La nouvelle approche de coopération du Maroc avec l’Afrique
Pr LATIFA ELCADI
FSJES- EL Jadida
Tout État fait la politique de sa géographie
Il est des vérités indéniables et qui n’obéissent à aucun déterminisme géographique: le Maroc est profondément et définitivement africain. Feu le roi Hassan II ne disait-il pas dans l’une de ses envolées poétiques que le Maroc est comme un arbre dont les racines plongent dans le sol africain et les feuilles bruissent au vent de l’Europe. Le retour du Maroc à l’Union Africaine n’est en définitive, qu’un rétablissement d’une vérité éclatante car le Maroc n’a jamais quitté l’Afrique et n’a jamais cessé d’être africain. Partant de l’idée qu’on ne peut changer la géographie, le Maroc est profondément africain. Il n’a d’ailleurs jamais renié cette appartenance. Dés sa première constitution de 1962, le Maroc se déclare ” État africain, il s’assigne en outre, comme l’un de ses objectifs, la réalisation de l’unité africaine”. Depuis, le Maroc n’a cessé de revendiquer son appartenance africaine. Dans le préambule de la constitution de 2011, le Maroc s’engage à renforcer ses relations avec les pays voisins notamment ceux du Maghreb et à consolider ses relations avec les pays arabes et musulmans. Il s’engage aussi à intensifier ses relations de coopération avec les pays euro-méditerranéens et à “consolider les relations de coopération et de solidarité avec les peuples et les pays d’Afrique notamment les pays subsahariens et du Sahel” et à renforcer la coopération SUD-SUD.
Par ailleurs, depuis son indépendance en 1956, le Maroc a toujours milité en faveur d’une Afrique forte, développée et maitresse de ses ressources naturelles. Cette conviction a été mise en lumière à travers le soutien que le Maroc a toujours prodigué à la lutte anti coloniale mais aussi à travers la création, en 1963, de l’Organisation de l’Unité Africaine, dont il est l’un des fondateurs. A l’époque, les autres pays africains sortaient à peine d’une longue période de colonisation et aspiraient à la mise en place d’un cadre institutionnel susceptible de faire entendre leur voix sur le plan international, alors marqué par la guerre froide. Depuis 1963, le Maroc a toujours été un membre actif de l’OUA et a toujours entretenu des relations amicales avec les pays africains notamment les pays francophones. Le Maroc a donc toujours affirmé son identité africaine et placé son continent d’appartenance à la tête de ses priorités de développement, et au cœur de ses préoccupations diplomatiques.
Toutefois, en 1984, le Maroc se retire de l’OUA en raison de l’entrée de la RASD, chose que notre pays ne pouvait tolérer. Le départ du Maroc de l’OUA l’a contraint à se tourner vers l’Europe alors en plein essor économique. Il avait même demandé à adhérer à la CEE en 1984. En fait, l’Affaire du Sahara marocain, considérée comme une priorité nationale, a toujours été un sujet sensible qui conditionne la politique étrangère marocaine. C’est ainsi que les relations du Maroc avec plusieurs pays africains se sont compliquées ou ont été coupées en raison de la reconnaissance de la RASD. Pendant toute cette période, le Maroc n’a pas complètement coupé les ponts avec les pays africains mais ces relations se sont limitées au cadre bilatéral notamment avec des pays amis comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon.
En fait, les liens séculaires que le Maroc a toujours entretenus avec les pays africains sont fondés sur l’histoire, la civilisation, le rayonnement religieux, l’expansion économique et l’investissement. Nul ne peut nier l’étendue de l’empire chérifien, ni les liens très forts que les sultans du Maroc avaient tissés avec les royaumes africains traditionnels. Aujourd’hui, les données ont peut être changé mais les liens solides crées par la proximité et l’histoire sont toujours là pour rappeler l’africanité du Maroc. Les pays africains et le Maroc ne fait pas exception, se débattent contre des problèmes cruciaux: le sous développement, l’absence de démocratie, l’immigration, l’insécurité… Les enjeux sont donc énormes et les défis insurmontables.
Le grand retour du Maroc dans le giron africain n’est pas du aux aléas de la politique et de la diplomatie. Ce retour est une nécessité absolue dans le sens où l’orientation du Maroc vers des partenaires longtemps considérés comme traditionnels (USA- Union Européenne) a montré ses limites. Il était donc impérieux pour notre pays de chercher d’autres alliances fondées sur l’appartenance commune à l’Afrique et sur des intérêts économiques et politiques mutuels. C’est la fameuse règle gagnant- gagnant.
En atteste le discours prononcé le 31 janvier 2017 au 28esommet de l’Union Africaine à Addis-Abeba. «Il est beau, le jour où l’on rentre chez soi, après une trop longue absence! Il est beau, le jour où l’on porte son cœur vers le foyer aimé! L’Afrique est mon continent, et ma maison. Je rentre enfin chez moi, et vous retrouve avec bonheur. Vous m’avez tous manqué». Difficile d’imaginer qu’une «plume» ait pu souffler au roi du Maroc des mots aussi profonds, aussi sincères mettant à nu avec un lyrisme direct l’émotion des retrouvailles. L’appartenance géographique du Maroc et sa position particulière ont fait de lui un maillon indispensable entre l’Europe et l’Afrique. Sur le plan historique, le royaume chérifien s’est étendu jusqu’aux confins de l’Afrique subsaharienne. Cette situation a permis l’instauration de liens humains, religieux, économiques et politiques très solides. C’est ce qui explique d’ailleurs la spécificité qui a toujours caractérisé les relations entre le Maroc et certains pays africains comme le Sénégal, le Mali… C’est ainsi qu’ à partir des années 2000 la politique étrangère marocaine s’est focalisée sur le continent africain. Ce dernier est même devenu une priorité stratégique. En effet, ” Le Maroc fait de l’Afrique une des priorités stratégiques de sa politique extérieure. Ce choix puise ses fondements dans l’appartenance géographique du Maroc au continent et dans son histoire millénaire qui a profondément façonné son identité et sa culture africaines. C’est ainsi que le Royaume est tout naturellement conforté dans sa vocation africaine en tant que pôle de stabilité, de développement régional et de rayonnement culturel et civilisationnel”[1].
De là, découle l’intérêt d’un sujet sur le Maroc et l’Afrique n’est plus à démontrer en raison de sa grande actualité et de sa pertinence au niveau de la recherche scientifique, dans les domaines économique, historique , religieux , juridique…
Notre problématique est à la fois simple et complexe. Simple car on pourrait céder à la facilité et penser qu’avec son retour au giron africain en 2017, tous les problèmes du Maroc vont être résolus et particulièrement l’affaire du Sahara marocain. Complexe aussi car cette démarche nous permettra de poser les vraies questions et examiner les différents enjeux d’une relation historique empreinte de toutes les passions et surtout de tous les défis.
La méthode adoptée nous permettra de mettre l’accent sur les différents atouts dont dispose le Maroc pour mener à bien sa nouvelle politique africaine. Ce sont des atouts d’ordre économique, culturel, politique, religieux…Toutefois, malgré cette politique volontariste en direction de l’Afrique, nombreux sont encore les obstacles qui se dressent encore devant une réussite pleine et entière de cette approche.
Ce sujet sera donc traité de la manière suivante: nous verrons d’une part les grands axes de la politique africaine du Maroc et ses traits saillants (Partie1) et d’autre part les éternelles préoccupations sécuritaires ( Partie2).
I- Les grands axes de la politique africaine du Maroc:
La nouvelle politique africaine du Maroc est multidimensionnelle. Elle est, en effet, basée sur des intérêts économiques réciproques, une dimension culturelle et religieuse historique et des relations politiques et diplomatiques excellentes. Autant d’éléments qui président à la construction d’un modèle de politique africaine solide et crédible.
A- Principales caractéristiques de la politique Africaine marocaine:
“S’agissant de la solidarité, le Maroc suit une approche diplomatique stratégique visant à consolider une coopération sud-sud efficiente, notamment avec les pays africains frères. A cet égard, les visites que Nous avons effectuées dans nombre de pays du continent Nous ont permis de développer un modèle de coopération économique mutuellement bénéfique, et d’améliorer les conditions de vie du citoyen africain[2]“. Cette nouvelle approche de coopération du Maroc envers l’Afrique est fondée sur la coopération sud-sud dont le Maroc a fait l’un des piliers de sa politique extérieure. A l’image des partenariats développés avec les pays européens, nord- américains et asiatiques, le Maroc entend promouvoir ce même modèle partenarial, à caractère multidimensionnel et mobilisant plusieurs acteurs en faveur d’un développement accru de l’Afrique.
Partant de là, le renforcement des liens de coopération avec les pays du continent africain a toujours occupé une place centrale dans la politique étrangère marocaine dans le but d’assurer un certain équilibre avec ses relations avec l’Europe. A partir des années 90, l Maroc a développé des relations très poussées avec l’UE à travers notamment l’accord d’association et de partenariat du 26 février 1996 mais aussi à travers les accords agricoles et de pêche. A cela s’ajoute bien évidemment le statut avancé accordé au Maroc en 2008. Autant d’éléments qui militent en faveur d’un rôle stratégique de premier ordre que le Maroc pourra jouer entre l’Europe et l’Afrique.
La position géographique du Maroc est ici déterminante et lui permet de jouer dans ce sens le rôle majeur de maillon entre l’Afrique et l’Europe. En effet, le Maroc doit profiter de cette proximité géographique et culturelle avec plusieurs pays sub-sahariens pour mettre en avant les nombreuses opportunités économiques que recèlent ces pays et les gains mutuels qui découlent d’une coopération bilatérale et multilatérale accrue sur des questions aussi décisives que l’immigration, la sécurité, le commerce et l’investissement.
La nouvelle politique marocaine envers les pays africains est caractérisée par une grande multi dimensionnalité en se basant sur des considérations diverses et variées qui vont de l’économique, au politique, au religieux … “La politique africaine du Maroc s’appuie ainsi sur une démarche globale, intégrée et inclusive visant à promouvoir la paix et la stabilité, à favoriser le développement humain durable et à préserver l’identité culturelle et spirituelle des populations, dans le respect des valeurs universelles des droits humains. L’originalité de cette politique réside également dans le fait qu’elle n’est plus l’apanage exclusif du gouvernement ou des acteurs institutionnels. Elle est, bien au contraire, de plus en plus assumée et prise en charge par les opérateurs économiques privés, et intègre les acteurs de la société civile. A cet égard, l’action du Maroc vise à soutenir les pays africains frères dans les efforts consentis pour bâtir des économies solides, par le transfert des savoir-faire, la formation des ressources humaines, l’investissement dans les secteurs clé de l’économie et la mutualisation des ressources[3].”
De fait, en suivant l’évolution de la politique africaine du Maroc, il est possible de relever les trois grandes étapes suivantes:
Dans une première phase et à partir de 1956, le Maroc a conclu un ensemble d’accords bilatéraux de coopération dans les domaines politique, culturel, économique et technique avec plusieurs pays notamment de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale.
Une deuxième phase a été engagée après l’éclatement de l’affaire du Sahara qui a provoqué un bouleversement notable dans les relations avec les autres pays africains. En effet, de1976 à 1985, l’intensité de ces relations était fonction de la position de ces pays sur la question de l’intégrité territoriale du Maroc. Cette dernière étant considérée comme une priorité nationale. La situation est devenue intenable notamment avec l’adhésion de la RASD à l’OUA et le retrait du Maroc en 1984. Ce retrait de l’OUA a eu principalement pour conséquence directe l’isolement du Maroc sur le plan diplomatique. “C’est pourquoi, conscient de l’isolement de la scène africaine que ce retrait pourrait engendrer, le Maroc ne s’est pas empêché de continuer à entretenir une autre forme de relations avec l’Afrique subsaharienne : il s’agit de maintenir et de développer ses relations bilatérales avec les pays africains quels qu’ils soient”[4].
Cette politique est « une constante de la politique étrangère du Maroc. Elle trouve son sens dans le principe du partenariat pour la paix, si bien ancré dans la pratique diplomatique marocaine qu’il occupe aujourd’hui une place de choix dans la conscience collective stratégique nationale[5]». Grâce à cette approche, le Maroc a pu se forger une image d’un pays enclin à la paix et à la coopération. Le défunt roi Hassan II a été l’artisan de cette stratégie d’ouverture qui a contribué à limiter l’isolement diplomatique du Maroc « notre politique a contribué à forger l’image d’un pays pondéré et modéré, attaché à la paix et œuvrant inlassablement pour l’établissement de rapports fraternels entre les peuples. Il devient vite le lieu idéal pour les grandes rencontres et les grandes manifestations ou se décident la plupart du temps les grandes orientations de la politique internationale[6]».
La troisième phase a démarré avec l’avènement du Roi Mohammed VI en juillet 1999. A partir de cette date, la politique africaine du Maroc a adopté une nouvelle approche de coopération, qui consiste à consolider et à capitaliser les progrès acquis tout en s’ouvrant sur de nouvelles perspectives. C’est ainsi que l’intérêt est désormais porté sur le domaine économique dans les relations du Maroc avec les pays de l’Afrique subsaharienne. La coopération économique est désormais considérée comme un instrument de renforcement des relations avec les pays africains. Cette nouvelle tendance est caractérisée par la signature de nombreux accords de coopération économique, par l’encouragement des investissements, par l’implication et l’association du secteur privé et par l’adhésion du Maroc à de nouveaux espaces régionaux africains en l’occurrence la Communauté des Etats Sahélo-Sahariens (CEN-SAD[7]) en 2001.
La stratégie du Maroc à l’égard des pays africains membres de la CEN-SAD ” repose sur le triptyque défini par le sécuritaire, le religieux et la lutte contre la précarité et la pauvreté, et cette bataille ne peut être remportée effectivement que par la coopération sincère et responsable de tous les acteurs concernés[8]“. Cette longue évolution des relations maroco africaines a suscité une grande diversification de leur champs d’action.
B- les domaines de prédilection de la Politique africaine du Maroc
Le cadre de coopération entre le Maroc et les autres pays africains est riche et en constante évolution. La politique africaine du Maroc se décline, en effet, dans de nombreux domaines notamment économique, politique, culturel et religieux, et universitaire.
1- Le domaine économique:
La coopération économique et commerciale bilatérale a toujours constitué un levier d’action important de la stratégie du Maroc à l’égard de l’Afrique subsaharienne. Le Maroc a développé dès les années 60, au lendemain de l’indépendance d’un grand nombre de pays africains, un important maillage d’accords de coopération bilatéraux avec ces pays, via la formulation d’un cadre réglementaire approprié. De type classique (c’est-à-dire, visant à consolider le principe de la nation la plus favorisée) ou à caractère préférentiel, ces accords visent tout autant à renforcer et à consolider les parts de marché acquises, qu’à diversifier l’éventail des échanges extérieurs. La coopération économique est ici perçue comme le meilleur moyen de renforcer les relations et de réaliser l’ouverture et l’ancrage du Maroc avec l’Afrique car elle crée des synergies, des liens qui rendent les économies partenaires interdépendantes.
Depuis quelques années, la coopération économique avec les pays d’Afrique a connu un essor considérable. A cet effet, le Maroc déploie, une véritable offensive économique et commerciale, progressivement renforcée par sa diplomatie économique envers les pays de l’Afrique Subsaharienne. Cela constitue une opportunité pour une économie marocaine, jusqu’alors, tributaire de l’Union européenne. Cette offensive économique marocaine tous azimut s’inscrit dans ce qu’on peut appeler la “diplomatie économique”. La diplomatie économique est définie comme étant “l’ensemble des mécanismes et pratiques adoptés par des individus ou groupes, étatiques ou non étatiques dans le but de réaliser les objectifs économiques d’un État par le recours à des moyens politiques, ou de réaliser les objectifs politiques par le recours à des moyens économiques”. Une telle définition prend en considération l’évolution de l’environnement international et l’émergence de nouveaux acteurs dans la scène internationale.
C’est ainsi que dans le cadre de sa politique africaine, le Maroc a adopté la démarche « gagnant-gagnant », qui consiste à associer davantage les deux secteurs, privé et public, afin d’accroître les échanges commerciaux et les flux d’investissement marocains dans les pays de l’Afrique subsaharienne.
Cette coopération érigée en Partenariat Sud-Sud, agissant et solidaire, repose sur certains fondamentaux qui définissent la présence économique marocaine en Afrique : le soutien au développement durable, la valorisation des compétences humaines et l’implication croissante du secteur privé dans les efforts de transferts de savoir-faire et de partage d’expertise et d’expérience. Le positionnement économique du Maroc sur le continent africain s’est accentué depuis le début des années 2000. En effet, l’ambition du Maroc s’illustre dans sa volonté d’être un trait d’union entre l’Afrique et l’Europe, en renforçant le rôle du Royaume dans le processus de dialogue et de coopération entre l’Afrique et l’Europe, en participant à la formation des chaînes de valeur entre les deux continents et en développant la coopération triangulaire entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne.
Avec l’avènement du Roi Mohammed VI, en juillet 1999, les relations entre le Maroc et les pays africains se sont inscrites dans une nouvelle trajectoire dans le domaine de la coopération, celle de la coopération économique Sud-Sud. Le premier coup d’envoi a été donné dés Avril 2000 au Caire lors du premier Sommet Afrique-Europe, par l’annonce du Roi Mohammed VI, d’accorder l’annulation des dettes de nombreux pays africains, vis-à-vis du Royaume, ainsi que l’ouverture des frontières marocaines aux produits d’exportation de ces pays. Le Maroc accorde une place de choix à l’Afrique dans sa politique étrangère, comme en témoignent les nombreuses visites Royales en Afrique. Ces visites ont contribué à insuffler un nouveau souffle aux échanges économiques et de renforcer, de facto, le caractère Sud-Sud des relations étrangères du Royaume.
Dans cet objectif et pour renforcer sa présence économique en Afrique, le Maroc a entrepris de nombreuses actions qui ont eu un impact certain. Depuis le début des années 2000, le Maroc a conclu plus de 600 accords de coopération dans de multiples domaines, avec plus de 40 pays. Il a aussi renforcé ses liens de coopération avec des groupements régionaux comme l’UEMOA ou le CENSAD. Par ailleurs, l’accord relatif au projet de Gazoduc-Maroc-Nigéria signé en décembre 2016 est un projet structurant de grande envergure. En effet, une fois réalisé ce projet contribuera à l’intégration énergétique de l’Afrique.
Dans le domaine des investissements, la dynamique d’investissement des opérateurs marocains en Afrique s’est intensifiée ces dernières années pour accompagner et consolider les acquis réalisés sur le plan politique. Il s’agit de l’Office Chérifien des Phosphates, Maroc Telecom, Royal Air Maroc, Attijariwafa Bank, Banque Marocaine du Commerce Extérieur, Groupe Banque Populaire…
A cet égard, il est important de souligner que le secteur privé peut et doit véritablement devenir un acteur actif de la diplomatie économique. La vision marocaine consiste à rendre les entreprises nationales de véritables ambassadeurs en Afrique et à faire participer des acteurs très divers. Le secteur privé est, en effet, un “puissant outil d’influence” à l’échelle internationale qui peut permettre au Maroc de “consolider son autorité à l’extérieur des frontières”. Cependant, en dehors de quelques opérateurs économiques, le secteur privé marocain est caractérisé par une certaine frilosité ou un manque de courage et d’initiative. Il se contente de jouer le rôle de bénéficiaire des actions de la diplomatie étatique. Certes, il participe aux délégations officielles et aux commissions mixtes, mais son rôle se limite à l’accompagnement de l’action de l’État. C’est pourquoi il est difficile de parler d’une diplomatie privée indépendante de la diplomatie officielle. Pour qu’il puisse jouer un rôle réellement actif et efficace, le secteur privé marocain doit disposer d’une véritable force de frappe économique et financière capable de lui ouvrir les portes de l’Afrique. On doit souligner que lors du dernier sommet de l’UA tenu à Niamey les 7 et 8 juillet 2019, le Maroc désormais a signé son entrée officiellement à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA)[9]. La ZLECA pourra jouer le rôle de catalyseur du “Made in Africa” susceptible d’ouvrir des perspectives importantes aux entreprises aux niveaux international et intra-africain. Cette zone est aussi un cadre de relance de la dynamique des échanges économiques et commerciaux entre les pays africains.
A côté des relations économiques en pleine croissance, le niveau politique et diplomatique connait également un développement remarquable. Les relations du Maroc avec les pays d’Afrique dépassent, en effet, le simple cadre des rapports économiques pour englober d’autres dimensions structurantes.
2- Le domaine politique et diplomatique:
Au niveau politique, le Maroc a toujours témoigné un intérêt majeur au continent africain. Depuis son indépendance, il n’avait de cesse de revendiquer l’unité africaine dont il a été l’un des artisans avec la création de l’OUA en 1963. Le second symbole de cet intérêt, réside également dans le grand nombre de visites officielles effectuées par le Roi Mohammed VI dans différents pays d’Afrique subsaharienne. Ces visites officielles est un aspect qui met en relief la volonté politique d’accompagner les efforts économiques et permettent d’intensifier les relations de coopération et de confiance entre le Maroc et les pays africains. Ainsi, depuis son intronisation en juillet 1999, le Roi Mohammed VI a effectué de multiples visites en Afrique Subsaharienne. Ces visites sont généralement une occasion d’inauguration des projets de développement socio-économiques et de signature d’accords bilatéraux. D’ailleurs, on compte des centaines d’accords, tous secteurs confondus, signés entre le Maroc et les pays d’Afrique subsaharienne durant la dernière décennie.
Par ailleurs, il est superflu de rappeler la place qu’occupe l’affaire du Sahara marocain dans les préoccupations de la politique étrangère du Maroc.
Rappelons qu’en 1982, l’OUA a reconnu, la pseudo « République arabe sahraouie démocratique » (RASD), et l’a accueillie comme « État-membre », sous l’impulsion de l’Algérie, ce qui a été à l’origine du retrait du Maroc, pourtant pays fondateur, de l’instance panafricaine. Ce retrait a été annoncé, le 12 novembre 1984, à Addis-Abeba. Dans un message de feu le Roi Hassan II lu à cette occasion, le Souverain marocain s’est adressé en ces termes aux Chefs d’Etat africains : « Voilà l’heure de nous séparer venue. Pour le Maroc, il devient impérieux de ne pas se faire le complice de décisions qui ne sont autres qu’un processus d’érosion irréversible de la légalité, élément vital pour toute Organisation internationale qui se respecte. En attendant des jours plus sages, nous vous quittons. Mais africain est le Maroc, africain il le demeurera. Vous comprendrez aisément que membre fondateur de l’unité africaine, le Maroc ne saurait en être le fossoyeur ».
Cependant, avec le recul, le retrait de l’OUA peut être considéré comme une grave erreur stratégique qui a privé le Maroc d’une opportunité précieuse pour défendre ses intérêts et l’a empêché, pendant de longues années, de peser sur les grandes décisions prises par cette organisation. Ce retrait a aussi permis aux ennemis du Maroc de profiter de son absence et de renforcer leurs positions diplomatiques à travers les nombreuses reconnaissances qu’ils ont pu récolter. Conscient de cette réalité, le Maroc n’est pas resté passif. Il a opté pour un renforcement de sa diplomatie bilatérale et régionale en privilégiant une approche stratégique, une multitude de politiques bilatérales et un rapprochement réfléchi avec les différents pays africains.
Malgré sa sortie spectaculaire de l’OUA, le Maroc a été toujours présent sur le terrain africain et a su conserver d’excellentes relations avec certains pays africains amis comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Congo ou encore le Gabon. Ces relations ont doublées par des relations personnelles entre le Roi du Maroc et les dirigeants de ces des pays. En outre, “le Maroc est un pays enraciné dans son continent d’appartenance et surtout dans l’espace sahélien, ce qui explique d’autant plus l’engagement du pays pour la récupération de son Sahara qu’il considère comme une partie intégrante de la nation et surtout son lien avec ses origines sahariennes et africaines. Cette profonde dimension historique, religieuse, culturelle et même commerciale ne fait que renforcer l’idée que le continent est naturellement une zone où le pays peut s’implanter et se développer pour assurer son avenir économique et sa prospérité sur le long terme[10]“.
D’autre part, le projet d’autonomie, présenté par le Maroc et accueilli favorablement par le Conseil de Sécurité de l’ONU, a ouvert au Maroc un large espace diplomatique lui permettant de renforcer ses liens avec les Etats qui, jusqu’alors, soutenaient le Front Polisario. A cet égard, plusieurs d’entres eux ont fini par retirer ou geler leurs reconnaissances de la « République Arabe Sahraouie Démocratique ». Il est certain que ce sont d’importantes victoires pour la diplomatie marocaine au cours de ces dernières années. En plus des caractéristiques précitées, la dynamique à l’œuvre dans le processus de redéfinition de la nouvelle approche diplomatique du Maroc à l’égard de l’Afrique repose sur deux éléments clés. Le premier consiste en l’élargissement de la communauté des pays soutenant l’intégrité territoriale du Maroc alors que le second vise la consolidation de sa présence économique.
On doit souligner à cet égard, que le 32e sommet de l’UA réuni à Adis Abéba le 10 février 2019 a confirmé la décision du sommet de Nouakchott en laissant toute latitude à l’ONU de trouver une solution au conflit du Sahara marocain. L’UA devant, par définition, apporter l’aide et le soutien nécessaires au processus onusien. C’est d’ailleurs, le premier sommet africain où aucune décision n’a été prise sur la question du Sahara marocain sachant que les décisions inhérentes à ce dossier sont prises au niveau de l’ONU. C’est aussi la première fois où le rapport du conseil de paix et de sécurité relevant de l’UA n’a fait aucune référence à la question du Sahara marocain. Par ailleurs, la dimension politique apparait également à travers la contribution effective du Maroc au renforcement de la paix et de la stabilité en Afrique : appui aux résolutions internationales au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU, actions humanitaires, participation aux missions de maintien de la paix…
En outre, la politique africaine du Maroc englobe un volet culturel, religieux et universitaire d’une très grande importance qui reflète la multidisciplinarité de l’approche marocaine.
3- Le domaine culturel, religieux et universitaire
“Le Maroc a une relation historique avec l’Afrique Subsaharienne. Cette histoire est caractérisée par un triple facteur : le facteur religieux avec l’influence des confréries Tijani, le commerce et les migrations. Le phénomène religieux est d’ailleurs intimement lié aux flux migratoires et au commerce. L’influence profonde du Maroc sur l’Afrique Sub-saharienne est essentiellement religieuse. Les confréries, les zawiyas, ont permis au Maroc d’introduire l’islam sunnite malékite en Afrique Subsaharienne. Cette pénétration du religieux était intimement liée à l’activité commerciale[11]“.
Fort de ces liens politiques et économiques historiques qui ont toujours uni le Maroc à de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale, le Maroc a voulu intégrer le volet religieux au cœur de la nouvelle vision marocaine pour l’Afrique. En effet, partant des liens culturels séculaires qui lient le Maroc aux pays africains, à majorité ou à minorité musulmane, se basant sur le modèle religieux prôné par le Royaume, visant au rayonnement de « l’Islam du juste milieu », ainsi que sur le partage avec les pays africains de la même doctrine, du même rite et de la même sensibilité Soufie, le Roi Mohammed VI, a lancé en juillet 2015, la Fondation Mohammed VI des Oulémas africains. Présidée par le Roi, cette institution, qui regroupe des oulémas et des imams de 29 pays africains, a pour objectifs « de prendre toute initiative permettant d’intégrer les valeurs religieuses de tolérance dans toute réforme à laquelle est subordonnée toute action de développement en Afrique, que ce soit au niveau du continent qu’au niveau de chaque pays, d’animer l’action intellectuelle, scientifique et culturelle en rapport avec la religion musulmane, de consolider les relations historiques qui lient le Maroc aux autres Etats africains et de veiller à leur développement[12] ». Cette institution a aussi pour mission d’œuvrer en faveur de l’institution de centres et d’établissements religieux, scientifiques et culturels ainsi qu’à la revitalisation du patrimoine culturel islamique africain commun, en le faisant connaître et en œuvrant à sa diffusion, sa conservation et sa sauvegarde.
Par ailleurs, en mai 2015 a été crée l’Institut Mohammed VI pour la formation d’Imams, « morchidines » et « morchidates » et accueille lors de son lancement, en plus des étudiants marocains inscrits, 447 étudiants étrangers originaires du Mali, de la Tunisie, de la Guinée-Conakry, de la Côte d’Ivoire et de France. La Côte-d’Ivoire, le Gabon et le Conseil Islamique du Nigéria ont également sollicité la formation, par le Maroc, d’une centaine de leurs imams et « morchidates ».
Cette approche revêt aux yeux de nombreux pays africains le statut d’un modèle d’islam modéré et d’un rempart contre le radicalisme et apparaît de plus en plus comme une pièce maîtresse dans ce qu’il convient désormais d’appeler “la diplomatie religieuse” du Maroc. Cette” diplomatie religieuse” est menée par le Roi en sa qualité de Amir Al mouminine. On peut donc dire que l’institution de Imarat AL Moumine[13] a joué un rôle très actif dans la redynamisation des relations maroco-africaines en raison des liens religieux et spirituels qui ont toujours lié les sultans chérifiens aux communautés musulmanes africaines. Il en résulte que cet aspect de la coopération a toujours été au centre des préoccupations de la politique africaine du Maroc.
– Sur le plan de la coopération universitaire, les relations maroco-africaines ont pris une nouvelle forme puisque la priorité a été accordée aux relations de coopération universitaire et scientifique notamment dans le domaine de la formation des cadres. C’est ainsi que le Maroc accueille chaque année dans ses universités et ses centres de formation un grand nombre d’étudiants africains. Cette action est menée par l’Agence Marocaine de Coopération Internationale (AMCI) qui joue un rôle central dans l’accueil et le séjour des étudiants africains au Maroc.
Créée en 1986, l’AMCI a pour mission de développer, d’élargir et de renforcer l’ensemble des relations culturelles, scientifiques, techniques et économiques avec les pays partenaires, notamment, dans le cadre de la coopération Sud-Sud.
Elle est notamment chargée de la mise en œuvre d’une part des actions de coopération culturelle, scientifique et technique, d’autre part des actions relatives à la réalisation de projets à caractère économique et social et enfin des actions à caractère humanitaire. C’est ainsi que cette période a été marquée par la signature de 150 accords à caractère économique, notamment avec les pays de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale.
En fait, l’action de l’AMCI consiste à développer, en coordination avec le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, la coopération entre les peuples en contribuant à l’élargissement et au renforcement de la coopération culturelle, scientifique, économique et technique entre le Royaume du Maroc et les peuples des pays frères. Dans le cadre de la coopération sud-sud prônée par le Maroc, s’est développée une grande dynamique d’accueil. Il en résulte que le Maroc est devenu une terre d’accueil[14] et une importante destination continentale d’étudiants africains. Pour faciliter cette coopération universitaire, le Maroc a conclu des accords[15] de coopération avec des pays africains, portant spécifiquement sur l’enseignement supérieur, la recherche scientifique et la formation des cadres.
Ces accords ont notamment pour objectif de développer la coopération et les échanges directs entre les institutions d’enseignement supérieur, de recherche et de formation des cadres du Maroc et des pays partenaires. Ces différentes actions ont contribué à attirer un grand nombre d’étudiants africains au Maroc pour poursuivre leur cursus universitaire dans les écoles, facultés et instituts du Maroc dans le cadre d’un partenariat bilatéral ou triangulaire à travers l’AMCI. Toutes les formations sont concernées, qu’il s’agisse du secteur public, universités et autres écoles d’ingénieurs, que du secteur privé avec les établissements d’enseignement supérieur ou encore la formation professionnelle.
Depuis quelques années, les relations maroco-africaines ont connu un saut qualitatif remarquable dans tous les domaines de coopération. Devenue une priorité stratégique de la politique étrangère marocaine, l’Afrique bénéficie d’une attention particulière et occupe le centre des préoccupations du Maroc. Cependant, si l’Afrique est un continent prometteur en raison de ses potentialités économiques et naturelles considérables, il est aussi un continent qui présente encore des défis structurels énormes en raison du retard de développement qu’il a accusé pendant de longues décennies. Ces problèmes sont aussi des défis pour la nouvelle approche marocaine de coopération avec les pays africains. Le Maroc dispose -t-il des moyens de sa politique? arrivera t-il à surmonter tous les problèmes dont souffre encore l’Afrique?
II- les éternelles préoccupations:
Nombreuses sont encore les questions qui posent problème et qui sont autant des difficultés sur la voie des relations maroco-africaines. L’Afrique est le continent de tous les paradoxes. Continent riche de multiples potentialités économiques et naturelles et de cultures diverses et ancestrales, l’Afrique regorge d’importantes ressources naturelles qui attirent les regards et la convoitise des investisseurs étrangers. Elle reste, cependant, minée par de nombreuses crises structurelles et conjoncturelles qui impactent négativement son avenir. L’Afrique connait une importante croissance démographique (1,4 Milliards d’habitants en 2015 et 2,4 Milliards en 2050), et pourtant trop peu d’efforts ont été investis dans le développement du capital humain et immatériel. Ce dernier est seul capable d’endiguer et de maitriser cette explosion et partant d’en tirer profit. Pour faire de la croissance démographique un atout plutôt qu’un fardeau et tirer pleinement profit de la jeunesse de la population africaine, les Etats africains devront relever des défis considérables relatifs à l’éducation, l’instruction, le travail, la santé et à l’emploi.
Ces carences structurelles entrainent d’autres phénomènes transnationaux de nature à menacer la stabilité et la sécurité des pays. A ce niveau, la démocratisation des systèmes politiques africains, la question sécuritaire et l’immigration peuvent être considérées comme des préoccupations communes à la plupart des pays africains.
A- La carence démocratique en Afrique:
La carence démocratique est l’une des questions épineuses qui inquiètent et qui soulèvent de nombreuses interrogations sur l’avenir de l’Afrique. “Epouvantail parfois exagérément brandi en Europe, dès l’éclatement d’une crise à caractère politique et sécuritaire, l’instabilité chronique qui prévaut dans certaines zones du continent vient, souvent, gâcher le tableau idyllique de l’Afrique émergente. Il est pertinent d’affirmer, aujourd’hui, que les processus de démocratisation qui s’opèrent, ici et là, sur le continent noir restent fragiles, vulnérables et nécessitent une consolidation[16]“. Depuis les indépendances africaines dans les années cinquante, le problème de la démocratie en Afrique s’est posé de façon insistante. Fallait-il démocratiser l’Afrique ou au contraire africaniser la démocratie?. En effet, dés cette époque, et à la faveur de la guerre froide, des systèmes politiques fondés sur le parti unique se sont installés dans la majeure partie des pays africains.
Au début des années 90, avec la fin de la guerre froide et du système bipolaire, des tentatives d’instauration de multipartisme ont été constatées ici et là. Mais, ces tentatives n’ont pas eu le succès escompté car elles n’étaient pas fondées sur une réelle volonté de démocratisation. Ajouté à cela, une longue tradition de parti unique qui a marqué le paysage politique des pays africains. Il en résulte que les expériences de démocratisation menées jusque là sont très fragiles et surtout ne sont pas à l’abri des coups de force militaires[17]. D’ailleurs, les pays africains ont battu le record des coups d’Etat militaires dans le monde.”Le caractère instable, d’une part importante des démocraties africaines, réside dans le fait que ni la régularité des élections ni la présence d’institutions démocratiques, ne les mettent à l’abri de coups de force. Il est clair, en effet, que les foyers de tension restent, aujourd’hui, encore nombreux sur le continent africain. L’Afrique a encore du mal à se détacher de certaines pratiques du siècle passé, où tripatouillages constitutionnels, fraudes massives et parodies d’élections, rythmaient la vie politique dans de nombreux pays[18]“.
En effet, la majorité des pays de l’Afrique connait un déficit de démocratie qui se traduit essentiellement par la monopolisation du pouvoir par certains dirigeants, les coups d’État, le rejet des résultats des urnes, la marginalisation et répression de l’opposition et de la liberté d’expression…Tous les moyens sont utilisés par certains gouvernants pour se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible par le recours au clientélisme et au tribalisme. La mal gouvernance domine encore dans ces États donnant ainsi naissance à d’importantes dérives qui nuisent au développement de ces pays. Ce déficit démocratique est naturellement accompagné et accentué par le sous-développement et la pauvreté. Il s’agit donc d’un cercle vicieux qui n’est pas prés à être rompu de sitôt.
C’est dire si le changement politique en Afrique ne peut s’effectuer que par voie démocratique et pacifique et en laissant le libre choix aux citoyens de choisir librement leurs gouvernants. Il apparait donc que seule une démocratisation des pays africains peut être la planche de salut et la solution aux problèmes politiques et sociaux que connaissent encore ces pays.
L’absence de démocratie et de respect des droits de l’Homme dans la plupart des pays africains ouvre la voie à l’insécurité et l’instabilité politique, terrain propice à la dérive terroriste.
B- la préoccupation sécuritaire et la menace terroriste:
Malgré ses richesses et ses potentialités considérables, l’Afrique “est aussi un continent confronté à une précarité sécuritaire croissante et inquiétante. De nouveaux périls transnationaux, tels que le terrorisme, le crime organisé, le trafic des stupéfiants, la traite des humains et l’extrémisme religieux, se sont développés de façon alarmante dans de nombreuses régions africaines. Autant de défis majeurs qui appellent des réponses transnationales et nous mettent devant l’exigence d’une réflexion collective concertée à la problématique sécuritaire[19]“.
La question de la sécurité en Afrique occupe, en effet, une place de choix au sein des instances internationales et régionales. En effet, cette partie de l’Afrique est en proie à de nombreux défis qui menacent la stabilité du continent. Ces défis ont pour origine de conflits frontaliers et territoriaux car les frontières héritées de la colonisation continuent à susciter des tensions entre les pays africains. Rappelons à cet égard, le principe mis en œuvre au lendemain de l’indépendance des pays africains qui consistait à garder intactes les frontières entre les anciennes colonies. C’est le principe de l’intangibilité des frontières ou “uti possidetis juris”. L’objectif de ce principe était d’éviter les conflits frontaliers en Afrique. La Cour internationale de justice dans l’arrêt Burkina Faso/République du Mali le définit ainsi : « le principe de l’intangibilité des frontières vise avant tout à assurer le respect des limites territoriales d’un État au moment de son indépendance. Si ces limites n’étaient que des limites entre divisions administratives relevant initialement de la même souveraineté, l’application du principe uti possidetis emporte leur transposition en frontières internationales proprement dites[20] ».
Or, avec le temps, les conflits n’ont pas manqué d’éclater au sujet des frontières héritées de la période de colonisation. Ajoutons à cela, les tensions tribales et ethniques encore exacerbées qui menacent la stabilité des pays africains. Pour preuve le génocide rwandais en 1994 qui a entrainé la mort et la disparition de milliers de personnes avait pour origine un conflit ethnique entre Tutsis et Hutus.
Par ailleurs, depuis les années 1990, on assiste à une explosion de conflits internes qui ont coûté la vie à des millions de personnes et sapé les efforts en matière de paix et de sécurité. En effet, l’Afrique de l’Ouest connait depuis quelques années, une recrudescence du phénomène terroriste et a vu apparaitre sur son territoire de nombreux groupes terroristes, qui au travers de leurs attaques meurtrières, semblent défier les États eux même. En 2012, le Mali sombre dans l’anarchie totale et même une partie de son territoire est contrôlée par des groupes terroristes qui y commettent plusieurs violations des droits de l’homme. Face aux hésitations des acteurs régionaux, une intervention militaire conduite par la France est lancée en 2013. Si cette intervention a permis aux autorités maliennes de reprendre le contrôle du Nord malien, AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et d’autres groupes terroristes continuent d’y semer la terreur et l’insécurité. De même, le Nigeria connaît depuis 2003 l’expansion du groupe terroriste Boko Haram, qui commet des atrocités dans le nord du pays, mais aussi dans les pays de la sous-région. Les attaques perpétrées par Boko Haram ont fait des milliers de victimes et le nombre de personnes déplacées ne cesse de croître. Des attaques sont régulièrement commises au Mali, au Burkina Faso et en Côte d’ivoire. Devant l’ampleur de ce phénomène et la multiplication des attaques, les acteurs étatiques régionaux sont impuissants. Face à ce défi sécuritaire réel qui provient de la zone subsaharienne, le Maroc n’a cessé de multiplier les actions politiques et économiques pour essayer de contrer ce phénomène. Il a même considéré que la non résolution de l’affaire du Sahara pourra avoir de graves répercussions sur la sécurité de tous les pays de la région. L’affaire du Sahara est avant tout un problème sécuritaire en raison de la prolifération des groupes terroristes qui menacent toute la région du sahel.
Cette insécurité permanente et le sous-développement économique poussent de nombreux subsahariens à immigrer vers des pays beaucoup plus stables et qui peuvent leur offrir une vie meilleure.
C- Le fléau migratoire
Ces dernières années le Maroc est passé du statut de pays émetteur ou de transit à un pays d’accueil des immigrants. En effet, de pays d’émigration, dans les années 60, à un pays de transit, depuis les années 90, le Maroc est rapidement devenu un pays d’immigration. Sous la pression de facteurs économiques et politiques régionaux, le Maroc est aussi devenu un pays récepteur d’émigrés notamment en provenance des pays de l’Afrique subsaharienne. Pour faire face à cette situation inédite, le Maroc était obligé de mettre en place une nouvelle politique migratoire tendant à résoudre les problèmes provoqués par ces flux humains incessants.
Dans un rapport[21] paru en 2013, le Conseil National des droits de l’Homme (CNDH) a tiré la sonnette d’alarme sur la situation désastreuse et inhumaine de nombreux immigrés subsahariens et considère qu’il était urgent d’adopter les mesures adéquates. En effet, selon ce rapport, « situé en Afrique, un continent confronté aux défis du développement et régulièrement secoué par des crises politiques et des conflits armés, le Maroc ne peut rester à l’écart des conséquences de cette situation troublée et probablement durable. Enfin, le Maroc subit incontestablement les effets de la politique drastique de contrôle par l’Europe de ses frontières extérieures. Pour toutes ces raisons, le Maroc est devenu à son tour une terre d’asile et d’installation durable de migrants.
Il accueille ainsi une immigration de travail régulière, un nombre relativement important d’étudiants étrangers, des migrants en situation irrégulière, souvent depuis de longues années et enfin, des demandeurs d’asile et des réfugiés.
Malgré les nombreux risques sécuritaires, le Maroc a opté pour une politique migratoire plus souple et plus volontariste en accordant la reconnaissance officielle de l’intégration sociale des sans-papiers africains résidant sur son territoire. Cette politique migratoire est axée sur une approche humanitaire, des droits de l’Homme et de développement qui bénéficie, notamment, aux migrants africains établis au Maroc.
En cohérence avec sa nouvelle stratégie en matière d’immigration, le Maroc a abrité les 10 et 11décembre 2018 la Conférence intergouvernementale des Nations unies pour l’adoption du “Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières”. Ce document peut être considéré comme le premier cadre de référence international en matière de politiques migratoires. Par cet Acte ce Marrakech, les Etats signataires s’ engagent ” collectivement à améliorer la coopération en matière de migration internationale. Les migrations ont toujours fait partie de l’expérience humaine depuis les débuts de l’Histoire, et nous reconnaissons qu’à l’heure de la mondialisation, elles sont facteurs de prospérité, d’innovation et de développement durable et qu’une meilleure gouvernance peut permettre d’optimiser ces effets positifs. Aujourd’hui, la majorité des migrants voyagent, vivent et travaillent dans des conditions sûres, ordonnées et régulières. Néanmoins, les migrations ont indéniablement des répercussions très différentes et parfois imprévisibles sur nos pays ainsi que sur les communautés et les migrants et leur famille”[22].
A cet égard, on doit noter la signature par le Maroc en décembre 2018 et la Commission de l’Union Africaine d’un accord de siège de l’Observatoire africain des migrations afin qu’il puisse assumer sa mission dans les meilleures conditions.
Cependant, l’immigration subsaharienne risque de poser énormément de problèmes en raison des facteurs socioéconomiques propres au Maroc. En effet, dans un Rapport[23] publié en décembre 2018 et consacré à la migration africaine, l’IRES considère que les perspectives migratoires changent selon que le Maroc sera admis ou non à la CEDEAO. Dans l’hypothèse où il ne serait pas admis à la Communauté, le Maroc pourra garder toute sa liberté de régulation de l’immigration sur son territoire, compte tenu de son évolution démographique et de son économie relativement au marché de l’emploi, de l’émigration de ses ressortissants en conformité avec la Stratégie nationale d’immigration et d’asile et la Nouvelle politique marocaine d’immigration. Mais dans le cas où le Maroc deviendrait membre de la CEDEAO, il devra tout naturellement s’aligner sur les dispositions déjà en vigueur au sein de cette communauté et mettre en application les Protocoles relatifs à la libre circulation.
Cette application connaît cependant, des obstacles majeurs. Selon ce même rapport, deux éléments importants doivent être pris en compte à ce sujet : “Etudier la possibilité d’introduire le principe de réciprocité qui n’est prévu ni dans le traité constitutif ni dans les Protocoles sur la libre circulation de la Communauté. En matière de migration comme dans d’autres domaines, il n’est pas logique que cette dernière soit appliquée dans les faits par un seul Etat. Des clauses dites de sauvegarde sont généralement prévues. Examiner les dispositions relatives à cette même question, prévues et appliquées dans le cadre de l’Accord d’association conclu entre la Communauté et la Mauritanie, passage terrestre entre la Communauté et le Royaume, qui serait associé à son voisin du sud aussi. Les flux migratoires sont plus ou moins infléchis par la politique mauritanienne et celle de l’Algérie en matière de contrôle[24]“.
Ces différentes préoccupations ne doivent en aucun cas infléchir ou décourager l’action du Maroc envers le continent africain considéré comme son arrière plan stratégique. Car l’Afrique est un continent prometteur qui recèle des richesses humaines, économiques et naturelles énormes. Des richesses qui attirent tout naturellement la convoitise des grandes puissances économiques comme la Chine, le Japon ou les USA. C’est aussi un continent qui pèsera lourdement dans la politique internationale dans les années à venir. Dans ces conditions, le rôle du Maroc est central car il pourra tirer profit des avantages de sa position géographique inégalable, pour servir de maillon incontournable entre l’Europe et l’Afrique et pourra aussi servir de tête de pont des grandes multinationales pour explorer le vaste marché africain.
On ne saurait mieux conclure que par les mots suivants: “Il est possible que notre continent soit le lieu de beaucoup de promesses ; il est certain qu’il est celui de tous les espoirs. Il est surtout au centre de l’échiquier mondial. Et relever les défis de l’Afrique, c’est agir sur les enjeux géostratégiques internationaux et les changements en cours. Le temps de l’Afrique est arrivé. Ce siècle doit être le siècle de l’Afrique”[25].
[1] Message Royal aux participants au Forum Crans Montana à Dakhla;13 mars 2015.
[2] Discours du Trône, le 30 Juillet 2015.
[3] Message Royal au Forum Crans Montana, Dakhla 13- mars-2015.
[4] Pierre Afouda Adimi; Nouvelle offensive diplomatique du Maroc en Afrique subsaharienne: quel regard? – Paix et Sécurité Internationale N°3-Janvier-Décembre 2015-p109.
[5] El Houdaigui, R., La politique étrangère de Mohammed VI ou la renaissance d’une « puissance relationnelle », une décennie de réformes au Maroc, éd. Karthala, 2010, Paris. p. 9.
[6]Cité dans El Houdaigui, R., La politique étrangère sous le règne de Hassan II; op cit., p.137.
[7] La CEN-SAD a été créée le 4 Février 1998 à la suite de la Conférence des chefs d’Etats tenue à Tripoli (Libye). Elle a été reconnue comme l’une des communautés économiques régionales au cours de la 36ème session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etats et de gouvernement de l’OUA qui s’est tenue du 4 au 7 juillet 2000 à Lomé au Togo. En vertu de la résolution N°A/RES/56/92, la CEN-SAD a obtenu le statut d’observateur à l’Assemblée Générale de l’ONU. Depuis lors, elle a conclu des accords de partenariat avec plusieurs organisations régionales et internationales pour consolider la coopération collective dans de nombreux domaines (politique, économique, culturel et social).
[8] Message adressé par le Roi Mohammed VI à la session extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEN-SAD (13 avril 2019) à N’Djamena(Tchad).
[9] Processus lancé lors du 25ème Sommet de l’Union Africaine en juin 2015, la Zone de libre-échange continentale africaine vise à établir un marché unique à l’échelle du continent africain pour les biens et les services, incluant la libre-circulation des personnes et des capitaux. La signature de l’accord officialisant la création de la ZLECA par 44 pays africains a été faite le 21 mars 2018 à Kigali.
Cet accord est une étape cruciale vers l’intégration des économies des pays africains, la stimulation du commerce intra-africain et la réalisation d’un développement durable sur le continent, en accord avec l’Agenda 2063 de l’UA et les objectifs mondiaux de développement durable.
[10] Sami EL KHAYAT; les enjeux de la politique africaine du Maroc; Revue Espace Géographique et Société Marocaine N°15-2016; Spécial: Développement Territorial au Maroc: Enjeux, stratégies et Acteurs- p65.
[11] Sami EL KHAYAT; les enjeux de la politique africaine du Maroc; Revue Espace Géographique et Société Marocaine N°15-2016; Spécial: Développement Territorial au Maroc: Enjeux, stratégies et Acteurs- p65.
[12] Bulletin Officiel N° 6372 du 25 juin 2015.
[13] هاني عبد الكريم ؛مجلة دعوة الحق 427 مارس 2019
[14] Voir à ce sujet Souley Mahamadou Laouali et Jean-Baptiste Meyer: Le Maroc, pays d’accueil d’étudiants étrangers – Hommes & Migrations – Revue française de référence sur les dynamiques migratoires 1300 /2012- p. 114-123.
[15] C’est ainsi que le Maroc a conclu des Protocoles d’Accord de Coopération dans le domaine de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche scientifique avec la Guinée (2 mai 2002); Djibouti (19 mai 2000); Gabon (8 juin 2000); Côte d’Ivoire (13 mars 2004); Niger (26 mars 2004).
[16] Le Maroc en Afrique-La Voie Royale; Institut Amadeus; 2015;p 46.
[17] Depuis 2003, on a compté en Afrique 12 coups d’Etat militaire : Centrafrique (2003), Guinée Bissau (2003), Mauritanie (2005), Togo (2005), Mauritanie (2008), Guinée (2008), Madagascar (2009), Niger (2010), Mali (2012), Guinée Bissau (2012), Centrafrique (2013), Egypte (2013). L’Afrique postindépendances a connu plus de 80 coups d’Etats. Le Nigeria, a ainsi connu huit coups d’Etat entre 1966 et 1993; le Ghana a connu 5 coups d’Etat en 15 ans. autant que les Comores et le Burundi. Le Burkina-Faso a connu 4 coups d’Etats, entre 1980 et 1987, le Niger (4) ou encore la Guinée Bissau (4 également).
[18] Le Maroc en Afrique-La Voie Royale; Institut Amadeus; op cit
[19] Message Royal au Forum Crans Montana à Dakhla du 13 mars 2015.
[20] Cour Internationale de Justice, Recueils, 1986, p. 566 et suiv.
[21] Pour plus de détails, Voir Conclusions et recommandations du rapport du CNDH : « Etrangers et droits de l’Homme au Maroc: pour une politique d’asile et d’immigration radicalement nouvelle » ; septembre 2013.
[22] Conférence intergouvernementale chargée d’adopter le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières – Marrakech (Maroc), 10 et 11 décembre 2018 ; Assemblée Générale de l’ONU; Document Final de la Conférence.
[23] La migration africaine, Institut Royal des Etudes Stratégiques (IRES), Décembre 2018, p173.
[24] Rapport IRES, op cit.
[25] Message Royal aux participants au Forum Crans Montana à Dakhla 18 mars 2019 sous le thème «bâtir une Afrique puissante et moderne au service de sa jeunesse».