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Le contrôle de la validité des élections législative par la cour constitutionnelle

La chambre constitutionnelle au sein de la cours suprême, conseil constitutionnel et aujourd’hui, avec la réforme constitutionnelle de 2011, une cour constitutionnelle. Trois étapes de la vie de la justice constitutionnelle marocaine marquées par des acquis démocratiques et une consécration des valeurs universelles et des droits fondamentaux.

Certes, la constitution de 2011, a «élargie le domaine de compétence de la cour, surtout à la lecture desl’article 133 et 55, puisque le premier permet de  soulever l’exception d’inconstitutionnalité au cours d’un procès, et le second habilite la cour  à statuer sur la conformité des conventions internationales à la constitution.

Mais puisque l’activité la plus absorbante de la cour constitutionnelle reste le contrôle de la validité des élections législatives, il nous parait judicieux d’apporter quelques éclaircissements à ce niveau, surtout à travers la validité du mandat et la validité de l’élection.

 

Historique

Au Maroc, l’institution de la justice constitutionnelle est un fait relativement ancien qui remonte au début des années soixante. C’est en effet dans le cadre de la première constitution de 1962 que fut créée  au sein de la cour suprême, une chambre constitutionnelle.

La création effective d’une juridiction constitutionnelle ne remonte qu’à la révision constitutionnelle du 4 septembre 1992 qui a prévu l’installation  d’un conseil constitutionnel doté de toutes les attributions dont bénéficient les cours constitutionnelles dans le système européen de justice constitutionnelle.

La décision d’inaugurer cette nouvelle ère s’inscrit dans le cadre des réformes qui traduisent la volonté de renforcer l’Etat de droit en faisant de cette juridiction le garant de l’équilibre des institutions constitutionnelle et le protecteur des droits et libertés.

Cette longue maturation de l’expérience de la justice constitutionnelle a abouti, dans le cadre de la réforme constitutionnelle, à une profonde transformation de l’organe chargé du contrôle tant au niveau de son organisation qu’à celui de l’étendue des compétences qui lui sont attribuées.

Il se caractérisait par son indépendance et sa situation extérieure par rapport à l’organisation judicaire du pays.Composé de neuf, puis de douze membres, ses compétences[1] et sa saisine[2] furent élargies.

Situation nouvelle au Maroc, la création d’un conseil constitutionnel ne risquait elle pas de compromettre les rapports qui doivent être établis entre la juridiction constitutionnelle et le pouvoir législatif ?

Même si le célèbre reproche qu’adressait Carl Schmit à la justice constitutionnelle, à savoir qu’elle constitue de la politique déguisée en justice, ne trouve plus d’adhérents aujourd’hui et l’unanimité s’est fait autour de phénomène de constitutionnalisation de la vie politique.

Le développement  de la justice constitutionnel, phénomène universel depuis la fin de la seconde guerre mondiale, a progressivement soumis la vie politique à un ensemble de règles juridiquement sanctionnées. La politique est « saisie par le droit »[3], législatif, exécutif doivent intégrer les données de la jurisprudence constitutionnelle.

Chacun des trois pouvoirs, bousculés dans ses traditions, atteint dans son prestige, oppose souvent une certaine résistance à cette évolution. En effet, la forte légitimité démocratique que leur confère l’élection  au suffrage universel, prédispose les parlementaires à une certaine «  arrogance juridique » caractérisée par un sentiment d’infaillibilité peu compatible avec l’idée d’un contrôle juridictionnel des lois.

Incarnation d’un pouvoir judicaire fort, le juge constitutionnel a longtemps constitué une source de crainte pour les systèmes politiques. Le juge constitutionnel est toujours accusé de concurrencer le parlement, lors de son contrôle pour inconstitutionnalité.

Mais, progressivement, face aux attaques du parlement, le juge constitutionnel a su affirmer son autorité en développant un certain nombre de techniques jurisprudentielles, en rendant des décisions fondamentales, et en « régulant » le fonctionnement des institutions.

L’institution d’une justice constitutionnelle constituait une exigence, non parce qu’il s’agit d’une technique ou d’un instrument supplémentaire destiné à compléter l’ingénierie constitutionnelle, mais parce que c’était l’outil de participation démocratique et la condition sine quanon  de la réalisation et du maintien de l’Etat de droit.

En remontant l’histoire constitutionnelle et politique européenne, c’était commettre un sacrilège que d’associer dans unemême proposition « juridiction constitutionnelle » et « élections ».

Jusqu’au début du siècle dernier, les parlementaires refoulaient dans l’inconcevable toute intervention d’un corps étranger dans la sphère d’action des dignitaires de la nation au nom de la souveraineté parlementaire.L’interventionnisme étatique renforça les exécutifs et corrélativement réduisit la conception et les pouvoirs des assemblées.

L’instauration d’une cour constitutionnelle destiné à contrôler un parlement jugé trop puissant va faire du contentieux électoral un domaine d’intervention du juge constitutionnel. La cour est donc compétente pour le contrôle des opérations électorales législatives.

En exerçant ce contrôle, la compétence du juge constitutionnel se limite aux opérations électorales, à l’exclusion du contentieux relatif à l’inscription sur les listes électorales et du dépôt des candidatures, qui relève des attributions des tribunaux de première instance.

            Cette compétence relative aucontentieux électoral constitueau niveau quantitatif la plus grande compétence attribuée à la cour vu le nombre des requêtes introduites et des décisions prises par le juge constitutionnel dans son domaine.

Le Maroc a confié, dès sa première constitution le contentieux électoral et le contrôle de la régularité du scrutin à une juridiction constitutionnelle. Pour que la composition du parlement soit l’émanation du peuple, ses représentants doivent être élus selon les règles les plus démocratiques en respectant les prescriptions normatives en la matière.

La validité du mandat

L’instauration et le renforcement de l’Etat de droit, tel qu’il est communément admis, repose nécessairement sur la consécration du pluralisme politique à travers l’organisation d’élections concurrentielles et libres. Le contentieux constitutionnel des élections législatives est essentiellement le résultat d’une pratique inaugurée depuis 1963 par l’intervention de la chambre constitutionnelle, dont les observations ont relevé la prudence voire le laxisme.

Le contrôle effectué par le juge constitutionnel s’articule autours de deux situations juridiques similaires par certains aspects et différentes par d’autres, à savoir le contentieux des inéligibilités et des incompatibilités.

Par définition, l’inéligibilité est la situation ou l’état qui empêche un candidat de se présenter aux élections, c’est une inaptitude à être élu qui implique en principe une connaissance des normes juridique générant une situation déterminée.

Il s’agit d’un contrôle partagé entre plusieurs juridictions en fonction du moment de l’intervention de l’inéligibilité. Elle est régie par le tribunal de première instance à la requête du candidat déclaré inéligible par l’autorité locale si l’inéligibilité est constatée antérieurement à l’élection. La décision du tribunal ne peut être contestée que devant le juge constitutionnel.

Mais, si l’inéligibilité survient en cours du mandat, la saisine du conseil constitutionnel peut être faite par le bureau de l’assemblée, le ministre de la justice ou le ministère public en cas de condamnation qui peut frapper un parlementaire.

Distincte de l’incompatibilité qui se définit comme l’interdiction faite à un parlementaire de remplir, en même temps que son mandat, une ou plusieurs fonctions déterminées, l’inéligibilité s’étend à l’inaptitude personnelle d’un candidat à être investi d’une charge élective. L’une et l’autre sont en réalité imbriquées, car vérifier l’inéligibilité d’un candidat revient à apprécier tout d’abord sa capacité juridique puis à rechercher s’il n’exerce pas des fonctions incompatibles, auquel cas un choix demeure possible pendant un délai déterminé.

Procéder au contrôle de l’inéligibilité met la juridiction constitutionnelle, intervenant comme juge électoral, dans une situation délicate dans la mesure où elle doit concilier la protection d’un droit fondamental avec celle de l’institution parlementaire étant donné qu’une personne inéligible ne doit pas siéger au parlement.

Le juge constitutionnel ne prononce la déchéance d’un parlementaire pour cause d’inéligibilité que rarement, et la tendance du juge constitutionnel dans la gestion de l’inéligibilité a plusieurs explications.

Tout d’abord par réflexe démocratique. En effet les textes et la jurisprudence adoptent une attitude prudente vis-à-vis de l’inéligibilité car elle a pour effet d’apporter une atteinte à la liberté des candidatures. Par conséquent, les textes législatifs relatifs aux inéligibilités doivent faire l’objet d’une interprétation stricte, la jurisprudence du conseil constitutionnel français en matière d’éligibilité est très favorable à la liberté électorale, et il semble que Le juge constitutionnel marocain ait adopté la même attitude que son homologue français. Il ne  prononce la déchéance d’un parlementaire pour inéligibilité que dans les cas ou l’inéligibilité est apparue flagrante ou lorsque la vacance de siège s’est imposée à lui et enfin, en cas de déchéance d’un parlementaire pour condamnation pénale, le juge constitutionnel ne considère cette dernière comme cause d’inéligibilité que lorsque la condamnation est définitive.

Ensuite par souci pragmatique. En effet, il est totalement admissible d’expliquer cette attitude du juge constitutionnel vis-à-vis de l’inéligibilité par le fait qu’un contrôle préventif ait déjà été effectué par les tribunaux de première instance.

Enfin, il y a l’hésitation des bureaux des chambres parlementaires, ou du ministre de la justice à saisir le juge constitutionnel, ce qui peut être expliqué par des raisons politiques. En effet, politiquement, la saisine est considérée comme une manœuvre tendant à faire perdre un ou plusieurs sièges à un groupe parlementaire, ce qui pour une petite formation peut être fatal.

En définitive, la déchéance pour inéligibilité reste une sanction peu prononcée pour des raisons qui tiennent à la fois au respect des prescriptions juridiques, mais aussi pour ne pas bouleverser les données politiques du pays.

Cependant, il faut bien distinguer l’incompatibilité de l’inéligibilité. Une incompatibilité qui survienne en cours de mandat, le juge constitutionnel peut statuer en déclarant le député démissionnaire. Par contre si l’incompatibilité constitue une donnée de départ, elle est considérée comme une cause d’inéligibilité. En ce sens, la distinction entre inéligibilité et incompatibilité se fonde sur le moment de l’identification de la situation.

Le but des incompatibilités parlementaires est avant tout d’assurer l’indépendance de l’élu vis-à-vis du gouvernement s’il est fonctionnaire, ou indépendance à l’égard des intérêts privés lorsqu’il dépend d’eux. Il s’agit aussi, d’interdire le cumul de certaines fonctions publiques ou électives. L’incompatibilité constitue un grand pilier de la séparation des pouvoirs, et une véritable garantie d’indépendance des élus.

Au point de vue théorique, il y a inéligibilité lorsqu’un candidat ne peut pas être proclamé élu pour l’un des cas prévus expressément par la loi. Donc, l’inéligibilité fait obstacle au dépôt de la candidature. Contrairement à l’inéligibilité, il y a incompatibilité lorsqu’un député, régulièrement élu, conserve une fonction incompatible avec sa qualité de parlementaire.

Donc, l’incompatibilité apparaît moins sévère, et n’est un obstacle qu’à l’exercice du mandat parlementaire.

L’incompatibilité est une simple interdiction de cumuler le mandat parlementaire avec des fonctions ou activités publiques, l’incompatibilité résulte d’une nomination, d’un événement extérieur, inconnu, plaçant le nominé dans une situation de choix. Elle implique, lorsque le juge constitutionnel le constate sur saisine des bureaux des assemblées, du ministre de la justice notamment, la démission d’office en cas de non régularisation de la situation dans un délai fixé à 15 jours à compter du prononcé de la décision.

La validité de l’élection :

C’est l’activité la plus absorbante du conseil constitutionnel. Le nombre des dossiers instruits et jugés au titre de ce contentieux dépasse de loin ceux qui relèvent du contrôle de constitutionnalité des lois.

Dans le domaine du contentieux électoral, contentieux de pleine juridiction, le conseil constitutionnel peut-être saisi par les citoyens intéressés, électeurs et candidats de la circonscription et par les gouverneurs des préfectures et provinces du pays, pour contester dans un délai de 15 jours à partir de la proclamation des résultats, l’élection des membres du parlement.

Développé plutôt comme le contentieux constitutionnel – du fait de son existence dès la genèse de la constitution de 1962- le contentieux de la validité de l’élection présente au Maroc une matière ou les instances constitutionnelles ont été fécondes. C’est essentiellement ce contentieux qui met à contribution sérieusement la juridiction constitutionnelle, affirmant son double statut de juge électoral et de moralisateur de la vie politique.

L’épreuve est telle que le contentieux de la validité de l’élection prend en considération aussi bien les réclamations relatives à la personne de l’élu, que celles relatives au déroulement de l’élection.

Malgré le fait que la loi  sanctionne les diverses formes de manœuvres frauduleuses et de falsification, les mœurs électorales dénotent d’une grande libéralité par rapport au droit. L’argumentaire développé par les requêtes des requérants est riche d’enseignement : achat des voix, menaces exercées sur les électeurs allant jusqu’à l’exercice de la violence, compagne électorale déclenchée avant la date butoir et allant jusqu’au jour du scrutin, affichage sur des panneaux non réglementaires…

Devant une grande inflation de recours, le juge constitutionnel adopta une attitude prudente en repoussant systématiquement les requêtes dans la mesure où l’irrégularité incriminée, selon son appréciation, n’est pas déterminante eu égard au fort écart de voix. Une irrégularité même, importante, n’a pas à être sanctionnée dans la mesure où elle n’a pas exercée une influence déterminante sur le résultat de l’élection.

Le juge constitutionnel, en parvenant à l’annulation des élections contestées, il le fait sur la base d’un cumul de griefs, sur l’ampleur qu’ils ont revêtue, et non exclusivement sur le moyen de la compagne électorale qui a été viciée[4]1. De fait, et d’après les requêtes introduites devant le juge électoral, on constate que les manœuvres dénoncées proviennent du candidat à l’élection, de l’administration nationale et/ou locale ou des deux à la fois (candidat et administration).

« La cour constitutionnelle exerce les attributions qui lui sont dévolues par les articles de la constitution et les disposition de lois organiques. Elle statue, par ailleurs, sur la régularité de l’élection des membres du parlement et des opérations du référendum » article 132  de la constitution. Dans l’apprentissage du parlementarisme, la juridiction constitutionnelle spécialisée a un rôle déterminant à jouer. Il faut qu’un juge impartial et indépendant soit appelé à surveiller le déroulement des élections, et en mesure de sanctionner les fraudes et les abus les plus criants.

Certes, l’intervention du juge constitutionnel seule dans l’activité de tous les acteurs politiques ne peut à elle seule garantir la régularité et la sincérité du scrutin. Mais, on peut penser qu’à long terme l’intervention et l’activisme du juge constitutionnel peut avoir des effets éducatifs et dissuasifs afin de moraliser la vie politique.

[1] Il existe deux sortes d’actes qui sont exclus de contrôle en constitutionnalité. Il s’agit des traités internationaux et des actes royaux (Jusqu’à 2011) (Dahir) portant loi ou loi organique, pris pendant les périodes de transition parlementaire. Seule la loi d’origine parlementaire peut être déférée devant le conseil constitutionnel.

[2] La nouvelle mission du conseil constitutionnel fut le contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires.

[3] Louis FAVORE 4 «  la politique saisie par le droit » ECONOMICA 1988

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