Utilisation des référentiels d’excellence dans le secteur public Marocain : quel impact ?
Fouad AMARA[1] ; Soukaina DAMOU[2]
Résumé
Cet article vise à structurer une approche comparative entre l’OCP et le RCAR- deux organisations publiques de différentes natures- dans leur mise en œuvre du TQM en tant que Catalyseur pour l’atteinte des objectifs stratégiques. Ces Etablissements publics marocains sont pionniers dans l’instauration des concepts du Nouveau Management Public. Les raisons de se tourner vers le TQM sont diverses. Une entreprise peut y voir une solution pour augmenter les ventes, pour lancer de nouveaux produits en favorisant l’innovation, pour réduire les coûts, pour développer la capacité d’analyse de l’information ou même pour booster les ressources et les talents. Dès lors, l’impact de ce Management prend la forme d’indicateurs en pourcentage et en nombre mais aussi en argent. C’est pour cela que la qualité est celle des produits, des Hommes, et des processus (Ishikawa, 1985). |
Abstract
This article aims to structure a comparative approach between OCP and RCAR – two public organizations of different kinds – in their implementation of TQM as a catalyst for achieving strategic objectives. These Moroccan Public Institutions are pioneers in introducing the concepts of New Public Management. The reasons to turn to the TQM are various. A company can see it as a solution to increase sales, to launch new products by encouraging innovation, to reduce costs, to develop the ability to analyze information or even to boost its resources and talents. Therefore, the impact of this management takes the form of indicators in percentage and number but also in money. This is why quality is that of products, humans, and processes (Ishikawa, 1985). |
Mots-clés : Total Quality Management ; Nouveau Management Public ; Etablissements publics marocains ; Indicateurs ; Stratégie. | Keywords: Total Quality Management; New Public Management; Moroccan public institutions; Indicators; Strategy. |
INTRODUCTION
Les raisons de se tourner vers le TQM sont diverses. Une entreprise peut y voir une solution pour augmenter ses ventes, pour lancer de nouveaux produits en favorisant l’innovation, pour réduire ses coûts, pour développer sa capacité d’analyse de l’information ou même pour maîtriser son impact négatif sur l’environnement. Le Prix Deming[3] définit le TQM comme un ensemble d’activités systématiques menées par l’ensemble de l’organisation afin d’atteindre efficacement ses objectifs et de fournir des produits et services d’un niveau de qualité satisfaisant pour les clients, au bon moment et au bon prix. J. Juran (1988) explique que le Client est à la fois interne comme ce collègue dans l’usine à qui l’on passe un récipient qu’il doit visser ou ce supérieur hiérarchique à qui l’on livre un rapport et externe comme cette personne qui vient se procurer un ordinateur ou séjourner dans un hôtel.
L’impact du TQM est constaté par la mesure des coûts de non-qualité. En améliorant la qualité, les coûts diminuent et la productivité s’améliore. La mesure est surtout utilisée pour surveiller les processus et agir pour réduire la possibilité de produire des produits ou services inacceptables pour le client. Les mesures prennent la forme d’indicateurs en pourcentage et en nombre.Elles servent le processus d’amélioration mais également à convaincre le Top Management de l’importance d’une culture de la qualité si elles sont traduites en argent. Ce dernier est le langage des preneurs de décision. C’est pourquoi, traduire ces indicateurs en argent permet de convaincre les intéressés sans bousculer leur paradigme de compréhension de la gestion. Ainsi les erreurs de frappe peuvent engendrer des dépenses, les rebus sont littéralement des dépenses voir un manqua à gagner vu le retard qu’ils provoquent dans la livraison des produits/services.
Les coûts de non qualité se produisent dans des segments spécifiques, chacun étant attribuable à une cause spécifique. Cela aboutit à la définition de priorités pour assurer l’utilisation efficace des ressources. Il faut collecter des données sur le coût de non qualité, les analyser et planifier une stratégie d’amélioration qui attaque les morceaux de glacier plutôt que les glaces (Juran, 1986). C’est pour cela que la qualité est celle des produits, des hommes, et des processus (Ishikawa, 1985). La palette des coûts de non qualité est très large, ils peuvent aller des frais de garantie à la perte de parts de marché potentielles à cause de la mauvaise qualité en passant par les pertes liées au manque d’informations perdues et les coûts liés à divers types d’inspection, testsdes entrants (inputs) et autres.
Dans cet article, nous abordons dans un premier temps les différents aspects du TQM. Nous exposonsles raisons qui poussent une les organisations à adopter un tel Management, ses principaux piliers tels que les outils scientifiques ou l’approche processus et ses principes qui sont l’orientation vers le Client et le respect des Hommes et l’amélioration continue. Dans un deuxième temps, nous observons les pas du Maroc vers le TQM. En effet, la régionalisation avancée favorise l’adoption de plusieurs réflexes du TQM comme, le souci du client-ou citoyens-, la participation des différents niveaux hiérarchiques à la réflexion stratégique et leur gain en autonomie dans sa mise en œuvre. En dernier lieu, nous observons deux expériences Marocaines en matière de TQM : l’OCP et le RCAR. Nous comparons les démarches de mise en œuvre du TQM et leurs impacts sur la performance de l’organisation.
LITTERATURE
Pour produire de la qualité, il faut produire des résultats qui soient uniformes de manière prévisible (Deming, 1986), c’est pourquoi l’assurance qualité et l’approche processus sont une pièce cruciale du puzzle du TQM. Ces deux éléments incarnent la théorie des systèmes de Deming, la « spirale du progrès » de Juran (1988) et le principe de « le faire correctement dès la première fois de Crosby (1987). L’approche processus doit être celle qui façonne toutes les activités de l’organisation, pour favoriser l’analyse statistique qui permet de maîtriser les causes communes et les causes spéciales (Deming, 1982) qui influencent la variabilité. Sans une approche processus généralisée mettant en évidence la systémique de l’organisation et une mesure des variations, les causes communes et les causes spéciales sont opaques pour ceux qui souhaitent maîtriser la conformité. Et sans l’assurance qualité le standard-dit aussi prescription- selon lequel, la variabilité est surveillée fait défaut.
Maîtriser la variabilité des mesures de production, des indicateurs de performances incluant la satisfaction des clients et même l’image de marque est la finalité de l’amélioration par percée et du management par projet (Juran, 1986), et du vaccin de la qualité de Crosby (1984).Cette maîtrise ne peut être faite que selon le principe de continuité qui caractérise la méthodologie du travail de maîtrise. Cette méthodologie reposant sur des outils scientifiques n’a de sens que si elle respecte le principe de prévention qui, destiné à être sans cesse renouvelée, c’est le cycle « Plan- Do-Check-Act ».
In fine, ce travail de maîtrise de la variabilité est simplement un effort de prévention par l’amélioration des processus. Si l’amélioration est la finalité, le projet est la manière et le « Plan- Do-Check-Act » en est la méthodologie. L’amélioration ne peut exister que dans le cadre d’un projet, qui peut-être petit ou grand, ils peuvent provenir du déploiement stratégique ou du processus de nomination et de sélection, il peut être affecté à une équipe de type « cercle de la qualité » (Ishikawa, 1985) ou à une équipe beaucoup plus large avec l’implication de différents niveaux hiérarchiques.
Certaines organisations ont brillé par l’application assidue du TQM et leurs innovations dans le domaine. De Toyota, on retient le respect des Hommes, le juste à temps et l’écoute Client. De Motorola, on apprend que l’ambition passe par des objectifs agressifs mais réalistes, que la qualité n’est pas un objectif parmi les objectifs mais la politique même de l’entreprise. En effet, le conseil de la qualité était le conseil d’administration même.
On apprend aussi cette leçon avec l’expérience nationale Chinoise et celle de Xerox. Les patrons Chinois devaient répondre à deux directives. Augmenter la performance financière à travers les objectifs de ventes, vu le commencement de l’expansion de l’économie Chinoise, et adopter une démarche TQM. Ces deux stratégies ne sont surement pas contradictoires à long terme-la productivité est une conséquence de toute approche TQM- mais le sont à court terme. Xerox a fait le même constat sur son chemin vers le TQM. Face à sa crise dans les années 1980s, sa première réaction a été de se concentrer sur trois domaines prioritaires, le développement et la livraison de produits, la satisfaction du client et la réduction des coûts. Très vite, la direction a constaté que les efforts visant à réduire les coûts et à augmenter le ROA[4] compromettaient les efforts visant à accroître la satisfaction des clients et la part de marché. En effet, améliorer la qualité n’est pas une stratégie ou un objectif, c’est une manière d’appréhender la vie en entreprise.
Par ailleurs, Xerox, à travers son processus Benchmarking et sa continuelle remise en question, est devenue une référence de l’excellence opérationnelle. Elle a fait de son processus client la clé d’une bonne planification pendant que son processus de livraison du produit basé sur la collaboration des différentes fonctions lui a permis de multiplier sa capacité d’innovation. Xerox est une référence de l’excellence opérationnelle mais surtout de l’innovation. Il a récemment été révélé que son interface graphique Alto a été utilisée pour construire l’Apple Macintosh. On apprend également de Xerox mais aussi de l’expérience Chinoise que la qualité n’est pas négociable car la stratégie qualité est incompatible avec les objectifs de performance financière à court terme.
Un des points cruciaux caractérisant le TQM est la participation générale du personnel à la prise de décision. Cette participation rend le personnel plus autonome dans son jugement, plus conscient de son environnement professionnel et développe en lui le sens de l’initiative et les outils pour la mettre en œuvre. Cet ordre des choses peut bousculer les cadres intermédiaires des différents niveaux hiérarchiques. Ils se voient partager une part de leurs responsabilités, dévoiler une part de leurs secrets professionnels. Cette partie de leurs responsabilités transférée provoque en eux le sentiment de perdre leur légitimité dans leur poste et craignent pour leur position.
Par ailleurs, le TQM s’appuie fondamentalement sur l’analyse statistique qu’elle porte sur des données quantitatives comme les mesures ou qualitatives telles que les réclamations et avis des consommateurs. Ce caractère analytique dévoilant les points d’amélioration peut provoquer des appréhensions de la part du personnel, faisant naître un sentiment légitime de crainte d’une quelconque punition.
TQM comme instrument du NPM
L’apparition du TQM dans le monde a coïncidé avec celle du nouveau management public. Ce mouvement Thatchérien admet le droit des citoyens d’avoir un service public de qualité. Les attentes des citoyens en termes de services sociaux sont à la fois qualitatives et quantitatives. La réduction des allocations budgétaires et l’exigence de la qualité par les citoyens ont poussé les gouvernements à se pencher vers les nouvelles méthodes du secteur privé, d’où le fameux slogan : « Faire plus avec moins » (Simonet, 2011).
Le TQM a été vu comme le moyen de valoriser l’action publique dans les pays précurseurs du Nouveau Management Public. Plus tard, en Juillet 2017, le Maroc déclarera sa franche intention d’inscrire l’appareil public national sur la même ligne d’excellence mettant en évidence le rôle essentiel de l’action publique de servir les intérêts des citoyens. Mais la préparation d’un tel changement a commencé bien avant.
La réforme de la Constitution accorde aux citoyens plusieurs prérogatives leur permettant de participer au processus décisionnel et à la gestion des affaires publiques. Plusieurs articles sont venus promouvoir les principes de bonne gouvernance, de libertés et de droits fondamentaux de la citoyenneté. La bonne gouvernance est la base des référentiels de management par la qualité totale. Elle figure parmi les critères d’une bonne stratégie.
Procurer aux citoyens la liberté et les droits, conjugué à la décentralisation de la décision gouvernementale risque de nourrir une certaine émancipation nécessaire à la culture du Management par la qualité totale, basée sur l’autonomisation des Hommes et la conscience de ceux qui reçoivent un service ou un produit, et d’initier les acteurs publics aux bonnes pratiques de gestion dans la mise en œuvre de leurs actions.
La décentralisation concerne tous les acteurs publics que ce soit le ministère de l’intérieur avec ses préfectures et collectivités, le Ministère de l’Urbanisme et de l’Aménagement du Territoire (MUAT), le Ministère de l’Economie et des Finances et le Ministère de l’industrie de l’investissement avec les Chambres de commerce, d’industrie et des services (CCIS) ou les Etablissements et Entreprises publiques.
Le Ministère de l’Aménagement du Territoire National, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la Ville est chargé de la préparation et l’exécution de la politique du gouvernement dans les domaines de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, de l’Architecture, de l’Habitat et de la Politique de la Ville à travers le Développement de la politique du gouvernement dans les domaines de l’aménagement du territoire au niveau national et régional. Désormais, sa mission est de Renforcer la politique de l’aménagement et la prospective des territoires, appuyer les territoires dans leur cheminement vers un développement territorial durable favorable à l’amélioration du climat de l’investissement et Promouvoir un urbanisme participatif anticipatif, durable et incitatif pour accompagner la dynamique du développement des territoires.
Pour le Ministère de l’Economie et des Finances et le Ministère de l’industrie de l’investissement avec les Chambres de commerce, d’industrie et des services (CCIS) et tous les autres Etablissements publics, des conventions relatives aux plans de développement des Chambres de commerce, d’industrie et des services ont été signées. Ces plans doivent s’inscrire sur la ligne du plan d’accélération industrielle. Les mesures prévues couvrent l’ensemble des paramètres susceptibles de transformer les chambres actuelles en Etablissements à la hauteur des attentes.
Quant aux régions, acteur clé de la mise en œuvre des politiques publiques ayant désormais un rôle effectivement fédérateur des autres acteurs publics tels que les chambres de commerce et les Etablissements et Entreprises publiques mais aussi privées telles que les entreprises et les associations, elles doivent définir et mettre en œuvre la stratégie de développement en coordination et synergie avec l’ensemble de ses partenaires au niveau national, régional et local. En effet, en plus de tous les acteurs publics, le principe de contractualisation est appliqué aussi et surtout entre l’Etat et la région. L’un des grands défis de la régionalisation avancée réside dans l’intégration des politiques publiques qui constitue une exigence de la gouvernance responsable, de la rationalisation de l’utilisation des ressources et moyens et une réponse globale et appropriée aux attentes des citoyens et des acteurs économiques
Les douze régions sont tenues de préparer et de faire adopter par leur conseil un Plan de Développement Régional. La région du sud a servi de pilote. Consciente de la grandeur d’un tel plan stratégique et de la nécessité de compétences de diagnostic et de planification développées, un service de conseil a été sollicité à un Cabinet d’études international. La mission a engagé l’ensemble des parties prenantes tels les représentants des collectivités territoriales, les services extérieurs, la société civile ainsi que le secteur privé respectant ainsi le caractère participatif d’un bon processus de planification. A l’heure actuelle, les autres chambres sont en phase de préparation ou de validation de leurs plans de développement. Ces exercices de diagnostic et de planification comme les autres exercices du TQM-c’est-à-dire la mise en œuvre et la vérification en plus de tous les mécanismes de participation et de déclinaison que ce soit en interne ou avec les parties prenantes tels que l’Etat, les citoyens et le parlement semblent devenir le quotidien des acteurs publics. Dans ce registre, il serait intéressant d’observer l’exemple de Dubaï. En effet, le Ministère des Affaires du Cabinet et de l’avenir dirige le « Dubaï Government Excellence Program ». Sous la devise « Excellence Government », le programme veille à mettre en œuvre diverses initiatives de développement visant à promouvoir une culture de la créativité et des réalisations parmi tous les employés du secteur public.
Depuis les années 1990s, le Maroc fait ces pas vers la qualité. A l’instar des nombreuses organisations associatives nationales dans le Monde telles que British QualityFoundation[5] ou Excellence Canada[6]. Au Maroc, l’UMAQ (l’Union Marocaine pour la Qualité) a été créée. Une association à but non lucratif dont le but afin de mettre en place cadre de promotion de la Qualité. Elle entretient la tenue de la semaine de la qualité dans plusieurs villes du Royaume et organise le Prix National de la Qualité. Le Bureau Véritas qui accompagne le Maroc depuis plus d’un siècle dans ses activités de contrôle de la conformité et qui a su développer une expertise dans l’assurance qualité joue un rôle important dans le tissu économique Marocain à travers la certification aux normes ISO 9000, ISO 14000 et ISO 26000.
Depuis lors, les cabinets de conseil et de certification se sont multipliés. En effet, plusieurs dispositions critiques ont été prises. En 2010, la loi n° 12-06 relative à la normalisation, à la certification et à l’accréditation, a été promulguée et IMANOR[7] a été créé. Cet dernierentend contribuer à accroître la compétitivité des entreprises marocaines dans le cadre des politiques publiques de concurrence économique, de protection des consommateurs, de protection de l’environnement et d’amélioration des conditions de vie. Ses activités sont celles d’organismes tels que l’AFNOR. Elle produit des normes, certifie les acteurs économiques et fournie des formations.
Si dans le Monde, le secteur privé a été précurseur en matière de TQM, Sans éclipser le rôle de la CGEM[8] dans la création de l’UMAQ, on peut dire que c’est le contraire qui s’est produit au Maroc. Hormis le géant Thomson qui est une multinationale implantée au Maroc depuis des décennies, le TQM a fait ses premiers pas au Maroc à travers l’OCP[9] et le RCAR[10]. Le premier s’est inspiré des usines Japonaises tandis que le deuxième a puisé dans le référentiel Malcolm Baldrige et dans l’expérience du département de défense des Etats Unis.
ZOOM SUR L’EXPERIENCE DU MAROC EN MATIERE DE TQM-CAS DE L’OCP ET DU RCAR
Dans les années 1990s, le Maroc est le troisième producteur mondial de phosphates, loin derrière les Etats et la Chine. Dans un tel contexte de concurrence accrue engendrant une élévation des exigences, le Groupe OCP entendait consolider ses positions traditionnelles et développer de nouveaux débouchés. Améliorer la qualité de ses produits était une nécessité. Si les concepts de qualité totale apparaissaient dans le Monde dans les années 1980s, l’OCP n’a pas dérogé à ce changement de paradigme. Le groupe a considéré ce modèle d’excellence comme étant le mode à suivre pour réaliser sa vision.
Pour sa part, le RCAR est un organisme devenu presque fermé en raison de ses statuts et de la législation cadrant les institutions de retraites au Maroc. Ces clients sont les Agents non titulaires de l’État et des Collectivités Locales (occasionnels, temporaires, journaliers), les contractuels de droit commun, le personnel des Offices et Etablissements Publics et le personnel des Sociétés concessionnaires de l’Etat et des Collectivités Locales. Cette population est relativement figée. Par ailleurs le système de retraite national était loin de couvrir l’ensemble de la population active Marocaine. En 1996, le RCAR a adopté une stratégie d’expansion qui lui permettra d’absorber les caisses internes de retraites relevant des Etablissements publics marocains. En 2003, le RCAR aura absorbé après l’ONCF[11] en 2002, la Régie des Tabacs, l’ODEP[12] et la Lydec[13] en 2003. La Direction décide de poursuivre l’élaboration de sa stratégie tout en s’appuyant sur un socle basé sur des référentiels d’excellence adaptés, lui permettant de réussir le changement voulu, nécessaire à l’atteinte des visions intermédiaires. Il établit donc la Vision 2007, puis celles de 2010 et 2015. Sa vision était de se positionner en tant qu’acteur clé dans la réforme des retraites et ainsi répondre aux besoins actuels et surtout futurs, en termes de volumétrie, de qualité des prestations et d’économie d’échelle au niveau national, endevenant la référence des bonnes pratiques au Maroc.
Dans les deux organisations, aussi bien OCP que RCAR, on observe un haut degré d’engagement des instances dirigeantes et la participation de l’ensemble de l’organisation aux efforts d’amélioration de la qualité. Cette gestion intégrée que propose le TQM et transformation fondamentale des systèmes de croyance ont fait que le RCAR soit une institution au service des citoyens concernés et non un simple prestataire du service public désintéressé. Les préoccupations des citoyens étaient devenues les siennes. Tout ce qui peut être fait pour alléger la charge des soucis du citoyen est fait. Le citoyen n’est pas un facteur et n’a pas à réclamer ses droits mais simplement à les recevoir. Pour l’OCP, être troisième producteur mondial de phosphates est bien mais à quels points pouvait-il diversifier son portefeuille produits ? À quel point pouvait-il mieux servir ses clients ? Pouvait-il devenir premier exportateur de phosphate et dépasser les géants comme les États-Unis et la Chine ? Le groupe a décidé que ces questions étaient les siennes.
On peut noter la nécessité d’améliorer la qualité dans des secteurs aussi différents que l’industrie lourde et la prévoyance sociale. Quelles que soient leurs différences, les organisations se ressemblent beaucoup. Elles partagent les mêmes préoccupations qui consistent en l’amélioration de la qualité de leurs produits et services, l’optimisation des ressources, la maîtrise d’une grande qualité de données, la conquête de nouveaux marchés, etc.
DISCUSSION
Les démarches d’institutionnalisation du TQM chez les deux organisations sont pour le moins contrastées. L’OCP a poursuivi une démarche progressive. En 1986, les « cercles de qualité » ont été introduits dans les sites de production parmi les agents. En 1990, le concept d’amélioration a été étendu aux cadres de gestion et en 1995, l’implantation de la TPM[14] était initié et la Direction de la Qualité créée donnant une nouvelle impulsion à la démarche développée au niveau de ses Directions. Les initiatives se sont poursuivies. Quant au RCAR, il a adopté une approche plus agressive. Dès 2003, l’approche Processus a été généralisée et en 2004, la Direction de la qualité a été créée et l’organisation TQM lancée et basée sur le conseil TQM, les équipes de soutien et les équipes Coûts qualité composées à partir des équipes actions Processus.
Bien que l’implémentation du TQM ait été différente chez les deux organisations, les approches de mise en œuvre affichent beaucoup de similitudes telles que l’approche Processus à travers l’assurance qualité, les équipes dédiées à l’amélioration- appelés cercles de qualité puis GAQ chez l’OCP et Equipe Coûts Qualité chez le RCAR-, la multiplication des Audits externes mais surtout internes, la formation, l’optimisation des interfaces processus, la digitalisation, l’esprit d’enquête comme base de l’écoute Client et la prise en considération des parties prenantes, les revues de direction mensuelles, l’adoption des meilleures pratiques en matière des gestions spécifiques telles que la gestion des projets à travers la méthodologie « MSP »[15] (ManagingSuccessful Programmes), PMBOCK[16] et autres. Cependant, il existe quelques variations. En matière de responsabilité sociétale, l’OCP a naturellement opté pour l’action environnementale à travers la reforestation tandis que le RCAR a opté pour le partage du savoir, un savoir technique et plus tard managérial à travers un encadrement méthodique des stagiaires, les échanges d’expérience et des cours universitaires donnés volontairement par les cadres. En matière de suivi, le RCAR a dès 2006 déployé le tableau de bord équilibré et un système CNQ tandis qu’en matière de production l’OCP a adopté la TPM.
Il n’existe sans doute pas de meilleure approche pour mettre en œuvre la gestion par la qualité totale dans une organisation. La meilleure approche est celle qui répond aux besoins et aux caractéristiques de l’institution. Ricardo Semler qui prône une certaine démocratie d’entreprise, célèbre auteur de Maverick et de The Seven-Day Weekend et fondateur de «LumiarSchool » (l’école Lumiaire), a répondu quand on lui a demandé ce qu’il pensait de ces groupes d’entreprises qui endoctrinent son système de Management et le suivent scrupuleusement qu’idéaliser les choses était dangereux. Il vaut mieux suivre sa propre voie. Il appartient à chaque organisation d’examiner son environnement interne et externe puis d’élaborer une stratégie qui réponde à ses exigences.
Dans le cas de l’OCP comme dans le cas du RCAR le pas vers le TQM a été fait par la haute Direction. Le processus de conviction a eu un chemin Top-Down. Dans le premier comme dans le second, la persuasion a été faite par l’exemple. Mais avec des chemins différents. A l’OCP, la première étape a été d’instaurer les cercles de qualité parmi les agents. Le groupe leader a donc été la base de la pyramide. Au bout de cinq années de pratique des activités des cercles de qualité, le personnel de gestion a embarqué dans l’aventure des cercles de qualité pour former les groupes d’amélioration de la qualité. C’est un processus Top Down mais particulier car il manque la création du conseil TQM et de la Direction qualité. Dans son livre les outils des cercles de la qualité, Ishikawa explique que les activités des cercles de la qualité doivent avoir lieu dans un cadre intégré. En effet, parmi les étapes d’activité des cercles, on trouve la sélection des projets d’amélioration qui ne peut être faite que dans un cadre où les priorités ont été étudiées et les groupes formés selon le principe de permutation et de mobilité.
Au niveau du RCAR, l’adhésion a été méritée en raison des efforts d’un groupe restreint de Directeurs du management intermédiaire qui a su persévérer dans sa quête du savoir mais aussi dans sa démarche de persuasion qui n’a pas été sans user et abuser de la psychologie pour apprivoiser les personnalités des uns et des autres, exactement comme l’avait prédit Deming. Après une période d’apprentissage et de préparation des plus discrètes, ces Directeurs ont effectué un pilote dans une Direction. Le pilote a consisté en la mise en place de l’approche processus.
A ces deux risques, la parade a été pensée par les gourous du TQM et a été utilisée par l’OCP et le RCAR. Il faut identifier le groupe le plus réceptif à l’apprentissage et le faire bénéficier de formations portant à la fois sur la culture TQM mais aussi sur les méthodes TQM. La formation passe aussi par la pratique. L’organisation choisit un projet pilote à mettre en œuvre par ce groupe d’employés. Une fois le pilote accompli, le processus de persuasion et de formation est généralisé, les équipes de soutien- composées des membres ayant accompli le pilote -sont là pour accélérer le processus.
Pour les résultats, l’OCP est devenu leader mondial du phosphate et dérivés enregistrant 45% de parts de marché au lieu de 33% tandis que le RCAR est devenu l’organisme de retraite de référence. Pour l’OCP, l’amélioration de la qualité de ses produits a favorisé la concrétisation de plusieurs partenariats industriels qui ont permis de booster la capacité innovatrice de celui-ci. Son taux de satisfaction Client a connu une croissance claire au début de la sensibilisation à la démarche qualité. L’approche agressive du RCAR dans l’implémentation du TQM conjuguée à ses talents actuaires lui a valu la position de choix qu’il visait et qui surtout lui permet de se positionner pour le deuxième pilier du pôle public dans la réforme de retraite. Ainsi, le nombre de ses affiliés passerait de 200 000 en 2015 à presque 1 Million à l’horizon 2020.
En matière de coûts de non qualité l’OCP comme le RCAR sont gagnants. Les indicateurs de performance chez les deux organisations montrent une meilleure maîtrise opérationnelle. Les capacités commerciales s’étant multipliées, les coûts de non qualité sont négatifs. Les gains en images de marque sont inestimables. L’OCP collectionne les partenariats industriels internationaux tandis que le RCAR a gagné le respect de ses pairs dans le Monde mais aussi au Maroc. Les activités des cercles de qualité ont permis à l’OCP des économies intéressantes tandis que la TPM lui a épargné des investissements considérables. Par ailleurs, les non-conformités ont considérablement baissés. Chez le RCAR, dont l‘approche TQM est généralisée et déclinée à partir de la stratégie, les performances de ses prestations affichent des sauts spectaculaires surtout en matière de charges et de délai.
CONCLUSION
En conclusion, cet articlevise à structurer une approche comparative entre l’OCP et le RCAR, deux organisations publiques de différentes natures. En observant les deux organisations, on s’aperçoit de la différence de leur nature. L’une est soumise à la loi de marché et l’autre choisit de s’y soumettre en prospectant de nouvelles caisses internes à prendre en charge et en se positionnant pour gagner la confiance des pouvoirs publics quant au fait d’étendre le champs de ses prérogatives en prenant en charge la retraite d’autres groupes de la population active à l’occasion de la réforme de la retraite au Maroc.
L’importance de la soumission à la loi de marché est un des points fondamentaux du TQM car sans cette condition, choisir de mettre le client au centre de sa stratégie comme le propose le TQM est presque utopique pour ne pas dire totalement. Plusieurs pays ont fait voter la loi de protection du consommateur à commencer par les pays bas mais l’expérience de la Chine montre clairement que sans un consommateur conscient de ses droits et ayant des choix, il est difficile de faire changer de priorité aux patrons quels qu’ils soient, même dans un régime communiste. Les produits de l’OCP étaient destinés aux producteurs agricoles du monde entier. Sa volonté d’améliorer ses produits et d’en développer d’autres plus innovants et satisfaisants est naturellement animée par cette nature commerçante mais aussi par son sens de responsabilité. Ses recettes ont longtemps été le premier poste dans le PIB national.
Quant aux services du RCAR, ils étaient destinés à une population bien définie par la loi. Les compétences actuaires de ses talents et son appartenance à un groupe sur lequel l’état repose (en l’occurrence le groupe CDG) entre autres pour produire une bonne partie des revenus publics ont poussé les dirigeants à adopter une stratégie d’extension. Par ailleurs, les dirigeants des organisations sont caractérisés par leur grande culture et leur ouverture sur le monde à travers la culture sous diverses formes. Il faut dire que même sans la nécessité financière, le RCAR et l’OCP auraient eu raison de voir en le TQM un moyen de se développer car offrir un environnement sain dans la société-le TQM étant consommato-centrique – ou dans le milieu du travail -le TQM mettant l’humain (personnel) au centre des priorités-favorise le développement du pays dans sa globalité et empêcherait de ce fait le phénomène d’exode des cerveaux.
RÉFÉRENCES
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[1] Professeur à la faculté Mohammed V Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales de Salé.
[2] Doctorante à la faculté Mohammed V Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales de Salé.
[3]Le Deming Prize : Le prix Deming est le prix le plus ancien et l’un des plus prestigieux au monde dans le domaine de la qualité totale. Il reconnaît à la fois les personnes ayant contribué au domaine de la gestion de la qualité totale et les entreprises qui ont mis en œuvre cette technologie avec succès.
[4] Le ROA : La rentabilité des actifs est une notion économique d’inspiration anglo-saxonne. Celle-ci mesure en pourcentage le rapport entre le résultat net et l’actif mobilisé dans l’activité. Elle ne doit pas être confondue avec la rentabilité des capitaux investis traduit en français par « rentabilité économique ».
[5] British QualityFoundation : BQF est une organisation indépendante, à but non lucratif, constituée de sociétés et a été fondée par la DTI et les chefs d’entreprise britanniques en 1993 inspirée des organisations leaders en la matière, c’est-à-dire NIST, JUSE et EFQM.
[6] Excellence Canada : Un organisme à but non lucratif représentant la gouverneure générale du Canada organisant les Prix d’excellence du Canada.
[7]IMANOR : L’institut Marocain de Normalisation est créé par la loi n° 12-06 relative à la normalisation, la certification et l’accréditation, Il permet :
- Elaborer des normes pertinentes pour le marché et utiles pour les politiques publiques ;
- Permet aux entreprises marocaines d’accéder à des conditions optimales, à toutes les certifications requises pour renforcer leur compétitivité sur leurs marchés cibles ;
- Accompagner le tissu économique pour mieux appréhender les normes à travers des formations ciblées et satisfaisantes ;
- Faciliter aux opérateurs économiques l’accès aux informations sur les normes et les activités associées.
[8] CGEM : La Confédération Générale des Entreprises du Maroc, est une association privée regroupant les entrepreneurs du Maroc. Elle est le représentant du secteur privé auprès des pouvoirs publics et des institutionnels.
[9]OCP : Office Chérifien des Phosphates du Maroc
[10] RCAR : Régime Collectif d’Allocations de retraites au Maroc
[11] ONCF : Office National des Chemins de Fer.
[12] ODEP : Office D’Exploitation des Ports.
[13]Lydec : Lyonnaise des Eaux de Casablanca (Régie de Distribution d’eau et d’électricité de Casablanca).
[14] TPM : ou maintenance productive totale, est une méthodologie pour continuellement améliorer l’efficacité des équipements de production.
[15] MSP : un guide définissant le management de programme comme « l’action d’organiser, diriger et déployer de manière coordonnée un dossier ou un projet et des activités de transformation (le programme), pour atteindre des résultats et des profits d’importance stratégique pour l’entreprise ».
[16] PMBOCK : Le Project Management Body of Knowledge est le guide du Project Management Institute définissant les champs de connaissance couvrant la gestion de projet, et recensant les bonnes pratiques professionnelles en la matière.