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Le comportement des micro-entrepreneurs de la région de l’Oriental à l’égard de l’installation des Institutions de la Microfinance Islamique (IMFI)

 

Résumé

Le secteur de la microfinance au Maroc en 2007, fut l’un des plus actifs et des plus performants au monde. Cependant, ce secteur arrive depuis quelques années à sa maturité, des faillites sont apparues dans le secteur en raison des impayés avec des rendements en chute, des limites économiques, structurelles et surtout socioculturelles vis-à-vis de l’endettement. Ainsi beaucoup de micro-entrepreneurs refusent les produits des Institutions de Microfinance (IMF) à cause de leurs convictions religieuses, et exigent l’accès aux services financiers conformes aux préceptes de l’Islam.

L’objectif de cette étude est d’examiner les facteurs qui peuvent influencer le comportement des micro-entrepreneurs à l’égard de l’implantation des institutions de microfinance islamique. Pour ce faire, une analyse empirique est menée pour étudier le comportement des micro-entrepreneurs de la région de l’oriental à l’égard des produits des IMF Islamiques en termes de perception, d’attitudes, de préférences et de critères de choix.

 

Mots clés : Microfinance classique, microfinance islamique, exclusion financière, micro-entrepreneur.

 

 

Abstract

The microfinance sector in Morocco in 2007, was one of the most active and best in the world, however, this sector comes from several years to maturity, bankruptcies occurred in the area because of unpaid with yields falling, economic, structural limitations and socio-cultural especially vis-à-vis the debt, so many micro entrepreneurs refuse MFIs products because of their religious convictions and require access to financial services in line with the precepts of Islam.

The objective of this paper is to examine the factors that can influence the behavior of micro-entrepreneurs with regard to the implementation of Islamic microfinance institutions. To do this, an empirical analysis is conducted to investigate the behavior of micro-entrepreneurs in the region of the Eastern against IMFI products in terms of perception, attitudes, preferences and criteria.

 

Keywords: Classic Microfinance, islamic microfinance, financial exclusion, micro-entrepreneur.

Introduction

Actuellement, les micros-entreprises connaissent un essor prodigieux et occupent une grande place chez les décideurs économiques dans tous les pays développés et en voie de développement, en raison du rôle non négligeable qu’elles jouent dans la croissance économique et sociale à travers la création des emplois avec un minimum de capital. En outre, elles contribuent à résoudre le problème du chômage dont souffre la majorité des pays  moins avancés, et elles participent à l’augmentation diversifiée  du revenu  et à la création de la valeur ajoutée locale.

Les micro-entreprises se caractérisent par l’utilisation efficace de leurs capitaux, même si le montant du capital est faible, les propriétaires gèrent leurs projets avec un souci de succès visant la sauvegarde de leur patrimoine. Malgré plusieurs efforts et d’énormes sacrifices pour développer leurs activités, l’accès au financement reste la contrainte majeure des micros entreprises  qui ne disposent pas des garanties suffisantes qui leur permettent de contracter un crédit auprès des institutions financières d’une part, et que le crédit  avec taux d’intérêt  est un coût  supplémentaire qui peut impacter davantage la concurrence de ces micros entreprises, en plus parmi ces derniers ceux qui n’acceptent pas d’utiliser des sources de financement qui ne respectent pas leurs convictions religieuses, d’autre part.

Devant ces potentialités, cette étude vise à identifier les facteurs influençant l’adoption des produits de la microfinance islamique par les micros entrepreneurs de la Région de l’Oriental. Derrière ce sujet à controverse, se profile la question  suivante: quels sont les facteurs qui peuvent impacter le choix des micros entrepreneurs de la Région de l’oriental lors de l’implantation des institutions de microfinance islamique?

Pour répondre à cette question, nous avons organisé notre étude en trois mouvements successifs. Dans un premier temps, nous évoquerons l’étude d’une revue de la littérature où nous définirons ses principaux concepts : l’exclusion sociale, bancaire, financière, l’auto exclusion ou l’exclusion volontaire ; puis nous présenterons la microfinance conventionnelle et islamique en tant que  palliatif aux différents types d’exclusion. Dans le troisième point, nous analyserons l’impact de la connaissance, la religion et le coût sur les décisions et choix des micro-entrepreneurs, ainsi que le rôle rempli par les autorités publiques lors de la mise en place des ces institutions. Il importe aussi de s’arrêter, dans la deuxième partie, sur la méthodologie, avant de s’attaquer aux résultats de l’analyse.

  1. Revue de la littérature
    • La problématique de l’exclusion

Selon le Dictionnaire français Larousse : l’exclusion c’est l’action d’exclure d’un groupe, d’une action, d’un lieu, de chasser, d’écarter, Et en Économie : Action d’exclure du monde du travail, donc de la société. (Phénomène lié à la crise économique, à la montée du chômage et à la précarité d’emploi)[1].

Saül Karsz et al. (2000, p.122) démontrent que l’exclusion « concerne des gens qui sont en dehors d’une société dont en même temps ils font nécessairement partie ». Pour Jon-Lambert (1995, p.215-221), les problèmes sociaux majeurs qui sont liés à l’exclusion ne se limite pas seulement au manque des ressources de revenus, mais aussi au manque du travail, de la santé, du logement, et de la participation dans les activités de la société.

Une autre forme d’exclusion selon Servet Jean-Michel (2000, p.11) peut être due soit au lieu de vie, soit à la situation patrimoniale, ou bien à des flux de revenus irréguliers, et cela peut conduire à une marginalité économique et financière très forte.

Pour ce faire, l’analyse peut commencer par l’examen d’un triple rang d’éléments : type d’exclusion sociale, type d’exclusion bancaire, et type  d’exclusion financière.

De nombreux travaux établissent des liens étroits entre l’exclusion sociale et l’exclusion bancaire. En effet, l’exclusion sociale peut se manifester, comme le remarque T. Wilson (2011, p.4), lorsque les ménages pauvres trouvent des difficultés à obtenir un crédit pour acquérir  un ordinateur à leurs enfants, qui trouvent des difficultés à remplir leurs devoirs, cela peut engendrer l’échec scolaire, ou acheter des vêtements appropriés et assurer le transport pour se présenter à un entretien d’embauche.

De même Georges Gloukoviezoff (2005, p.2) considère que « l’exclusion bancaire, est le processus par lequel une personne rencontre de telles difficultés d’accès et/ou d’usage dans ses pratiques bancaires, qu’elle ne peut plus mener une vie sociale normale dans la société qui est la sienne. Une situation d’exclusion bancaire n’est donc définissable que par rapport aux conséquences sociales des difficultés qui la composent ». Il s’avère ainsi que l’exclusion bancaire est à la fois la cause et la conséquence de l’exclusion sociale, une personne qui a des difficultés économiques est exclue des circuits financiers pour manque de garantie et de revenue, ce qui implique son exclusion sociale. De même une personne exclue socialement ne peut pas accéder aux services bancaires pour manque de connaissance et de compréhension des opérations bancaires.

Dutraive et al. (2010, p.2) souligne que certaines personnes, soit refusent l’accès à « l’univers bancaire », soit que les produits proposés sont inadaptés à leurs besoins ; ces difficultés d’accès peuvent basculer ces personnes vers l’exclusion sociale. Un autre volet de l’exclusion bancaire est soulevé par Jean-Michel Servet (2002, p.13-29) : la financiarisation définie comme un ensemble de contraintes à l’utilisation des moyens de paiement et de règlement, le recours au crédit et à la protection contre les risques, ces contraintes agissent individuellement sur les personnes et les entreprises, et collectivement sur les groupes sociaux. De même, il reconnaît que l’exclusion bancaire peut être due à une implantation géographique inéquitable des institutions bancaires, et que l’accès au crédit bancaire soit sélectif.

Dans le même ordre d’idée, l’exclusion bancaire pour Gloukoviezoff (2004, p.170) signifie qu’une personne est confrontée à des difficultés d’accès et/ou d’usage des services bancaires, qui se trouve en dehors du système bancaire, et qui peut concerner plusieurs catégories sociales (agriculteurs, commerçants, employés, ouvriers, artisans, fonctionnaires et entrepreneurs).

L’exclusion bancaire se manifeste non seulement à l’accès au compte bancaire, mais également à l’accès à un produit bancaire qui satisfait les besoins culturels d’une personne à savoir un produit qui cadre avec ces convictions religieuses où l’exclusion bancaire prend une autre ampleur.

Le terme exclusion financière a été utilisé au Royaume-Uni depuis au moins dès le milieu des années 1990 selon Wilson. T (2011, p 2) et qui se traduit par un manque d’accès au système financier traditionnel, qui comprend les banques, les sociétés de construction, et les associations de crédit. En effet, 7% des ménages britanniques n’ont pas accès à des produits financiers traditionnels (comme les comptes de transaction et des produits de crédit), et 29% des ménages britanniques n’avaient pas accès à un crédit ordinaire selon les recherches menées au Royaume-Uni en 1999.

Ainsi la Banque Mondiale définit l’inclusion financière comme la « proportion des personnes ou d’entreprises qui utilisent des services financiers » et que l’accès aux services financiers joue un rôle primordial pour « réduire la pauvreté extrême, pour promouvoir la prospérité pour tous et pour étendre un développement inclusif et soutenable »[2].Toujours selon la Banque Mondiale deux milliards de personnes dans le monde, soit 38 % de la population adulte, n’utilise aucun service financier formel. Cette proportion est encore plus importante parmi les pauvres : plus de la moitié des adultes dans la frange des 40 % de ménages les plus pauvres n’ont pas de compte en banque en raison des frais que cela implique, de l’éloignement des agences et des démarches à effectuer, souvent lourdes et complexes[3].L’exclusion financière concerne 2,5 milliards de personnes, les pays en voie de développement sont plus affectés (41 % d’exclus) que les économies avancées (11 %) selon les données de Global Findex[4].

En effet, l’exclusion financière pour McKillop. D et Wilson J.O.S (2007, p.19) c’est « l’incapacité, la difficulté ou la réticence de groupes particuliers à accéder ou à utiliser les principaux services financiers qui sont nécessaires à leurs besoins et qui leur permettent de mener une vie normale dans la société à laquelle ils appartiennent ».Un niveau d’éducation faible, selon Ziadi. L. (2013, p.10), a un impact positif sur l’exclusion financière des personnes, en particulier les analphabètes, en raison du manque de connaissances de leurs droits, un manque de connaissance des concepts financiers, un manque de confiance dans les institutions financières ou à des croyances culturelles et religieuses, ce qui entraîne une mauvaise sélection des produits financiers ou un comportement d’auto-exclusion.

Il en résulte que plusieurs motifs peuvent expliquer l’auto-exclusion ou l’exclusion volontaire, pour des raisons culturelles ou religieuses d’une part, lorsqu’il s’agit des personnes qui n’acceptent pas d’utiliser les services bancaires qui ne cadrent pas avec leurs convictions religieuses. D’autre part, la raison à la non possession d’un chéquier  pour Daniel A., Simon M.-O (2001, p. 66) c’est que« les bénéficiaires de minima sociaux expliquent plus souvent que s’ils n’en ont pas besoin c’est parce que “ce mode de paiement n’est pas sécurisant” et même difficile à gérer », et le niveau de connaissance des produits bancaires, et la difficulté liée à l’utilisation de ces produits (vocabulaire technique, etc.) selon Gloukoviezoff (2004, p. 175) peut entraîner l’auto-exclusion.

Pour parer aux difficultés d’accéder à des services bancaires, la microfinance se propose comme une solution importante pour lutter contre le phénomène de l’exclusion.

 

La majorité de la population dans les pays en développement, se pose la question suivante : « Comment peut-on créer un petit projet si l’on n’a ni accès à des sources de financement ?  Ni accès aux secteurs bancaires ? » Ces dernières considèrent cette population comme des clients peu rentables et avec un grand risque. Les personnes pauvres sont traditionnellement exclues du système bancaire pour la faiblesse de leurs ressources, ou pour manque de garanties financières, la microfinance permet leur inclusion financière et sociale par un accès à des ressources en leur offrant des services financiers.

Le prix noble de la paix de 2006 a été attribué à Muhammad Yunus fondateur de la Gramen Bank au Bangladesh sur sa contribution au développement de la microfinance moderne, qui a démontré que  les pauvres peuvent gérer et rembourser leurs crédits,  qu’ils peuvent payer des intérêts élevés, et que l’Institution de Microfinance (IMF) peut couvrir ses propres charges, par la commercialisation du «crédit solidaire», un crédit à un groupe d’individus dont chaque membre est solidaire du remboursement de tous les autres.

En regroupant les activités de microcrédit, de micro assurance, de micro épargne, de transfert de fonds ou de garanties, la microfinance a originellement pour vocation d’offrir, à des personnes pauvres, un accès à des ressources monétaires dont elles sont privées afin qu’elles puissent créer leur propre activité (Jégourel Yves ; 2008, p.197, 198) par des procédures simples, rapides et incitatives, ce qui explique sa réussite ou le secteur bancaire a échoué.

Depuis les années 90, les recherches théoriques et empiriques sur la microfinance et l’inclusion financière est fertile, ainsi deux publications récentes, The Handbook of Microfinance (Ed. Armendáriz et Labie, 2011) et le  Global Financial Development Report 2014 (World Bank, 2014) s’intéresse à dresser un état des lieux sur la connaissance et la compréhension de la microfinance et de l’inclusion financière.

La microfinance marquée par une période de croissance dans  les années 1990, est devenue un véritable secteur économique, avec la participation des acteurs professionnels, des organisations non gouvernementales (ONG), et l’Etat. Mais la fin des années quatre-vingt-dix a vu aussi apparaître les premières difficultés, la croissance extrêmement rapide des institutions, s’est soldée dans certains cas par des échecs, et plusieurs limites de la microfinance apparaissent  selon  Sébastien. B  et al. (2006, p.22). Les populations rurales, les habitants de zones isolées, les plus pauvres, les entreprises nécessitant des produits financiers spécifiques… restent à l’écart de la microfinance.

Au Maroc, la microfinance a connu un développement spectaculaire, dans le top des 100 Institutions de Microfinance (IMF) les plus performantes au monde, quatre des douze Associations Marocaines figurent parmi le Top 30 des IMF du monde entier, et en moins de quatre ans, de 2003 à 2007, le portefeuille de prêts des IMF a été multiplié par onze, et la clientèle par quatre, selon les données de l’organisme Américain spécialisé Microfinance Information Exchange – MIX.

En 2007, le secteur de la microfinance au Maroc était l’un des plus actifs et de plus compétitifs au monde, il constitue 41 % des financements accordés par les institutions de microfinance en 2009. Néanmoins, le secteur de la microfinance marocain souffre de nombreuses difficultés liées, d’un côté, au surendettement croisé et cumulé, et d’un autre côté, à certains écueils dus à d’innombrables problèmes d’information et de gestion (Servet 2011, cité par Latifa Ziadi). De ce fait ce secteur arrive à sa maturité, des faillites apparues dans le secteur en raison des impayés avec des rendements en chute, des limites économiques, structurelles et surtout socioculturelle vis-à-vis de l’endettement, ainsi beaucoup de personnes refusent les produits des IMF à cause de leurs convictions religieuses et exigent l’accès aux services financiers conforme aux préceptes de l’Islam.

Pour faire face à ce fléau, et relancer le secteur, la microfinance islamique apparaît comme une des solutions les plus adaptées, la mission sociale des institutions de microfinance correspond bien à la visée sociale de l’Islam qui consiste à aider et à soutenir les plus vulnérables de la société afin de remédier aux déséquilibres de distribution des richesses.

L’Islam, comme cela est bien connu, souligne l’importance des considérations religieuses et éthiques dans la réalisation de l’égalité et la justice sociale entre tous les membres de la communauté. De même un certain nombre de savants musulmans comme Ibn Khaldoun, croient que la question de l’égalité et de la justice sociale est une condition nécessaire pour atteindre ce que l’on appelle aujourd’hui le développement durable. En ce sens, l’Islam a reconnu plusieurs valeurs et divers principes qu’il considère comme partie intégrante des règles du système financier islamique, tels que: Le droit à la propriété individuelle des moyens de production ; le partage des pertes et des profits dans les transactions (بالغرم الغنم); les droits de l’individu, les obligations à l’égard des autres et envers sa société, et le respect des clauses du contrat dans les transactions commerciales.

Dans le domaine de la finance islamique, l’objectif n’est pas seulement une simple inclusion financière, mais plutôt l’inclusion économique et sociale en permettant aux individus d’accéder aux opportunités d’investissement, aux réseaux d’affaires, aux infrastructures de base, et aux financements. En ce sens si nous donnons au pauvre l’accès au financement sans lui donner la possibilité d’accès à la richesse du pays c’est comme si on fait d’un pauvre, en plus un endetté.

De nombreux chercheurs et théoriciens dans le domaine de la finance islamique considèrent que la  microfinance est l’un des meilleurs moyens d’atteindre les objectifs fondamentaux de la finance islamique au niveau de la répartition de la richesse et de la distribution d’opportunités, surtout qu’elle réponde aux besoins de la population pauvre qu’est en dehors du champ d’application de l’accès aux services financiers formels. La microfinance islamique permet d’intégrer cette population exclue du système financier classique ou formel, pour aboutir au principe de l’inclusion financière.

Cependant selon Sébastien Boye et al. (2006, p.46), dans les pays musulmans la microfinance islamique ne représente qu’une toute petite partie de l’ensemble du secteur de la microfinance  se concentre essentiellement dans quelques pays, comme l’Indonésie, le Bangladesh et l’Afghanistan qui représentent 80% de l’ensemble de la microfinance mondiale, l’offre des IMF Islamiques est constituée principalement du produit Mourabaha (70%) qu’est un produit semblable à celui des microcrédits classique, et le secteur n’est pas encore suffisamment diversifié pour répondre aux différents besoins financiers des pauvres.

Dans le même courant de recherche El-Zoghbi. M et Tarazi. M (2013, p.1-2) soulignent que malgré l’augmentation spectaculaire du nombre de prestataires et de clients de services  de microfinance islamique, l’offre globale de  produits de  microfinance islamique demeure très  faible  par  rapport à celle du secteur  de  la microfinance classique, le secteur est dominé par  une  minorité de fournisseurs dans un petit nombre de pays, et les produits  proposés aux pauvres se limitent aux prêts Qard-Hassan et à la Mourabaha souvent considérée comme le produit islamique similaire à un prêt conventionnel, et la majoration du prix comme un intérêt caché, alors que les produits la Mousharaka et la Moudaraba préconisés par les spécialistes de la finance islamique qui se basent sur le principe de partage des pertes et profits sont rarement commercialisés par les IMF Islamiques.

Les travaux de Thambiah et al. (2012, p.4) démontrent que le choix des produits bancaires islamique en Malaisie est impacté par la politique commerciale des banques islamiques, et par le niveau de connaissance des individus en matière de finance islamique.  De même d’après les analyses de Kaabachi. S. (2015, p.7) qui constate que les individus ont une très faible connaissance des principes de la finance islamique, des difficultés à comprendre certains concepts techniques propres à la finance islamique, et le fonctionnement de certains techniques de financement comme l’Ijaraa, la Mudarabah, la Mourabaha et la Mousharaka, cela est expliqué par deux principaux facteurs, d’une part l’absence d’une politique marketing efficace par les institutions bancaires qui commercialisent ces produits, et l’image perçue de ce secteur par les individus.

Au Maroc, les travaux de Zahid. A et Ibourk. A (2015, p.141, p145) soulèvent que parmi les facteurs qui ont contribué à l’échec des produits alternatifs est le manque de connaissance et d’information sur les principes de la finance islamique, d’une majorité de la population marocaine d’une part, et de la banque islamique d’autre part, et particulièrement les produits alternatifs.  Ainsi, toujours selon leur étude 39% des personnes interrogées ont entendu parler de bouche à oreille, 4% des sondés ont eu connaissance des produits alternatifs par l’intermédiaire des chargés de clientèle des banques et 23% à travers les mass média, ce qui représente un pourcentage trop faible pour un produit nouvellement introduit sur le marché, de plus, aucune compagne publicitaire n’a été menée depuis leurs lancements en octobre 2007.

Depuis quelques décennies, les travaux de recherches en science de gestion sur l’impact de la religion et sur les comportements des individus sont devenus de plus en plus importants, mais ils n’amènent pas à des conclusions homogènes, pour Pras. B (2007, p. 94). Ces études sont toujours une affaire d’une délicatesse difficile  qui commande la plus grande analyse sur l’influence de la religion, les valeurs de consommation, de travail, d’épargne, et sur le management de façon générale.

Pour Kotler et al.(2009, p.202, p.211, p.213), les facteurs qui influencent la décision et le choix du consommateur sont des facteurs culturels (la culture, sous culture, et la classe sociale ), sociaux (les groupes de référence, la famille, les statuts et les rôles), personnels (l’âge et le cycle de vie, la profession et la position économique, le style de vie, la personnalité et le concept de soi) et psychologiques ( la motivation, la perception, l’apprentissage, les croyances et attitudes).

La religion est l’un des facteurs psychologiques qui peut impacter le choix, l’attitude et le comportement de l’individu (Bernard Pras et Catherine Vaudour-Lagrâce, 2007 ; p.196).

Ainsi les travaux de Mokhlis (2006, p.70) montrent l’influence de la religion sur les décisions des individus selon les valeurs et principes de la religion à laquelle ils adhèrent, et cela en termes de consommation,  de décisions familiales, de la perception des médias, et le choix du commerce.

Des études couvrant quelques pays arabes pour appréhender la demande des micro entrepreneurs en termes de microfinance islamique, financées par  l’IFC, selon M. El-Zoghbi et M. Tarazi (2013, p.8)  montrent que les  préférences varient d’un pays à l’autre. En Algérie, 20 % des  micro-entrepreneurs ne  recourent pas  aux services  financiers  pour  des  raisons  religieuses, alors qu’en Palestine plus de 60 % de micro entrepreneurs préfèrent des services conformes à  la charia.

Pour A.  Zahid, et A. Ibourk (2015, p.144), dans une étude menée au Maroc, 63% de leurs échantillon, confrontés  à un choix entre les produits classiques et les produits islamiques, privilégient le facteur prix, la population qui n’accepte pas les produits des banques classiques, restent donc exclue du système bancaire, 50% de la population n’admettent pas de payer cher pour bénéficier d’un crédit « halal », contre seulement 35%, qui acceptent les produits alternatifs quel qu’en soit le coût,  par conviction.

Le lancement d’institution de microfinance islamique devrait être soutenu par les pouvoirs publics (Région de l’oriental), et prendre des mesures d’encouragement pour la mise en place de ces institutions, comme le cas des IMF conventionnelles qui ont bénéficié d’un soutien non négligeable au démarrage de leurs activités au niveau national sous forme de dons, de subventions et d’assistance technique. En effet, S. BOYE, et al. (2006, p.19), soulèvent que dans de nombreux pays du sud, les paysans bénéficient des crédits avec taux d’intérêts subventionnés par des banques publiques de financement agricoles. Mais ces types de financement connaissent plusieurs difficultés, dans la plupart des cas, ils souffrent des taux d’impayés très élevés, et leur gestion est soumise à de fortes pressions politiques et électoralistes.

D’après les études de M. El-Zoghbi et M. Tarazi (2013, p.5), la microfinance islamique est une activité basée sur les subventions, ainsi pour financer une partie de leurs opérations 43% des établissements annoncent que leurs sources de financement sont des donations sous forme de Zakat, et 33% sous forme de Qard-Hassan. Mais les subventions sous ces deux formes (Zakat, et Qard-Hassan), se heurtent au risque d’impayés puisque les services financiers destinés aux pauvres selon la notion courante, sont une forme de charité qui ne nécessite pas le remboursement.

Les IMF Islamiques pour faire face à ces types de dysfonctionnement, doivent veiller à atteindre la viabilité financière, couvrir leurs charges et assurer la rentabilité à long terme de leurs activités. Ainsi pour renforcer ces capacités la Banque d’Indonésie a crée à Medan un centre de formation et de certification aux opérations de la finance islamique dédié au personnel des banques rurales respectueuses de charia selon Roger A. Mégélas et al. (2009, p.44).

Il paraît donc intéressant de travailler sur l’existence de possibles liens entre les déterminants de la demande des produits financiers par les micros-entrepreneurs de la région de l’oriental et l’implantation des IMF Islamiques.

  1. Méthodologie

D’après Usinier et al (1993, p.163), « il n’est pas nécessaire d’étudier exhaustivement tous les sujets d’une population mère pour en connaitre les caractéristiques de façon fiable ». Ainsi, le recueil des données s’est basé sur deux approches, l’analyse quantitative qui opte pour le questionnaire, alors que l’approche qualitative repose sur des entretiens et on peut axer la deuxième approche sur l’analyse documentaire.

L’échantillon est composé de 193 micro-entrepreneurs de la région de l’oriental, (42%) Oujda,  (35,8 %) Nador, et (22,3 %) Berkane.

Concernant le sexe il est composé majoritairement des hommes à la ville d’Oujda (28%), à Nador (26,4 %), et à Berkane ( 20,7 %), et de femmes à la ville d’Oujda (14%), à Nador (9,3  %), et à Berkane (1,6%).

Concernant l’âge, à Oujda, 1% de nos répondants ont plus de 61 ans, 4,7 % ont entre 46 et 60 ans, 32% ont entre 25 et 45 ans, et  4,2% ont moins de 25 ans.  A Nador, 5,2% ont entre 46 et 60 ans,  27,5 % ont entre 25 et 45 ans, et 3,1 % ont moins de 25 ans.  Et à Berkane, 5,7 % ont entre 46 et 60ans,  13,5 % ont entre 25 et 45ans, et   3,1 % ont moins de 25 ans.

Concernant la formation des répondants, à Oujda 0,5% des répondants ont un niveau universitaire (études supérieurs), 6,2% des répondants ont un niveau universitaire, 22,7% ont un niveau secondaire, 10,3% ont un niveau primaire, 2,5% n’ont aucune formation. A Nador      1% des répondants ont un niveau universitaire, 14% ont un niveau secondaire, 15% ont un niveau primaire, 5,6% n’ont aucune formation. Et à Berkane 2,6% des répondants ont un niveau universitaire, 10,4% ont un niveau secondaire,  6,2% ont un niveau primaire, 3% n’ont aucune formation.

Les données utilisées proviennent d’une enquête (en ayant recours à la technique des entretiens) réalisée par les auteurs en juillet et août 2016, auprès d’un échantillon de 193 micros entrepreneurs de la région de l’oriental interrogées sur les villes d’Oujda, Nador, et Berkane, afin que notre panel soit représentatif et que les résultats de notre enquête soit plus proches de la réalité, les micros entrepreneurs interrogés ont été sélectionnés d’une façon aléatoire, ainsi que les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide de Sphinx.

  1. Résultats

 

L’analyse des données révèle que, sur l’ensemble des micros entrepreneurs interrogés 57% des répondants disposent d’un compte bancaire, et 43% n’en disposent pas (tableau 1). Ces derniers annoncent qu’ils ne sont pas exclus du système bancaire pour des considérations religieuses 6,02%. Ainsi, 74,7% des informateurs déclarent qu’ils n’ont pas besoin d’ouvrir un compte bancaire, et 4,82% d’entre eux ont trouvé des difficultés pour ouvrir un compte bancaire, alors que 13,25% des interrogés soulèvent le problème du coût pour ouvrir un compte bancaire (tableau 2).

L’analyse indique également que les participants, à la question concernant le prêt bancaire, montrent que seulement 21,8% ont bénéficié d’un prêt bancaire, alors que 78,2 % ont répondu qu’ils n’ont pas bénéficié du prêt bancaire (tableau 3) à cause du manque des garanties suffisantes (30,5%) en premier lieu, ensuite (27,8%) parce qu’ils ne disposent pas d’un compte bancaire, et en troisième lieu (25,2%) pour des considérations religieuses (graphique1).

Tableau 1 : taux de bancarisation

Compte bancaire Nb. cit. Fréq.
Oui 110 57,0%
Non 83 43,0%
TOTAL OBS. 193 100%

 

Tableau 2 : les raisons explicatives de la non-disposition d’un compte bancaire

Si non, pour quelles raisons ? Nb. cit. Fréq.
La difficulté d’ouvrir un compte bancaire 4 4,82%
Le coût de l’ouverture d’un compte bancaire 11 13,25%
Des raisons religieuses 5 6,02%
Je n’ai pas besoin d’ouvrir un compte bancaire 62 74,7%
Une autre réponse (s’il vous plaît préciser) 1 1,2%
TOTAL OBS. 83

 

Tableau 3 : le prêt bancaire?

Avez-vous déjà bénéficié d’un prêt bancaire? Nb. cit. Fréq.
Oui 42 21,8%
Non 151 78,2%
TOTAL OBS. 193 100%

 

En fonction des niveaux que nous avons observés, on peut d’ores et déjà constater qu’il existe une relation positive et significative entre le taux de bancarisation et l’auto-exclusion ou l’exclusion volontaire des micros entrepreneurs, il n’y a pas de corrélation significative entre le taux de bancarisation et la religion, les raisons de non bancarisation regroupe une minorité influencée par les considérations religieuses, la majorité s’auto-exclue du système bancaire volontairement, ainsi que le coût d’ouverture d’un compte bancaire est une autre raison d’exclusion, alors que deux variables impactent la décision des micros entrepreneurs de contracter un prêt bancaire, à coté des convictions religieuses (prêt avec taux d’intérêt est interdit dans l’Islam) les garanties requises figurent aussi au centre des préoccupations des micros entrepreneurs non bancarisés.

 

En ce qui concerne la connaissance des transactions conformes aux préceptes de l’islam, 51,8% (moitié) ont déjà entendu parler des transactions conformes aux préceptes de l’islam, et 48,2% n’ont jamais entendu parler sur ces transactions (tableau 4). Pourtant la principale remarque qu’on peut soulever de notre étude est que 75% des interrogés ne connaissent aucun produit de la finance islamique, 18% d’entre eux connaissent la Mousharaka, 12%, la Mourabaha, et seulement 9% connaissent l’Ijara (graphique 2).

L’un des arguments avancés pour expliquer cette méconnaissance est le manque d’information sur les produits de la finance islamique, 92,2% ont besoin d’information sur les produits de la finance islamique, contre seulement 7,3% estimant qu’ils n’ont pas besoin d’information sur ces types de produits (tableau 5).

Tableau 4 : La connaissance des transactions et produits conformes aux préceptes de l’islam

Avez-vous déjà entendu parler des transactions commerciales et financières conformes aux Préceptes de la sharia? Nb. cit. Fréq.
Oui 100 51,8%
Non 93 48,2%
TOTAL OBS. 193 100%

 

 

Tableau 5 : Besoin d’information sur les produits des institutions financières islamiques

À votre avis, avez-vous besoin d’obtenir des informations concernant les produits proposés par les institutions islamiques? Nb. cit. Fréq.
Oui 178 92,2%
Non 14 7,3%
une autre réponse (s’il vous plaît préciser) 1 0,5%
TOTAL OBS. 193 100%

L’étude montre qu’une très faible proportion de micro-entrepreneurs connait les produits de la finance islamique, il existe donc une relation positive entre le niveau de connaissance des produits de la finance islamique et le besoin d’information en ce qui concerne ces produits.

Un effort colossal doit être mené par les institutions de la microfinance islamique lors de leurs implantations en termes de stratégie de marketing, d’information et de communication sur leurs produits.

En ce qui concerne les sources de financement de leurs projets, on trouve que 72% des interrogés affirment que leurs sources sont l’autofinancement. 30,1% d’entre eux déclarent que leurs sources proviennent de la famille, et que seulement 8.3% avouent que des sources proviennent des institutions de microcrédit, et 2,6% prennent des crédits bancaires (graphique 3). Ceci montre que les instituions de financement ne jouent pas leur rôle vis-à-vis des micro-entrepreneurs, et que les institutions de microfinance islamique auront une part de marché importante dans la région de l’oriental et spécialement avec les micros entrepreneurs.

 

 

Pour le choix entre les produits de financement, on trouve que 48,2% des micros entrepreneurs préfèrent le produit Mourabaha, 29,5% sont pour le produit Mousharaka, 8,3% pour le produit Moudaraba et Ijara avec option d’achat, et 3,6% des interrogés sont pour le produit Ijara (tableau 7).

L’étude révèle que les micro-entrepreneurs de la région optent pour le produit Mourabaha, en raison de leur préférence pour l’autonomie dans la gestion de leurs projets. Plusieurs d’entre eux ont déclaré leur refus de s’associer dans un projet que se soit avec l’IMFI ou avec même un membre de leurs familles, ce qui peut remettre en cause la critique adressée aux institutions financières islamiques en ce qui concerne la commercialisation du produit Mourabaha au détriment des autres produits.

 

 

 

 

 

Tableau 7 : Financement basé sur la participation ou bien sur les ventes, la location et les services

Les techniques de financement basées sur la participation Nb. cit. Fréq.
Mousharaka 57 29,5%
Moudaraba 16 8,3%
Les Techniques de financement islamique basées sur les ventes, la location et les services
Murabaha: 93 48,2%
Salam 2 1,0%
Istisnaa 2 1,0%
Ijara 7 3,6%
Ijara avec option d’achat 16 8,3%
TOTAL OBS. 193 100%

 

Conclusion

Nos résultats apportent une contribution dans un champ de recherche peu exploré jusqu’à présent. Ils soulignent l’attention qui doit être portée à l’implantation des institutions de la microfinance islamique dans la région de l’oriental, visent à identifier les facteurs influençant l’adoption des produits de la microfinance islamique par les micros entrepreneurs de la région de l’oriental, et à aider ces institutions à développer des services financiers qui permettent de diminuer le coût pour que les micros entrepreneurs ciblés ne soient pas contraints de choisir entre religion et produits, et mener des stratégies efficaces qui leur permettent d’avoir une part de marché importante face à l’insuffisance de l’offre des institutions de la microfinance classique.

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[3]Site de la Banque Mondiale.2016.  http://www.banquemondiale.org/fr/topic/financialinclusion/overview (consulté le 24/04/2016).

[4] La base de données Global Findex. http://www.worldbank.org/en/programs/globalfindex(données 2014 consulté le 24/04/2016).

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