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Les difficultés juridiques liées à l’opération de chargement du véhicule dans le cadre d’un contrat de transport routier de marchandises

 

Les difficultés juridiques liées à l’opération de chargement du véhicule

dans le cadre d’un contrat de transport routier de marchandises

Najib Ben haddou

Enseignant  chercheur universitaire

en Droit de transport et de la logistique 

:Textes de référence

Convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR) Conclue à Genève le 19mai 1956

-Dahir des obligations et contrats

  -Code de commerce

   -Loi 16/99 relative à la libéralisation du transport routier de marchandises(12 mars 1999)                                                          Arrêté du ministre de l’équipement et du transport n° 1744.03 du 23 septembre 2003 relatif au contrat type de transport routier de marchandises pour compte d’autrui

Le chargement ou empotage de l’engin de transport comprend non seulement la mise des marchandises à l’intérieur du conteneur, sur la remorque, ou au sein de celle-ci lorsqu’il s’agit d’une caisse, mais également leur arrimage, que les praticiens désignent sous le nom de « calage », c’est-à-dire, le fait d’assurer la stabilité des marchandises pendant toute la durée du voyage et répartir la charge sur le véhicule en conséquence du nombre d’essieux[1] de celui-ci.

Un bon arrimage permet également de garantir l’équilibre pour le camion et sa stabilité en cours de route, ainsi que la protection des équipements du véhicule, notamment ceux relatifs au système de  suspension.

En matière maritime l’arrimage des marchandises dans les cales permet la stabilité du navire et de la marchandise. Le mauvais arrimage fait partie des fautes commerciales, qui impliquent la responsabilité du transporteur maritime.

Lorsqu’il s’agit d’empotage de denrées périssables, l’exécution de l’opération requiert une technique spéciale, essentielle à la préservation de la qualité des marchandises. En effet, étant donné que le maintien en froid, des denrées périssables pendant le transport, est assuré par une circulation d’air forcée, l’empotage nécessite un certain espacement entre les palettes et entre les cartons également, afin que l’air puisse circuler de façon homogène dans toute la structure de la caisse de l’engin et aboutir par conséquent à l’ensemble de la cargaison.

A cet effet, un empotage trop compact de la marchandise transportée, engagerait la responsabilité de celui qui l’a effectué (transporteur ou chargeur selon le cas).

De même, l’empotage doit être organisé avec le souci de réduire au maximum les ouvertures de portes afin d’éviter l’intrusion d’air chaud dans la caisse de la remorque, ou dans le conteur.

Ainsi défini, le chargement n’est pas une opération banale comme le laissent entendre d’habitude les professionnels de transport. Les avaries liées au chargement représentent 43 % des dommages enregistrés par les assureurs. La manière d’exécution de cette opération conditionne d’une manière réelle la réussite  de l’opération de transport. Malheureusement, en pratique, l’intérêt des  transporteurs se limite –après négociation du prix de transport- à poser la ?question suivante : Quel est  le délai dans lequel s’effectuera le chargement

Désolé messieurs les transporteurs, d’autres questions méritent également d’être posées, à savoir :

-Sur qui pèse l’obligation de chargement ?

-Qui  assume la responsabilité du non respect des délais de chargement?

-Qui est responsable des dommages causés à autrui par le véhicule au moment où celui-ci se trouve chez l’expéditeur, pour chargement ?

 C’est ce qu’on essayera de développer à travers cet article, en donnant à chacune des questions posées, la réponse prévue par les règles de Droit.

1-Sur qui pèse l’obligation de chargement ? Le transporteur ou l’expéditeur ?

 Les dispositions du code de commerce marocain ne déterminent pas la partie à qui incombe l’obligation de chargement de la marchandise. Aussi, la convention internationale CMR (lorsqu’il s’agit d’un transport international) ne règle pas la question, pas même par renvoi aux lois nationales. Elle prévoit, par contre, que la responsabilité du transporteur sera allégée au cas où le chargement a été effectué par l’expéditeur.

Si la convention des parties ne prévoit rien de sa part, il convient -pour les transports internes- d’appliquer les clauses du contrat type pour le transport de marchandises pour compte d’autrui, qui détermine d’une manière claire la partie à qui incombe l’obligation de chargement (V. Arrêté du ministre de l’équipement et du transport n° 1744.03 du 23 septembre 2003). C’est le transporteur pour tout envoi à inferieur à 3 tonnes[2] ou le chargeur pour tous les envois supérieurs ou égaux à 3 tonnes[3]. Lorsqu’il s’agit d’un transport international, les tribunaux appliquent la loi du pays de l’exécution de l’opération d’empotage ou celle du lieu de conclusion du contrat[4] .

Toutefois, il est à noter que même dans le cas où c’est le chargeur qui a effectué l’opération du chargement, le transporteur est tenu -partant de son obligation de conseil- d’intervenir pour corriger tout signe de mauvais empotage, pouvant affecter la qualité des marchandises objet du transport. Même si elle n’a pas été prévue par les parties, l’obligation de conseil a toujours été prise en considération par la jurisprudence dans certains contrats, dont fait partie le contrat de transport.

Ceci étant dit, il faut tout de même signaler qu’en pratique il est plus fréquent, notamment en matière de denrées périssables, que  c’est le chargeur qui décide  d’empoter lui-même la remorque frigorifique  ou le conteneur Reefer.

Cependant, l’opération d’empotage ainsi que l’arrimage sont effectués par l’expéditeur  sur les indications qui lui sont données par le transporteur. L’expéditeur n’a donc que la responsabilité de l’exécution matérielle de l’opération ; la conception relève du transporteur. L’article 7-2 du contrat type de transport routier de marchandises pour compte d’autrui dispose que lorsqu’il s’agit d’une cargaison égale ou supérieure à 3 tonnes « Le chargement, le calage et l’arrimage de la marchandise sont exécutés par le donneur d’ordre ou par son représentant, sous sa responsabilité.

Le transporteur fournit au donneur d’ordre les indications nécessaires au respect des prescriptions du code de la route en matière de sécurité de la circulation et du poids total autorisé en charge de son véhicule.

Le transporteur vérifie que le chargement, le calage ou l’arrimage ne compromet pas cette sécurité. Dans le cas contraire, il doit demander qu’ils soient refaits dans des conditions satisfaisantes ou refuser la prise en charge des marchandises.

Le transporteur procède, avant le départ, à la reconnaissance extérieure du chargement, du point de vue de la conservation de la marchandise.

En cas de défectuosité apparente de nature à porter atteinte à cette conservation, il formule des réserves motivées inscrites sur le document de transport. Si celles-ci ne sont pas acceptées, il peut refuser la prise en charge des marchandises.

Le transporteur est exonéré de la responsabilité résultant de la perte ou de l’avarie de la marchandise pendant le transport s’il établit que le dommage provient d’une défectuosité apparente pour laquelle il avait émis des réserves visées par le donneur d’ordre ou son représentant ou d’une défectuosité non apparente du chargement »

 

Ceci dicte la répartition des responsabilités, suivant que le dommage aux marchandises dépend du plan conçu ou des indications données par le transporteur, ou de la manière dont ces instructions ont été exécutées. Cependant, cette répartition n’est pas définie seulement par ce point. Il faut également tenir compte du pouvoir et du devoir corrélatif qu’a le transporteur de vérifier le chargement et comme cette vérification ne porte que sur l’aspect extérieur des choses, elle invitera, suivant les cas, à modifier la solution donnée d’abord sur la première considération seule.

2-Le non respect des délais de chargement. Qui en assume la responsabilité ?

La détermination de la partie qui assumera l’obligation d’empotage, implique la réponse à la question  de savoir sur qui s’applique la sanction de non respect des délais de chargement.

Lorsque l’obligation du chargement pèse sur le transporteur, il lui incombe « de prendre, en cas de retard prévu ou prévisible pour le chargement de l’envoi chez l’expéditeur, toute mesure utile pour prévenir le donneur d’ordre ». (Art.10 du contrat type de transport routier de marchandises pour compte d’autrui). Toutefois, la sanction tiendra non pas à un dépassement du délai qu’il devait respecter, mais à un retard dans la livraison et prendra la forme de dommages-intérêts. Le transporteur en sera tenu, à moins que le retard dans le chargement tienne à une faute de l’expéditeur, mais une pareille faute vient précisément atténuer ou parfois supprimer la responsabilité du transporteur.

Restent les cas où l’obligation de charger pesait sur l’expéditeur et où il a dépassé les délais que lui impartissait la convention des parties. Quand la question se pose, il n’y a pas de texte fixant un délai et l’on doit se reporter à la convention des parties. En l’absence de convention sur ce point, peut-on trouver une réponse dans les dispositions du contrat type ? En vertu de ce contrat type, l’article  9 intitulé « Défaillance au chargement, du donneur d’ordre »,  dispose que le donneur d’ordre sera  « responsable, sauf cas de force majeure, de la non remise de l’envoi lors de la mise à sa disposition du véhicule par le transporteur ». Cet article concerne la non remise de la cargaison au transporteur, une fois celui-ci a mis son véhicule à la disposition du donneur d’ordre, et non pas le retard dans le chargement. Il s’agit carrément d’inexistence de marchandises à transporter, causant préjudice  au transporteur par l’inexécution d’une obligation  du donneur d’ordre.

 Il est à souligner que le préjudice causé au transporteur dans cette situation, doit être réparé hors du régime juridique du contrat de transport et sera ainsi régit par les règles du droit commun, puisqu’il n’y a pas encore, jusqu’à ce moment, de contrat de transport. Celui-ci est censé naitre à partir de la prise en charge des marchandises par le transporteur, acte qui n’a pas pu être réalisé, pour défaut des dites marchandises.

Toutefois, il est possible de déduire que le contrat type de transport routier de marchandises pour compte d’autrui prévoit un remède au retard dans le chargement, revenant à l’expéditeur. Il dispose que lorsqu’il est  à l’origine d’un retard au chargement, le donneur d’ordre est  tenu de payer au transporteur les frais dus à ce retard. C’est ce qu’on appelle en matière de transport, les frais d’immobilisation. L’article 14 du C.T. précise que « Les prestations supplémentaires ou accessoires sont rémunérées en sus et font l’objet d’une facturation distincte. Entrent notamment dans le cadre de ces prestations: -………………………………………………………………………….

– les frais d’immobilisation du véhicule; …………………….. »

3-Le statut juridique de l’engin mis à disposition de l’expéditeur ?

La mise à disposition, par le transporteur de son véhicule à la disposition de l’expéditeur, mérite de s’interroger sur le statut juridique de l’engin de transport au moment où il se trouve sur le lieu de chargement chez le donneur d’ordre. C’est à dire qui sera responsable des dommages causés à autrui, par le véhicule au moment où celui-ci se trouve chez l’expéditeur pour chargement. La question se pose sérieusement dans tous les cas où le chargement est le fait de l’expéditeur qui utilise un engin mis à sa disposition par le transporteur.

Le véhicule, une fois mis à la disposition de l’expéditeur, est sous la garde de celui-ci ; il y a transfert de la garde, du propriétaire du véhicule, à l’expéditeur, au sens de l’article 88 du DOC qui dispose que « Chacun doit répondre du dommage causé par les choses qu’il a sous sa garde, lorsqu’il est justifié que ces choses sont la cause directe du dommage….. ». A noter que cet article reproduit les termes de l’article 1384 du code civil français.

Les textes ci-dessus cités ne donnent pas de définition au mot « garde », ce déficit est comblé par la jurisprudence. La cour d’appel de Rabat dans un arrêt du 16-1-1951, précise que « le gardien responsable d’une chose dommageable n’est point l’individu ayant l’obligation directe de la surveiller, mais celui possédant la haute direction de la chose, en même temps que le bénéfice des activités auxquelles elle sert de moyen ». Aussi le tribunal de 1ere instance de Casablanca, dans un jugement du 19-12-1960 avait précisé que « la garde d’une chose est essentiellement caractérisée par l’usage ainsi que par le pouvoir de surveillance et de contrôle sur la chose… ». De sa part, la cour de cassation française, entend par le terme ( garde), «  l’usage, la direction et le contrôle de la chose  au moment où elle fait subir un dommage à autrui »

Ceci étant dit, le propriétaire du véhicule, ici le transporteur, n’a plus la garde dudit véhicule après l’avoir mis à la disposition de l’expéditeur, notamment lorsque c’est ce dernier qui s’occupe lui-même de l’opération du chargement. Il assume donc tout dommage causé par le véhicule mis à sa disposition. Toutefois, le transfert à l’expéditeur parait plus douteux encore dans les transports où le chargement est effectué en présence du transporteur, ou sous ses instructions.

                 

[1] Les camions circulant au Maroc sont équipés de 2 à 3 essieux. Les essieux sont également  d’une grande utilité  pour l’infrastructure routière. Ils permettent d’éviter la dégradation de la chaussée, élément qui constitue, en plus de l’état mécanique de véhicules et de l’élément humain, l’un des facteurs les plus influents en matière d’ accidents de la route.

[2] Article 7-1 du contrat type de transport routier de marchandise pour compte d’autrui.

[3]– Article 7-2 du contrat type de transport routier de marchandise pour compte d’autrui.

[4] -Barthelemy Mercadal. Droit des transport terrestres et aeriens.p.100. Ex : application du contrat type général français  à un transport qui devait s’effectuer de France en Allemagne TGI Nancy 15 Janvier 1987.

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