Les défis d’une «politique de la ville » au Maroc
Siham Hidki
Etudiante chercheur
Le terme « politique de la ville » est éminemment polysémique. La coïncidence des deux termes « politique » et « ville », eux-mêmes investis de multiples significations. En France, cette expression à désigné, jusqu’au années 1980 les politiques sociales en direction des quartiers précarisés. A partir de 1988, la « politique de la ville » s’est transformée en « politique du développement urbain » mais l’action publique est toujours focalisée sur seuls les quartiers dits sensibles. Ce n’est qu’à partir de 1990 que l’on commence à parler de « politique de la ville »avec l’institutionnalisation de cette politique (création d’un ministère de la Ville). Ainsi, à l’évidence, la « politique de la ville »est un terme trempeur, cette politique ne se traduit pas par une intervention sur la ville dans son ensemble mais simplement sur certaines zones qui la construisent. 1
On peut légitimement s’interroger sur l’existence à l’instar de la France d’une politique de la ville au Maroc ?
En dépit de l’ampleur des programmes de réhabilitation en faveur des quartiers précaires, la notion de « politique de la ville» n’a jamais été utilisée au Maroc. Par contre, on peut parler d’une politique urbaine. Ce n’est qu’avec l’avènement la nouvelle constitution et du nouveau gouvernement en 2011, que la politique de la Ville a été récemment introduite dans la réflexion du Ministère de l’Habitat et s’est institutionnalisée par la création d’un Ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Politique de la ville.
Nous essayerons de montrer pourquoi la notion de politique de la ville était inconnue au Maroc jusqu’à nos jours, puis nous présenterons les différentes politiques urbaines, leurs significations ainsi que leurs modalités de mise en œuvre et leurs transformations.
Par la suite nous allons essayer de démontrer quelles en sont les enjeux et les défis et donner enfin quelques solutions.
1 .Jacques de Maillard, la politique de la ville en France/ enjeux de dénomination et conflits dans l’action publique, dans « la nouvelle scène urbaine », éditons KARTHALA, 2011 sous la direction de Pierre Robert BADUEL
L’Etat au centre de la politique de la ville
Au Maroc, depuis le XXe siècle, l’Etat –soutenu par une multitude d’institutions nationales et régionales- est au centre du système de production urbaine. Il est le producteur exclusif des normes, le principal aménageur, le principal lotisseur, le producteur du bâti et le principal fournisseur des services urbains. Ce qui nous amène à définir les différentes interventions de l’Etat.
Les formes d’interventions de l’Etat marocain sur la ville se concrétisent par la distribution des lots, la résorption des grands bidonvilles et la régulation des grands quartiers clandestins :
La distribution des lots
Ce model de l’’Etat lotisseur a été conçu dans un contexte de grandes disponibilités foncières. Pendant le protectorat, la plupart des terrais sur lesquels allaient être réalisé ces villes nouvelles sont la propriété du domaine privé de l’Etat ou des Habous. Les urbanistes peuvent donc opérer sur des espaces de table rase. L’Etat élabore un plan d’aménagement, suivi d’un plan de lotissement : on distribue les lots à des prix très bas. Ce type d’intervention a donné lieu à des parcelles larges, des espaces verts et des places publiques.
De 1957 à 1965 l’Etat marocain va poursuivre la même politique urbaine .Mais c’est à partir de 1973 avec la récupération des terres de colonisation que l’Etat va entreprendre de vastes programmes de lotissements destinés aux couches moyennes et dont l’ampleur va modifier le paysage urbain des villes marocaines. Mais l’Etat ne change pas de politique urbaine. Il continue à élaborer des plans d’aménagement, des plans de lotissement et distribue des lots à des prix symboliques. Ces programmes ont certes contribué à améliorer les conditions d’habitation de nombreux ménages urbains. Mais ils se sont souvent inscrits dans une politique d’extension urbaine à la faveur des opportunités foncières, entrainant une consommation rapide des terrains et extension des périmètres urbains, ce qui a contribué à rallonger artificiellement les périmètres urbains et a aggravé les problèmes de gestion urbaine. Par ailleurs les lots étaient distribues sans aucun critère de revenus. Le plus souvent ce sont des tranches supérieures des classes moyennes (haut fonctionnaires, magistrat, militaires) qui se sont servies les premiers, d’où l’intensité du processus spéculatif qui ont accompagné et marqué ces lotissements.
La résorption des grands bidonvilles
Apparu pendant le protectorat, expression de l’exclusion urbaine et de pauvreté, les bidonvilles n’ont cessé de se développer et de s’étendre. L’Etat décide de lutter contre ce phénomène qui dénature la ville et qui porte atteinte à la morale citadine. Cette lutte a pris deux formes : le recasement et la restructuration.
Le recasement consiste à substituer au bidonville un habitat décent.
La restructuration vise à maintenir les populations là où elles sont, les organiser pour les doter des équipements à admettre l’autoconstruction.
La régulation des grands quartiers clandestins
En luttant contre la prolifération des bidonvilles, l’Etat se voit confronter à un phénomène nouveau, c’est le développement des quartiers clandestins en dur. Habités par des tranches inferieurs des classes moyennes, ces quartiers périphériques ont été la source des mouvements de contestation de 1984. L’Etat n’a pas développé une stratégie globale d’intervention ou de programmes nationaux. Les grandes opérations d’intervention sur ces quartiers clandestins se sont développées localement et ont visé moins à restructurer qu’à équiper et à régulariser ces quartiers. Quelques expériences locales ont réussi à régulariser en faisant recours aux associations. Mais il est difficile de soutenir que l’Etat a suivi une politique cohérente dans ce domaine. Il n’y a pas une vision d’ensemble et les interventions se sont faites cas par cas sous les besoins exprimés par les associations de ces quartiers. Il n’y a pas non plus création d’institutions spécifiques pour accompagner ces opérations de régularisation.
Vers la fin de la décennie 1980, avec l’épuisement des réserves foncières publiques, l’Etat ne peut plus continuer dans les mêmes formes d’intervention sur les villes. Une nouvelle politique va voir le jour, c’est l’ouverture sur le secteur privé dans la politique du logement social d’une part et l’amorce d’un urbanisme dérogatoire d’autre part.
La reconfiguration du rôle de l’Etat
Pour relancer l’investissement dans le secteur immobilier, l’Etat décide alors de s’ouvrir sur le secteur privé pour résoudre la crise du logement. Des mesures d’encouragement du secteur privé à s’impliquer dans le logement social se sont instruites dans le cadre du programme de 200 00 logements.
Les mesures d’encouragement du secteur privé à s’investir dans le logement social concernent trois domaines : le domaine foncier, le domaine financier et le domaine fiscal.
Dans le domaine foncier on a développé une stratégie d’intervention basée sur le programme des zones d’urbanisation nouvelles (ZUN), qui consiste en la réalisation des villes nouvelles à la périphérie des grandes villes.
S’agissant des mesures fiscales, l’Etat s’est engagé à exonérer les opérations de construction de logement à caractère social de la TVA avec droit de déduction. Cette exonération bénéficie aux personnes physiques et morales qui construisent des logements dont la superficie couverte est égale ou inférieur à 100m2 et la valeur immobilière n’excède pas par unité 250 000,00 dirhams.
Le programme de 200 00, logements lancé par feu le Roi Hassan II en 1994 n’a été réalisé que partiellement. L’autre programme lancé en 2001 visant à l’éradication de l’habitat insalubre à l’horizon 2010 baptisé ‘‘Villes sans bidonvilles’’ (VSB) et – qui prend son appui sur les directives royales et gouvernementales, et aussi de la Déclaration du Millénaire des Nations Unies visant l’amélioration des conditions de vie des populations- n’a pas encore atteint son objectif. C’est ainsi qu’afin d’introduire plus de souplesse dans l’instruction des demandes de lotir et de construire des groupes d’habitation, le gouvernement de l’alternance a décidé au début des années 1999, de créer par la circulaire 254 une commission ad hoc chargé d’instruire les dossiers en souffrance. Et ce dans le but de réduire le pouvoir des agences urbains qui sont considéré par de nombreux investisseurs comme responsable de la crise dont souffre le secteur immobilier. Mais cette circulaire a suscité l’opposition des acteurs locaux qui lui reprochant de comporter une incitation explicite à violer les textes juridiques en vigueur. En fait l’argumentaire juridique cache des préoccupations politiques. La circulaire tend à enlever aux acteurs locaux leurs principales ressources : la médiation, la négociation des adaptations et des violations des textes juridiques.2
Les insuffisances de la politique de l’urbanisme au Maroc
Dans ses interventions, peut-on dire que l’Etat poursuit-il réellement une « politique de la ville » ? En fait s’agit de programmes fragmentés. A ce sujet, ces programmes ont été souvent conçus à la suite d’événements majeurs et se sont développés en fonction des opportunités foncières et financières du moment.
C’est une politique qui a été très pauvre en conceptualisation et en construction institutionnelle. Par exemple toutes les cités nouvelles que l’Etat a réalisé entre 1975 et 1990 ont la forme de lotissement. Ces réalisations massives qui ont changé le paysage urbain des grandes villes, n’ont pas modifié la configuration du droit de l’urbanisme marocain. Elles ont été toutes conçues sur la base du dahir de 1952 relatif à l’urbanisme et celui de 1953 relatif aux lotissements c.à.d. à des textes juridiques élaboré à l’époque du protectorat. Le doit d’urbanisme marocain n’a pas suivi l’évolution du droit de l’urbanisme telle qu’elle s’est faite en France depuis 1958 et surtout 1967.
L’élaboration d’un projet de code de l’urbanisme en 2005,- justifiée essentiellement par la nécessité de rectifier les défaillances constatées, aussi bien, au niveau du dispositif juridique qu’au niveau de son application et de le moderniser pour le rendre en phase avec les grands défis lancés à notre pays-, demeure toujours à l’état de projet.
- Abdelghani ABOUHANI, les politiques publiques de la ville au Maroc, dans « la nouvelle scène urbaine », éditons KARTHALA, 2011 sous la direction de Pierre Robert BADUEL
Aussi ces programmes visés par le gouvernement et cités précédemment sont certes ambitieux et louables dans leur philosophie, mais ils n’ont pas était élaboré en tenant compte de tous les paramètres. Par exemple, aucune étude sociologique ou criminologique n’est effectuée pour connaitre le profil des populations des bidonvilles : capacité financière, composition de ménages… ; ni pour étudier l’impact de l’habitat sur l’homme. La promotion immobilière, elle se réduit souvent à une fâcheuse spéculation immobilière. Le chercheur Abderrahmane RACHIK, spécialiste de l’urbanisme casablancais, qualifie l’urbanisme au Maroc comme celui de l’urgence dans la mesure où après chaque grande émeute urbaine dans l’histoire contemporaine du Maroc, les autorités se précipitent pour adopter des mesures d’urgence dans le seul but anti émeute.
Pour concrétiser un projet urbain viable, la nouvelle « politique de la ville » est censée s’intéresser au cadre de vie dans la cité dans sa globalité. Ce qui nous amène à souligner les défis que doit surmonter l’action publique dans la politique de la ville tout en proposant des solutions de l’expérience d’autres Etats pionnier dans ce domaine.
Les défis à relever de l’action de l’Etat dans la politique de la ville
Pour mieux cerner les objectifs, commençant tout d’abord par la définition contemporaine de la « politique de la ville ». La politique de la ville consiste en un ensemble d’actions de l’État visant à revaloriser certains quartiers urbains dits “sensibles” et à réduire les inégalités sociales entre territoires. Elle comprend des mesures législatives et réglementaires dans le domaine de l’action sociale et de l’urbanisme, dans un partenariat avec les collectivités territoriales et leurs partenaires (bailleurs sociaux, milieux économiques, associations…) reposant souvent sur une base contractuelle. Elle est caractérisée par une approche globale des problèmes en ne dissociant pas les volets urbain, économique et social.
Adoption d’une nouvelle définition des problèmes socio-urbains
L’Etat est inviter à adopter une stratégie globale en matière de l’habitat axée sur les besoins des humains et considérer, par conséquent, le droit au logement comme faisant partie des droits humains de base au même titre que le droit à la nourriture, le droit à l’éducation, le droit à la santé…. Ce sont des droits indivisibles et inaliénables qui sont nécessaires à la vie humaine exactement comme l’air que nous respirons. Il est nécessaire pour la réussite de tout programme de prendre en considération les avis des bénéficiaires et d’éviter les solutions bureaucratique par le haut.3
3.Abdeslam Seddiki, le droit au logement et la lutte contre l’habitat insalubre, université Qadi AYAD Marrakech des sciences juridiques, économiques et sociales, revue journées d’études n° 36/2010
Le rôle de l’Etat doit être prioritaire pour assurer une meilleure régulation du marché de l’immobilier et le protéger de la spéculation et prendre en charge les personnes nécessiteuses non éligibles au crédit bancaire et hypothécaire.
L’élargissement de l’accès au crédit pour cibler les couches à faible pouvoir d’achat, la création des fonds de garantie et l’élargissement du champ d’application du microcrédit au financement de l’habitat social, sont tous des objectifs à attendre. C’est ainsi qu’il s’avère nécessaire que les pouvoirs publics réinvestissent l’habitat et encadrent le travail des promoteurs immobiliers, public et privé, pour faire respecter le plan urbain de la ville et se préoccuper un peux mieux du cadre de vie du citoyen et son émancipation.
Dans ces cités dortoirs, sans vie, il ne suffit pas de réduire la présence des pouvoirs public au seul côté sécuritaire ou de construire seulement des mosquées et des cafés. Pour forger la personnalité bien équilibrée d’un citoyen, il faut créer des centres sociaux éducatifs, des bibliothèques de quartier, des maisons de jeunesse et de la culture…etc.4
Institutionnalisation de la politique de la ville
L’Etat doit mette dans son agenda la concrétisation d’acteurs légitimes en créant de nouveaux moyens humains, organisationnels et administratifs. La « politique de la ville » c’est un objet de mise en ouvre de l’action publique. La politique de la ville est souvent présentée comme constituant une nouvelle façon de piloter l’action politique, plus partenariale, plus globale, plus participative. Deux registres retiennent plus particulièrement l’attention : l’usage du projet (comme capacité à agréger des acteurs autour des finalités communes) et le contrat (comme outil permettant l’action commune entre une pluralité d’intervenants publics).
Faire de la politique de la ville une question prioritaire et pas secondaire en lui consacrant le budget et les moyens financiers adéquats et en poursuivant une stratégie commune à toutes les administrations et Ministères associés autour d’un projet commun de la politique de la ville.
Participations des habitants
Renforcer la dynamique de groupe d’intérêt ou de mouvement social, représenté par des associations structurées capables de peser massivement sur l’action publique en matière de politique des banlieues, d’habitat insalubre et clandestins.
Les habitants doivent non seulement constituer le public de l’action, mais ils doivent être associés à sa mise en œuvre. Les habitants ne sont plus considérés comme des cibles mais également comme des partenaires à part entière. La politique de la ville devrait donc signifier une revivification de la démocratie et de la citoyenneté locales.
- Anas TALBI, l’immobilier et l’habitat : quelle politique de la ville, approche criminologique, Université Qadi AYAD Marrakech, faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, revue « journées d’études n° 36/2010 »
Aussi, l’adhésion des autorités locales par des mesures de dissuasion afin de limiter la prolifération des bidonvilles et d’habitat insalubre : plus précisément les logements menaçant de tomber en ruine et qui sont localisés pour l’essentiel dans les anciennes médinas. Il faut reconnaitre que les pouvoirs publics doivent multiplier les efforts pour pallier ce phénomène grave qui s’amplifie de plus en plus.
La reforme des textes juridiques et le renforcement de la protection citoyen
La reforme du système de l’immatriculation foncière, la réforme du code de l’urbanisme, la refonte du règlement relatif à l’habitat social en l’adoptant aux spécificités régionales. La lutte contre la spéculation immobilière à travers une panoplie de mesures législatives et réglementaires protégeant les populations vulnérables. La sensibilisation de la population particulièrement qui travaille dans le secteur informel aux avantages de produit FOGARIM et le recours au microcrédit.
Encouragement de la recherche scientifique dans ce domaine
Valoriser les études et les recherches relatives à l’urbanisme pour accompagner l’action de l’Etat à élaborer une politique globale et dans le but de cerner la crise urbaine, exemple : le rôle de l’urbanisme dans la prévention de la délinquance, la sécurisation de l’habitat par la redistribution des espaces publics et privés, la réhabilitation par des nouvelles formes de contrôle impliquant l’habitant, l’intégration de la politique du développement durable dans l’action de l’Etat en impliquant l’habitant, les entreprises et les collectivités locales…etc.
Conclusion
La politique de la ville a pour objectif de favoriser la vie de l’habitant de la cité dans le sens d’une meilleure symbiose avec son environnement urbain. Mais « la ville est aujourd’hui malade, la société aussi et il semble qu’elles souffrent d’une même maladie » 5. C’est ainsi qu’un des chantiers ouverts par l’actuel gouvernement concerne la Politique de la Ville, qui apparait pour la première fois dans la déclaration gouvernementale et qui a été consacrée comme une mission stratégique du Ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Politique de la Ville. Le Ministère multiplie les rencontres de concertation s’inscrivant dans le cadre du dialogue national sur la politique de la ville avec les différents acteurs et intervenants pour forger la nouvelle politique de la ville qui se veut globale .6 Disons d’emblé que la réussite d’une politique réelle de la ville au Maroc ne peut être évaluée actuellement car elle n’en est qu’à ses débuts.
- BRANQUART.P, Une histoire de la ville, La découverte/ essais 1997
- Recommandations des Assises Nationales PV VF, autour de la politique de la ville du 27 juin 2012