La démocratie locale : de la grandeurdes notables à l’éclosion d’un néo-élitisme développeur au Maroc

Introduction :

         On ne s’étonne pas de voir à la fin du protectorat que le paradigme notabiliairesoitdominant. La Résidence Générale avait composé avec « des gens qui ont hérité d’une position de leurs aïeux, ce sont des gens qui ont la possibilité de distribuer des privilèges. La conséquente, ils sont dans les institutions [1].

         Avec l’avènement de l’indépendance, on a reproduit les alliances anciennes on les modernisant par une charte communale pour relancer la démocratie par le bas. Le contexte politique, voire sociale était propice pour l’éclosion de ces force centrifuges. Même les partis politiques qui ne maitrisent pas le jeu politique font appel aux meilleurs notables de la place. Tout un système s’est constitué : la mise en place du mode de scrutin uninominal pour favoriser les amghars et les potentats locaux et non les partis politiques[2]. Ces derniers, dans les représentations de la paysannerie sont considérés comme un contre-pouvoir.

         Malgré l’ouverture au changement, le notable est sollicité dans la durée politique  parce qu’il est suscité par le pouvoir et manipulable par l’administration. La monarchie était avertie de la réalité socio-politique qui lui a léguée le protectorat pour établir une nouvelle alliance avec le monde rural.

Par conséquent, elle se refuse de démolir le pouvoir des notables et freine tout ce qui pourrait porter atteinte à leur statut social et foncier.[3]

De plus, sans les notables, l’Etatmarocainetparticulièrementla machine administrative tourne à vide. En effet, le calcul politique oblige le monarque de composer avec eux en relancent les assemblées locales grâce à un réseauqui combinait parti et administration, mais ces notables élus,à la recherche  du prestigesocial,préfèrent être plus consultatifs que délibératifs. En d’autre termes, cet Etat traditionnel n’a pas réussi sur la question de la démocratieet dudéveloppement,  parce qu’elle était privé des pouvoirs de gestion, sans capacité et sans compétence effective sur le plan local.

Le problème de la démocratie locale a été l’un des plus délicats à résoudre dès les premières années de l’indépendance. Le notable éclairé occupe l’administration caïdale. Cette fonctionnalisation des notables étouffait la démocratie locale ou tout simplement retardait sa mise en place.

C’est pour cela, le contenu de la démocratie locale révèle un jeu d’équilibre subtil entre une tendance notabiliaire conservatrice et une tendance socialisante voire révolutionnaire optant pour un projet modernisateur, participatif et bureaucratique.

Le défi de l’immobilisme politiqueet les nécessités du développement conditionne les grands choix de la démocratie locale. Ne fallait-il dépolitiser les notables parce qu’une telle démocratie exige l’existence de tendances partisanes rivales dans le jeu d’alliances renouvelées. En effet, la démocratisation par la base en repolitisant les notables en tant que corps social dominant conduit au changement de la société marocaine de l’intérieur.

Le notable pour constitue la charrette du développement local ne doit pas se concevoir en termes de privilèges mais en termes d’obligation de résultat.[4]

C’est par cela,la démocratie  localeétaitdans la durée une problématique majeure. Un thèmerécurrent« mobilisateur des énergies  cristallisant ladivergence de perception entre les différentes convictionsidéologiques,modernes et anciennes,libérales et socialistes »[5]. La dynamique démo-constitutionnelle  à elle seule pourrait-ellerelancer ce processus démocratique  au niveau local ? Impose-t-elle de plus en plus d’élites, pas nécessairement cooptées par le centre  comme auparavant et surtout dans un contexte marqué par l’existence d’un Etat moderne capable de faire face à la mondialisation et aussi face à aux faibles capacités d’être au service du local ? La démocratielocale a-t-elle besoin d’un néo-élitisme comme une nouvelle démarche en vue de participer à l’élaboration des choix collectifs ? Une conception idéalisée de la démocratie sous-entend que personne ne soit exclu du processus de décision[6].

Cela suppose la contribution des différents groupes d’intérêts et des classes sociales à la chose locale. Il faut par conséquent,les impliquer tous dans les prises de décision relevant de la gestion des affaires territoriales. La nouvelle approche participative montre qu’aucun groupe d’élites n’a du pouvoir sur l’ensemble des problèmes de la collectivité. Il n’est plus question de parler d’une élite notabiliaire au pouvoir mais d’une pluralité d’élite en quête du pouvoir local[7]

I- l’ère d’une notabilité gouvernéesans perspective de développement

Les notables par leur nature plongent le plus souvent dans l’engourdissement total, prisonniers de l’héritage qu’ils continuaient d’assurer grâce au scrutin uninominal qui s’ajoute au découpage territorial. Nous assistons au fil des années à la genèse d’une classed’élus chargées de meubler les institutions (parlement et collectivités territoriales)[8].

         De peur de créer une légitimité démocratique virtuellement concurrente, le pouvoir a dépolitisé les élections locales, qui sont faites en dehors des partis. Il a aussi cautionné les élus au niveau local, pour en faire les instruments de l’action administrative. Même s’ils sont investis par le suffrage universel, ils étaient sensibles à toute mesure du changement[9].

1-1 Développement et statu quo : le grand dilemme.

Mais avec le temps, un conflit potentiel émerge en surface, le nombre croissant des jeunes passés par les lycées et les universités supportant mal le statuquo et la tutelle paternaliste de ces notables. Les chantiers entamés dans le Maroc rural ne bouleversent pas leur acquis mais freinent le véritable développement qui devrait répondre à la poussée démographique et aux aspirations de la gauche.

         La Charte Communale de 1976 quoique rénovée en 2002 et en 2008 ne requiert pas tant de nouvelles dispositions juridiques prometteuses, il faut toujours souligner que la relance économique une question de l’état d’esprit des élus.

         Il faut avouer que les choix et décisions formulées par ces notables-éluset les représentants de l’administration sont incontestablement une autre entrave au développement. La fonction programmatique des partis politiques, surtout en milieu rural reste fragile, parce que le souci majeur de ces forces est de jouer le rôle de police locale et de se créer une clientèle locale.

Des espoirs que fondait une population sur les nouveaux réseaux d’élites politisés depuis les années 70 s’effondrèrent. Et, c’était la grande déception[10].

L’élite locale depuis sa constitution se trouve dans l’indépassable dilemme : reconnaitre aux élus beaucoup d’autonomie et de pouvoirs déboucherait sur un comportement autonomiste etrégionaliste.

Le refusd’innover pousserait ces forces centrifuges à se politiser autrement. Comme l’avait écrit M. Naciri, contrôler le territoire ou le développer est le dilemme du pouvoir depuis un siècle[11].

De nombreuses études sur le Maghreb montrent que l’élection est loin d’être l’expression de l’attachement à l’idée démocratique. Elle est plutôt un moyen d’affirmer son appartenance ethnique et régionaliste.

1-2 : Les communes et logique néo-patrimoniale.

Les communes deviennent en l’occurrence, à travers les expériences ; les otages des clivages que les notables élus expriment. Cette léthargie éclaire l’explication politologique qui enferme tout le processus dans la catégorie néo-patrimoniale : étatisation de la société clientélisée, la paternalisation des relations politiques. Ces facteurs introduisent des comportements particuliers de faibles degrés d’autonomie des collectivités, et détournent les élites locales des actions socio-économiques[12].

Du reste, comment un tel système conservateur au sens littéral du terme aurait pu répondre aux exigences de développement local ?

         La démo-constitution comme processus et le néo-élitisme gouvernant comme outil peuvent-ils relancer la démocratie et le développement du local ?

La constitution rénovée est un mouvement continu vers une démocratie locale plus affirmée, plus vraie et plus solide. L’idée constitutionnalisée du territoire serait-elle les prémices du succèsdémocratique par la base. En effet, la dynamique démo-constitutionnelle se pose en terme de règlement double :

  • Rénover les dispositifs des collectivités territoriales.
  • Affranchir les potentialités aussi l’éclosion d’une nouvelle élite éclairée.

Ce processus démo-constitutionnel traduit le passage d’une gestion sentimentale et conflictuelle à une stratégie consensuelle et rationnelle. La dimension conflictuelle ne donne pas le pouvoir aux élus mais seulement des charges et des obligations. Cela se vérifie avec limpidité dans le contenu des loisorganiques sur les collectivités territoriales promulguées en juillet 2015.

D’ailleurs, le mode de fonctionnement du jeu politique local depuis les années 60 ne peut favoriser aucune évolution parce qu’il stérilise les initiatives et bloque l’imaginaire des acteurs locaux.

Mais peut-on arriver à une élite locale gouvernante à l’opposé d’une élite gouvernée ?

Quelle solution de rechange peut-on faire du système politique local dans son articulation et son rapport avec le centre ?

II- un néo-élitisme[13] gouvernant avec une perspective de développement.

La sociologie des élites connaît un nouvel essor[14]. La recherche met l’accent sur la rénovation des approches positionnelles et réputationnelle. Dans un même temps, et à partir d’une perspective d’analyse des politiques publiques, les approches décisionnelles s’imposent. Le néo-élitisme part du postulat selon lequel aucune pratique politique au service du développement n’est possible sans la contribution des élites, coopérants garantissant non seulement la stabilité politique mais à penser la démocratie comme un système qui donne la possibilité à tous les citoyens de participer. Il s’agit de mettre en œuvre les interrelations dans lesquelles elles s’insèrent, ce qui permetde trouver des réseaux d’affinité entre élites et de repérer leurs modes d’intervention dans le processus du développement.

2-1 : Néo-élitisme et la relance de la démocratie comme participation.

 Des chercheurs s’affichent comme « néo élitistes » en introduisant dans leurs travaux les approches historiques et la sociologie comparée pour analyser le rôle des élites dans le processus décisionnel. C’est une théorie qui oblige à penser la démocratie comme participation et le développement comme essence. Cette nouvelle catégorie d’analyse se montre “d’emblée” plus efficace suite aux nouveaux rôles des élites locales au service de l’intérêt du public[15]. Ce sont des élites à unifier sur une base consensuelle. Cela permet de régler les conflits verticaux, et transmettre le pouvoir d’un groupe à l’autre et enfin imposer dans les faits les bases d’un projet de développement. Pour illustrer laréintégration des élites, non plus dans le réseau de l’administration, mais dans les projets de société.

Les élites anciennes n’ont plus d’audience locale même à l’intérieur de leur zone. On peut rappeler l’opinion des jeunes ruraux, telle qu’elle apparait au cours d’une enquête effectuée plus d’un quart de siècle par Pascon et Bentahar. Dans l’esprit de ces jeunes, le mokadem et les conseillers communaux ne représentent que leur intérêt individuel avant ceux de la population.

En d’autres termes, il faut rénover un système novateur pour éclore des élites conscientes, responsables, compétentes et ouvertes favorisant en son sein la circulation, les échanges et la transparence à tous les niveaux[16].

Le néo-élitisme part d’une approche de la sociologie comparée pour analyser le rôle des élites dans le processus d’institutionnalisation de l’ordre politique démocratique.

Il part aussi du postulat selon lequel aucune application d’une politique ou d’une action n’est possible sans l’apport des élites. Le néo-élitisme oblige à penser la démocratie comme un système de règles donnant la possibilité à tous les citoyens de participer par le biais de diverses modalités à l’élaboration des décisions d’intérêt général et des choix collectifs.

Donc, le néo-élitisme consacre l’idée de gouvernance chère à l’expert et au technocrate. Il s’agit de comprendre comment les visions du monde dont sont porteuses les élites structurent les logiques de l’action de l’Etat. Le consociativisme s’impose de nos jours. Mais surtout la nouvelle conception de l’élite rationnelle renvoie à l’étude du système qui comporte les élites conscientes, responsables et ouvertes. Une élite qui favorise en son sein la circulation, les échanges et la transparence absolue à tous les niveaux[17].

2-2 : Néo-élitisme et les nécessités du pluralisme décisionnel.

Le développement du territoire exige la recherche d’une élite éclairée qui se montre d’emblées passionnées pour le nouveau rôle développeur et qui s’investissent corps et âme de cette fonction.

Les nouveaux élus impliqués dans les sociétés dites complexes devront se dépouiller de leurs habits anciens pour revêtir ceux des responsables dévoués à la chose publique nationale et locale[18].

Pour les impératifs du développement local, il n’est plus question seulement de mesurer le déterminisme des élites mais plutôt d’identifier les affinités électives et les logiques d’adhésion que pourraient entretenir cette nouvelle catégorie d’élite qualifiée de moderne.

En guise de conclusion, Nous devons signaler l’important ouvrage de synthèse récent de Pierre Birnbaum qui prolonge une réflexion autour du néo-élitisme, et surtout autour de l’hypothèse de « la déchirure de l’Etat ». Il montre en quoi les élites verticales et périphériques sont nécessaires au pluralisme décisionnel. Le statut réputationnel ne vaut plus le geste.

On ne peut comprendre ce monde mondialisé que par la création des forums, débats d’orientation, une véritable gouvernance à créer qui devrait être localisée sur l’espace de production de l’action publique[19]. Une manière de faciliter la compréhension de l’implication des élites locales dans le processus de décision et de faire adieu à l’impolitique et à l’insupportable statu quo. La gouvernance locale s’impose pour une mise en place progressive d’une nouvelle politique de régulation.

La fin de l’Etat providence conjuguée aux risques d’explosions sociales, et à l’accroissement de la précarité nécessite des compétences et des projets mettant surtout en exergue une élite locale en tant que pivot d’un fiable projet de société. En d’autres termes, il faut mettre l’accent sur de nouvelles formes de Leadership local fortement territorialisées pour éclore un véritable acteur développeur.

[1] Interview à Maroc Hebdo international, n°465 du 4-10 mai 2001.

[2] Ignace Dalle, Maroc: 1961-1999, l’espérance brisée, Maisonneuve et Larose. Paris 2001.

[3] Cf Octave Marais, élites intermédiaires, pouvoirs et légitimité dans le Maroc. Indépendant-RFSP- 1969. P.180

[4] Ba Med Najib « Notables ou élites au Maroc » communication à 10ème Rencontre de Tetouan du G.E.R.M sous le thème « nouvelles élites, nouveaux défis pour quelle Méditerranée, Renald n°41, novembre-décembre 2001 pp.1-9.

[5]Ibid p.9

[6]Pierre Gremion, Le Pouvoir périphérique,bureaucrates et notables dans le système politique français, Paris, Éditions du Seuil, 1976

[7] Cf Scott J, « Les élites dans la sociologie anglo-saxone », in Soleiman Erza, Mendras Henri (sous direction), le recrutement des élites en Europe, La Découverte 1995, pp.9-18

[8]. Paul Alliès, « Que sont devenus  nos notables ? », Autrement, n°122, 1991, p. 119 et suiv. Voir aussi Albert Mabileau « les héritiers des notables » in pouvoirs, n°49, 1989, pp93-103.

[9] Naji Abdelkader, Pouvoir local et problématique de la décentralisation au Maroc, thèse de doctorat en droit public (sous notre direction) FSJES de Mrrakech. Avril 2017.

[10].Naciri Med ‘’le territoire : contrôler ou développer, le dilemme du pouvoir depuis un siècle’’ Maghreb. Machrek, N° 164, pp :9-35.

[11]Leveau R, 1976. Le fellah marocain, défenseur du trône. Editions de la Fondation Nationale des Sciences politique, Paris, 235 p. 1976. Voir aussi . Albert Mabileau, « Les héritiers des notables », Pouvoir(s) n°49, 1989, p. 93-103

[12].Julliard, J., La faute aux élites, Gallimard, coll. Folio Actuel, 1999

[13]William Genieys, « De la théorie à la sociologie des élites en interaction. Vers un néo-élitisme ? ». Dans CURAPP, La méthode au concret, Paris, PUF, 2000, pp. 81-103.

[14]Frédérique Leferme-Falguières, Vanessa Van Renterghem « le concept d’élites ». Approches historiographiques et méthodologiques. Hypothèses, 2001/1 (4). Pp.55-67.

[15] Paul Pascon et Mekki Bentahar « ce que disent 296 jeunes ruraux » BESM (112-113) janvier-février -1969.

[16] Christophe Guilluy, Atlas des fractures françaises, Les fractures françaises dans la recompostition sociale et territoriale, L’Harmattan, 2000.

[17]William Genieys, L’élite des politiques de l’État, Paris, Presses de Sciences Po, 2008.

[18] Pierre Birnbaum, les fous de la république, Paris, Fayard 1992.

[19] Veltz Pierre, « Le développement local face à la mondialisation », in Comment améliorer la performance économique des territoires ?, Les 3èmes entretiens de la Caisse des Dépôts sur le développement local, Paris : La société des Acteurs publics/CDC, Collection les Hexagonales, novembre 2000.

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