L’économie des pays émergents, quelles perspectives d’avenir ?
CHOUHAIBI Asmaa
Etudiante en Deuxième Année Doctorat en Economie Appliquée à la FSJES – Salé
Les pays émergents sont des pays en développement présentant un fort taux de croissance du PIB, un niveau relativement élevé d’industrialisation et d’exportation de produits industriels, un fort taux d’ouverture à l’extérieur et un marché intérieur en expansion.
Mais ce sont aussi des pays fragiles, qui ont été largement touchées par les crises financières des années 1990 et, surtout, par la crise économique et financière majeure de 2008-2009 dont le monde n’est pas totalement sorti un an et demi après sa fin annoncée[1]. Pour autant, les grands pays émergents comme la Chine et l’Inde n’ont pas été touchés avec la même intensité que d’autres lors de cette dernière crise et ont retrouvé, depuis, des taux de croissance très confortables accompagnés, malgré tout, par des tensions inflationnistes. Le taux de croissance très fort des pays émergents leur permettent, petit à petit, de combler une partie de leur retard par rapport aux pays avancés.
Actuellement, les pays émergents sont le moteur principal de la croissance mondiale. Ils ont des capacités de développement très importantes mais également beaucoup de vulnérabilités auxquelles il leur faudra bien remédier dans les années à venir s’ils veulent consolider leur émergence et continuer à rattraper les pays avancés.
Les pays émergents pratiquent un modèle de développement économique conduit par l’Etat et tourné vers l’intérieur et autre modèle, mettant davantage l’accent sur le marché et l’ouverture au commerce international. Tout fois l’Etat est interventionniste. L’Etat est l’acteur essentiel dans l’émergence de ces pays. Leur réussite s’explique par le rôle particulier joué traditionnellement par l’Etat dans l’économie[2].
En outre, à mesure que les économies émergentes se développent leur dynamique s’étend à d’autres pays qui étaient jusqu’ici restés en retrait du processus. La Chine est l’un des principaux rouages de ce mécanisme. Par le biais de ses besoins en matières premières et en produits énergétiques, elle irrigue nombre d’économies répandues sur tous les continents qui sont riches en ressources naturelles.
Ces pays considérés comme émergents ne constituent pas une entité globale : leur évolution historique de même que leurs structures économiques et sociales sont différentes. Il n’existe pas de modèle type d’états émergents. Cependant, certains aspects de leur développement récent sont largement ressemblants.
- Les critères permettant de définir les pays émergents
L’organisation de coopération et de développement économique (OCDE) considère comme pays émergents des pays nouvellement industrialisés qui ont une forte contribution à la croissance économique mondiale, une amélioration de condition de vie de la population-qui se traduit par une hausse de certains indicateurs tels que le produit intérieur brut (PIB) par habitant ou indice de développement humain et une participation active aux échanges.
- Des catégories imprécises
Aujourd’hui, on ne distingue plus entre pays riches et pays pauvres, ni entre un monde développé et des pays du tiers-monde, distinctions qui furent, pendant longtemps utilisés pour décrire la coupure entre les situations des divers pays de la planète.
La principale distinction se fait désormais entre pays avancés (comme les Etats-Unis, la France, le Japon ou l’Allemagne), les pays émergents (comme le Chine, l’Inde, la Roumanie ou le Brésil) et les pays en développement (comme le Burkina Faso, le Laos, le Soudan ou Haïti) [3].
Bien sûr les différences sont grandes à l’intérieur même de ces catégories et les passages de l’une à l’autre possible.
Une autre distinction à vue le jour et consiste aussi à classer les pays en trois catégories : pays à revenus élevés, pays à revenus intermédiaires et pays à revenus faibles. Cette distinction est utilisée, par exemple, par la Banque mondiale. Elle permet de toucher plus près la réalité de la vie quotidienne des habitants. Cela n’empêche pas, néanmoins, des pays comme la Chine, l’Inde ou la Russie, qui ne sont pas dans les pays à revenus élevés, de compter chaque année de plus en plus de milliardaires en dollars….
- BRIC et BRICS
Quatre de ces pays émergents, le Brésil, la Russie, l’Inde de la Chine, disposant d’un formidable potentiel de développement. C’est pourquoi un économiste de la Banque Goldman Sachs, Jim O’Neill, et son équipe ont créé pour les désigner un nouveau mot : les BRIC, constitue à partir des initiales de ces quatre pays.
Depuis Avril 2011, le BRIC est devenu BRICS (S pour South Africa) avec l’entrée dans le club de l’Afrique du Sud lors du sommet de Sanya en Chine[4].
Mais plusieurs experts ont émis des réserves sur la cohérence de ces deux groupes, notamment de la présence de la Russie qui n’aurait pas les mêmes critères de développement que les trois autres et une croissance nettement moins élevée. Ainsi, certains ont proposé un club sans Russie mais avec l’Indonésie (BICI) ou avec l’Afrique du Sud (BICS). D’autres ont gardé la Russie dans le club mais y ont intégré l’Indonésie (BRICI) ou l’Afrique du Sud (BRICS) ou les deux (BRICIS). D’autres, encore, préfèrent parler d’un club de trois, plus cohérent, BIC (Brésil, Inde, Chine).
En outre, les membres du BRICS ont pour l’instant des intérêts communs mais beaucoup d’intérêts divergents qui devraient monter en puissance dans les années à venir. Du coup, il est à prévoir, à terme, que ces derniers l’emporteront sur les premiers et disloqueront ce club ou, tout au moins, en feront une association aux liens très lâches.
- Liste indicative des pays émergents
Mexique, Brésil, Argentine, Venezuela, Colombie, Chili, Pérou, Chine, Corée du Sud, Inde, Taïwan, Indonésie, Thaïlande, Hong Kong , Malaisie, Pakistan, Philippines, Singapour, Russie, Turquie, Pologne, République Tchèque, Hongrie, Afrique du Sud, Egypte, Israël, Arabie Saoudite.
Cette liste regroupe tous les pays qui sont qualifiés d’émergents mais dont la qualité d’émergents n’est pas reconnue par tous. C’est le cas notamment de l’Egypte, du Pérou, Du Pakistan, des Philippines qui ne sont pas considérés par tous les spécialistes du développement comme ayant une économie émergente. A contrario, Hong Kong, La Corée du Sud, Israël et Singapour sont plutôt considérés par certains économistes comme faisant partie des pays avancés aux économies développés.
- Emergence, performance et développement
Si les pays émergents tendent donc à être caractérisés par de bonnes performances macroéconomiques, cela ne doit pas masquer que, si l’on prend en compte différents indicateurs de développement humains, ces pays restent clairement des pays en voie de développement[5]. Le Brésil, la Chine, l’Afrique du Sud, le Mexique enregistrent des coefficients de Gini supérieurs à 50. On trouve entre 10% et 2% des enfants qui travaillent au Brésil, en Inde, en Thaïlande, en Malaisie, etc. 21% de la population est sous-alimentée en Inde, 10% en Chine, 17% en Thaïlande, 14% au Vietnam, etc. La population rurale est de 38% du total en Afrique du Sud et de 49% en Chine alors que la part de la valeur ajoutée de l’agriculture dans le PIB de ces pays n’est respectivement que de 3% et 10%.
Les chiffres de la population de l’agriculture à la formation de la valeur ajoutée n’est que d’environ 15% du PIB dans les deux cas.
Parmi les critères de performance, celui de « forte croissance sur le long terme », souvent mobilisé dans les définitions, montre également ses limites. En effet, il existe un grand nombre de pays en développement dont les taux de croissance ont été supérieurs à la croissance mondiale pendant dix années consécutives sans qu’ils apparaissent généralement dans les listes de pays émergents. Les pays d’Afrique Subsaharienne ont ainsi en moyenne maintenu des taux de croissance positifs supérieurs à la croissance mondiale pendant toute la période 2000-2011, y compris dans la dernière crise de 2008/2009, sans qu’ils entrent forcément dans le cercle fermé des pays labellisés « émergents ». On peut ici mentionner des pays comme l’Angola, le Cap vert, le Burkina Faso, le Mozambique, le Ghana ou encore la Tanzanie, etc. Pour l’ensemble de ces pays, les taux de croissance annuels moyens dans la période 2000-2012, ont pu ainsi osciller entre 5,9 % (Cap vert) et 9,77% (Angola). À l’inverse, certains des pays coutumiers des listes de pays émergents présentent parfois des performances moindres que celles des pays cités précédemment. On pense par exemple à l’Afrique du Sud, au Brésil ou à l’Inde depuis la Crise, au Mexique sur la dernière décennie, ou bien encore au Chili et à l’Indonésie.
Cependant, c’est en général sur les bases de cette croissance et des performances macroéconomiques que de nombreux dirigeants bâtissent leur discours de politique économique ou que les journaux s’interrogent régulièrement sur l’émergence ou non de tels pays, généralement en Afrique ; c’est aussi par ce biais que les pays peuvent être exclus des listes.
Des performances trop décevantes, pour des petits pays font naturellement fuir les investisseurs. La croissance rapide sur le long terme n’est donc pas, paradoxalement, un critère crucial de caractérisation des pays émergents.
- Stabilité institutionnelle et climat des affaires favorables à l’investissement
Les performances macroéconomiques ne font naturellement pas tout. C’est aussi la stabilité politique et institutionnelle des pays qui, en rassurant les investisseurs, fondent l’essence même de la catégorie[6]. En effet, il ne faut pas perdre de vue que le concept a été créé pour présenter aux investisseurs une catégorie de PED pour lesquels le climat des affaires est favorable, où la rentabilité des projets d’investissement est bonne, où la protection de l’investisseur est assurée, les risques d’expropriation limités, avec une exécution des contrats et de bonnes infrastructures.
Il s’agit le plus souvent de pays avec un Etat « Solide » qui encadre fortement l’activité économique et qui a enclenché des réformes Market Friendly, comme par exemple la modification des codes de l’investissement, la création de zones-franches ou bien l’ouverture prudente des comptes de capital, etc.
C’est donc souvent un ensemble de réformes conduisant à l’ouverture des marches, mais également à attirer et rassurer les investisseurs étrangers, qui est à l’origine du label « pays émergents ». Ce dernier repose donc soit sur des réformes économiques et institutionnelles voulues par les Etats et qui ont enclenché un processus de croissance partant d’opportunités d’investissement qui se sont créées à la suite de modifications de termes de l’échange et/ ou d’une stabilité accrue dans une région.
En se référant simplement à l’indice de « facilité des affaires » proposés par la Banque Mondiale (Doing Business, 2013) et en sélectionnant des pays à revenus intermédiaires, on note que les pays coutumiers des listes de pays émergents sont ceux qui, ayant une forte croissance, figurant parmi les 80 premières places du classement de l’indice.
Tableau 1: Indice de facilité des affaires en 2013
Sources : Banque Mondiale
En comparant ce classement avec celui proposé par exemple par Morgan Stanley Capital International on note qu’il existe une corrélation forte entre la note de l’indice et la présence du pays soit dans la catégorie de pays émergents soit dans celle des Frontier Markets. Ainsi, la Colombie et le Pérou qui présentent de très bons scores de l’indice sont dans la liste des pays émergents alors que l’Argentina à la 116 e place du classement reste dans celle des Frontier Markets. Les pays rentiers producteurs de pétrole même avec de bons scores ont du mal à rejoindre la catégorie d’émergents et restent également dans celle des Frontier Markets.
Tableau 2: Classement des pays émergents selon Morgan Stanley Capital International- Octobre 2013
Source : MSCI (Morgan Stanley Capital International)
Les exceptions sont toutefois marquées pour les grands émergents (BRICS), dont l’effet taille les exonère de bons classements mais leur permet de figurer en bonne place dans la catégorie de pays émergents. La Chine (91 e rang), le Brésil (12 e rang), la Russie (112 e rang) et l’Inde (132 e rang), se situent plutôt en fin de classement de l’indice alors qu’ils restent les pays emblématiques de la catégorie.
Les petits émergents asiatiques aux performances très faibles se maintiennent toutefois dans les classements de Morgan Stanley Capital International en raison de leur situation géographique (proximité à la Chine et dynamisme de la région), de leur stabilité politique mais aussi de leurs faibles coûts de main-d’œuvre qui leur permettent une bonne insertion dans les chaines de valeurs.
- Modèle de développement ou stratégie d’émergence ?
Si la notion d’émergence fait couler tant d’encre c’est que le label « pays émergent », qi repose sur les performances macroéconomiques des pays couplées à une stabilité politique et un climat des affaires favorable, suppose que s’ouvre implicitement pour les pays, la voie (ou l’espoir) du développement économique[7]. De même, la volonté des pays d’obtenir le label ou de le mobiliser dans discours politique s’explique par le fait qu’il représente un sésame autorisant un afflux de capitaux qui financeraient le développement.
On trouve là une vieille idée bien connue des économistes du développement selon laquelle l’insuffisance supposée d’épargne domestique bloque le développement, mais peut être compensée par l’épargne étrangère via les investissements étrangers qui ne manquent pas d’affluer si le pays apparaît dans les listes. Ces investissements quand ils sont sous la forme d’investissements directs étrangers (IDE) peuvent enclencher des effets de reports et assurer des transferts de technologie.
Dès lors, chacun est à la recherche des mécanismes qui fondent l’émergence. Or nombreux sont ceux qui voient dans l’insertion internationale l’élément clé qui fait que l’émergence peut être appréhendée comme un modèle de développement en économie ouverte.
L’insertion internationale et les excédents commerciaux rendus possibles grâce à des coûts de main d’œuvre faibles sont les critères de performance les plus volontiers mobilisés pour caractériser un pays émergent[8]. Des réformes qui permettent l’insertion accrue dans les chaînes de valeurs, une ouverture plus large du compte courant (baisse des tarifs douaniers et adoption des règles de l’OMC) et du compte de capital (réduction des contrôles sur les mouvements internationaux de capitaux et politique d’attractivité pour les capitaux étrangers) sont alors adoptées par les pays candidats à l’émergence.
L’absence de ce type de réformes explique notamment pourquoi il est plus difficile pour un pays rentier à forte croissance d’intégrer les listes de pays émergents quand il lui manque la dimension « d’ouverture ».
- Perspectives d’avenir pour les pays émergents
Si la situation actuelle apparaît prometteuse pour les économies émergentes, l’avenir semble se présenter sous un jour encore plus favorable[9]. Il ressort des projections relatives à la croissance à long terme, établies sur la base des tendances démographiques et des modèles d’accumulation du capital et de productivité, que les économies émergentes devraient jouer un rôle encore plus important dans l’économie mondiale. À cet égard, plusieurs études font apparaître des résultats saisissants concernant les perspectives de croissance des économies émergentes. Selon certaines de ces études, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, considérés globalement, pourraient représenter plus de la moitié du poids des six plus grandes économies industrialisées actuelles d’ici à 2025, et ils pourraient les dépasser en moins de 40 ans.
Le centre de l’économie mondiale devrait continuer de se déplacer vers les pays émergents et va continuer de s’éloigner des pays matures (Amérique du Nord, Europe occidentale et le Japon) au cours des 35 prochaines années.
Le rétablissement rapide de la situation économique des « grands émergents » un an après la crise de 2007, a laissé naître l’espoir que ces pays connaissent un processus durable, que les turbulences mondiales ne puissent ébranler.
L’avenir des émergents, comme celle de la notion, dépendra certes de la volonté et de la propension des Etats à faire évoluer leur modèle, mais également de la situation économique des pays riches. Ces derniers empêtrés dans des problèmes de dettes, souvent détenues par des épargnants chinois, peinent à retrouver le chemin de la croissance.
Or, ne l’oublions pas : l’émergence est un processus de croissance mondialisée qui ne peut donc se concevoir et s’analyser de manière isolée.
Ainsi, l’évolution économique rapide des pays « émergents » est due par la volonté politique des Etats qui offrent à l’investissement étranger (IDE) un environnement juridique rassurant. L’intervention du gouvernement dans le secteur économique contrairement dans les économies de marché.
D’autres pays en développement, en particulier les pays de l’Afrique peuvent s’inspirer du modèle de développement des pays émergents dans la mise en place de leur programme de développement économique.
Les pays en développement en particulier de l’Afrique subsaharienne ont à relever le défi qui consiste à passer de systèmes de gouvernance économique et politique fondés sur les relations interpersonnelles à des systèmes fondés sur des règles. Ainsi les pays africains en suivant le modèle de développement des pays émergents doivent en matière de politique économique favoriser les transferts de technologies par un investissement soutenu dans le capital humain.
La politique éducative doit jouer un rôle essentiel en offrant une main d’œuvre qualifiée et les pouvoirs publics doivent favoriser les échanges et les investissements directs étrangers.
[1] www.ecoinfosmonde.com/ « Qui sont les pays émergents ? », Copyright 2011.
[2]Francis Koutouzi « Modèle économique des pays émergents : une évaluation théorique et empirique des pays émergents de l’Asie », page 56, édition 2009.
[3] Moulay Mamoune Alaoui « Economie du Développement », 3 e édition augmentée et remaniée, page 101, édition 1997, IMP : El Maarif Al Jadida Rabat.
[4] Alexander Vatimbella : Eco Info Monde « Le BRICS en passe d’être contrôlé par la Chine », page ½, Copyright 2014, Les nouveaux Mondes.org.
[5] Eco Info Monde « l’Attractivité de la mondialisation & des pays émergents », page 4, Copyright 2013.
[6] Dalida Nicef- Chenaf « Les pays émergents : performances ou Développement ? », page 6, La Vie des idées, 4 mars 2014. ISSN : 2105-3030.
[7] Rougier Eric avec Nicef-Chenaf Dalida « IDE et croissance : le rôle des changements structurels », page 8, in Ben Hammouda H., Oulmane N. Sandretto R., Attractivité et conditions de l’émergence en Méditerranée, Le Harmattan, 2009.
[8] Pierre Prissert, Alain Piquemal « Stratégie et économie des échanges internationaux », page 55, 5 e édition 1993, Revue Banque, Collection Institut Technique de Banque.
[9] Christophe Jaffrelot « L’enjeu mondial, les pays émergents », page 203, Collection Annuels, Editeur : presses de Sciences Po (P.F.N.S.P), Edition 2008, ISBN : 9782724610871