PRESSION FISCALE OPTIMALE ET CROISSANCE ECONOMIQUE AU MAROC
Afifi Mehdi Ramdaoui Abdelillah
Doctorant en sciences économiques
Doctorant en sciences économiques
FSJES Agdal, FSJES Agdal,
Université Mohammed V
Université Mohammed V Rabat
Introduction :
La politique fiscale occupe une place primordiale parmi les différentes politiques économiques, parce que d’une part «la majorité des individus perçoit mieux en quoi sa situation est affectée par une modification des impôts et taxes que par une variation de la réserve obligatoire ou du taux d’intérêt de la banque centrale »[1], et d’autre part, l’importance de la politique fiscale se reflète dans les effets économiques et sociaux engendrés par les trois rôles fondamentaux qu’attribue la théorie économique au rôle de l’Etat, MUSGRAVE (1959) présente ses fonctions comme suit :
- l’allocation optimale des ressources, c’est-à-dire la production de biens et services publics plus satisfaisants que ceux résultant du marché. A titre indicatif, l’usage que peut faire l’Etat de la fiscalité pour orienter certaines consommations.
- la redistribution des revenus visant à corrigerles inégalités engendrés par la répartition initiale des revenus et des richesses entre classes sociales.
- la stabilisation économique qui joue le rôle de régulateur de l’économie à travers le maintient de la stabilité des prix, l’assurance du plein emploi des facteurs de production et la lutte contre les externalités négatives.
Ainsi l’étude des objectifs de la politique fiscale nous mène à se poser la question sur la quantité de pression fiscale, définit comme « la part de la richesse nationale occupée par la fiscalité, sous forme de prélèvements obligatoires »[2], auquel l’Etat doit procéder tout en assurant un niveau optimal des trois objectifs.
Le souci du niveau de prélèvement obligatoire réalisé par l’Etat a suscité l’intérêt de plusieurs économistes. Selon les économistes de la théorie de l’offre, on suppose que la présence de l’Etat dans l’économie influence le dynamisme économique, parce que la hausse des dépenses publiques induit des besoins de financement qui provoquent une hausse des prélèvements fiscaux, ce qui entraine une baisse de l’incitation au travail, à l’investissement et à la consommation. Ainsi ce mécanisme se traduit par une baisse des recettes fiscales.
Arthur LAFFER (1978) adhère au postulat avancé par les économistes de la théorie de l’offre en admettant que trop d’impôt tue l’impôt.Il a proposé une courbe en cloche qui relie le taux marginal d’imposition à l’évolution des recettes fiscales et stipule qu’il existe un niveau d’imposition optimal qui correspond au sommet de la courbe et qui assure des recettes fiscales maximales sans nuire à l’activité économique. Alors que BARRO(1990) fut l’un des premiers économistes ayant souligné l’existence d’un seuil de pression fiscale optimal, qui maximise la croissance économique, sous la forme d’une courbe de LAFFER.
Ces propos théoriques, qui évoquent la problématique de détermination d’un seuil de pression fiscale optimal maximisant la croissance économique, ont fait l’objet de plusieurs tests empiriques notamment par le modèle de SCULLY(1996,2003).
Le présent travail aura comme objectif de répondre à la problématique suivante : existe-il un seuil de pression fiscale et quel est son niveau optimal au Maroc?
On procèdera, d’abord, en présentant une revue de littérature théorique et empirique qui traite la relation entre la fiscalité et la croissance économique et qui détermine le seuil optimal de prélèvement obligatoire maximisant la croissance économique.
Puison essayera de tester économétriquement l’existence d’un effet de seuil dans la relation non linéaire entre pression fiscale et croissance économique à l’aide du test Hansen et d’estimer le taux de pression fiscale optimal au Maroc, en appliquant la méthode du modèle de SCULLY.
- Revue de littérature :
La relation entre la politique fiscale et la croissance économique est un sujet qui a suscité l’intérêt de plusieurs économistes. Skiner(1987) et Engen-Skiner(1996) ont essayé de vérifier l’existence d’une relation linéaire entre la fiscalité et la croissance économique, où l’impact des impôts est considéré constant dans le temps, et d’analyser les moyens par lesquels la politique fiscale influence la croissance économique en se basant sur le modèle de Solow(1956) qui explique la production globale par le capital physique, le capital humain et la technologie. Ils ont supposé que les variables fiscales exercent indirectement des effets négatifs sur la croissance économique à travers quatre canaux :
– une instauration des taux d’impositions élevés décourage l’investissement privé parce qu’ils renchérissent le coût du capital physique.
– un impôt sur le revenu exagéré réduit l’offre ou le temps du travail.
– une politique fiscale excessive freine la croissance des productivités globales du capital et du travail en réduisant les activités de recherche, d’innovation et de développement.
– la politique fiscale affecte la productivité marginale du capital en engendrant un déplacement des investissements privés productifs mais lourdement imposés vers des secteurs d’activités moins productifs et qui bénéficient d’une fiscalité avantageuse.
En revanche l’interaction entre la fiscalité et la croissance pourrait avoir une allure non linéaire, sous la forme d’une « courbe de Laffer ».
Recette fiscale maximale |
RF |
T |
T* |
0 |
100 |
Cette courbe, qui a été présentée par Arthur Laffer (1981), décrit l’évolution des recettes fiscales en fonction du taux marginal d’imposition, en reliant le taux d’imposition (T) en abscisse et les recettes fiscales en ordonnée (RF). Il a illustré l’idée d’existence d’un niveau maximal et optimal d’imposition au delà duquel le revenu de l’impôt baisse. Un taux d’imposition nul engendre, évidemment, un revenu fiscal nul, alors que l’augmentation du taux marginal d’imposition provoque des recettes fiscales supplémentaires. Par ailleurs, lorsque le taux marginal d’imposition dépasse le point t*, appelé le taux d’imposition optimal, les recettes fiscales diminuent. Suite aux anticipations rationnelles des agents économiques, toute hausse des taux d’imposition au delà du niveau optimal réduit l’offre du travail et l’investissement, ce qui entraine une baisse du volume de la production. Ainsi, on assiste à un ralentissement de la croissance, des recettes fiscales et à l’apparition des comportements d’évasion et de fraude fiscale.
Cependant depuis l’apparition des modèles de la croissance endogène, certains économistes se sont intéressés à la relation entre la politique budgétaire et la croissance économique notamment Barro (1990) qui a souligné l’existence d’une courbe de Laffer entre le taux d’imposition et le taux de croissance économique.
Pour expliquer cette problématique, Barro (1990) considère la fonction de production suivante :
Comportant deux inputs :
: Capital privé
: Capital public (dépenses publiques)
Avec des dépenses publiques financées par un impôt proportionnel au revenu :
Il a stipulé que des dépenses en infrastructures financées par des recettes fiscales rendent plus efficace l’activité productive du secteur privé, c’est-à-dire que les dépenses publiques permettent la croissance du revenu. Ce qui entraine un accroissement de la base fiscale. Celle-ci induit une croissance des dépenses publiques qui à leur tour rendent possible l’accumulation du capital jusqu’au sentier de croissance, dans lequel le ratio dépense publique sur le revenu est égale au taux d’imposition.
Il a conclut que le taux d’imposition optimale qui maximise la croissance économique doit être égale à l’élasticité de la production du capital public.
Si le taux d’imposition est inferieur à l’élasticité de la production du capital public le secteur privé souhaitera une hausse des taux d’impositions de façon à rendre le capital privé plus productif. Et si le taux d’imposition est supérieur à la valeur la politique fiscale découragera l’investissement et la croissance économique.
Ces déductions peuvent être illustrées dans une courbe, qui relie le taux de croissance (g)à la pression fiscale , et qui indique l’existence d’un seuil optimal de pression fiscale maximisant la croissance économique.
Taux de croissance |
Taux de pression fiscale |
g* |
0 |
Le niveau optimal de la pression fiscale a fait l’objet de plusieurs tests empiriques, en particulier par Scully qui a estimé le taux de pression fiscale optimal pour certain pays au cours d’une période donnée. Il a montré que le taux de pression fiscale optimal diffère d’un pays à un autre et selon les périodes d’estimation pour un même pays.
Modèles | Pays et période | Taux de pression fiscale optimale |
Scully (1996, 2000) | Nouvelle Zélande (1927-1994) | 20% du PIB |
Scully (1998) | les Etats-Unis (1929-1989)
Danemark (1927-1988) Royaume-Uni (1927-1988) Italie (1927-1988) Suède (1927-1988) Finlande (1927-1988) Nouvelle Zélande (1927-1994) |
En moyenne, le taux de pression fiscale optimal est de 20% et varie de 16,6% pour la Suède à 25,2% pour le Royaume-Uni. Les niveaux de pression fiscale observés sont cependant plus élevés, variant de 34,1% au Royaume-Uni à 51,6% au Danemark. |
(Scully, 1998) | les Etats-Unis (1950 à 1995) | 21% du PIB |
(Scully, 2003) | les Etats-Unis (1960 à 1990) | 19% du PIB, le taux de croissance y afférant est de 6,97% |
- B) Méthodologie :
- Modèle Scully :
SCULLY (1996[3],2003[4]) a développé un modèle qui lui a permis de déterminer le seuil de pression fiscale qui maximise la croissance économique. Il a supposé qu’il existe deux secteurs : un secteur privé, et un secteur public qui produit les biens et services publics à partir des recettes des impôts et taxes. Ce qui lui a permis de présenter une fonction de production globale, qui prend la forme Cobb-Douglas :
Sachant que :
Les dépenses publiques : avec : le produit national brut,et : taux de pression fiscale.
La transformation de la fonction précédente en logarithme donne :
Et à partir de son estimation, on déduit le taux de pression fiscale optimal :
- Fonction quadratique[5]:
Une autre méthode qui permet d’étudier la courbe en cloche, présentée ci-dessus, est l’estimation de la fonction quadratique suivante :
Avec ; est le taux de croissance économique et le taux de pression fiscale.
Ainsi le taux de pression fiscale optimal est relevé, en dérivant par .
Pour que soit optimal, il faut que et .
- Estimation du taux de pression fiscale optimal au Maroc :
- Présentation de la pression fiscale au Maroc:
La pression fiscale est l’indicateur le plus utilisé pour déterminer le poids de la fiscalité dans une économie. Cet indicateur, qui met en évidence le degré de fiscalisation d’un pays, s’exprime à partir de deux agrégats macroéconomiques ; les prélèvements fiscaux et le produit intérieur brut. Ainsi le taux de pression fiscale est un ratio qui met en rapport les prélèvements fiscaux payés par les contribuables au numérateur et le PIB au dénominateur.
La pression fiscale au Maroc découle d’un système fiscal qui a connu une profonde réforme, depuis le milieu de la décennie 80, qui s’est traduite par l’introduction des principaux impôts actuels : la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en 1986, l’impôt sur les sociétés (IS) en 1987,et l’impôt sur le revenu (IR) en 1990.
A la veille de la reforme fiscale (1980 -1985), la pression fiscale était d’environ 19 % du PIB ; avec la reforme, elle est passée à 21,7% pendant la période 1987- 1993, en dépit d’une baisse généralisée des taux d’impositions. Ce taux s’est situé à 20,1% entre 1998 et 2002, puis il a connu une légère hausse de 1% entre 2003 et 2007.Il a atteint une valeur maximale de 26,9 % en 2008, ensuite, il a changé de tendance en 2009, à cause de la chute des recettes fiscales et notamment suite à la baisse des recettes de la TVA et de l’IR d’un montant de 9 187 000 DH comparativement à 2008à l’issue d’une diminution du barème de l’IR de 42% à 40% comme taux maximal appliqué au revenu annuel supérieur à 150 000DH.
Figure 1: évolution de la pression fiscale
Figure 2: évolution de la croissance annuelle (PIB en%)
- Existence d’un effet de seuil : test HANSEN.
L’une des ambitions de cet article est de vérifier l’existence d’un effet non linéaire dans la relation entre la pression fiscale et la croissance économique en utilisant la méthode de détection du seuil proposé par Hansen (1996,2000).
Il a formulé un modèle à seuil comme suit:
Si
Si
Où désigne le taux de pression fiscale qui divise l’échantillon en deux groupes, la variable dépendante qui représente le taux de croissance économique, la variable explicative qui est le taux de croissance économique, le terme d’erreur et la valeur de la variable de seuil.
La méthode de bootstrap développée par Hansen (2000) permet de tester l’hypothèse nulle d’absence d’effet de seuil et de sélectionner parmi les variables de seuil candidates celle qui peut être retenue comme variable de transition optimale. Si l’hypothèse nulle est rejetée, la relation entre le taux de croissance et la pression fiscale admet une relation non linéaire, sous la forme d’une courbe Laffer. A.D.,
La première étape consiste à déterminer si la pression fiscale admet le rejet de l’hypothèse de linéarité.
Les résultats du test Hansen sont présentés comme suit :
1vs2 | 1vs3 | |
LR test | 21.59859 | 38.64662 |
p-val | 0.00000 | 0.00000 |
Les probabilités des valeurs du test Hansen sont inferieur à 5%, que se soit dans le cas de deux régimes (1vs2), c’est-à-dire lorsque la courbe change d’allure une seule fois, ou bien dans le cas de trois régimes, c’est-à-dire lorsque la courbe change d’allure deux fois.
Puisque l’hypothèse nulle est rejetée, on conclut que la relation entre la croissance économique et la pression fiscale suit un processus non linéaire avec un seuil de pression fiscale optimal.
La deuxième étape consiste à déterminer le nombre de seuil qu’existe dans la relation entre la pression fiscale et la croissance économique en vérifiant les hypothèses suivantes :
Les résultats du test Hansen sont présentés comme suit :
[,1] | |
LR test | 17.04803 |
p-val | 0.00000 |
Ils indiquent que la relation entre la croissance économique et la pression fiscale est caractérisée par la présence de deux seuils parce que la probabilité du test Hansen est inferieur à 5%, c’est-à-dire que est rejetée au profit de .
- Estimation du modèle Scully :
Le calcul du taux de pression fiscale optimal consiste, dans un premier temps, à estimer les coefficients de l’équation suivante :
Mais avant de procéder à l’estimation, il s’avère nécessaire d’étudier la stationnarité des variables:
Test ADF | A niveau | 1ere différence | 2eme différence | ||||||
TS + Cte | Cte | Néant | TS + Cte | Cte | Néant | TS + Cte | Cte | Néant | |
0,4114 | 0,9026 | 1,0000 |
0,0000 |
0,0000* |
|||||
0,0667 | 0,9972 | 0,9457 | 0,9823 | 0,6767 | 0,5840 | 0,0000 | 0,0000 | 0,0000* | |
0,2016 | 0,6047 | 1,0000 | 0,0000 | 0,0000* |
Les résultats de la stationnarité, à travers le test ADF, révèlent que les variables ne sont pas stationnaires et ne sont pas intégrées au même ordre.
En outre, l’estimation en MCO a révélé un modèle globalement significatif, selon la statistique Fisher dont la probabilité est largement inférieure à 5%.
Avec une signification des coefficients suivants
Coefficients | Probabilité | |
a | 0,834919 | 0,1510 |
b | 0,218425 | 0,0008 |
c | 0,675067 | 0,0001 |
Donc les résultats d’estimation du modèle Scully sont reportés dans l’équation suivante :
0,834919
qui suggèrent que le taux de pression fiscale optimal est égale à :
Alors que cette estimation relève un taux de pression fiscale optimale de 24,44%. Les données du taux de pression fiscale au Maroc varient entre 19% et 28% durant la dernière décennie, avec une moyenne annuelle de 23%.
En dépit d’un faible écart entre le taux de pression fiscale optimal et le taux de pression fiscale réalisé, le système fiscal marocain est caractérisé par une complexité et une multiplicité des taux qui s’applique à une assiette fiscale étroite ; c’est-à-dire que 80% de l’IS provient de 2 % des sociétés, alors que 70% de l’impôt sur le revenu provient du revenu salarial. Et une faiblesse du contrôle fiscal qui encourage des situations de fraude, évasion et évitement fiscal.
Même si le taux de pression fiscale est un indicateur significatif de la situation de la politique fiscale, il reste limité, parce qu’il ne résulte pas des explications de la capacité de redistributive du système fiscal.
Conclusion :
Malgré l’apport et la contribution majeure du modèle Scully dans la conduite de la politique fiscale. Roderick Hill[6] considère que ce modèle reste limité, parce qu’il est dérivé d’un modèle basique de croissance endogène. Dans lequel le capital est entièrement utilisé dans le processus de la production annuelle. C’est-à-dire qu’il ignore la contribution de la participation du capital des périodes antérieurs. En réponse à ces reproches Scully (2000)[7] a expliqué la production par le capital retardé dans la fonction de la production globale.
En outre, l’assiette fiscale au Maroc est étroite vu que les taux d’imposition sont relativement élevés alors qu’une grande partie des contribuables marocains sont exonérés d’impôt ou recourent à la fraude fiscale. Ainsi, l’Etat devrait mettre en œuvre une politique fiscale basée sur l’élargissement de l’assiette fiscale et favoriser la compétitivité des PME ou la réduction des taux d’imposition pour assurer une grande équité. Il semble aussi évident que la réforme fiscale ne peut se faire qu’à partir de la composante dépenses fiscales sans pouvoir agir sur le niveau des recettes fiscales.
[1] Jacques Généreux, 1993, « Introduction à la politique économique »,Edition Du Seuil, page : 208.
[2]Arnaud PARIENTY, 1999, « Prélèvements obligatoires : que mesurent les prélèvements obligatoires ? », alternatives économiques, no 173, Paris, p. 58.
[3] Gerald W. Scully, 1996, Taxation and economic growth in New Zealand, Pacific Economic Review, 169-177.
[4] Gerald W. Scully, 2003, Optimal taxation, economic growth and income inequality, Pub .choice, 115(3/4), 299- 312.
[5] KEHO Yaya, 2010, Estimating the growth-maximizing tax rate for Cote d’Ivoire: Evidence and implications, Journal of Economics and International Finance, Vol. 2(9), 164-174, September.
[6] Hill R – Optimal Taxation and Economic Growth: a Comment – Public Choice, 134: 419–427, 2008.
[7] Scully .G-The Growth-Maximizing Tax Rate- Pacific Economic Review, Vol. 5, No. 1, pages 93-96, 2000.