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Le Sahara marocain : Analyse de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 10 décembre 2015

« Le Sahara marocain : Analyse de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 10 décembre 2015 »

Dr. Rafik Naimi

Enseignant chercheur à l’Université Moulay Ismail, Meknès

 

Introduction

Le Maroc est un pays historiquement ouvert aux relations internationales. Les premiers accords conclus avec les pays de l’Union européenne remontent à 1963. Depuis cette date, le Maroc adhère, sans hésitation aucune, à une série d’accords avec les pays de l’UE, faisant de cette dernière, le partenaire stratégique par excellence.

Le Statut Avancé octroyé par l’UE au Maroc en 2008, constitue incontestablement, le point d’orgue des relations Euro-marocaines. Cependant, le 10 décembre 2015, un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne bouleverse le cours des évènements. Dans cette perspective, la Cour accède à la requête du « Front Polisario », tendant à annuler l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc. Comment la Cour de Justice de l’Union européenne ait pu construire son raisonnement pour juger de la recevabilité de la demande du Front Polisario ?. Telle est la question principale soulevée dans le cadre de cet article. Pour tenter d’y répondre, notre papier sera scindé en deux grandes parties. Nous abordons dans la première, un rappel des faits, et plus spécialement, le contexte de l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’UE, pour se focaliser dans une deuxième partie, sur les fondements de la Cour de Justice de l’UE quant à la recevabilité de la requête déposée par le Polisario.

Dans l’affaire portée devant la Cour de Justice de l’Union européenne[1] (T-512/12), le Polisario en tant que partie requérante a été représentée par C-E. Hafiz et G. Devers, avocats. La partie défenderesse, est constituée par le Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Kyriakopoulou, M.A de Elera-San Miguel Hurtado, Mmes A. Westerhof Lofflerova et N.Rouman, en qualité d’agents. Le Conseil de l’Union européenne a été soutenu par la Commission européenne, représentée par MM.F. Castillo de la Torre, E.Paasivirta et D. Stefanov, en qualité d’agents. Le Tribunal (huitième Chambre) est composé de  M.D Gratsias, président, Mme M.Kancheva et M.C Wetter, juges, et de Mme S.Buksek Tomac, greffier.

Plus concrètement, la requête déposée au greffe du tribunal, le 19 novembre 2012, par le Front Polisario consiste à demander l’annulation de la décision 2012/497/UE du Conseil, du 8 mars 2012, concernant la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc relatif aux mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche, au remplacement des protocoles n : 1,2,3 et de leurs annexes et aux modifications de l’accords euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part[2]. En termes plus clairs, le Polisario considère le Sahara marocain, comme son propre territoire. Il conteste que l’accord conclu entre le Maroc et l’UE, s’étende à cette ère géographique.

En préambule de l’arrêt, un grand titre choque les esprits : « Sur le statut international du Sahara Occidental ». Le lecteur n’a pas besoin de lire les 251 paragraphes de l’arrêt constituant le raisonnement de la Cour pour en connaître la teneur. Le choix est déjà opéré. En parlant de « statut international du Sahara », les juges ont pris une position en faveur du Polisario. Or, le Sahara a toujours été un territoire marocain. De plus, l’accord de Madrid du 14 novembre 1975 corrobore cette réalité irréversible.

 Lors du premier paragraphe de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne, les juges ont rappelé que le Sahara marocain a été colonisé par le Royaume d’Espagne, à la suite de la Conférence de Berlin de 1884, et que ce territoire a constitué une province espagnole depuis la deuxième guerre mondiale. Le Royaume du Maroc a revendiqué le Sahara depuis son accession à l’indépendance, précisent les juges. Ces derniers ont ensuite, passé en revue un certain nombre de résolutions[3] touchant le Sahara marocain. « La marche verte »[4] organisée par feu Hassan II dans la perspective de libérer le Sahara a été citée par les juges de la Cour.

Le fameux accord de Madrid, du 14 novembre 1975, signé à Madrid par le Royaume d’Espagne, le Royaume du Maroc et la République islamique de Mauritanie a été intégré dans les débats. Dans cet accord, le Royaume d’Espagne décide de se retirer du Sahara, et que les pouvoirs du Royaume d’Espagne, en tant que puissance administrative du Sahara, « seront transférés à une administration tripartite temporaire ». Disposant de la légalité historique, et de  ses droits inaliénables sur ses propres territoires, le Royaume du Maroc récupère son Sahara, et y lance des projets de grande envergure[5].

Les juges ont fini par parler du conflit armé opposant le Royaume du Maroc et le Polisario, mais que les deux parties ont accepté le règlement du conflit, proposé par le Secrétaire général de l’ONU. A ce titre, ils ont évoqué la résolution 690 du 29 avril 1991 établissant la Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un Référendum au Sahara[6].

Il convient de rappeler que le Maroc a proposé la régionalisation avancée pour résoudre de façon définitive la question du Sahara. Le Polisario n’a pas manqué de présenter sa vision des choses au juges « (….) Par acte déposé au greffe du Tribunal le 2 juin 2015, le requérant a demandé à pouvoir verser au dossier trois pièces non antérieurement présentées, qu’il estimait pertinentes pour la solution du litige. Par décision du 12 juin 2015, le président de la huitième Chambre du Tribunal a décidé de verser cette demande ainsi que les pièces qui y étaient annexées au dossier de l’affaire. Les parties défenderesse et intervenante ont présenté leurs observations relatives aux pièces en question lors de l’audience. Dans ce contexte, le Conseil a fait valoir qu’elles avaient été produites tardivement et que, en tout état de cause, elles n’apportaient aucun élément nouveau aux débats. Pour sa part, la Commission a exprimé ses réserves quant à leur pertinence pour la solution du litige[7] ».

Il y a lieu de signaler que le projet de régionalisation avancé prévu pour le Sahara marocain, et qui a été salué par plusieurs Etats, voire plusieurs organisations internationales, compris l’Organisation des Nations Unies (ONU), a insufflé une dynamique notable dans la région du Sahara. De surcroît, une étude portant sur les modalités de développement de cette région a été menée récemment dans la perspective de concevoir un « modèle » de développement, en parfaite symbiose avec les aspirations des gens de la région, et en phase avec  ses spécificités. Cependant, le Polisario n’a rien proposé pour l’heure. Qui est donc cette entité fantôme, et comment la Cour de Justice de l’Union européenne ait pu déclarer la recevabilité de sa requête ?, cela est-il en conformité avec les dispositions du droit international public ? 

II Fondements de la Cour de Justice de l’Union européenne quant à la recevabilité de la requête déposée par le Polisario

De prime à bord, il convient de diagnostiquer les conditions requises pour pouvoir saisir la Cour de Justice de l’Union européenne. Selon l’article 263, quatrième alinéa, du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), toute personne physique ou morale a le droit de former un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement. L’article 44, paragraphe 5, du code de procédure du Tribunal saisi de la requête du Polisario prévoit ce Qui suit : « si le requérant est une personne morale de droit privé, il joint à sa requête ses statuts ou un extrait récent du registre de commerce, ou un extrait récent du registre des associations ou toute autre preuve de son existence juridique, et la preuve que le mandat donné à l’avocat a été régulièrement établi ».

En conséquence, le Tribunal a invité le Polisario à prouver son existence juridique. Ce dernier a prétendu qu’il était « un sujet de droit international, disposant de la personnalité juridique internationale ». Les prétentions du Polisario n’ont pas convaincu le Tribunal qui avait en définitive, conclu l’absence  de  personnalité juridique du Polisario. En effet, le paragraphe 38 de l’arrêt du Tribunal énonce ce diagnostic macabre : « Le requérant n’avait pas joint à sa requête de documents tels que ceux prévus à l’article 44, paragraphe 5, du règlement de procédure du 2 mai 1991.

« A la suite de la fixation d’un délai par le greffe aux fins de régularisation de la requête, il a produit des extraits de ses statuts, un mandat à son avocat établi par une personne habilitée à cet effet par lesdits statuts, à savoir son Secrétaire général, ainsi que la preuve de l’élection de ce dernier. En revanche, il n’a pas produit de documents additionnels pour prouver qu’il disposait de la personnalité juridique »[8].

Il s’en suit que le Front Polisario n’est pas un sujet de droit international, et qu’il ne dispose pas subséquemment de la personnalité juridique. Le droit international est clair sur la question. Les sujets du droit international sont principalement les Etats, les Organisations Internationales (OI), les Organisations Non Gouvernementales (ONG), les sociétés transnationales, et dans une moindre mesure, les individus. « (…) De leur côté, les objectivistes de l’école sociologique (Léon Duguit, Georges scelle…) considèrent au début du XXème siècle, que seul l’individu peut être un sujet de droit international dans la mesure où la norme juridique naîtrait quand les individus ont conscience que l’importance d’une norme sociale justifie la sanction de sa violation [9]».

Or, abstraction faite de cette exception attribuée à l’école de la solidarité sociale, l’on peut affirmer, sans ambages, que le droit international, depuis les traités de Westphalie (1648)[10], est défini comme étant le droit applicable aux Etats. Et si l’Etat jouit seul de la personnalité juridique internationale, l’individu a une personnalité juridique dérivée. En d’autres termes, l’individu puise sa personnalité juridique de l’Etat, dans l’espace duquel il vit. Donc, le Polisario n’a pas la qualité requise pour intenter tout type de recours devant les Tribunaux européens.

Le Conseil de l’Union européenne, partie défenderesse dans le procès, soutient dans le paragraphe 42 que la personnalité juridique du Polisario est douteuse : « Le conseil fait valoir que le requérant n’a pas prouvé l’existence de sa capacité juridique à former le présent recours. Selon lui, le requérant semble assimiler sa qualité de représentant du peuple du Sahara à l’existence de la personnalité juridique de plein droit au regard du droit international, qui est propre aux Etats souverains. Le conseil conteste que ces deux concepts soient assimilables et que le requérant puisse être assimilé à un Etat ».

L’absence de la personnalité juridique du Polisario aurait suffit à rejeter sa requête par les juges, et ce, Conformément à l’article 263, quatrième alinéa, du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), et à l’article 44, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991. Pourtant, ils déclarent recevable la requête du Polisario au mépris du droit international, et des règles procédurales des institutions judiciaires de l’Union européennes !. Pour ce faire, les juges ont  creusé dans la jurisprudence[11]. L’on peut se demander avec stupeur pourquoi les juges se ruent-ils à la jurisprudence, pourtant les textes juridiques mentionnés précédemment existent (Article 263 du TFUE, et l’article 44 du règlement de procédure du Tribunal) !!.

Les juges se sont principalement focalisés sur un arrêt, et une ordonnance rendus par la Cour de Justice pour admettre la recevabilité de la requête présentée par le Polisario. Il s’agit en substance de l’ arrêt[12] du 28 octobre 1982. Les parties en procès sont respectivement la Commission européenne, et une association de dix agences de voyages regroupées pour répondre ensemble à un appel d’offres. La Commission contestait la capacité de l’association des agences de voyages à ester en justice. Ce que la Cour de Justice a refusé : « La Cour de justice a relevé à cet égard que la Commission avait admis elle-même la recevabilité de l’offre introduite par l’association en cause et l’avait rejetée après un examen comparatif de l’ensemble des soumissionnaires ».

La Cour a fini donc par admettre la capacité d’ester en justice au profit de l’association en question. Ce qui est important à relever dans cet arrêt, est que la Commission a contesté la capacité d’ester en justice pour l’association de dix agences de voyages. Pourtant, cette association dispose de la personnalité morale selon le droit d’un Etat internationalement reconnu. Ce qui n’est pas le cas pour le Polisario : «(..) Le Front Polisario n’en a aucune manière à rapporter la preuve de sa constitution selon le droit interne d’un Etat internationalement reconnu »[13].

De surcroît, pour admettre la recevabilité de la requête du Polisario, les juges du Tribunal saisis de l’affaire ont tablé sur l’ordonnance du 14 novembre 1963[14], Lassale/Parlement. Dans cette affaire, M. Claude Lassale, fonctionnaire au Parlement européen, constitue la partie requérante. Le Parlement européen, la partie défenderesse. La cour a estimé que le comité du personnel du Parlement européen, suivant les alinéas 1 à 3 de l’article 9 du statut des fonctionnaires, a la nature d’un organe interne de son institution, qui est le Parlement européen. La Cour a estimé qu’il est dépourvu de la capacité d’ester en justice.

Ce qui est important de savoir est que la Cour a privé le Comité du personnel du Parlement européen de faire prévaloir ses droits devant le tribunal. Pourtant, ce comité dispose d’un statut, et travaille dans le cadre d’un Etat intentionnellement reconnu. Le Front Polisario n’en a pas ses atouts, et pourtant, sa requête s’est vu acceptée !!. « Au regard de cette jurisprudence, il convient de conclure que, dans certains cas particulier, une entité qui ne dispose pas de la personnalité juridique selon le droit d’un Etat membre ou d’un Etat tiers peut néanmoins être considérée comme « une personne morale », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, et être admise à former un recours en annulation sur le fondement de cette disposition[15] ».

Ce qui est grave, c’est que les juges reconnaissent ouvertement que même si le Polisario n’a pas la capacité juridique d’ester en justice, il peut être considéré comme une personne morale, ce qui va aux antipodes du droit international public, et des législations des Etats membres ou non dans l’espace européen.

Conclusion

Les juges de la Cour de justice de l’Union européenne ont dépensé des énergies considérables pour admettre la requête du Polisario. Pourtant, cette entité fantôme est infondée pour ester en justice devant les tribunaux de l’Union européenne pour les considérations développées plus haut. Si les juges ont fini par accepter la requête du Polisario, c’est qu’il est fort possible qu’ils aient été influencés. Ce qui porte à dire que la recevabilité de la requête du Polisario par les juges de la Cour de Justice de l’Union européenne est illégale.

[1] La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a été créée en 1952, son siège principal se trouve en Luxembourg. Elle fait partie des institutions de l’Union européenne, à savoir, le Parlement européen, le Conseil européen, Conseil de l’Union européenne, Commission européenne, Banque centrale européenne, Cour des comptes européennes, Service européen pour l’action extérieure, Comité économique et social européen, Comité des régions, Banque européenne d’Investissement, Médiateur européen, Contrôleur européen de la protection des données, Services interinstitutionnels. Le rôle principal de la Cour de Justice de l’Union européenne consiste à veiller à ce que la législation de l’Union européenne soit interprétée et appliquée de la même manière dans tous les pays de l’UE, et garantir que les pays et les institutions de l’Union européenne respectent la législation européenne.

[2] JO L241, P.2.

[3] La résolution 1514 adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU, le 14 décembre 1960, sur l’octroi de l’indépendance aux pays colonisés.

La résolution 2229 demandant au Royaume d’Espagne, en tant que puissance administrative, d’arrêter l’occupation du Sahara, et ce en concertation avec les gouvernements marocain et mauritanien.

La résolution 3292 où l’Assemblée générale de l’ONU décide de demander à la Cour Internationale de Justice un avis consultatif sur la question de savoir si au moment de la colonisation du Sahara par l’Espagne, le Sahara était un territoire « sans maître ». Le 16 octobre 1975, la Cour Internationale de Justice a rendu l’avis consultatif, selon lequel, le territoire du Sahara, n’était pas un territoire sans maître au moment de sa colonisation par l’Espagne. Et que des liens juridiques existent entre ce territoire, le Royaume du Maroc, et la Mauritanie. D’autres résolutions ont porté sur le Sahara marocain, les résolutions 377 du 22 octobre 1975, et 379 du 2 novembre 1975, et 380 du 6 novembre 1975.

[4] La marche verte, dite aussi la marche pacifique, évoque des évènements radieux de l’histoire marocaine. Feu Hassan II a appelé à l’organisation pacifique de cette marche en direction du Sahara pour pouvoir la libérer. 350 000 personnes y ont participé.

[5] Les projets envisagés dans le Sahara marocain sont dignes d’un véritable plan Marechal : projet de réalisation d’une voie ferrée liant la ville de Lagouira à la ville de Tanger, inauguration d’un grand port à la ville de Dakhla, le projet de dessalement à Dakhla, un investissement dans les énergies renouvelables estimé à un milliard d’euros dans des parcs éoliens et des réseaux de raccordement…Le budget global de ces projets s’élève à 77 milliards de DH.

[6] Communément répandu sous la dénomination du MINURSO.

[7] Arrêt du Tribunal (huitième chambre) du 10 décembre 2015.

[8] Arrêt du Tribunal, op. cit

[9] A. Janati-Idrissi, M .Zerouali, Le droit international à l’aube du troisième millénaire, Hillal, 2004, p.81.

[10] Les traités de Westphalie (1648) avaient min fin à la guerre de trente ans (1618-1848). C’est à l’occasion de leur signature que le droit international a vu le jour.

[11] La jurisprudence est l’ensemble des décisions de justice relatives à une question juridique donnée. Il s’agit donc de décisions précédemment rendues, qui montrent comment un problème juridique a été résolu.

[12] Groupement des Agences de voyages/Commission (135 /81, Rec, EU : C : 1982 : 371, point 10).

[13] Arrêt du Tribunal du 10 décembre 2015.

[14] Lassale/Parlement (15/63, Rec, EU : C : 1963 : 74, p.97, 100.

[15] Arrêt, op.cit.

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