Les Communautés économiques régionales et le maintien de la paix en Afrique.

Les Communautés économiques régionales et le maintien de la paix en Afrique.

Charrat Sara[1].

Résumé : La fin de la guerre froide a impliqué les Communautés économiques régionales (CERs) dans le domaine du maintien de la paix et la sécurité, en effet depuis les années 90 plusieurs organisations ont intervenu dans le domaine, ce travail va jeter la lumière sur les fondements de cette régionalisation du maintien de la paix Afrique pour faire ressortir les limites et les enjeux.

Mots clés : CERs, maintien de la paix et la sécurité en Afrique, fondements, limites, enjeux.

Abstract: The end of the cold war has involved the regional economic communities (REC) in peacekeeping in Africa, since the 90 many regional organizations have participated in this area. This paper will try to throw light on the regionalization of peacekeeping in Africa, in order to detect basics, limits and issues.

Keywords: REC, peacekeeping in Africa, basics, limits, issues.

Introduction :

Le continent africain représente un échiquier sur lequel coexistent différents types de conflits qui sont soit de nature interne comme les guerres civiles, les actions des groupes terroristes.., soit de nature externe, et qui sont souvent liés aux stratégies des grandes puissances.

Dans ce cadre la question sécuritaire a toujours été importante pour le continent africain, puisque la stabilité est préalable à tout développement économique[2], alors même dans le cadre de l’Organisation de l’unité africaine, des actions ont été menées dans le domaine du maintien de la paix à travers différents intervenants, soit des comités ad hoc, la Conférence des Chefs d’Etats, le Conseil des ministres, également dans certains cas, la Commission de la défense et la présidence en exercice de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement, mais toutes ces actions n’ont pas donné les résultats attendus, ce qui a poussé les Etats à réfléchir dans un mécanisme nouveau pour redynamiser l’organisation dans le domaine du maintien de la paix, et s’engager à œuvrer ensemble pour le règlement pacifique et rapide de tous les conflits sur le continent[3], c’est dans ce cadre qu’a été créé le mécanisme de l’OUA pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits[4], mais également ce mécanisme a connu l’échec et n’a pas pu finir avec les situations de conflits en Afrique.

Face à cette situation et après l’échec de plusieurs opérations de maintien de la paix[5] lors des années 90, les Etats ont décidé de créer le Conseil de Paix et de Sécurité[6].  Le CPS a été créé dans le cadre des transformations qu’a connu l’OUA, dans le chemin de son passage vers l’Union Africaine, en effet les Etats ont essayé de dépasser certaines attributions de l’ancienne organisation, comme le principe sacré de la non-ingérence dans les affaires internes des Etats, pour pouvoir agir dans le cas des conflits surtout après la paralysie de l’organisation devant la crise grave du Rwanda en 1994.

Le CPS, représente le nœud de l’architecture de paix et de sécurité de l’Union Africaine (APSA). A côté de cet organe principal, les CERs doivent jouer un rôle important dans le cadre de cette architecture et cela est dû à la nature même de l’intégration dans le cadre de l’UA qui est basé sur le partage des compétences entre le niveau continental et celui régional, en effet l’APSA fait appel aux mécanismes régionaux de prévention, de gestion et de règlements des conflits mis en place par les CERs ou même dans le cadre de groupements informels, dans cet ordre d’idées on fait référence au Protocole d’accord de coopération dans le domaine de la paix et de la sécurité entre l’Union Africaine et les Communautés économiques régionales et les mécanismes de coordination des brigades régionales en Afrique de l’Est et de l’Afrique du Nord qui a été créé quelques années après la création du CPS, ce Protocole est venu principalement pour diviser les tâches entre le CPS et les mécanismes sous-régionaux dans le domaine du maintien de la paix.

Plusieurs communautés économiques régionales interviennent dans le domaine du maintien de la paix et la sécurité en Afrique comme la CEDEAO, la SADC, l’IGAD, ou d’autres mais malgré la nécessité du rôle de leurs interventions ces dernières connaissent toujours plusieurs insuffisances alors : Quelle est l’effectivité du rôle des CER dans le maintien de la paix en Afrique ? Telle est la principale interrogation à laquelle nous tenterons d’apporter notre modeste éclairage, pour le faire, il convient de traiter d’abord le fondement du rôle des CER dans le maintien de la paix et de la sécurité en Afrique (I), avant d’examiner les insuffisances de l’intervention des CER dans le maintien de la paix en Afrique (II).

  1. Le fondement du rôle des CER dans le maintien de la paix et la sécurité en Afrique

Les CER, détiennent la légitimité d’intervenir dans la matière du maintien de la paix et de la sécurité de la nature de l’architecture de paix et de sécurité de l’UA (APSA), qui représente une interdépendance entre plusieurs acteurs, donc il convient de présenter cette architecture (A), avant d’étudier le statut des CER dans ce domaine (B).

  1. Présentation de l’architecture de paix et de sécurité de l’Union Africaine :

L’APSA, regroupe plusieurs intervenants avec le CPS au centre (1), et l’existence d’autres composantes (2).

  1. Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine (CPS) au centre de l’APSA :

Le CPS a été créé par l’Acte constitutif de l’Union Africaine[7]. Et le protocole du 9 juillet 2002 signé à Durban. Le CPS représente le socle de l’architecture de paix et de sécurité de l’Union Africaine (APSA), ce qui peut être illustré par sa définition dans le cadre de l’Acte fondateur : « Le CPS est un organe de décision permanent institué pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. Le CPS constitue un système de sécurité collective et d’alerte rapide, visant à permettre une réaction rapide et efficace aux situations de conflit et de crise en Afrique[8] ».

Il vise plusieurs objectifs selon l’article 3 du Protocole instituant cet organe, à savoir : Promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique, en vue d’assurer la protection et la préservation de la vie et des biens, le bien-être des populations africaines et de leur environnement, ainsi que la création de conditions propices à un développement durable ; Anticiper et prévenir les conflits.

Lorsque des conflits éclatent, le Conseil de paix et de sécurité aura la responsabilité de rétablir et de consolider la paix en vue de faciliter le règlement de ces conflits ; promouvoir et mettre en œuvre des activités de consolidation de la paix et de reconstruction après les conflits pour consolider la paix et prévenir la résurgence de la violence ; coordonner et d’harmoniser les efforts du continent dans la prévention et la lutte contre le terrorisme international sous tous ses aspects ; élaborer une politique de défense commune de l’Union, conformément à l’Article 4(d) de l’Acte constitutif ; promouvoir et encourager les pratiques démocratiques, la bonne gouvernance et l’état de droit, la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect du caractère sacré de la vie humaine, ainsi que du droit international humanitaire, dans le cadre des efforts de prévention des conflits.

En ce qui concerne les principes, on peut faire la différence entre les principes classiques référant aux principes de la charte de l’ONU et de l’OUA et les principes nouveaux. Les premiers sont ceux concernant le règlement pacifique des différends et des conflits[9], ainsi que les principes liés au respect de l’état de droit et des droits fondamentaux, le respect de la souveraineté et la non-ingérence dans les affaires internes des Etats, l’égalité souveraine des Etats membres et l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation[10]. Concernant les nouveaux principes, ils touchent des aspects comme l’interdépendance entre le développement socio-économique et la sécurité des peuples et des Etats[11], également le CPS peut recommander à la Conférence des Chefs d’Etats et de gouvernements, l’intervention dans un Etat membre dans les trois cas suivants : crimes de guerre, crimes de génocide et crimes contre l’humanité[12].

Pour sa composition, le CPS comprend 15 membres, dont dix sont élus pour un mandat de deux ans et cinq sont élus pour trois ans, afin d’assurer la continuité de l’organe.

Le CPS a deux types de pouvoirs comme pour le conseil de sécurité de l’ONU, soit à nature coercitive, sans utilisation de la force, soit portant sur l’utilisation de la force. Dans le premier cas, si le Conseil de Sécurité peut prendre des mesures comme l’embargo, le blocus, les restrictions des échanges contre un Etat ou un groupe d’Etats pour les amener à se conformer, le CPS également peut imposer et conformément à la Déclaration de Lomé[13], des sanctions chaque fois qu’un changement anticonstitutionnel de gouvernement se produit dans un Etat membre, ce sont généralement des mesures qui ne nécessitent pas la force armée comme des mesures d’exécution, de police, de contrainte destinées à assurer le maintien ou le retour à la paix. Dans le deuxième cas, le CPS comme le Conseil de Sécurité peut prendre des mesures nécessitant l’usage de la force, même s’il n’a pas jusqu’à maintenant une force armée qui lui est propre, le CPS peut autoriser le déploiement de missions d’appui à la paix, également il peut recommander à la conférence l’intervention au nom de l’Union dans un Etat dans certaines circonstances graves comme (crime de guerre, crime de génocide, crime contre l’humanité)… pour mener ses missions le CPS est appuyé par une structure qui comporte la Commission de l’Union Africaine, un Groupe de sages, un Système continental d’alerte rapide, une Force africaine pré positionnée et un Fonds spécial[14].

Le CPS comme déjà expliqué détient des pouvoirs qui lui accordent un rôle central dans l’architecture de paix et de sécurité de l’Union Africaine, mais d’autres composantes collaborent avec cet organe pour faire face aux situations de crise sur le continent.

  • A côté du CPS, les autres composantes de l’APSA :

Les Etats africains à travers l’APSA, ont voulu se doter d’un « ensemble d’outils fonctionnels autour du CPS, avec pour vocation de répondre d’une manière globale et entièrement complémentaire à un certain nombre de problèmes complexes inhérents à des situations de crise sur le continent africain[15] ».

L’APSA et basée sur une vision multidimensionnelle qui nécessite la collaboration entre différentes parties, et ce à cause de la nature même du maintien de la paix qui fait intervenir plusieurs niveaux, d’abord en ce qui concerne le niveau mondial : elle constitue une continuation du système mondial de paix et de sécurité chapeauté par le Conseil de Sécurité et consacré par la Charte des Nations Unies, en effet le Conseil de Sécurité représente le gardien de la paix au niveau mondial :« Afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom[16] ».

Mais l’évolution des relations internationales a rendu nécessaire la coopération entre le niveau mondial et le niveau régional, c’est dans ce cadre que peut être inscrite la relation de coopération                  entre l’UA et l’ONU dans le domaine du maintien de la paix, en effet selon le chapitre VIII de la Charte onusienne « Aucune disposition de la présente Charte ne s’oppose à l’existence d’accords ou d’organismes régionaux destinés à régler les affaires qui, touchant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, se prêtent à une action de caractère régional, pourvu que ces accords ou ces organismes et leur activité soient compatibles avec les buts et les principes des Nations Unies[17] », au niveau continental, c’est la Charte de l’Union Africaine qui intervient a côté du Protocole relatif à la création du Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA, pour le niveau régional, c’est les Communautés économiques régionales qui interviennent dans le cadre de la coopération entre les deux niveaux continental et sous-régional[18].

  • Le statut des CER dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité en Afrique :

La transformation du domaine de maintien de la paix et la sécurité en Afrique a permis l’engagement des groupements régionaux et sous-régionaux dans ce domaine (1), cela est légitimé juridiquement par plusieurs textes (2).

  1. La régionalisation du maintien de la paix en Afrique 

Lors des années 90, et dans le cadre même de l’OUA, l’Afrique a connu un revirement pour l’implication des CER dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité.

Avant la création du CPS, il y’avait le Mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits qui intervenait rarement dans les conflits en Afrique : déploiement par l’OUA de missions d’observation au Rwanda (1990-1993), au Burundi (1993-1996) et aux Comores (1998-1999), à cette époque l’OUA s’est concentrée plus sur la prévention et a été confrontée à des limites opérationnelles et financières, ce qui a amené au renforcement du rôle des CER dans le domaine, également l’Afrique est marquée par la propagation des conflits infra-étatiques, c’est-à-dire que le continent depuis des années ne faisait plus face à un ennemi extérieur, mais les conflits sont devenus internes[19].  Également, les années 90, ont connu l’échec de plusieurs opérations de maintien de la paix menées sous l’égide du conseil de sécurité, alors cette époque a connu la sous-traitance des opérations de maintien de la paix par l’ONU, aux organisations régionales, d’où le début de la régionalisation de la sécurité.

En effet la régionalisation des conflits a mis fin à l’idéologie de non ingérence héritée de l’ancienne organisation et basée plus sur les idées du panafricanisme minimaliste, dans ce cadre les prérogatives sécuritaire ont glissé du nouveau continental au niveau régional, et avec la création de l’UA, le rôle des CER dans le maintien de la paix et la sécurité en Afrique sera de plus en plus renforcé avec le renforcement des relations entre les deux niveaux : « Les Communautés économiques régionales qui constituent les piliers de la réalisation des objectifs de la Communauté économique africaine et de l’Union envisagée[20] ».

L’acte constitutif de l’UA, valorise également le rôle des CER dans le processus de régionalisation en général en rappelant que l’un des objectifs de l’organisation est de : « coordonner et harmoniser les politiques entre les Communautés économiques régionales existantes et futures en vue de la réalisation graduelle des objectifs de l’Union[21] ».

Les CER se retrouvaient dans des situations où elles devaient faire face aux conflits représentant des risques de déstabilisation économique et politique, surtout pour les pays voisins, qui sont le plus touchés par les effets de ces conflits par exemple l’afflux important des réfugiés ou d’autres. Dans ce cadre les années 1990 ont connu le premier engagement d’une CER en matière de paix et sécurité à savoir la CEDEAO, au Libéria (août 1990-octobre 1999) puis l’organisation interviendra dans plusieurs autres pays,  en Sierra Leone (février 1998-mars 2000), en Guinée Bissau (décembre 1998-juin 1999) et en Côte d’Ivoire (2003-2004). Également la SADC a intervenu dans le Lesotho dans le cadre de l’opération Boleas (septembre 1998-mai 1999) et d’autres.  Ce qui atteste un glissement des compétences des CER vers les questions sécuritaires puisqu’on ne peut pas réaliser le développement économique pour lequel ont été créées les organisations régionales sans réaliser avant une stabilité sécuritaire. La légitimité de l’intervention des CER dans le domaine du maintien de la paix et la sécurité s’est renforcée par l’adoption dans le cadre de ces organisations d’un cadre institutionnel et des mécanismes relatives à la paix et à la sécurité[22].

  • L’aspect juridique du rôle des CER dans le maintien de la paix :

Le Chapitre VIII de la Charte de l’ONU a radicalement changé l’approche de gestion des conflits en donnant l’opportunité et les moyens aux organisations internationales de régler elles-mêmes leurs problèmes de sécurité, on peut dire que c’est la première base juridique sur laquelle se basent les CER pour intervenir dans ce domaine, le cadre juridique du rôle des CER dans le domaine du maintien de la paix et la sécurité a été renforcé également dans le cadre de l’évolution de la relation entre l’UA et les CER, en effet le Protocole d’accord de coopération dans le domaine de la paix et de la sécurité entre l’Union Africaine et les CER et les mécanismes de coordination des brigades régionales en attente de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique du Nord est censé éclaircir les lignes de frontières de compétences entre les deux niveaux.

En ce qui concerne la vocation des CERs, il convient de soulever qu’elle reste une vocation économique par excellence, elle vise essentiellement deux points à savoir : assurer le développement économique du continent à travers l’intégration et adapter le système africain à  l’ordre économique international[23], et  le Traité d’Abuja affiche clairement cette vocation, en détaillant les étapes que doivent respecter les CER pour parvenir au stade ultime d’intégration visé par ce Traité à savoir la création de la Communauté économique africaine. Mais à côté de la vocation économique les CER visent des domaines variés cela est sollicité par le Traité d’Abuja même qui vise également à « promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l’activité humaine en vue d’élever le niveau de vie des peuples africains, de maintenir et de promouvoir la stabilité économique, d’instaurer des relations étroites et pacifiques entre les Etats membres et de contribuer au progrès, au développement et à l’intégration économique du continent[24] ».

Le domaine du maintien de la paix et la sécurité n’avait pas été envisagé dans les projets régionaux au départ. Mais la nécessité de susciter un climat de confiance et de stabilité dans la coopération interafricaine a été ressentie a posteriori. Cela a pu conduire à l’adoption de nombreux textes juridiques dans ce domaine, l’intégration régionale dans le domaine économique impliquant une paix préalable. En ce sens, elle requiert une stabilité politique soutenue et propice au développement économique. C’est à partir de cette idée que le domaine sécuritaire trouve naturellement une grande place dans les programmes régionaux[25]avec bien sur la variation de cette importance d’une organisation à une autre, si par exemple le COMESA est vue comme une organisation peu politique, la CEDEAO et la SADC jouent un rôle plus actif dans ce domaine[26].

La CEDEAO, dans ce cadre représente en quelques sortes un cas particulier car la pratique de cette organisation dans le domaine sécuritaire dans ses différentes interventions, l’ont poussé à ajuster sa base juridique dans le cadre du maintien de la paix et de la sécurité, donc elle peut être considérée comme l’organisation la plus active dans ce domaine au niveau africain, elle est reconnue en tant qu’organisme régional au sens du droit de l’ONU, en gardant sa vocation économique[27]. La création en 1991 de l’ECOMOG[28] représente, à côté du cadre juridique, un renforcement des moyens matériels de réussite des interventions de l’organisation[29].

La participation des CER dans le domaine du maintien de la paix est cruciale car c’est le moyen ultime pour atteindre les objectifs de développement élaborés lors de la création de ces différentes organisations, mais les expériences de ces organisations dans le domaine font couler beaucoup d’encre, surtout en ce qui concerne l’efficacité car ces organisations connaissent encore plusieurs insuffisances dans ce domaine.

  1. Les insuffisances de l’intervention des CER dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité en Afrique

L’une des problématiques les plus importantes dans le domaine du maintien de la paix en Afrique est celle concernant la délimitation des rôles entre les différentes composantes de l’APSA, ce qui peut conduire à des blocages dans la procédure, c’est ce qu’il convient de  voir d’abord (A) avant de passer au manque des moyens financiers (B).

A. Les problèmes liés au partage des compétences entre les acteurs de l’APSA :

1. Les problèmes liés au partage des compétences entre l’ONU et les CER :

La division du travail entre les organisations régionales et les Nations Unies, s’inspire du Chapitre VIII de la Charte, puisque l’Union Africaine reconnait la primauté du Conseil de Sécurité dans le domaine du maintien de la paix, ce chapitre énumère deux cas dans lesquels le Conseil de sécurité et les organisations régionales n’ont pas les mêmes rôles.

Le premier cas concerne le règlement pacifique des différends, où l’organisation régionale dispose d’une totale liberté, conformément au principe de la subsidiarité.

Le deuxième cas est celui qui nécessité des actions coercitives, dans ce cadre on considère que la Charte a gardé un quasi-monopole au profit du Conseil, l’intervention d’une organisation régionale doit être faite à la demande ou suite à l’autorisation préalable du Conseil de sécurité[30]. Ce qui peut causer un blocage ou, tout au moins, une lourdeur du processus. Surtout en revenant à la composition du Conseil de sécurité où le club des cinq monopolise le droit de veto, ce qui peut rendre même le maintien de la paix politisé avec l’entrée en jeu des conflits d’intérêts géopolitiques ou stratégiques[31], on peut beaucoup se référer ici à la vision réaliste qui valorise les intérêts nationaux des Etats en dépit de toute autre considération.

En ce qui concerne la lourdeur du processus, elle peut être illustrée par le cas du Mali, puisqu’il a fallu près d’un an de janvier 2012 pour obtenir une autorisation du Conseil de sécurité[32] pour le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA)[33].

Également la question du leadership et les disparités entre les Etats peuvent se poser au sein des organisations régionales et causer un blocage, par exemple dans le cadre de la CEDEAO, les rivalités entre les Etats anglophones et ceux francophones ont amené à des divergences lors de la gestion de certaines crises, notamment la crise libérienne en 1990[34].

2.Les problèmes liés au partage des compétences entre l’UA et les CER :

Le Protocole d’accord de coopération dans le domaine de la paix et de la sécurité entre l’Union Africaine et les CER et les mécanismes de coordination des brigades régionales en attente de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique du Nord de 2008 reste, pour l’heure, le seul fondement des relations entre le niveau continental et celui régional pour la mise en œuvre de l’APSA. Mais, ce texte ne délimite pas explicitement les frontières de compétences entre les deux niveaux, même s’il insiste sur le principe de subsidiarité[35], il confie au niveau continentale la responsabilité principale de la paix et de la sécurité en Afrique.

Le Professeur Soma[36] défend que dans la coopération entre les deux niveaux, tout au moins dans les rapports entre l’UA et la CEDEAO, le niveau sous-régional doive soumission au niveau continental, aussi bien sur le plan normatif que sur le plan institutionnel.

 Pour lui cela est affirmé au niveau continental par le mandat du CPS, pour veiller à la conformité des actes des autres acteurs aux objectifs et principes de l’union[37], et au niveau sous-régional, notamment dans le cas qu’il a étudié la CEDEAO, par l’attachement de ses membres aux principes contenus dans l’acte constitutif, déduisant de cette subordination normative une subordination institutionnelle.

Le projet des réformes initié par le président rwandais Paul KAGAME, l’ex président de l’Union Africaine, touchait plusieurs points, notamment la contribution des Etats membres et les sanctions aux Etats membres ne s’acquittant pas de leurs cotisations en temps voulu, la taxe 0,2 que les Etats doivent appliquer, le renforcement de l’efficacité des organes de l’UA, et également la répartition des tâches entre l’UA et les CER.

En effet l’Union Africaine reconnait huit communautés économiques régionales, en plus de plusieurs autres commissions et mécanisme régionaux, dans ce cadre plusieurs discussions se sont entamées sur la possibilité de réduire le nombre des CER à cinq, pour converger avec les cinq régions de l’Afrique, pour diminuer les problèmes de la multi-appartenance.

 En ce qui concerne la division des tâches, les discussions en cours soulignent la nécessité pour l’UA de coordonner, d’harmoniser et de fournir une orientation stratégique, et pour les CER d’être responsables de la mise en œuvre et de l’exécution des décisions.

Par exemple on souhaite accorder à l’Union Africaine la tâche des négociations avec l’Union Européenne sur l’avenir de l’accord post-Cotonou et non au bloc ACP qui regroupe les Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.  En ce qui concerne l’APSA, le projet de réforme insiste sur la nécessité d’une répartition plus claire des missions entre l’UA et les CER.

Le CPS est souvent réticent à s’attaquer de manière proactive aux menaces à la sécurité, se reposant de plus en plus sur les CER pour agir en chef de file. Au Soudan du Sud, par exemple, certains partis d’opposition et des organisations de la société civile appellent l’UA à jouer un plus grand rôle dans la résolution de la crise, face au parti pris présumé de la part des États membres de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD). Il est important de remédier à cette situation et de prévoir des mécanismes de contrôle appropriés, en particulier lorsque les CER deviennent partie intégrante du problème dans les zones de crise.

Dans ce cadre La réunion annuelle de coordination UA/REC, qui devrait se dérouler chaque mois de juillet, jouera un rôle crucial dans la définition de l’avenir de cette relation et dans la répartition des responsabilités entre l’UA et les CER[38].

B. Les problèmes financiers des CER :

Il existe une relation causale entre maintien de la paix et croissance économique, car sans moyens financiers les Etats ne peuvent pas contribuer dans des opérations de maintien de la paix et également sans maintien de la paix les Etats ne peuvent pas évoluer économiquement ou réaliser les objectifs d’intégration économique pour lesquels ces organisations ont été créées car on ne peut pas imaginer une libre circulation des biens ou des personnes dans des situations de conflits armés, également le désistement des investisseurs est souvent remarqué dans les zones de conflits, donc l’instabilité retarde la croissance économique des Etats africains et consomme les budgets des organisations qui déjà ne sont pas suffisants pour mettre en œuvre les projets de coopération.

 Généralement la principale              source    de financement des projets d’intégration est ou devrait être les pays membres de chaque CER, et la responsabilité   de la mise en œuvre de leurs différents projets incombe au premier chef aux États membres. Or, avec les différents pays préoccupés par leur propre survie et   existence, il est inconcevable           de leur    part et insensé pour leurs partenaires de la région de parler d’intégration régionale.

En d’autres mots, ni l’IGAD             ni la CENSAD, ne peuvent             espérer de la Somalie par exemple de payer ses cotisations à leurs budgets respectifs ou participer à la mise en œuvre de leurs différents projets concernant l’ensemble de leurs États membres vu que le pays est même dépourvu de gouvernement central         depuis    janvier 1991 à      cause d’une guerre civile fratricide. Pourtant, la           participation        de ce pays aux différents projets de ces différentes organisations           aurait     fait sa                contribution.        

La situation est encore pire quand plusieurs États d’une          même     région     sont        engagés dans des guerres civiles au                même    moment (ex.         RDC, Ouganda, Soudan, Burundi,  Tchad    …) ou même des guerres interétatiques (ex. l’Ethiopie contre l’Erythrée)[39].

Dans ce contexte, financièrement et techniquement les CER restent à la merci des aides d’Etats tiers (les USA dans le cadre de l’ACOTA, la France avec RECAMP, le Canada, la Grande-Bretagne et de partenaires multilatéraux comme l’ONU, l’UE, le G8) qui, pour de raisons de politique interne, de stratégie ou de géopolitique ne pouvaient fournir cette aide en temps utile.

Également les dons et prêts que peuvent fournir ces Etats ou organisations souvent, sont des gestes qui ne sont pas dépourvus de calcul stratégique ou politique, car en versant des aides ces parties peuvent amener les Etats à agir selon leurs conditions, dans ce sens un exemple frappant est « un don » que l’Union Européenne a accordé à la CEDEAO en 2000 pour aider à l’établissement des quatre zones d’observation et de suivi des signes de conflits                armés comme prévu dans le Protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, et de Règlement des conflits, de maintien de la paix et de la Sécurité que la CEDEAO avait adopté en 1999. Dans ce cadre l’UE avait proposé de prendre en charge les salaires des fonctionnaires qui vont gérer le projet, or pour le faire l’UE avait insisté sur la faite que ces fonctionnaires soit en fonction de leurs critères et non des critères de la CEDEAO[40].

De cette dépendance financière, était né un certain nombre de dysfonctionnements et de problèmes qui ont mis à jour les limites des organisations africaines qui n’ont pas les moyens de leur politique. Il est arrivé que les forces envoyées sur le terrain soit totalement en deçà du minimum nécessaire ou que les soldats soient laissés sans salaires, ce qui ne peut que limiter les capacités effectives du contrôle des cessez-le-feu et de la protection des personnes et de leurs biens[41].

Les problèmes de financement du maintien de la paix au sein des CER peuvent créer également des problèmes de leadership entre les Etats composants ces organisations. Le cas de la CEDEAO peut être cité dans ce contexte, en effet  s’agissant de la seule crise libérienne, le gouvernement nigérian de l’époque établissait que sa participation à l’ECOMOG lui coûtait trente milles  (30.000) dollars par jour, rien qu’en nourriture, et cela, sans compter l’entretien d’un  détachement à Freetown, alors que le budget régional accordé à l’organisation pour l’année  1995 était de sept (7) millions de dollars sans compter les frais relatifs aux livraisons de pétrole et au remplacement du matériel usagé.

Ces chiffres nous éclairent sur l’incapacité de l’organisation à financer totalement les opérations de paix sans la contribution très élevée du Nigéria. Le déséquilibre dans la participation financière peut expliquer pourquoi le Nigéria avait tenté de garder la main sur les décisions, légitimant sa position par sa capacité de financement[42].

Conclusion

L’intervention des CERs dans les crises africaines souffre toujours de plusieurs insuffisances, qui sont soit liées à la nature même de ces organisations, composées d’Etats en voie de développement donc n’ayant pas les moyens nécessaires pour compléter la tâche, également connaissant des problèmes de leadership à l’interne, soit liées à la nature même du domaine de maintien de la paix au niveau international qui fait intervenir plusieurs acteurs avec la place centrale du Conseil de sécurité dont la composition et l’efficacité ont fait couler beaucoup d’encre, également l’UA doit bien tracer les limites des compétences entre les deux niveaux continental et régional.


[1] Doctorante en 4ème année de droit à la FSJES de Rabat-Souissi, laboratoire des études et de recherches juridiques et politiques.

[2] Voir Hugon,P., « Conflits armés, insécurité et trappes à pauvreté en Afrique », Afrique Contemporaine 2006 /2 (n°218), p :40.

[3] Cet engagement est contenu dans la « Déclaration de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Organisation de l’unité africaine sur la situation politique et socio-économique en Afrique et les changements fondamentaux qui surviennent dans le monde », adoptée en juillet 1990 à Addis-Abeba.

[4] Ce mécanisme a été créé en juin 1993 au Caire, pour permettre à l’OUA, de se doter des moyens afin de réduire les conflits sur le continent.

[5] On peut citer ici, la mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), créée en octobre 1993 et dissoute en mars 1996, pour faire face à la situation du génocide au Rwanda. Cet OMP a connu un échec puisque les mandats qui lui ont été confiées étaient mal adaptés à la situation.

[6] OUMBA P., « l’effectivité du rôle du conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine dans la résolution des conflits », Revue africaine d’étude politiques et stratégiques, 2014, p.2, consulté sur (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01319654) le 26/01/2019.

[7] Selon L’article 5 (2) de l’Union Africaine, la Conférence peut décider de créer d’autres organes pour l’organisation panafricaine à côté de ceux déjà existants.

[8] Article 2 du Protocole relatif au CPS.

[9] Voir l’article 6 de la charte de l’ONU.

[10] On peut trouver ces principes dans le cadre de l’article III de la charte de l’OUA.

[11] MVELLE G., « L’Union Africaine : fondements, organes, programmes et actions », édition L’Harmattan, 2007, p : 180-181.

[12] Il faut noter que ce sont les trois crimes qui entrent dans la compétence de la cour pénale internationale en rajoutant le crime d’agression.

[13] La déclaration de Lomé est une déclaration sur le cadre pour une réaction de l’OUA face aux changements anticonstitutionnels de gouvernements, adopté lors de la 36ème session ordinaire de la Conférence de Chefs d’Etats et de Gouvernements de l’OUA, tenue du 10 au 12 juillet 2000 à Lomé (Togo).

[14] MVELLE G., « L’Union Africaine : Fondements, organes, programmes et actions », op.cit., p : 183.

[15] YOUGBARE R., « L’architecture de paix et de sécrité en Afrique : les tares consubstantielles d’un système de gouvernance multiniveau », in  Fau-Nougaret M et Ibriga L., « L’architecture de paix et de sécurité en Afrique : Bilan et perspectives », édition l’Harmattan, 2014, p : 49.

[16] Selon l’article 24 :1 de la Charte des Nations Unies.

[17] Selon l’article 52 :1 de la Charte des Nations Unies.

[18]Yougbare Robert, op.cit., p: 51.

[19] GNANGUENON A., « Le rôle des Communautés économiques régionales dans la mise en œuvre de l’Architecture africaine de paix et de sécurité », Délégation aux  Affaires stratégiques, chargé de missions Etudes Sous-direction Politique et Prospective de défense, Paris, 2010, p : 14-15.

[20] Voir la Déclaration de Syrte de 1999.

[21] L’article 3 de l’Acte constitutif de l’Union Africaine.

[22] GNANGUENON A., « La mise en œuvre de la force africaine en attente à l’épreuve de la relation UA/CER », in l’architecture de paix et de sécurité en Afrique : Bilan et perspectives, L’Harmattan, Paris, 2014, p : 184-185.

[23] TCHAMENI A.,, « Les évolutions du régionalisme africain », Paris : Edition l’Harmattan, 2013, p.57.

[24] Voir l’article 4 du Traité d’Abuja.

[25] TCHAMENI A, op.cit., p: 62-64.

[26] SAUDUBRAY F.,  « Les vertus de l’intégration régionale en Afrique », Revue Afrique contemporaine 2008/3 (N°227), p.180.

[27] OUMBA P., l’effectivité du rôle du conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine dans la résolution des conflits ,op.cit., p.15.

[28]  Au début, cette force ad hoc d’interposition et de maintien de la paix a été créée pour ramener la paix au Libéria en 1990. Considérée comme « le bras armé », de la CEDEAO, elle fait désormais partie de son organisation institutionnelle et normative.

[29] MVE ELLA L., « Le rôle des organisations africaines dans la crise malienne »,  RevueCivitas Europa 2013/2 (n° 31), p.128.

[30]Selon  l’article 53 de la Charte des Nations Unies stipule : « …Toutefois, aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d’accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l’autorisation du Conseil de sécurité… ».

[31] On peut s’imaginer que la France qui n’a jamais caché son penchant pour le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) a tout fait pour protéger ce mouvement, toutes les fois qu’une décision concernant la crise malienne passait devant le Conseil de sécurité.

[32] A travers la résolution 2085.

[33] YOUGBARE Robert, « L’architecture de paix et de sécurité en Afrique : les tares consubstantielles d’un système de gouvernance multiniveau », op.cit., p : 68-69.

[34] GAZIBO K., « La régionalisation de la paix et de la sécurité internationales post-guerre froide dans le cadre de la CEDEAO : la construction d’un ordre sécuritaire régional, entre autonomie et interdépendance », Thèse pour le doctorat en science politique, Sous la direction de Yves VILTARD, ECOLE DOCTORALE DE SCIENCE POLITIQUE DE PARIS UNIVERSITÉ PARIS1 PANTHÉON-SORBONNE, 2013, p. 321.

[35] Article IV du Protocole d’accord de coopération.

[36] SOMA A., « Les relations entre l’UA et la CEDEAO en matière de maintien de la paix », in les nouvelles annales africaines, 2012, cité par YOUGBARE R, op.cit.p : 70.

[37] Article 16, paragraphe 1 du Protocole.

[38] Institut d’études de sécurité (ISS), « Rapport sur le Conseil de Paix et de Sécurité », n°104, juillet 2018, p.9.

[39] Issaka K SOUARE, « Regard critique sur l’intégration africaine : Comment relever les défis », Institute for Security Studies, N°140, juin 2007, p :6.

[40] Issaka K SOUARE, op.cit., p :8.

[41] GAZIBO K, « La régionalisation de la paix et de la sécurité internationales post-guerre froide dans le cadre de la CEDEAO : la construction d’un ordre sécuritaire régional, entre autonomie et interdépendance »,.p.322-323.

[42] Ibidem.

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