Introduction
Le secteur maritime représente un poids important pour l’économie et constitue l’un des piliers fondamentaux de la stratégie de développement socio-économique de notre pays. Il constitue pour le Royaume un enjeu majeur et un vecteur essentiel de son commerce extérieur qui se réalise à plus de 95% par voie maritime[1]. Ainsi, aucune expédition commerciale maritime ne pourra avoir lieu qu’en présence du navire[2], l’outil principal de la navigation maritime. Entant qu’un bien engendrant le crédit et les revenus, le navire est considéré comme un gage principal des créanciers maritimes. Dès lors, il suffit donc pour un navire que de prendre le large pour échapper à ses créanciers qui peuvent demander à saisir les navires de leurs débiteurs dans les ports pour les contraindre à leur payer les créances dues. Il existe deux types de saisie en droit maritime :
- La saisie conservatoire des navires « Arrest of Ships » pour les anglais et les américains[3], ou « la mise à la chaine » pour les belges, objet de notre recherche, constitue une mesure conservatoire qui a pour rôle d’éviter la disparition du gage « le navire » ;
- La saisie exécution « Attachement[4] », est une mesure grave puisqu’elle débouche sur la vente du navire et donc prive l’armateur de son droit de propriété.
Alors que la saisie conservatoire des navires est une procédure courante, la saisie-exécution est rarissime comme en témoigne le doyen Rodière. R en affirmant que « la saisie conservatoire du navire est aussi fréquente et banale que la saisie exécution de navire est rare »[5]. Or très souvent, l’immobilisation suite à la saisie conservatoire est préférable à la vente dans la mesure où le navire est fait pour naviguer[6].
Par ailleurs, le régime juridique de la saisie conservatoire des navires tire sa substance d’une pluralité de sources du droit. Ainsi, les règles de fond étant posées par la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 sur la saisie conservatoire des navires et les dispositions spécifiques de la loi maritime interne, les règles de procédure sont fixées par le droit commun des procédures civiles d’exécution (C.P.C) à titre complémentaire et subsidiaire. Au Maroc, la saisie conservatoire des navires est régie, principalement par le dahir du 28 Joumada II 1337 (31 mars 1919) formant code de commerce maritime. Lequel texte a été modifié et complété par le Dahir n° 1-16-47 du 27 avril 2016. Les dits dahirs n’ont réservé qu’un seul article sur la saisie conservatoire du navire (article 110).
L’exercice de ce droit a des conséquences dramatiques aussi bien sur le plan économique que social. Cette institution prisée en droit maritime, entraîne l’immobilisation du navire, ce qui coûte très cher du fait que « Le navire au port est un centre de coût, et à la mer un centre de recettes ». Elle engendre par conséquent « un mal pour l’armateur puisque son navire n’est pas rémunéré quand il est bloqué, un mal pour l’affréteur qui ne peut utilement l’exploiter, un mal pour la cargaison qui est prise en otage, un mal pour le port qui n’assure pas la rapide rotation des bâtiments qui y font escale et un mal pour les marins qui peuvent perdre leurs emplois »[7]. Aussi, si l’immobilisation du navire à quai, constitue des pertes financières importantes à l’armateur lequel est privé en plus des bénéfices d’exploitation de son navire, coûte-t-elle encore plus aux autorités portuaires qui se trouvent devant des problèmes de sécurité du port et de son fonctionnement.
Selon le droit en application, la saisie conservatoire n’équivaut pas toujours immobilisation du navire. La question centrale qui se pose donc est « Quand est ce que la saisie conservatoire entraîne l’immobilisation du navire ? ».
Afin de répondre à cette question, cet article traite la consécration du principe de l’immobilisation du navire suite à une saisie conservatoire en recours au droit international lorsque les conditions de son application sont réunies (I) ou au droit marocain le cas échéant (II).
I- La consécration totale de l’immobilisation en droit international
Selon l’auteur Français Jean-Pierre BEURIER, dans son traité « Droits Maritimes », l’effet majeur recherché au cours d’une procédure de saisie conservatoire de navire, c’est d’obtenir son immobilisation en empêchant son départ du port. A cet effet, la saisie conservatoire du navire est d’une très grande importance dans la mesure où le créancier s’expose à voir disparaître son seul véritable gage si le navire quitte le port.
Quelle signification de la saisie conservatoire en droit international ? Quelle position de la jurisprudence marocaine lorsque les conditions d’application de la convention sont réunies ?
I-1- Effet de la saisie conservatoire en droit international
Au niveau international, c’est la Convention de Bruxelles de 1952 qui s’applique dans tous les Etats signataires. Le Royaume du Maroc a procédé au dépôt du procès-verbal de son adhésion à la convention de Bruxelles de 1952 en date du 11 juillet 1990, l’a ratifiée au titre du Dahir n° 1-90-153 du 24 novembre 2000 et l’a publiée en 2001 (BO n° 4878 du premier Mars 2001). Son entrée en vigueur est le 11 janvier 1991, soit 6 mois après dépôt des instruments d’adhésion selon les termes de la convention de 1952. Ainsi, au terme du paragraphe 1er de l’article 8 de la convention, le champ d’application de celle-ci s’étend à « tout État contractant, à tout navire battant pavillon d’un État contractant ». A ce titre, lorsque la saisie est pratiquée au Maroc (État contractant) sur un navire battant pavillon d’un État contractant, la convention est donc applicable.
L’immobilisation du navire est un droit garanti au créancier par la convention de Bruxelles de 1952 qui stipule dans son premier article que : « la “Saisie” signifie l’immobilisation d’un navire avec l’autorisation de l’autorité judiciaire compétente pour garantir une créance maritime. Le texte de la convention en version anglaise est plus clair dans le sens où il met en exergue des concepts plus affirmés : la détention ou l’immobilisation du navire « Arrest means the detention of a ship by judicial process to secure a maritime claim».
La convention de 1999 a aussi adopté le même raisonnement quant à l’immobilisation du navire en disposant que par « saisie », il faut entendre toute immobilisation ou restriction au départ d’un navire en vertu d’une décision judiciaire pour garantir une créance maritime ».
I-2 : Alignement de la jurisprudence marocaine
La doctrine marocaine [8] ainsi que la jurisprudence soutiennent les prescriptions de la convention de Bruxelles de 1952, sur l’application de l’immobilisation du navire en cas d’autorisation de la saisie conservatoire par un juge. A ce propos, l’arrêt n°1430/2002/4 de la Cour d’appel commerciale de Casablanca relatif au navire “SIJILMASSA 2” retient que « la saisie conservatoire du navire engendre l’immobilisation du navire au port ; ce qui est diffèrent de la nature générale de la saisie prévue par l’article 452 et suivant du code de procédure civile»[9]. Cette cour ajoute « Vu que la nature spéciale de la saisie conservatoire en matière maritime et ses effets importants, à savoir l’immobilisation du navire au port ». Cette position a été confirmée par la cour dans son arrêt du 28/01/2002 relatif au dossier n°4/2001/2784.
Cette même perspective a été adoptée par les tribunaux marocains. En effet, lorsque la juridiction commerciale puise le fondement de sa décision sur la convention internationale de 1952, elle ordonne la saisie avec immobilisation du navire. Le tableau suivant mentionne quelques ordonnances dans ce sens.
n° du dossier[10] | date | Tribunal | n° de l’ordonnance | droit de la 1ère partie | droit de la 2ème partie |
20154/4/25023 | 19/10/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/25023 | MAROC | |
2015/4/24832 | 16/10/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/24832 | CHYPRE | ETRANGER |
2015/4/13984 | 29/05/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/13984 | MAROC | ETRANGER |
2015/4/12949 | 20/05/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/12949 | MAROC | ETRANGER |
2015/4/12794 | 19/05/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/12794 | PORTUGAL | ETRANGER |
2015/4/8839 | 06/04/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/8839 | MAROC | ETRANGER |
2015/4/7224 | 23/03/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/7224 | MAROC | ETRAGNGER |
2015/4/5823 | 09/03/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/5823 | MAROC | ETRANGER |
2015/4/4936 | 26/02/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/4936 | MAROC | ETRANGER |
2015/4/3987 | 17/02/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/3987 | BELGIQUE/ ALLEMAGNE | ETRAGNGER |
2015/4/1616 | 21/01/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/1616 | MAROC | ETRANGER |
2015/4/1308 | 16/01/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/1308 | SENGHAFOUR | ETRANGER |
2015/4/1187 | 15/01/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/1187 | NIGER | ETRANGER |
2015/4/1186 | 15/01/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/1186 | KAMERON | ETRANGER |
2015/4/1078 | 15/01/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/1087 | MAROC | ETRANGER |
2015/4/534 | 08/01/2015 | T.C. de Casablanca | 2015/534 | HOLLAND | ETRANGER |
2000/4/6923 | 13/04/2000 | T.C. de Casablanca | 2015/6923 | ETRANGER | COUBA |
99/4580/1 | 17/09/1999 | T.C. de RABAT | 4465 | MAROC | ETRANGER |
10/2618 | 02/11/2010 | T.C. d’Agadir | PANAMA | LIBIRIA | |
2045/2014 | 24/07/2014 | T.C. d’Agadir | 2045/2014 | MAROC | MAROC |
2272/12 bis | 16/08/2012 | T.C. d’Agadir | 2272/12 bis | MAROC | |
2465/2011 | 27/09/2011 | T.C. d’Agadir | 2465/2011 | PANAMA |
T.C. : Tribunal de commerce
De même, la jurisprudence étrangère est unanime quant à l’application du principe de l’immobilisation suite à la saisie conservatoire du navire. A titre indicatif, le tribunal de première instance en Grèce a statué que « Single Membre First Instance Court of Ornithose 23/1977[11] « la notion de saisie vaut séquestration et qu’un navire immobilisé vaut un bien mis sous séquestre puisqu’ils ont les mêmes effets ».
Mais, malgré son intérêt, la convention internationale de Bruxelles de 1952 n’est ni suffisante, ni exclusive. En effet, force est d’admettre que la procédure relève de la loi du juge saisi d’une part, et que la Convention de Bruxelles laisse parfois resurgir la compétence des législations nationales, soit parce qu’aucun des intérêts concernés par la saisie ne relève d’un Etat contractant, soit parce que l’un d’entre eux relève d’un Etat qui n’a pas ratifié la Convention d’autre part. La Convention de Bruxelles prévoit aussi des cas d’exclusion de son application lorsque la saisie est dénuée d’élément d’extranéité ou non-résidence du créancier dans un État contractant ou des impératifs de sécurité et d’ordre public[12].
II- La consécration partielle de l’immobilisation par le droit interne
Au Maroc, la saisie conservatoire du navire est une procédure d’une grande efficacité du fait de sa simplicité dans le recours (allégation d’une créance) et la rapidité de sa procédure (ordonnances en urgence du juge). A cet effet, il n’est pas étonnant qu’elle soit d’un usage très fréquent. Néanmoins, une partie de la doctrine marocaine considère que la saisie conservatoire du navire ne peut être ordonnée qu’en vertu d’une créance certaine et fondée eu égard aux effets notoires, en l’occurrence la saisie et l’immobilisation du navire[13].
A ce titre, est ce que la saisie conservatoire du navire engendre systématiquement son immobilisation en droit interne ?
II-1- Quasi-unanimité de la jurisprudence marocaine
La saisie conservatoire n’a pas été définie par le dahir formant Code de Commerce Maritime du 31 mars 1919. Mais, il s’est limité seulement à préciser sa procédure dans son article 110. Le DCCM de 1919 ne mentionne pas expressément l’immobilisation du navire dans cet article unique qui énonce que « la saisie conservatoire d’un bâtiment peut être effectuée à toute époque, en vertu soit d’un titre exécutoire, soit d’une autorisation du juge compétent ». Par contre, le projet de code de commerce maritime version 2007, d’ailleurs abandonné, l’a défini par les termes suivants : « Par « saisie » il faut entendre toute immobilisation ou restriction au départ d’un navire en vertu d’une décision judiciaire pour garantir une créance maritime, mais non la saisie d’un navire pour l’exécution d’un jugement ou d’un autre instrument exécutoire ». Cette version s’aligne sur la définition de la convention internationale de Bruxelles le 10 mai 1952 et celle de 1999.
Néanmoins, la jurisprudence marocaine n’est pas unanime à la mise à la chaine du navire une fois saisie à titre conservatoire. A part le tribunal de première instance d’Agadir, les autres juridictions marocaines adoptent ce principe.
Dans cette perspective, le commentaire d’arrêt de la cour de cassation n°1957 du 16/12/2009 dossier 35/3/1/2008 et n°158 du 28/01/2010 dossier 205/3/1/2009 englobe que « la saisie conservatoire du navire consiste en l’immobilisation du navire et l’empêcher à quitter le port suite à l’ordre judiciaire compétent. Ainsi la signification de la saisie conservatoire du navire correspond à son immobilisation et ne correspond pas à une action procédurale supplémentaire. Le droit marocain adopte la terminologie de saisie conservatoire avec immobilisation du navire».
A ce titre, les tribunaux de commerce du Maroc ordonnent la saisie conservatoire avec immobilisation du navire aussi bien en fondant leur décision sur la convention de Bruxelles que sur l’article 110 du code de commerce maritime de 1919 seulement. L’immobilisation du navire est, de ce fait, automatique à sa saisie conservatoire même en se basant uniquement sur le droit interne, comme en témoigne les ordonnances explicitées dans le tableau suivant :
n° du dossier [14] | date | Tribunal | n° de l’ordonnance | droit de la 1ère partie | droit de la 2ème partie |
2015/4/3111 | 06/02/2015 | Tribunal de commerce de Casablanca | 2015/3111 | MAROC | ETRANEGR |
2015/4/2060 | 26/01/2015 | Tribunal de commerce de Casablanca | 2015/2060 | MAROC | MAROC |
2015/4/651 | 09/01/2015 | Tribunal de commerce de Casablanca | 2015/651 | MAROC | MAROC |
2015/4/465 | 07/01/2015 | Tribunal de commerce de Casablanca | 2015/465 | MAROC | MAROC |
Par contre, le tribunal de commerce d’Agadir a accordé des saisies conservatoires sans immobilisation des navires. Pour statuer ainsi, ce tribunal se base sur l’article 110 du code de commerce maritime de 1919 et sur l’article 452 du code de procédure civile. Il prononce son jugement en ces termes : « La saisie conservatoire est ordonnée lorsque la créance est présumée. Elle a pour effet de mettre sous-main de justice les biens sur lesquels elle porte et d’empêcher le débiteur d’en disposer au préjudice de son créancier ; sans déposséder le débiteur de son bien saisi. Attendu que la présomption de la créance objet du litige est apparente à travers les pièces produites, nous ordonnons la saisie conservatoire sans immobilisation du navire « …. » sous la responsabilité du demandeur ». Le tableau ci-après englobe certains exemples de ces ordonnances.
n° du dossier [15] | date | n° de l’ordonnance | Droit de la 1ére partie | Droit de la 2ème partie |
1000/2014 | 17/04/2014 | 1000/2014 | MAROC | – |
1182/2014 | 08/05/2012 | 1182/2014 | MAROC | MAROC |
1443/2015 | 26/05/2015 | 1443/2015 | MAROC | MAROC |
2274/12 bis | 16/08/2012 | 2274/12 bis | MAROC | – |
1378/14 | 23/05/2014 | 1378/2014 | MAROC | MAROC |
2618/10 | 02/11/2010 | 2618/2010 | ETRANGER | ETRANGER |
2928/12 | 01/11/2012 | 2928/2012 | MAROC | MAROC |
Toutefois, la plupart des décisions consacrant la non immobilisation du navire ont été cassées sur cet élément, notamment si la cour de recours met en jeu la convention de Bruxelles de 1952. A titre illustratif, un arrêt de la Cour d’appel de commerce de Marrakech n° 110 du 27/01/2011 a réformé l’ordonnance du président du tribunal commercial d’Agadir qui a ordonné une saisie conservatoire du navire sans immobilisation en se basant sur l’article 110 du dahir de commerce maritime et l’article 452 du code de procédure civile. La cour a précisé dans son arrêt que la saisie conservatoire n’est efficace que si elle est accompagnée de l’immobilisation du navire dans le cas où la créance objet de la saisie est maritime conformément aux stipulations de la convention de Bruxelles de 1952. Cet arrêt fait référence à un autre arrêt de la même cour n°549 du 08/05/2007 relatif au dossier n°326/2/07, qui a adopté la même position. La cour ajoute que le fait de ne pas empêcher ce navire de prendre voile, surtout qu’il est étranger, est de nature à vider la saisie conservatoire de sa substance et corollairement la perte de la garantie décidée par le tribunal au profit du créancier.
II-2- Immobilisation légalement conditionnée
Dans la même lignée, la nouvelle loi n° 46-12 modifiant et complétant le dahir du 31 mars 1919 formant code de commerce maritime n’a pas non plus défini la saisie conservatoire. Cette nouvelle loi édicte que « la décision de saisie conservatoire doit expressément prévoir l’immobilisation ou non du navire. Lorsque la décision prévoit l’immobilisation du navire, celui-ci est immobilisé dans le port où il se trouve »[16]. A l’inverse, la convention internationale de Bruxelles le 10 mai 1952 a adopté clairement l’immobilisation du navire suite à la saisie conservatoire.
Bien que le Maroc ait ratifié la convention de 1952, la loi maritime interne, même celle nouvellement modifiée et complétée, englobe des dispositions qui ne révèrent pas les dispositions de la convention internationale. Cette attitude peut être relevée à deux niveaux. Dans ce sens, la nouvelle loi n° 46-12 modifiant et complétant l’annexe I du Dahir du 31 Mars 1919 formant code de commerce maritime a apporté une innovation de taille dont l’objectif est de protéger l’armateur saisi et de sauvegarder nos ports de tous genres de préjudices et de dommages que peuvent engendrer ladite saisie. Cette innovation peut être déclinée à double titre mais de façon contradictoire.
D’un côté, le législateur a confirmé que la saisie conservatoire immobilise le navire : « La saisie conservatoire immobilise le navire dans le port où il se trouve ». A cet égard, la nouvelle loi n°46-12 a comblé la lacune du Dahir du 31 Mars 1919 formant code de commerce maritime en se rapprochant des tendances internationales consacrant que la saisie est toute immobilisation ou restriction au départ d’un navire.
Néanmoins, de l’autre côté, cette loi accorde l’opportunité que cette saisie ne soit pas accompagnée de l’immobilisation du navire « La décision de saisie conservatoire doit expressément prévoir l’immobilisation ou non du navire. ». Ce pouvoir discrétionnaire attribué au juge lui permet d’ordonner trois possibilités :
- L’autorisation de la saisie conservatoire avec immobilisation du navire ; ce qui rend notre législation en conformité avec le droit international en l’occurrence la convention internationale de Bruxelles de 1952 ratifiée par le Maroc ;
- L’autorisation de la saisie conservatoire sans immobilisation du navire ; ce qui n’est pas en conformité avec le droit international et vide cette mesure de son objet principal qui est la paralysie de l’outil essentiel de l’entreprise d’armement. Le créancier s’expose donc à voir disparaître son seul véritable gage puisque le navire peut quitter le port.
- Le refus d’autorisation suite à l’incompétence du juge ou l’absence de fondement de la saisie en matière de conditions liées à la créance, au navire, créancier ou au débiteur.
Par conséquent, les demandes de saisie conservatoire de navire où il y a l’absence d’un élément d’extranéité ou le navire battant pavillon d’un Etat non contractant, autrement dit, celles qui font appel à l’application de la loi interne, le débiteur sera favorisé du fait qu’il pourra être condamné par une saisie conservatoire sans immobilisation du navire. A cet effet, en disposant toujours de son outil de production en activité, le débiteur n’est plus contraint à honorer ses engagements. Ainsi, le créancier ne trouve plus d’intérêt à demander une telle saisie lorsqu’il s’agit de situation où notre loi interne sera appliquée.
En plus, l’application de cette dérogation n’est ni subordonnée à aucun critère ni renvoyée à un texte d’application sauf que cette nouvelle loi interdit formellement l’immobilisation du navire dans le cas où la saisie conservatoire se rapporte à moins de la moitié des parts du navire en copropriété. Elle dispose que « Lorsque la saisie conservatoire concerne une ou plusieurs parts dans la copropriété du navire représentant moins de la moitié de la valeur totale dudit navire, cette saisie conservatoire ne doit pas entraîner l’immobilisation du navire ».
Ce pouvoir très étendu octroyé au juge pourrait susciter plusieurs réclamations de la part de la scène internationale ; Ce qui nécessiterait du Maroc, selon certains praticiens, de requalifier la notion de saisie conservatoire des navires, mais avant de le faire, il devra se retirer de la convention de Bruxelles de 1952 qu’il a ratifiée. Toutefois, cette position est, à mon sens, incorrecte dans la mesure où la convention prévoit la possibilité que des dispositions du droit interne des Etats soient différentes. A titre illustratif, l’article 8-2 de la Convention énonce qu’un navire ne battant pas pavillon d’un Etat contractant peut être saisi dans un Etat contractant soit en vertu de l’une des créances énumérées à l’article 1er de son texte (créances maritimes), soit en vertu de toute autre créance permettant la saisie d’après la loi de cet Etat[17]. Ainsi, pour un tel navire, une saisie conservatoire peut néanmoins être faite dans un Etat partie disposant de spécificités en termes d’obligations. A ce titre, la saisie d’un navire d’un Etat non contractant est soumise à la loi du for, il existe le risque de favoriser les navires des Etats non contractants, surtout les navires affrétés, saisissables sous le régime de la convention mais qui ne le sont pas sous de nombreux régimes nationaux[18] pareillement pour la saisie conservatoire sans immobilisation en droit marocain.
À l’inverse, le législateur français est ferme quant à l’application de l’immobilisation du navire comme conséquence de l’autorisation de la saisie conservatoire. En effet, le navire qui fait l’objet d’une saisie ne peut quitter le port”(C. transports, art. L. 5114-21). “La saisie conservatoire empêche le départ du navire. Elle ne porte aucune atteinte aux droits du propriétaire”(D. n° 67-967, 27 oct. 1967, art. 30). Tant que la mainlevée n’a pas été accordée au débiteur saisi, l’effet principal de la saisie conservatoire du navire est donc son immobilisation physique et juridique au port dans lequel il est amarré. L’immobilisation du navire n’est en principe que passagère et n’a normalement pas vocation à déboucher sur la vente du navire (saisie exécution).
La même voie est adoptée par les pays de la Common Law. En droit maritime britannique, la saisie des navires est gouvernée par les règles édictées par « the Supreme Court Act 1981, section 20 » sur la procédure à suivre pour saisir un navire selon l’action in-rem empruntée par l’institution anglo-saxonne. Elle dispose que « après l’obtention de l’autorisation de saisie, le navire va être automatiquement placé sous la conservation et la détention de l’officier (H.M.) qui est un officier de douanes »[19]. Donc, après l’obtention de l’autorisation de saisir le navire, l’agent de la Cour spécialisée dans les affaires maritimes « Admiralty Marshall » notifie[20] à l’officier du HM Customs & Excise qui est un officier de l’administration des douanes en Grande Bretagne pour la saisie du navire. Ce dernier se place directement sous la conservation et la détention de l’officier H&M.
De même pour le droit maritime américain, il précise selon les règles fédérales des procédures civiles que « c’est l’agent de la cour «The Marshal » qui procède à la saisie du navire par l’établissement d’une note à bord du navire, à titre d’information que le navire est tombé sous saisie conservatoire, et c’est aussi le US Marshal qui assure la garde du navire »[21]. En effet, une fois le demandeur saisissant obtient l’autorisation de saisie, l’US Marshal, un agent de la Cour, est chargé de l’exécution du mandat d’arrêt[22]. La procédure à poursuivre devant le Bureau des Marshals varie d’un état fédéré à un autre. A titre illustratif, the U.S. Marshals’ office in the Western District of Washington D.C., exige du saisissant d’accompagner l’autorisation de saisie d’un formulaire (USM Form 285) identifiant le navire, le port ou le navire va arriver, des copies de l’autorisation de saisie ainsi que les frais de l’exécution de ladite saisie par le US Marshal[23].
On conclut que la plupart des législations adopte l’empêchement du départ du navire en tant que principal effet résultant de la saisie conservatoire. Dès lors aussi longtemps qu’elle est en place, le navire ne doit pas prendre voile. En contre biais, les autorités portuaires engagent leurs responsabilités, lorsque le navire saisi arrive à quitter le port.
Si l’ancien code maritime marocain de 1919 est muet à ce niveau, la nouvelle loi n° 46-12 modifiant et complétant l’annexe I du Dahir du 31 Mars 1919 formant code de commerce maritime est bien et bel explicite. En effet, elle précise que parmi les prérogatives étendues de l’administration compétente pour immobiliser le navire est le retrait des papiers de bord du capitaine. Cette diligence est claire selon les termes de son article 110 « Sur la base de la notification de la décision judiciaire de saisie conservatoire prévoyant l’immobilisation du navire, l’administration compétente du lieu où se trouve ledit navire prend les mesures nécessaires pour en empêcher l’appareillage y compris le retrait des papiers de bord de celui-ci ».
En revanche, la jurisprudence française a rejeté la demande de remise à un séquestre des papiers du navire, le capitaine ne pouvant se dessaisir de ceux-ci qui, réglementairement, doivent rester à bord[24]. A cet effet, la jurisprudence comparée a rejeté cette option en la qualifiant d’abus d’autorité.
Conclusion
La saisie conservatoire est certainement un droit reconnu aux créanciers caractérisée par la simplicité de sa procédure et la légèreté des conditions de sa mise en œuvre. A cet effet, elle doit être utilisée avec modération car les effets juridiques qui en découlent, ont des répercussions majeures sur le navire, sur le port, sur les marins, sur l’environnement, sur la chaine logistique et sur l’économie nationale et internationale. Cette mesure reste tout de même incompatible avec la volonté de booster le secteur maritime et l’activité portuaire au Maroc, qui se veut compétitive, dynamique et innovante grâce aux ports nouveaux créés (Tanger MED, Nador West MED et Dakhla Atlantique…).
Afin d’éviter ce genre de conséquences et de faire face aux recours fréquents à la saisie conservatoire des navires, tout en assurant aux créanciers la garantie de leurs droits, la nouvelle loi obtempère la question de l’immobilisation du navire au port suite à une saisie conservatoire. Le droit interne en matière de saisie soustrait en partie au régime juridique international unifié par les conventions internationales (principalement la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 et la Convention de Genève du 12 mars 1999 qui n’est pas encore ratifiée par le Maroc). Elle permet la rupture de l’automaticité de l’immobilisation à la saisie conservatoire du navire, soit de manière explicite si les parts n’excédant pas la moitié de la propriété du navire en copropriété, soit à la discrétion du juge dans les autres cas.
[1] Association des Corps des officiers de Port au Maroc , Communiqués de presse sur le transport Maritime Marocain, disponible sur www.ACOPM.ma
[2] REMOND (M.), ROHART (J.S) , Rapport des travaux de la 1er commission , Colloque de Bordeaux sur « l’immobilisation Forcée », Octobre 1988, p.44 ;
[3] FRCP, Federal rules of civil procedure – Rule C – USA;
[4] The supplemental Rules for Admiralty or Maritime Claims and Asset Forfeiture Action « Rule B »;
[5] RODIERE (R.), Droit maritime : le navire, édit. Dalloz 1980, p. 231 (cette rareté, a-t-il ajouté, lui a été attestée par les meilleurs praticiens du droit maritime qui, à côté de dizaines de saisies conservatoires, ont en toute leur carrière procédé à une saisie-exécution.) ;
[6] TASSEL (Y.), Navire et bateaux : mesures conservatoires, Juris-Classeur Voies d’exécution, 1995, p.4 ;
[7] DU PONTAVICE (E.), SIMON (P.), Colloque« L’Immobilisation Forcée Des Navires » du 20,21 et 22 octobre 1988, p.76 ;
[8] AMEHMOUL (S.), La saisie conservatoire du navire en droit marocain , 2003, p. 102 ;
[9] Cour d’appel de commerce Casablanca, n° d’appel 1351/2002 du 20/05/2002, dossier n°1430/2002/4 en appel du dossier n°2520/2002/1, ordonnance n° du 24/04/2002, navire “SIJILMASSA 2”, publié ;
[10] Dossiers consultés au greffe du tribunal concerné ;
[11] Commercial Law Rêviez, Vol. 28 (1977), p.95 ;
[12] Ces conditions feront l’objet d’un article qui va apparaître incessamment ;
[13] BOUDAHRAIN (A.), Le droit maritime marocain, SICYA, édition 1986, p.67 ;
[14] Dossiers consultés au greffe du tribunal concerné ;
[15] Dossiers consultés au greffe du tribunal concerné ;
[16] Article 110 de loi n° 46-12 modifiant et complétant le dahir du 31 mars 1919 du DCCM ;
[17] : المختار بكور، الوجيز في القانون البحري، بابل للطباعة و النشر و التوزيع، الرباط، 1997، ص 82 و 83.
[18] BONASSIES (P.), SCAPEL (C.), Traité de droit maritime, 2e édition p.409 ;
[19] After the Warrant of Arrest has been issued, the Admiralty Marshall Telephones the relevant officer of H.M Customs & Excise and instructs him To Arrest the ship, once arrested, the ship remains under arrest and in the custody of the Admiralty Marshall;
[20] La notification se fait généralement par appel téléphonique pour assurer la célérité dans l’exécution de la décision ;
[21] Upon receipt of the arrest warrant, the Marshal will arrest the vessel by posting notice of the arrest aboard the vessel and serving a copy of the complaint and arrest warrant on the master or person in charge of the vessel. Once the ship was arrested it remains under custody and guard of the US MARSHAL;
[22] U.S. MARITIME ARREST AND ATTACHMENT LAW Written by TYLER ARNOLD (an attorney-at-law at
GARVEY SCHUBERT BARER;
[23] United States Marshals Services Western District of Washington, Procedures to Arrest a Vessel;
[24] Tribunal de commerce Saint-Nazaire, navire « Piggio ROCCO », 8 sept. 1978 : DMF 1979, p. 487 ;