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Le travail précaire : Quelle différence entre CDD et CDT ?

 

 

Bouassem Fouad

Docteur en Droit Privé

 

 

Le travail précaire :

Quelle différence entre CDD et CDT ?

Le travail normal est celui qui concerne un travailleur au service d’un employeur, opérant en un lieu déterminé, pour une durée du travail à plein temps et dont la condition est régie par un contrat à durée indéterminée. Par opposition, dès qu’une relation du travail ne présente pas l’ensemble de ces caractères, on peut considérer qu’elle est atypique.

L’emploi précaire  a un caractère provisoire, instable et incertain qui le distingue de l’emploi normal. Ce type d’emploi prend de multiples formes : les faux indépendants, le travail intérimaire[1], le contrat de travail à durée déterminée…,. Dans ce contexte, la défense des intérêts des travailleurs devient de plus en plus difficile, ce qui contribue à affaiblir l’influence de leurs organisations représentatives.

La réglementation du contrat de travail temporaire est, pour une large part, la copie de celle du contrat à durée déterminée (I) ; Mais le contrat de travail temporaire présente quelques différences qui sont essentiellement liées au caractère triangulaire des relations entre le salarié, l’entreprise de travail temporaire (l’employeur de droit) et l’entreprise utilisatrice (l’employeur de fait) (II).

-I- : Des cas de recours presque semblables :

Les conditions du recours au contrat de travail temporaire (CTT) sont similaires à celles qui s’appliquent au contrat à durée déterminée (CDD).

le législateur marocain a opté pour une conception simple et claire, en s’inspirant de la famille Européenne, selon laquelle on a  recours au travail précaire pour faire face à un besoin de main-d’œuvre à caractère non permanent, et en prévoyant un régime juridique de ce principe général de recours au travail précaire (A), et en déterminant des cas limités de recours(B).

– A- le régime de principe général de recours :

Afin de protéger les intérêts des salariés et de défendre l’emploi permanent,  la majorité des pays ont instauré un principe de recours au travail précaire.

Le législateur marocain a posé le principe général de recours au travail temporaire, Le code du travail Marocain prévoit que : « L’utilisateur peut recourir aux salariés de l’entreprise d’emploi temporaire après consultation des organisations représentatives des salariés dans l’entreprise[2], en vue d’effectuer des travaux non permanents appelés « tâches ».[3]

Cela signifie que ce principe révèle deux exigences :l’entreprise utilisatrice ne peut pas faire appel aux services des entreprises de travail temporaire pour faire face à un besoin de main-d’œuvre à caractère permanent, et que la tâche du salarié temporaire est limitée et passagère.

Pourtant, une question se pose : Où se situe le seuil au-delà duquel le caractère durable de la tâche interdit le recours au travail temporaire ?

Sans définir le seuil, les législateurs contemporains ont employé des garde-fous pour limiter l’utilisation du travail temporaire. Le premier élément de la réponse se trouve dans la loi[4] elle-même qui dispose que : « La durée du contrat, compte tenu, le cas échéant, du renouvellement, ne peut excéder six mois », mais la situation se complique en présence d’un emploi saisonnier ou en cas de remplacement d’un salarié absent quand le contrat ne comporte pas de terme précis. Quand la relation de travail se prolonge, les juges du fond doivent vérifier que le contrat n’a pas pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise[5].

Autre délai prévu par la loi pour éviter le recours à des travailleurs intérimaires en lieu et place des salariés de l’entreprise : Ceux qui sont applicables après un licenciement économique[6], pendant une année, pour les postes concernés par le licenciement.

Au-delà de ces dispositions, la finalité première du législateur marocain est d’empêcher que le recours au travail précaire ne devienne un mode ordinaire de gestion des emplois. Comme le CDD, le CTT ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche non durable : il ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Par ailleurs, les mêmes interdictions s’appliquent au CDD et au CTT. Il est ainsi interdit de conclure un contrat précaire (CTT ou CDD) pour faire face à un accroissement temporaire d’activité dans les six mois suivant un licenciement pour motif économique, pour remplacer un salarié gréviste ou pour effectuer certains travaux particulièrement dangereux.

-B- : les motifs de recours :

Le législateur marocain a un objectif à atteindre, cet objectif étant la protection des intérêts des salariés précaires dans cette relation du travail contre le recours abusif des utilisateurs, et aussi la protection de l’emploi permanent, ce sont ces motifs qui ont mené le législateur à fixer des règles visant le recours au travail précaire. Ces règles peuvent nous aider à restreindre le recours des entreprises utilisatrices à cette activité, et faciliter le contrôle des autorités administratives de travail.

Le législateur marocain a essayé d’établir un aménagement entre le principe général de recours au travail temporaire, et l’instauration d’une liste limitative des cas de recours licites.

En plus du principe selon lequel l’utilisateur au Maroc ne peut faire appel aux travailleurs précaires , que pour effectuer des travaux non permanents, le législateur a déterminé une liste des cas dans lesquels le recours au travail temporaire est autorisé. Ces deux techniques reflètent le souci du législateur marocain d’utiliser les travailleurs temporaires sur des postes de travail qui entrent dans l’activité permanente et normale de l’entreprise utilisatrice.

L’établissement d’une liste des cas de recours autorisés indiquant avec précision les besoins inopinés de la main-d’œuvre temporaire des entreprises utilisatrices, a pour but d’éviter les abus et les fraudes très connus en matière de travail temporaire, et essayer de garantir un minimum de protection pour les salariés temporaires, et cela ne pas pour nuire au développement de travail temporaire.

Le législateur marocain, dans l’article 496 du code du travail, énumère de façon limitative les cas dans lesquels il est possible de faire appel aux services des entreprises de travail temporaire[7] ainsi que les cas dans lesquels est interdit un tel recours.[8] Cette liste a pris en considération les besoins exceptionnels des entreprises utilisatrices de main-d’œuvre temporaire, pour faire face à ces besoins.

Ces cas de recours[9][10] sont de nombre de trois : remplacement d’un salarié absent, accroissement des activités et travaux temporaires par nature, et aussi l’exécution des travaux pour lesquels on ne peut pas conclure de contrat à durée indéterminée.

Les juges doivent contrôler de la même façon le recours au CTT et le recours au CDD.

Ainsi, lorsque la conclusion d’un contrat précaire est motivée par un accroissement temporaire d’activité, les juges  doivent vérifier que ce contrat correspond aux besoins d’une ou plusieurs tâches résultant du seul accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise (par exemple en cas de variations cycliques de production), sans exiger ni que cet accroissement présente un caractère exceptionnel, ni que le salarié recruté soit affecté à la réalisation même de ces tâches. Il a par exemple été jugé que la conclusion de contrats de mission motivés par un accroissement temporaire d’activité était illicite dès lors que l’entreprise utilisatrice connaissait non pas des accroissements temporaires de son activité, mais une augmentation constante et structurelle de sa production.[11]

La plupart des pays, qui ont réglementé strictement le travail précaire, ont limité le recours à cette activité à des situations bien précises.

-II- : Les rapports contractuels :

Le recours au contrat à durée déterminée suppose la conclusion d’un seul contrat écrit,  alors que le recours au  contrat du travail temporaire nécessite l’établissement de deux contrats, un contrat de mise à disposition entre l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice (A),et un contrat de mission entre le travailleur intérimaire et l’entreprise de travail temporaire(B) .

-A- : Le contrat de mise à disposition :

Lorsqu’une entreprise d’emploi temporaire a mis un salarié à la disposition d’un utilisateur, elle doit conclure avec celui-ci un contrat écrit à cet effet comportant les indications suivantes :

L’établissement d’un contrat écrit vise à garantir le respect des différentes conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’œuvre est interdite. Son omission entraîne la nullité absolue du contrat. L’entreprise de travail temporaire est alors en droit d’obtenir le remboursement par l’entreprise utilisatrice des rémunérations versées au salarié mis à disposition, ainsi que des charges sociales qu’elle a acquittées.

En revanche, le salarié, qui n’est pas partie au contrat de mise à disposition, ne peut se prévaloir de l’absence de certaines mentions dans ce contrat pour faire valoir les droits afférents à un contrat à durée indéterminée auprès de l’entreprise utilisatrice. L’absence de contrat de mise à disposition ne peut être invoquée par le travailleur intérimaire pour obtenir la requalification de son contrat en CDI auprès de l’entreprise utilisatrice que si cette dernière continue à le faire travailler à la fin de sa mission sans avoir conclu un nouveau contrat de mise à disposition.

-B- : Le contrat de mission :

Le contrat liant l’entreprise d’emploi temporaire à tout salarié mis à la disposition de l’utilisateur est un contrat écrit.

Ce contrat doit indiquer ce qui suit :

Le contrat doit stipuler la possibilité d’embaucher le salarié par l’entreprise utilisatrice après la fin de sa tâche. L’absence de contrat de mission ou les irrégularités qui l’affectent (absence du nom du salarié remplacé, par exemple) permettent au salarié de faire valoir les droits afférents à un contrat à durée indéterminée auprès de l’entreprise de travail temporaire

La durée maximale de la période d’essai applicable au CTT est plus courte que celle applicable au CDD[13]. À défaut d’être fixée par une convention ou un accord de branche, elle ne peut excéder 2 jours si le contrat est conclu pour une durée inférieure ou égale à un mois, 3 jours si le contrat est conclu pour une durée comprise entre un et deux mois et 5 jours si le contrat a une durée supérieure à deux mois[14].

Le statut du travailleur intérimaire est, contrairement à celui du salarié sous CDD, très différent des autres salariés de l’entreprise utilisatrice. En effet, le travailleur intérimaire est salarié de l’entreprise de travail temporaire, et non de l’entreprise utilisatrice.

Toutefois, les travailleurs temporaires doivent bénéficier de certains droits identiques à ceux des salariés permanents de l’entreprise utilisatrice. Tout d’abord, la loi tend à garantir aux travailleurs précaires, quelle que soit la forme juridique de leur emploi (CDD ou CTT), des droits à rémunération équivalents à ceux dont bénéficient les salariés permanents de l’entreprise. Elle prévoit ainsi que la rémunération (avantages et accessoires inclus) perçue par le salarié temporaire ne peut être inférieure à celle que percevrait dans l’entreprise utilisatrice, après la période d’essai, un salarié de qualification équivalente occupant le même poste.

Par ailleurs, les salariés intérimaires sont, pendant la durée de leur mission, soumis à la durée du travail applicable au personnel de l’entreprise utilisatrice, ainsi qu’aux règles d’hygiène et de sécurité résultant du règlement intérieur de l’entreprise utilisatrice.

Le recours illicite au CTT comme au CDD peut donner lieu, d’une part, à des sanctions pénales pour les entreprises concernées et, d’autre part, à la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et au paiement d’une indemnité de requalification. Pour ce qui concerne les sanctions applicables, la seule différence entre le CTT et le CDD réside dans le fait que le travailleur intérimaire peut faire valoir les droits afférents à un CDI contre l’entreprise utilisatrice ou contre l’entreprise de travail temporaire, en fonction des règles qui ont été méconnues :

– le contrat sera requalifié en CDI avec l’entreprise utilisatrice, lorsque cette dernière a recours au travail temporaire sans justifier de l’un des motifs légaux ou en violation de l’une des interdictions légales, ou bien encore en cas de méconnaissance des règles relatives au terme et au renouvellement du contrat.

– le contrat sera requalifié en CDI avec l’entreprise de travail temporaire lorsque cette dernière ne respecte pas les obligations mises à sa charge, ou en cas de conclusion d’un contrat de mise à disposition qui méconnaît les dispositions régissant le recours au travail temporaire.

Pour conclure, on constate que le législateur marocain a bien fait d’instaurer une limitation des cas de recours au travail précaire en précisant les situations dans lesquelles le travail précaire est autorisé ou interdit.

Il nous semble que cette liste convient au bon développement de l’activité de travail précaire, tout en notant qu’il faut renforcer un contrôle strict pour éviter les abus et les fraudes. La combinaison entre un principe général de recours et une liste limitative des cas de recours est un moyen efficace de contrôle du travail précaire. Les risques d’abus dans la profession tiennent plus à la non-régulation de cette activité, et à la pratique clandestine qui s’y développe, qu’à la profession elle-même.

 

 

 

[1]Le vocabulaire utilisé risque d’être trompeur, le choix entre l’utilisation du travail temporaire ou intérimaire, utiliser le premier qualificatif c’est insister sur la durée limité de la fonction exerce, employé le second c’est mettre l’accent sur l’intervalle de temps pendant lequel une fonction vacante est exercée par une autre personne que le titulaire.

[2] Les syndicats, le comité de l’entreprise.

[3] L’article 496 du code du travail marocain.

[4]L’article 500 du code du travail marocain.

[5] C’est le cas, par exemple lorsque chaque année la personne travaille pendant toute la période d’activité de l’établissement. Un tel contrat sera requalifié à durée indéterminée.

(Voir par exemple: cass. soc, 6 juin 1991, RJS 1991, n°817, 7 avril 1998.)

[6] Article 498 du code du travail marocain. En France six mois, v l’article L.1251-9 du code du travail français.

[7] A noter que les cas de recours au travail temporaire sont les mêmes prévus pour le recours au contrat à durée déterminée, v article 16 du code du travail marocain.

[8] Par exemple : le cas d’exécution des travaux comportant des risques, et en cas de licenciement, et de grève.

[9]Le contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que dans les cas suivants :

– le remplacement d’un salarié par un autre dans le cas de suspension du contrat de travail de ce dernier, sauf si la suspension résulte d’un état de grève ;

– l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;

– si le travail a un caractère saisonnier.

Le contrat de travail à durée déterminée peut être conclu dans certains secteurs et dans certains cas exceptionnels fixés par voie réglementaire après avis des organisations professionnelles des employeurs et des organisations syndicales des salariés les plus représentatives ou en vertu d’une convention collective de travail.

Article17

Lors de l’ouverture d’une entreprise pour la première fois ou d’un nouvel établissement au sein de l’entreprise ou lors du lancement d’un nouveau produit pour la première fois, dans les secteurs autres que le secteur agricole, il peut être conclu un contrat de travail à durée déterminée pour une période maximum d’une année renouvelable une seule fois. Passée cette période, le contrat devient dans tous les cas à durée indéterminée.

Toutefois, le contrat conclu pour une durée maximum d’une année devient un contrat à durée indéterminée lorsqu’il est maintenu au-delà de sa durée.

Dans le secteur agricole, le contrat de travail à durée déterminée peut être conclu pour une durée de six mois renouvelable à condition que la durée des contrats ne dépasse pas deux ans. Le contrat devient par la suite à durée indéterminée.

[10] Article 496 du code du travail :

L’utilisateur a recours aux salariés de l’entreprise d’emploi temporaire après consultation des organisations représentatives des salariés dans l’entreprise, en vue d’effectuer des travaux non permanents appelés « tâches » uniquement dans les cas suivants :

1 -pour remplacer un salarié par un autre en cas d’absence ou en cas de suspension du contrat de travail, à condition que ladite suspension ne soit pas provoquée par la grève ;

2 -l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;

3 -l’exécution de travaux à caractère saisonnier ;

4 -l’exécution de travaux pour lesquels il est de coutume de ne pas conclure de Contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature du travail.

[11]Cassation. soc. 9 juillet. 2008, n° 06-46.164

[12] Article 499 du code du travail : Lorsqu’une entreprise d’emploi temporaire a: mis un salarié à la disposition d’un utilisateur, elle doit conclure avec celui-ci un contrat écrit à cet effet comportant les indications suivantes :

– la raison justifiant le recours à un salarié intérimaire ;

– la durée de la tâche et le lieu de son exécution ;

– le montant fixé comme contrepartie de la mise du salarié à la disposition de l’utilisateur.

[13]V article 14 alinéa 2 du code du travail :La période d’essai en ce qui concerne les contrats à durée déterminée ne peut dépasser :

– une journée au titre de chaque semaine de travail dans la limite de deux semaines lorsqu’il s’agit de contrats d’une durée inférieure à six mois

– un mois lorsqu’il s’agit de contrats d’une durée supérieure à six mois.

Des périodes d’essai inférieures à celles mentionnées ci- dessus peuvent être prévues par le contrat de travail, la convention collective ou le règlement intérieur.

[14] Article 502 du code du travail.

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