des ressources humaines du délégataire, surtout lorsqu’il s’agit de sociétés multinationales guidées par la logique des affaires et la rémunération de leurs actionnaires ?

  1. Le principal contrôle de la gestion[20] d’une SDT est exercé par le conseil d’administration[21]

Nonobstant les autres contrôles institués par les lois et les règlements en vigueur, cités plus haut, le conseil d’administration représente l’instance la plus prééminente dans le processus du contrôle permanent de la gestion interne de l’exercice des missions de la SDT. En vertu de la loi 17-95 sur les sociétés anonymes, notamment ses articles 69 et suivants énumèrent une série de pouvoirs de contrôle importants attribués au conseil d’administration, surtout en matière de veille à la mise en œuvre des orientations de l’activité de la société. De même, ledit conseil se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent.

Aussi, le conseil d’administration procède aux contrôles et vérifications qu’il juge opportuns. En plus, à la clôture de chaque exercice, ledit conseil dresse un inventaire des différents éléments de l’actif et du passif social existant à cette date, et établit les états de synthèse annuels, conformément à la législation en vigueur.

Au vu du dispositif juridique sus cité, il apparaît que le rôle que devrait jouer le conseil d’administration de la SDT demeure d’une importance inégalée, surtout lorsqu’il s’agit d’un service public d’intérêt général, lequel service en cas de son arrêt pourrait bouleverser l’ordre public et la paix sociale surtout pour des services d’envergure tels que la distribution d’eau, d’électricité et d’assainissement liquide, la gestion des déchets solides et assimilés, le transport public par autobus, etc.

Ce même rôle devient d’une importance capitale puisque les élus de la collectivité territoriale figurent, nécessairement, en tant qu’administrateurs dans le conseil d’administration d’une SDT et demeurent redevables envers les électeurs de la bonne marche de ladite société chargée de la gestion d’un service public à caractère industriel et commercial rentrant dans le champ de compétence de la collectivité territoriale.

La précédente illustration montre qu’il s’agit d’une double responsabilité des élus; une responsabilité liée à la gestion de la SDT dont les conséquences, liées à sa mauvaise gestion, pèseraient lourdement sur la bonne marche du service public et une responsabilité politique devant les électeurs en matière de gouvernance, de permanence et de qualité des prestations fournies par le service géré par la SDT.

Toutefois, il est utile de rappeler que l’exercice du contrôle effectué par le conseil d’administration diffère considérablement en fonction du tour de table de la SDT. Si cette dernière est constituée par un capital à 100% public, ses modalités de contrôle ne seraient pas similaires au cas où elle serait créée par un capital mixte, composé par des participations des opérateurs relevant du secteur privé. Des tractations seraient envisageables entre les élus administrateurs soucieux du service public et de leur responsabilité envers les électeurs et les administrateurs représentant lesdits opérateurs, motivés par la réalisation des gains financiers.

  1. Le contrôle quasi similaire du juge financier

Toute responsabilité de contrôle des services et des activités publics, relevant de la compétence des collectivités territoriales, nécessite un soubassement juridique sur lequel les missions dudit contrôle sont instituées. Au-delà des autres missions de contrôle, la loi formant code des juridictions financières[22] confie, en vertu de son article 117, aux cours régionales des comptes la charge de contrôler les comptes et la gestion des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Pour les cas de figure, analysés dans le présent article, qui sont la gestion déléguée et les SDT, l’article 118 de la même loi n° 62-99 prévoit, dans son paragraphe 2, que lesdites cours contrôlent la gestion des entreprises gérantes d’un service public local et des sociétés et entreprises dans lesquelles des collectivités territoriales et des groupements possèdent, séparément ou conjointement, directement ou indirectement, une participation majoritaire au capital ou un pouvoir prépondérant de décision[23].

Par ailleurs, le même article précédent précise, dans son paragraphe 4, que la cour régionale exerce une fonction juridictionnelle en matière de discipline budgétaire et financière à l’égard de tout responsable, tout fonctionnaire ou agent relevant « de toutes sociétés ou entreprises dans lesquelles des collectivités locales ou des groupements possèdent, séparément ou conjointement, directement ou indirectement, une participation majoritaire au capital ou un pouvoir prépondérant de décision » sans évoquer les agents des entreprises gérantes d’un service public local, en l’occurrence les agents relevant des sociétés délégataires d’un service public.

Il paraît au vu des dispositions de l’article sus cité que le contrôle de la gestion par les cours régionales des comptes demeure applicable pour les délégataires de services publics et les SDT, alors que l’exercice de la fonction juridictionnelle en matière de discipline budgétaire et financière est applicable uniquement à l’égard de tout responsable, tout fonctionnaire ou agent de la SDT sans qu’elle ne le soit pour des fonctions similaires dans la cas d’une délégation de service public. C’est pourquoi certains auteurs qualifient ce contrôle sur les délégations de services publics de « contrôle administratif » portant sur la gestion assumée par les délégataires des services publics délégués et non pas de contrôles juridictionnels[24].

D’une manière générale, nonobstant les différences entre les contrôles exercés sur les agents des SDT ou sur ceux des délégataires de services publics, le contrôle de la gestion est presque analogue pour les deux instruments de gestion des services publics locaux, à part la responsabilité du personnel œuvrant dans ladite gestion. L’explication est simplement tout à fait objective car pour les délégations de services publics, celles-ci sont, généralement, attribuées à des sociétés, par le biais de l’appel à la concurrence, et, de surcroît, ces sociétés sont souveraines quant aux modalités de recrutement du personnel, alors que pour les SDT, ces dernières sont créées par les collectivités territoriales ou par leurs groupements et, de ce fait, lesdites collectivités demeurent responsables des pratiques des agents recrutés à cet effet.

Conclusion

Malgré le manque de précision et de clarté dans ses dispositions, il importe de signaler que la loi sur la gestion déléguée a, tout de même, instauré les principales règles qui devraient régir les modalités de délégation de la gestion des services publics locaux, relevant de la compétence des collectivités territoriales. A l’inverse, au cas où ces services pourraient être gérés par des SDT créées à cet effet, le cas n’est pas forcément similaire. A part certaines dispositions préventives, prévues par les lois relatives à la décentralisation, la collectivité territoriale, ou son groupement, demeure souveraine dans l’élaboration des contrats et ses principales dispositions, qu’ils soient établis avec des SDT dont le capital est à 100% public ou avec des SDT créées en association avec des personnes morales de droit privé.

Au vu de ce qui précède, on constate, clairement, que malgré que la loi offre une certaine autonomie aux collectivités territoriales en matière du choix de l’instrument juridique à adopter pour la gestion d’un service ou d’un équipement public, le départage à la hâte entre les différents instruments n’est pas nécessairement le plus opportun est le plus convenable. L’intervention, dans un cadre partenarial, des opérateurs privés complique davantage la situation, pour la simple raison que ces opérateurs sont motivés par la logique des affaires, laquelle logique privilégie un retour sur investissement des fonds investis aussi bien pour le cas des entités privées voulant être des délégataires que ceux désirant être des partenaires associés dans le capital des SDT.

Le choix entre les deux modes de gestion n’est pas une tâche facile, surtout lorsqu’on prend en considération la clarté relative dans la passation et la gestion des contrats de gestion déléguée par rapport à la persistance des zones d’ombre dans celles passées avec les SDT. Les spécificités d’un service ou d’un équipement public local par rapport à un autre conditionnent à la fois le choix de l’instrument de sa gestion et à l’évidence les composantes du contrat y afférent. La seule option opportune reste, de surcroît, le recours aux études technico-financières préalables. L’établissement de ces études demeure le gage qui permet un choix efficace et rationnel de l’instrument adéquat pour la gestion du service public local.

Introduction

 

  1. La mise en concurrence et les modalités de passation des contrats
  2. L’autonomie limitée dans le choix du délégataire en matière de gestion déléguée
  3. L’autonomie renforcée dans la création de la SDT

 

  1. Le contenu des contrats
  2. Le montage du contrat de gestion déléguée est fixé par un cadre légal
  3. Le montage du contrat avec la SDT est fonction de l’objet de sa création et des aspirations des actionnaires

 

III. Le contrôle d’exécution des contrats

  1. Le contrôle de la gestion déléguée est régi par des structures légales
  2. Le principal contrôle de la gestion d’une SDT est exercé par le conseil d’administration
  3. Le contrôle quasi similaire du juge financier

 

Conclusion

[1] Loi organique n° 111.14 relative aux régions, promulguée par le Dahir n° 1.15.83 du 20 ramadan 1436 (7 juillet 2015).

[2] Loi organique n° 112.14 relative aux préfectures et provinces, promulguée par le Dahir n°1.15.84 du 20 ramadan 1436 (7 juillet 2015).

[3] Loi organique n° 113.14 relative aux communes, promulguée par le Dahir n° 1.15.85 du 20 ramadan 1436 (7 juillet 2015).

[4] Pour éviter le référencement récurrent le long de cette illustration aux lois organiques sus citées, nous proposons de les dénommer les lois organiques relatives à la décentralisation.

[5] L’objectif de l’appellation proposée permet d’éviter la confusion avec les sociétés de développement local qui étaient prévues par la charte communale et l’expression « territoriale » utilisée a pour but de consacrer le caractère local de leur création.

[6] Décret n° 2-64-394 du 22 joumada I 1384 ( 29 septembre 1964 ) relatif aux régies communales dotées de la personnalité civile et de l’autonomie financière.

[7] En vertu des lois organiques relatives à la décentralisation, ces « SDT » sont des sociétés anonymes régies par la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, promulguée par le Dahir n° 1-96-124 du 14 rabii II 1417 (30 août 1996), telle qu’elle a été modifiée et complétée.

[8] Dans cet article, l’expression « groupement » est citée à titre indicatif. Elle renvoie aux différents types de groupements prévus par les lois organiques relatives à la décentralisation, en l’occurrence les établissements de coopération intercommunale, les groupements de préfectures ou de provinces, les groupements de régions et les groupements de collectivités territoriales.

[9] « Article 5 : Appel à la concurrence

Pour le choix du délégataire, le délégant est tenu, sauf exceptions prévues à l’article 6 ci-après, de faire appel à la concurrence en vue d’assurer l’égalité des candidats, l’objectivité des critères de sélection, la transparence des opérations et l’impartialité des décisions.

La procédure de passation du contrat de gestion déléguée doit faire l’objet d’une publicité préalable.

Les formes et modalités d’établissement des documents d’appel à la concurrence et notamment de ses différentes phases sont fixées par le gouvernement pour les collectivités locales et par le conseil d’administration ou l’organe délibérant pour les établissements publics ». Loi n° 54-05 relative à la gestion déléguée des services publics, promulguée par le Dahir n° 1-06-15 du 15 moharrem 1427 (14 février 2006).

[10] « Article 6 : Négociation directe

Le délégataire peut être sélectionné par voie de négociation directe dans les cas exceptionnels suivants:

  1. a) lorsqu’il y a urgence à assurer la continuité du service public;
  2. b) pour des raisons de défense nationale ou de sécurité publique;
  3. c) pour les activités dont l’exploitation est exclusivement réservée à des porteurs de brevets d’invention ou pour les prestations dont l’exécution ne peut être confiée qu’à un délégataire déterminé.

Si le délégant est une collectivité locale et lorsqu’aucune offre n’a été présentée ou lorsque l’appel à la concurrence a été déclaré infructueux, ledit délégant peut recourir à la négociation directe. Dans ce cas, il doit établir un rapport précisant les raisons qui ont conduit au recours à cette voie et au choix du délégataire proposé. Ce rapport est soumis à l’approbation de l’autorité de tutelle des collectivités locales pour décider de la gestion déléguée du service public en cause ». La loi relative à la gestion déléguée des services publics, précitée.

Cependant, il y a lieu de préciser que le recours à la négociation directe n’est pas conditionné uniquement par les dispositions de l’article sus cité. L’article 33 de la même loi prévoit d’autres conditions permettant de déroger au principe de la mise en concurrence préalable.

[11] On précise ici que les PPP tels qu’ils sont évoqués, dans le présent article, ne concernent pas ceux prévus par la loi n° 86-12 relative aux contrats de Partenariats Public-Privé, promulguée par le dahir n° 1.14.192 du 24 décembre 2014. Pour plus de détail sur les contrats de PPP conclus par les collectivités territoriales, voir Al Haderi M., «Les partenariats public-privé des collectivités territoriales: cadre juridique et réalités pratiques», Doctorat en droit public, Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales de Fès, 2015, Maroc, 390 pages.

[12] MOREAU J-M., « Quelques précautions à prendre avant la fin d’un contrat de délégation de service public ». Actu Experts Elus locaux, Ordre des experts-comptables, Lettre d’information des experts-comptables aux collectivités locales, Lettre d’information des experts-comptables aux collectivités locales, France, novembre 2010, 65 pages, pp. 54-55.

[13] – Article 145 de la loi organique relative aux régions, précitée.

– Article 122 de la loi organique relative aux préfectures et provinces, précitée.

– Article 130 de la loi organique relative aux communes, précitée.

[14] Afin de mieux approprier la qualification marchande des services et des équipements publics locaux, voir GUGLIELMI Gilles J. et KOUBI G., Droit du service public, Ed. Montchrestien, 2000, pp. 87-88 et STOFFAËS Ch., Services publics. Question d’avenir, Commissariat Général du Plan, Ed. Odile Jacob/La Documentation Française, 1995, pp. 7-8.

[15] Article 12 de la loi n° 54-05 relative à la gestion déléguée des services publics, précitée.

[16] Al Haderi M., «Les partenariats public-privé des collectivités territoriales: cadre juridique et réalités pratiques», précité.

[17] L’expression « administrations territoriales » concerne uniquement les administrations des collectivités territoriales et leurs groupements et non pas les administrations déconcentrées.

[18] Pour répondre à certains chercheurs et conférenciers qui considèrent que les administrations territoriales sont capables de gérer leurs services et équipements publics locaux et que l’administration centrale n’intervient que pour entraver les actions de leurs gestions et de ce fait son intervention devra être supprimée, voir les énormes irrégularités et dysfonctionnements constatés par :

– Le rapport sur la gestion déléguée des services publics locaux. La Cour des Comptes, Maroc, octobre 2014, page 105, 199 pages.

– Al Haderi M., «Les partenariats public-privé des collectivités territoriales: cadre juridique et réalités pratiques», précité.

– Le rapport sur la gestion déléguée des services publics, publié par le Conseil Economique, Social et Environnemental au bulletin officiel n° 6474 du 10 ramadan 1437 (16 juin 2016).

[19] Il s’agit principalement des contrôles effectués par les Cours régionales des comptes (CRC), l’Inspection générale des finances, l’Inspection générale de l’administration territoriale ainsi que par les contrôles régis par les règles de droit privé.

[20] Il est remarqué dans la littérature que plusieurs auteurs utilisent les expressions « contrôle de la gestion » et « contrôle de gestion » en prétendant qu’elles ont la même signification, notamment celle en relation avec les compétences des CRC. Ces dernières, en vertu de l’article 147 de la loi n° 62-99 formant code des juridictions financières, contrôlent la gestion des organismes énumérés dans l’article 148 de la même loi, afin d’en apprécier la qualité et de formuler éventuellement des suggestions sur les moyens susceptibles d’en améliorer les méthodes et d’en accroître l’efficacité et le rendement. […]. Ce contrôle porte également sur la régularité et la sincérité des opérations réalisées ainsi que sur la réalité des prestations fournies, des fournitures livrées et des travaux effectués. […].

Par contre, le contrôle de gestion est un concept qui rentre dans le cadre des outils modernes de gestion et consiste en la mise en place d’un système de pilotage mis en œuvre par un responsable dans son champ d’attribution en vue d’améliorer le rapport entre les moyens engagés – y compris les ressources humaines – et soit l’activité développée, soit les résultats obtenus dans le cadre déterminé par une démarche stratégique préalable ayant fixé des orientations. Il permet d’assurer, tout à la fois, le pilotage des services sur la base d’objectifs et d’engagements de services et la connaissance des coûts, des activités et des résultats. Voir la Circulaire conjointe du Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie et du Ministre de la Fonction Publique et de la Réforme de l’Etat sur le développement du contrôle de gestion dans les administrations, éditée en date du 21 juin 2001 (France). Dans la conception du management appliqué dans le secteur privé, certains auteurs attribuent au contrôle de gestion la mission de conseil au management de l’entreprise dans toutes ses dimensions stratégiques et opérationnelles. RENARD J. et NUSSBAUMER S., « Audit interne et contrôle de gestion, pour une meilleure collaboration », 2011, Editions d’Organisation Groupe Eyrolles, 232 pages, page 10.

[21] La loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, précitée, prévoit deux grands types de structures ; il s’agit de la société à conseil d’administration et de la société à directoire et à conseil de surveillance. Le conseil d’administration est évoqué dans cet article à titre indicatif car toutes les sociétés de développement local créées, à ce jour par les communes, sont des sociétés à conseil d’administration. Source, rapport inédit du ministère de l’intérieur.

[22] Loi n° 62-99 formant code des juridictions financières, promulguée par le Dahir n° 1-02-124 du 1er rabii II 1423 (13 juin 2002) telle qu’elle a été modifiée et complétée.

[23] « Dans la limite de son ressort, la cour régionale:

1 – juge les comptes et contrôle la gestion des collectivités locales, de leurs groupements et des établissements publics relevant de la tutelle de ces collectivités et groupements;

2 – contrôle la gestion des entreprises concessionnaires ou gérantes d’un service public local et des sociétés et entreprises dans lesquelles des collectivités locales, des groupements, des établissements publics relevant de la tutelle de ces collectivités et groupements possèdent, séparément ou conjointement, directement ou indirectement, une participation majoritaire au capital ou un pouvoir prépondérant de décision;

3 – contrôle l’emploi des fonds publics reçus par des entreprises, autres que celles citées ci-dessus, des associations, ou tous autres organismes bénéficiant d’une participation au capital ou d’un concours quelle que soit sa forme de la part d’une collectivité locale, d’un groupement ou de tout autre organisme soumis au contrôle de la cour régionale;

4 – exerce une fonction juridictionnelle en matière de discipline budgétaire et financière à l’égard de tout responsable, tout fonctionnaire ou agent:

– des collectivités locales et de leurs groupements;

– des établissements publics relevant de la tutelle de ces collectivités et groupements;

– de toutes sociétés ou entreprises dans lesquelles des collectivités locales ou des groupements possèdent, séparément ou conjointement, directement ou indirectement, une participation majoritaire au capital ou un pouvoir prépondérant de décision.

Le wali et le gouverneur sont soumis à la juridiction de la cour régionale lorsqu’ils agissent en tant qu’ordonnateur d’une collectivité locale ou d’un groupement. Dans les autres cas, les dispositions du chapitre II du titre Il du livre I de la présente loi leurs sont applicables;

5 – concourt au contrôle des actes relatifs à l’exécution des budgets des collectivités locales et de leurs groupements. ». Article 118 de la loi n° 62-99 formant code des juridictions financières, précitée.

[24] Boujida M., « Le contrôle des délégations de services publics des collectivités locales par les cours régionales des comptes au Maroc », juillet-octobre 2009, REMALD, n° 87-88, pages 35-47.

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