La santé publique, quelles compétences des
collectivités territoriales ?
El Mostafa AAOURDOU
Docteur en Droit public et Chercheur en Droit administratif.
La santé publique peut être définie comme « une activité organisée de la société visant à promouvoir, à protéger, à améliorer et, le cas échéant, à rétablir la santé de personnes, de groupes ou de la population entière »[1].
Elle est aussi la science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et de promouvoir la santé et l’efficacité physiques à travers les efforts coordonnés de la communauté pour l’assainissement de l’environnement, le contrôle des infections dans la population, l’éducation de l’individu aux principes de l’hygiène personnelle, l’organisation des services médicaux et infirmiers pour le diagnostic précoce et le traitement préventif des pathologies, le développement des dispositifs sociaux qui assureront à chacun un niveau de vie adéquat pour le maintien de la santé, l’objet final étant de permettre à chaque individu de jouir de son droit inné à la santé et à la longévité ».[2]
Partant de ces définitions, la santé publique met l’accent sur la prévention que sur les traitements curatifs. Cela fait de la préservation de la santé et de la lutte contre les épidémies, un service de proximité qui doit s’exercer au niveau du territoire. Ainsi son rapprochement des populations, est une condition sine qua non pour réaliser ses objectifs.
Mais la propagation du coronavirus avec les risques humains, sociaux et économiques qui en résultent, a permis de soulever une série de questions concernant les rôles des acteurs institutionnels face à cette crise.
En effet, sous l’état d’urgence sanitaire, ces unités de proximité, ont manifesté un manquement flagrant à assurer leurs rôles notamment en matière de la protection des citoyens et de la lutte contre les épidémies.
Les régions, les provinces, les préfectures et les communes, exercent conformément aux dispositions des lois organiques, des compétences leur permettant de lutter contre les épidémies, la contribution à la réalisation de la protection des personnes conformément aux stipulations de l’article 21 de la Constitution[3], et à la préservation d’une partie de l’ordre public à savoir la santé et la tranquillité publiques bien que les lois organiques, ne prévoient pas le cas de l’urgence.
En tout état de choses, l’ordre public, est lié aux situations qui ne confèrent pas un sentiment de peur et d’inquiétude, c’est-à-dire l’absence de menaces en provenance de la nature, de l’homme ou autres. Il s’agit d’un enjeu lié à la réalisation de la providence individuelle, la paix et la cohésion sociale.
L’ordre public sanitaire est lié à l’existence de certaines institutions et éléments matériels notamment :
- Les dispensaires communaux ;
- Les Bureaux Municipaux d’Hygiène ;
- Les Institutions de contrôle, de régulation et de sécurité ;
- Les compétences juridiques.
- Les ressources financières et humaines.
Ainsi se pose la question sur l’étendue de la responsabilité des collectivités territoriales dans la réalisation de l’ordre public à travers la gestion des menaces sécuritaires. On s’interroge aussi sur les mécanismes juridiques et institutionnels mis à leur disposition dans ce domaine.
I- La santé publique : une domination des compétences du centre
Tenant compte du principe de la subsidiarité énoncé par la constitution de 2011, la région et les autres collectivités territoriales, exercent des compétences propres, partagées avec l’Etat ou transférées par ce dernier[4] et qui sont détaillées par les lois organiques.
Mais une lecture de ces lois, révèle l’essence centrale de l’Etat. Le centre est le « père » alors que les collectivités territoriales en sont les « fils ». Cela implique que l’adoption d’une décentralisation en dehors du contexte de l’Etat unitaire, est incompatible avec la réalité marocaine.
Ainsi bien que la définition de la santé publique, montre l’existence des compétences que les collectivités territoriales doivent rapprocher des populations, la loi 34-09[5] fait de la santé publique, une compétence largement étatique.
- Les compétences des collectivités territoriales
Une lecture de ces compétences, montre que leur capacité d’intervention dans le domaine de la santé, est très limitée soi dans la situation ordinaire ou exceptionnelle. Ainsi la faible présence des collectivités territoriales dans les efforts de lutte contre la pandémie, est incompatible avec le rang élevé que la constitution leur a réservé. Ainsi les compétences des régions, des provinces et préfectures sont quasi inexistantes. Cependant les communes, exercent des compétences en matière de la préservation de la santé, mais les moyens juridiques, matériels et humains mis à leur disposition, rend difficile l’accomplissement de ces missions voire impossible.
- Quasi absence des compétences de la région, la préfecture ou la province
La région est une collectivité territoriale de droit public, dotée de la personnalité morale, de l’autonomie administrative et de l’autonomie financière. Elle constitue l’un des niveaux de l’organisation territoriale décentralisée du Royaume, fondée sur une régionalisation avancée[6].
En application des dispositions de l’article 143 de la Constitution, la région chargée du développement régional et de la planification régionale[7], ne dispose pas de pouvoirs directs en matière de lutte contre les épidémies en tant que compétence propre.
La loi organique 111-14, n’évoque la santé que dans des compétences transférées. Ainsi, et selon le principe de subsidiarité, les régions peuvent intervenir dans un cadre contractuel avec l’État dans le domaine de la santé[8].
De ce qui précède, il s’avère que seules les compétences transférées, font allusion à la possibilité d’intervention de la région dans le domaine de la santé publique.
Pour les préfectures et provinces la loi organique 112-14[9], estime que l’intervention dans ce domaine[10], s’effectue à travers le mécanisme de diagnostic des besoins[11] qui relève de leurs compétences propres. Au niveau des compétences partagées, la loi organique 112-14, évoque la santé comme un facteur de mise à niveau sociale que la préfecture ou la province exerce en partenariat avec l’Etat,[12] sans préciser si la préservation de la santé constitue un élément du développement social.
De ce qui précède, il s’avère que les régions et les conseils provinciaux et préfectoraux, n’exercent pas des compétences directes liées à la préservation de la santé publique. Qu’en est-il alors des compétences des communes dans ce domaine ?
- La préservation de la santé, une responsabilité restreinte de la commune
Conformément aux dispositions de la loi organique n° 113.14, les communes sont chargées des missions de prestation des services de proximité qu’elles exercent dans des compétences propres, partagées avec l’État ou transférées par ce dernier
Les compétences des communes relatives au domaine de la santé sont apparentes, elles doivent être assurées dans la période normale ou aussi pendant l’état d’urgence sanitaire[13]. Ainsi au niveau des compétences propres, la commune gère les services et les équipements publics nécessaires à l’offre des services de proximité[14] y compris la préservation de la santé et la lutte contre les épidémies.
En effet, et conformément au principe de libre administration, le conseil communal dispose de pouvoir délibératif dans plusieurs affaires liées à la santé et à l’hygiène. Il s’agit de la création et l’organisation des Bureaux Municipal d’Hygiène et la prise de mesures préventives pour lutter contre les épidémies.[15]
Dans le cadre des compétences partagées, la commune procède à l’entretien des dispensaires situés dans son ressort territorial en partenariat avec l’Etat[16].
De même le Programme d’Action Communal, permet d’élaborer et voter les projets concernant l’amélioration des services de santé. Cette démarche, s’opère sur la base d’un diagnostic des besoins et des moyens[17].
Sous l’Etat d’urgence sanitaire et tenant compte des compétences des conseils communaux en matière de lutte contre les épidémies et la préservation de la santé, le budget communal constitue un instrument fiable. Il permet les transferts et la suppression des lignes budgétaires non essentielles[18] au profit du secteur de la santé[19]. De ce fait, les communes ne sont que de simples exécutants des décisions des autorités centrales et déconcentrées.
Ainsi les principales mesures de prévention prises par les communes, se limitent à la désinfection des places et voies publiques, les stations de bus, les marchés et services publics. Il s’agit aussi de l’offre et du rapprochement des services de proximité notamment la fourniture des denrées alimentaires, la distribution des désinfectants et la prise en charge des frais d’électricité pour réduire les déplacements des citoyens notamment dans les zones rurales. Ces actions, constituent la contribution des communes à la lutte contre le Covid-19 conformément aux prescriptions du décret-loi de l’état d’urgence.[20] Cela permet de conclure que les communes, sont loin d’exercer toutes les compétences prévues par la loi organique 113-14.
Si les communes ont montré une incapacité à exercer leurs compétences dans le domaine de la préservation de la santé, qu’en est-il en ce qui concerne le maintien de l’ordre public sanitaire ?
- La police administrative, domination de l’autorité déconcentrée
La police administrative, est l’ensemble des pouvoirs accordés par ou en vertu de la loi aux autorités administratives qui permettent à celles-ci d’imposer, en vue d’assurer l’ordre public, des limites aux droits et libertés des individus.[21]
Elle est aussi une forme d’action qui consiste à réglementer l’activité des particuliers en vue d’assurer le maintien de l’ordre public. [22]
De même, elle se définit comme l’ensemble des interventions pour imposer à la libre action des particuliers, la discipline exigée par la vie en société.[23]
Généralement la police administrative, est l’outil juridique qui permet l’intervention de l’administration pour assurer l’ordre public dans ses trois aspects : la sécurité publique, la santé et la tranquillité publique. Ainsi en vertu de l’article 90 de la constitution, le chef du gouvernement exerce le pouvoir réglementaire sur l’ensemble du territoire national.
Au niveau territorial, les fonctions de la police administrative sont partagées entre les présidents des communes en vertu de l’article 100 de la loi organique 113-14 et le gouverneur et ses représentants comme le stipule l’article 110 de la loi organique 113-14.
Après la proclamation de l’état d’urgence sanitaire, le rôle de la police administrative liée au gouverneur, est devenu dominant. A travers le cumul des prérogatives de la police administrative locale. Ce tournant amène à s’occuper des rôles de chacune des autorités de la police administrative.
- Le rôle réglementaire du gouverneur
Le Dahir du 20 Mars 1956 portant création du corps professionnel et fonctionnarisé des gouverneurs[24], définit le gouverneur comme représentant l’autorité exécutive du roi dans les provinces. Par cette qualité, il supervise les travaux des pachas et des caïds, contrôlent les collectivités territoriales et coordonnent les travaux des services extérieurs ». Mais le dahir de 1977, précise qu’il s’agit de représenter l’autorité du souverain et du gouvernement[25].
Le gouverneur est une autorité administrative à compétence générale dotée de larges prérogatives au niveau local, mais demeure largement subordonnée au pouvoir central[26].
Il est aussi représentant du Ministère de l’Intérieur chargé de l’administration du territoire national et la protection de l’ordre et de la sécurité publiques. Par cette qualité, le gouverneur est responsable du maintien de l’ordre et de la sécurité publique au sein de la province ou la préfecture. Il dispose aussi de la force publique[27].
Pour ces considérations, l’article 3 du décret-loi n° 2.20.293, stipule que : « les walis de régions et les gouverneurs des préfectures et provinces, prennent en vertu des attributions qui leur sont conférées par les textes législatifs et réglementaires, toutes les mesures d’exécution nécessaires au maintien de l’ordre public sanitaire dans le cadre de l’état d’urgence déclaré »[28]. Ainsi il habilité à prendre toutes les mesures qu’exige la préservation de l’ordre public en coordination avec les autorités sanitaires, y compris les mesures limitatives du droit de déplacement et de rassemblement.
Ainsi, la gestion de l’urgence sanitaire, exige l’unité de commandement et eu égard aux prérogatives et l’expérience du gouverneur, il est naturel que le gouverneur, assume la gestion de cette période.
- Le rôle du président de la commune
Le conseil communal et son président, exercent les attributions de police administrative pour assurer la préservation partielle de l’ordre public[29]. Cette police est exercée par voie d’arrêtés réglementaires et de mesures de police individuelles dans le domaine de l’hygiène, la salubrité, la tranquillité publique et la sécurité des passages[30].
Ainsi les domaines de la santé, l’hygiène et l’environnement, figurent parmi les attributions du conseil communal qu’il exerce par voie délibérative. Alors que son président, exerce les pouvoirs de police administrative par voie d’arrêtés réglementaires et par des mesures de police individuelles portant autorisation, injonction ou interdiction. Ce système, peut constituer l’instrument d’une politique de lutte contre les épidémies. Sa mise en œuvre, peut garantir un système sanitaire de base.
Mais l’intervention du président de la commune, ne peut remplir les conditions de rapidité et d’efficacité pour lever le défi de la pandémie, dans la mesure où il ne dispose pas d’une force publique pour appliquer ses décisions, ni des moyens matériels et humains nécessaire à la gestion de l’urgence sanitaire. De plus les compétences de la commune et les attributions du Président dans le domaine de la préservation de la santé et la lutte contre les épidémies, sont générales et imprécises, ce qui pose le problème de leur mise en application. Il est apparent que nous sommes face à un déséquilibre de compétences entre le pouvoir central et ses périphéries.
II- Raisons et causes du déséquilibre Centre- territoire
Les rapports entre le pouvoir central et les entités décentralisées, sont caractérisées par l’hostilité, l’incompréhension, le manque de confiance et la crainte de son inexpérience dans la gestion administrative et technique de la chose publique locale.
Tenant compte de ces considérations, les décideurs centraux, se sont convenus à éloigner les collectivités infra-étatiques des premiers rangs de la lutte contre la pandémie. Cela signifie le retour du centre avec un contrôle administratif de plus en plus rigoureux.
En effet, l’ampleur de la crise a limité la marge de manœuvre des collectivités territoriales, ce qui signifie une crise de la prise de décision publique à tous les niveaux.
Cette situation exceptionnelle, exige des mesures non ordinaires avec le respect d’un minimum compromis entre les différents acteurs et intervenants. Mais la centralisation ancrée, a fragilisée la décentralisation par le maintien d’un équilibre des pouvoirs entre les autorités déconcentrées et les élus. Ainsi le centre, garde des pouvoirs d’intervention qui le laissent en contact permanent avec les affaires locales. Par conséquent les principes de subsidiarité et de libre administration, ne sont que partiellement appliqués.
- Le principe de la libre administration ou de co-administration
L’Etat unitaire, ne reconnait pas l’existence de concurrents territoriaux au pouvoir central notamment dans les domaines législatifs, exécutifs et judiciaires.[31] Sa pérennité dans le territoire, est assurée par le maintien du pouvoir normatif par l’Etat et par ricochet, l’initiative de la décentralisation[32]. Ainsi l’Etat ne se dessaisie pas totalement de la gestion de toutes les affaires locales bien que la libre administration, est érigée en principe constitutionnel.
L’importance de ce principe réside dans le fait qu’il constitue la condition principale de l’effectivité de la décentralisation, par ses répercussions positives sur la démocratie et la vie publique au niveau territorial. De même il permet l’émancipation des entités décentralisées. Il constitue une garantie, au même titre que le principe de la séparation des pouvoirs comme il revêt une importance au regard de la pratique de la gestion de la chose locale et de la gestion administrative. Nonobstant sa valeur constitutionnelle, ce principe n’est pas compatible avec la réalité marocaine. Par conséquent son application, reste limitée bien qu’il soit une préoccupation majeure des pouvoirs publics.
Ainsi l’application de ce principe, implique deux notions indissociables sous peine de perdre son sens :
-Une liberté d’agir qui débarrasse les collectivités territoriales du contrôle de l’Etat tout en faisant appel aux mécanismes de la démocratie participative;
-Une autonomie financière et fiscale renforcée par une valorisation de l’élément humain opérant au sein desdites collectivités. Ce qui risque de priver l’Etat de sa capacité d’agir dans le territoire.[33]
Ainsi le contrôle administratif, devient la contrepartie de la libre administration. La pratique, a révélé que la voie, est encore longue avant de bâtir un modèle marocain de la libre administration car les élus attendent dans leur majorité les directives du centre. En conséquence, ce principe reconnu aux collectivités territoriales, n’exprime qu’une gestion de concertation[34] entre le Ministère de l’Intérieur (Wali et gouverneur) d’une part et les élus de l’autre part. Il aboutit en dernier ressort, à une cogestion à l’instar du modèle français
En effet, la gestion de la pandémie covid-19, a révélé l’incapacité des collectivités territoriales à mettre en œuvre le principe de libre administration, lors ce que le commandement du territoire est confié aux gouverneurs et walis.
Ainsi en évitant d’évoquer le rôle des communes, le décret-loi 2.20.292 a implicitement marginalisé ces unités sans toutefois être en contradiction avec la constitution ou avec la loi organique 113-14.
Les autorités publiques censées être coupées de la gestion des affaires de proximité confiées aux collectivités territoriales, ont facilement pu se substituer à ces unités et assurer leurs rôles. Ce qui signifie que le centre a été toujours en contact avec les affaires du territoire et les réalités locales ne lui échappent guère. Le Covid-19 est une épidémie trans-frontalière, ce qui la transforme en grande affaire qui relève des compétences de l’Etat.
- Les grandes affaires relèvent de l’Etat
Dans l’Etat unitaire, le pouvoir central procède à la décentralisation et à la répartition des compétences avec les collectivités décentralisées. De ce fait, la compétence des grandes affaires relève du centre, soi dans la situation normale ou d’urgence. Il en est de la santé qui relève avec d’autres domaines, du centre.
Ainsi, la loi cadre n° 34-09 relative au système de santé et à l’offre des soins[35], met les actions de la santé à la charge des autorités et services de la santé publique, notamment en matière de la garantie des soins et la préservation sanitaire.
Le rôle des collectivités territoriales, se limite à contribuer pour la réalisation des objectifs et des actions de la santé définis par l’Etat[36]. Les compétences énumérées par la loi organique 113-14, sont citées à titre limitatif, ce qui réduit la marge de manœuvre des conseils communaux. Ainsi les textes juridiques, font des questions de la santé et des épidémies, une compétence du pouvoir central, alors que le rôle des autorités décentralisées, demeure complémentaire.
La gravité de la pandémie du covid-19, a nécessité des mesures dépassant le champ d’intervention des autorités sanitaires. Il en est ainsi de la fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes n’a eu lieu que suite à la consultation des rois et présidents des pays concernés. Aussi la fermeture des lieux de culte, des universités, des écoles, la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, la création du « Fons spécial de gestion de la pandémie du coronavirus « Covid-19».[37]
La loi cadre relative au système de santé et à l’offre des soins, met à la charge de l’Etat, la responsabilité de la garantie des soins et la prévention sanitaire, notamment en matière de prévention contre les risques menaçant la santé d’origine interne ou en provenance de l’extérieur du pays[38]. De même les autorités centrales sont responsables de la mise en œuvre des mécanismes de veille, des mesures de préventives et de sécurité sanitaire.
Ainsi une lecture des décrets et arrêtés de l’organisation de l’administration de la santé, montre que la santé et les épidémies sont une affaire du centre. C’est ce que révèle le décret sur les compétences et l’organisation du Ministère de la santé[39], lui attribue la responsabilité d’élaboration et d’exécution des politiques relatives à la santé des citoyens. Le Ministère de la santé est aussi un acteur au niveau territorial suivant l’organisation administrative et structurelle de ses services[40].
La gestion de l’Etat d’urgence sanitaire a révélé les vicissitudes de l’organisation administrative et du système de la décentralisation plus particulièrement, ce qui nécessite sa révision.
III- vers un réalisme de la décentralisation
La décentralisation est une notion liée au phénomène de la répartition des compétences et des pouvoirs entre le centre et des organes non centraux ou périphérique. Les auteurs divergent sur les critères qui permettent de caractériser un système de centralisé ou décentralisé.
A cet égard la doctrine, adopte quatre critères qu’elle utilise séparément ou simultanément :
- La distinction entre les affaires locales et nationales, les uns relèvent de la compétence des autorités centrales et les autres des autorités locales.
- L’autonomie financière et juridique de l’organe décentralisé.
- Un critère politique incarné par l’élection des agents.
- Centralisation et décentralisation sont inhérentes à l’Etat unitaire.[41]
Par la maitrise du pouvoir normatif, la répartition des compétences relève du pouvoir central. De ce fait, les justifications techniques ne sont pas déterminantes dans les débats sur la décentralisation, d’autres éléments interviennent en l’occurrence les facteurs politiques.[42] Ainsi l’adoption par le Maroc de la régionalisation avancée comme choix stratégique du pays en 2010, a ouvert la voie à une décentralisation répondant à ces critères.
Mais la propagation de la pandémie Covid-19, a révélé les limites du système de décentralisation et son incapacité à gérer une situation de crise. Se pose dès lors la question sur les possibilités d’une reconstruction d’un système administratif capable de s’adapter à de telles conditions afin d’éviter le dédoublement fonctionnel, assurer l’efficacité des interventions et une gestion économe des ressources.
- Les collectivités territoriales, un complément du centre
Les collectivités territoriales sont des subdivisions de l’Etat, elles sont chargées de la gestion de certains intérêts spéciaux à certaines parties du territoire. Cependant l’Etat représente les intérêts communs à toute la nation et concerne l’ensemble du territoire. Par conséquent, les compétences de l’Etat sont générales et celles des collectivités territoriales, ne peuvent être que particulières. Elles sont des compléments de l’Etat et non ses concurrents.
Au cours de la gestion de l’état d’urgence, il s’est avéré que les compétences juridiques et matérielles, sont insuffisantes à faire face à une pandémie trans-frontalière et qui ignore les limites administratives et territoriales. Et qui impose la rapidité et l’efficacité de la décision.
Pour les collectivités territoriales, bien que la loi organique leur réserve des attributions, les alliances fragiles sur lesquelles se composent les conseils élus, les privent de la rapidité nécessaire pour faire face à une urgence sanitaire. De plus le régime de la décentralisation, est alourdi par les procédures dans ses rapports avec les administrations déconcentrées, avec les autorités de contrôle ou au sein de l’administration décentralisée elle-même. Alors que l’administration déconcentrée, est dotée de fonctionnaires compétents et efficaces, capables de mobiliser les ressources, retarder ou accélérer la cadence des délibérations et des arrêtés.
Devant ces conditions l’intervention des collectivités territoriales, peut entraver la lutte contre l’épidémie. En conséquence, leur rôle doit se limiter à un simple exécutant des décisions prises par le gouvernement et l’administration déconcentrée.
Pour éviter une telle situation dans l’avenir, les collectivités territoriales, sont appelées à négocier une hiérarchisation des intervenants au niveau territorial pour créer une homogénéisation institutionnelle et administrative afin de lever le défi des pandémies qui constituent des « nouveaux problèmes transversaux »[43] qui dépassent la spécialisation administrative et sectorielle et surpassent les limites territoriales.
Parallèlement, les walis et les gouverneurs, sont appelés à employer les mécanismes administratifs de gouvernance pour gérer la pluralité d’intervenants et l’élaboration de tableau de bord à travers la collecte et l’évaluation des données avec l’implication des techniciens et des élus. La participation des collectivités territoriales, signifie un respect des dispositions constitutionnelles et institutionnelles.
- Des compétences réelles et principe de subsidiarité
Face aux crises qui frappent les Etats, l’unité d’action constitue l’une des exigences les plus importantes. La réaction face aux épidémies demande une mobilisation des énergies et une gestion économe des moyens pour éviter les doubles emplois des ressources. Cette unité d’action est difficile à réaliser dans un système marqué par la pluralité des intervenants. Dans un souci de rapprocher la décision du citoyen, le principe de subsidiarité, réfute l’idée de structure constante, et il est favorable à la création des structures nouvelles destinées à préparer et exécuter les décisions.
Elle ne peut en effet être recherchée dans tous les domaines puisque, il existe des compétences qui peuvent être mieux exercées au niveau local qu’au niveau central. Leur exercice suppose une connaissance concrète des situations: politique sociale en général et plus particulièrement en ce qui concerne les conditions de vie. En tant qu’unités de proximité, la plus grande liberté doit donc être laissée, en principe, aux collectivités territoriales.
L’Etat central doit se défaire de son pouvoir de règlementation et n’intervenir au nom de l’unité d’action que pour autant cela apparaît nécessaire et conformément à des règles élaborées dans des conditions permettant la participation des autorités locales intéressées. Ceci suppose un système de représentation dans lequel les collectivités décentralisées puissent participer à la définition de l’intervention souhaitable du centre[44].
La gestion de la période d’urgence sanitaire, constitue une leçon qui permet de mieux se préparer aux crises. Le problème ne réside pas dans la possibilité juridique d’agir offerte aux collectivités décentralisées, mais aussi dans leur capacité à remplir leurs missions et se libérer de la lourdeur des procédures administratives.
En effet, la faible présence des collectivités territoriales dans les opérations de la préservation de l’ordre public sanitaire pendant la période d’urgence sanitaire, n’implique pas leur marginalisation. Mais incite à œuvrer pour renforcer leurs compétences d’agir dans le territoire.
En effet, la propagation de la pandémie covid-19, offre l’opportunité de procéder à un diagnostic des besoins du territoire. Leur satisfaction doit s’opérer sur la base du principe de subsidiarité qui permet d’améliore la capacité d’intervention publique et réaliser l’équité et la justice spatiale au sein de leur ressort territorial.
Ainsi la protection de la santé, n’est plus une affaire singulière de l’individu, la résurgence des épidémies, a augmenté la demande des services publics de la santé, et aussi a alourdi les responsabilités des collectivités territoriales en tant qu’unités de proximité. De ce fait, la territorialisation des mesures sanitaires impose aux pouvoirs publics de remédier aux dysfonctionnements des services sociaux au niveau des collectivités décentralisées. Leur rôle ne doit pas se limiter à fournir des services de proximité traditionnels, il doit être révisé afin de leur permettre de faire face aux défis hygiéniques et sanitaires.
Par conséquent et sur la base du principe de la subsidiarité, les collectivités territoriales, peuvent procéder au diagnostic des besoins en matière de la préservation de la santé et de la lutte contre les épidémies au niveau des provinces et préfectures. La région se charge de la planification sanitaire, de la recherche et de la formation dans les domaines de la santé publique. Les communes, procèdent à la mise en œuvre de ces mesures sur le terrain.
Dans la prévision de nouvelles urgences, les compétences des communes peuvent être renforcées par les mesures suivantes :
-Rendre obligatoire la création des Bureaux d’hygiène dans chaque commune avec un encadrement et un équipement de qualité, ce qui permet de réaliser des études épidémiologiques et évaluer les risques de contamination et de propagation des épidémies à travers la collecte des données concernant la population de chaque commune (nombre de femmes, enfants, handicaps, personnes âgées…) pour être capable d’élaborer un Plan sanitaire et hygiénique.
– renforcer les compétences des bureaux d’hygiène en matière de ressources humaines et matérielles et dans le cadre d’un éventuel transfert des compétences ou dans le cadre des compétences partagées.
-Instituer une instance de gouvernance au sein des communes pour assurer la coordination avec les différents intervenants en matière d’hygiène et la protection de l’environnement au niveau local.
– L’évaluation des besoins en matière d’hygiène doit être arrêtée non par les services communaux contrôlés par les élus mais par une commission technique composée des praticiens de la santé. Cette commission doit relever les besoins hygiéniques réels et qui doivent avoir un caractère prioritaire lors de la budgétisation et veiller à l’applicabilité des mesures sanitaires au niveau de chaque commune.
– Pour favoriser l’intercommunalité, les communes dépourvues de ressources financières, peuvent déléguer certaines de leurs compétences à la province ou la préfecture si cela s’avère efficace et ce, à l’initiative des communes concernées ou à la demande de l’Etat qui consacre des incitations à cet effet. L’approbation des conseils des communes concernées est requise dans tous les cas[45].
La pandémie Civid-19 a déstructuré tous les postulats et axiomes sur lesquels la société s’est instituée. Par conséquent, le retour à l’ordre vécu avant cette crise devient de plus en plus quasi-impossible.
Ainsi, la cohabitation avec un système de santé défectueux, n’est plus acceptée, et l’adoption d’une vision innovante du système de santé, est largement sollicitée. Par conséquent, un partenariat doit être établi entre les collectivités territoriales et l’Etat afin de détailler les responsabilités et lancer l’opération de généralisation de la couverture médicale à toutes les catégories de la population. Cette démarche passe par la structuration du secteur informel et sin intégration dans le circuit économique national.
L’importance doit être accordée au secteur de la santé, à travers l’augmentation de sa part du budget de 5% à 12% et le renforcement du cadre médical par la formation et le recrutement, pour prévenir les prochaines crises similaire à celle du Coronavirus.
[1] -Agence de la Santé Publique du Canada http://www.phac-aspc.gc.ca/ccph-cesp/glos-r-z-fra.php [archive]
[2]-Winslow (C.-E. A.), The untilled fields of Public Health, Science, 9 January 1920, P. 23-33.
[3]– « Toute personne a droit à la sécurité de sa personne et de ses proches et à la protection de ses biens » L’article 21 de la constitution publié au Bulletin Officiel n° 5964 du 30 Juillet 2011.
[4] – L’article 140 de la constitution, Publié au Bulletin Officiel n° 5964, op. cit.
[5] – Publié au Bulletin Officiel n° 5962 du 21/07/2011, p. 1856.
[6] – Article 4 de la loi organique n° 111-14 relative aux régions promulguée par le dahir n° 1-15- 83 du 20 ramadan 1436 (7 juillet 2015), Publié au Bulletin Officiel n°6440-3 du 18 Février 2016.
[7] – Article 81 de la loi organique 111-14, op. cit.
[8] – Article 94 de la loi organique 111-14, op. cit.
[9] – Publié au Bulletin Officiel N° 6440 du 18 Février 2016.
[10] – Les conseils provinciaux et préfectoraux, assurent les attributions suivantes :
-La fourniture des équipements et de services de base, notamment en milieu rural;
-La mise en œuvre du principe de mutualité entre les communes, à travers la réalisation d’actions, l’offre de prestations et la réalisation de projets ou d’activités en relation principalement avec le développement social dans le milieu rural ;
-La lutte contre l’exclusion et la fragilité dans divers secteurs sociaux.
Et dans le cadre de leurs compétences propres ces conseils peuvent également :
Élaborer et mettre en œuvre des programmes pour réduire la pauvreté et la fragilité;
Réaliser le diagnostic des besoins dans les domaines de la santé, du logement, de l’éducation, de la prévention et de la préservation de la santé;
Parmi les compétences partagées avec l’État nous trouvons :
-La mise à niveau du monde rural dans les domaines de santé, de formation, des infrastructures et des équipements;
– Le développement des zones montagneuses et oasiennes ;
– La contribution à l’alimentation du monde rural en eau potable et en électricité ;
– La mise à niveau sociale dans les domaines de l’éducation, de la santé, du social et du sport
[11] – Article 79 de la loi organique 112-14, op. cit.
[12] – Article 86 de la loi organique 112-14, op. cit
[13] – Parmi les compétences de la commune relatives à la santé, on cite :
* La distribution de l’eau et de l’électricité, en veillant à ce que la population soit suffisamment approvisionnée par cette denrée essentielle à l’hygiène et de tous les matériaux utilisés à titre préventif contre la transmission du virus.
* Le nettoiement des voies et des places publiques, collecte des déchets ménagers et similaires et transfert vers les décharges publiques … A cet effet les communes doivent nettoyer et stériliser tous les espaces publics relevant de leur ressort territorial, notamment les rues , les marchés de gros, les marchés de proximité et les souks hebdomadaires … Cette opération doit s’effectuer régulièrement pour éviter la propagation du virus.
* Le transfert et l’enterrement des victimes du virus, doivent s’effectuer selon des procédures spéciales, par conséquent les communes sont chargées de leur transfert et leur enterrement. Cette mission doit être assurée par les Bureaux Municipal d’Hygiène.
[14] – Article 83 de la loi organique 113-14, Publié au Bulletin Officiel 6440 du 16 Février 2016.
[15] – Article 92 de la loi organique 113-14, Op. cit.
[16] -Article 87 de la loi organique 113-14, Op. cit
[17] -Article 78 de la loi organique 113-14, Op. cit.
[18] – Circulaire du Ministre de l’Intérieur n° 1248/F du 25/03/2020.
[19] – Les lignes budgétaires (arrêté du Ministre des Finances n° 1356-18 du 30 Avril 2018, Publié au Bulletin Officiel n° 6678, p. 3106.
[20] -Article 2 du décret n° 293.20.2.du 24 Mars 2020, Publié au B.O n° 6867 Bis, p. 1783.
[21] – FLAMME (M.A), Droit administratif, Tome II, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 1103.
[22] – DE LAUBADAIRE (A), Traité du Droit administratif, 7ème Edition, LGDJ, Paris, 1976, p. 643.
[23] – RIVERO (J), Droit administratif, 8ème édition, Editions Dalloz, Paris, 1977, p. 398.
[24] – Dahir n° 046.56.1 du 20 Mars 1956 fixant le statut des gouverneurs.
[25] – Dahir portant loi n° 1-75-168 du 15 Février 1977, relatif aux attributions du gouverneur, publié au Bulletin Officiel n° 3359 du 16/03/1977.
[26] – AAOURDOU EL Mostafa, « La déconcentration, élément déclencheur de la réforme de l’administration », In Revue de Recherches en Droit, Economie et Gestion, FSJES Meknès, n° 8, année 2019, P. 151.
[27] – Décret n° 2.19.1086 du 30 Janvier 2020, Publié au Bulletin Officiel n° 6854, p. 621.
[28] – Publié au Bulletin Officiel n° 6870 du 02 Avril 2020, p. 506.
[29] – Parmi les attributions que les présidents des conseils communaux, peuvent exercer dans la situation d’urgence, on trouve :
– Veille au respect des conditions d’hygiène des habitations et de la voirie, l’assainissement des égouts et à la répression de l’entreposage des déchets dans les milieux habités et à leur traitement;
-L’organisation d’activités commerciales, professionnelles et industrielles non réglementées susceptibles de porter atteinte à l’hygiène, la salubrité, la sureté des passages et la tranquillité publique ou néfaste pour l’environnement;
-Le contrôle des magasins droguistes, épiceries, coiffeurs, parfumeries et, en général, tous les endroits où les matières dangereuses peuvent être fabriquées, entreposées ou vendues;
– Veille au respect des normes d’hygiènes et de salubrité des lieux ouverts au public, notamment les restaurants, cafés, salles de jeux, salles de spectacle, théâtres, lieux de baignade et de tous les autres lieux ouverts au public et fixer les horaires d’ouverture et de fermeture;
– Prendre des mesures visant à assurer la sureté du passage sur les voies publiques et leur nettoiement, éclairage et enlèvement des encombrements et à la démolition ou réparation des édifices menaçant ruine…
-Contribuer au contrôle de la qualité des aliments, boissons et condiments exposés à la vente ou à la consommation publique;
-Veille à la salubrité des cours d’eau et de l’eau potable et assure la protection des points d’eau destinés à la consommation publique et des eaux de baignade;
-Prendre les mesures nécessaires pour éviter ou contrôler la propagation d’épidémies ou de maladies graves, conformément aux lois et règlements en vigueur;
-Prendre les mesures nécessaires pour prévenir les incendies, les sinistres, les inondations et toutes autres calamités publiques;
-Exercice la police funérailles et des cimetières, et prend toutes les mesures nécessaires d’urgence pour que toute personne décédée soit inhumée décemment, organise le service public de transport des corps et contrôle les inhumations et les exhumations selon les modalités fixées par les lois et règlements en vigueur.
[30] – L’article 100 de la loi organique 113-14, op. cit.
[31] – LAMGHARI Abdelaziz, « Le statut d’autonomie et ses implications sur le système politique marocain », in Le statut d’autonomie régional en Droit comparé, Publications REMALD, N° 63, Année 2009, P. 21.
[32] – DENOIX De Saint Marc, L’Etat, Collection Que-Sais-Je ?, PUF, 2017.
[33] – ROING Charles, Théorie et réalité de la décentralisation, In Revue Française de la Science Politique, 16° année, n° 3, 1966, P. 451.
[34] – Cette concertation concerne les compétences, les ressources, les délibérations et les arrêtés.
[35] – Publié au Bulletin officiel n° 5962 du 21 Juin 2011, op. cit.
[36] – Article 5 de la loi cadre 34-09, op. cit.
[37] – Décret N. 2.20.269 publié au Bulletin Officiel n° 6865 du 17 mars 2020, P. 1540.
[38] -Article 3 de la loi cadre 34-09, Op. cit.
[39] – Décret du 21 Avril 1994, sur les compétences et l’organisation du Ministère de la santé, Publié au Bulletin Officiel n° 4286, p. 2110.
[40] – Décret de l’organisation hospitalière du 13 Avril 2007, Publié au Bulletin Officiel n° 5524, P. 1693.
[41] – ROING (C), Théorie et réalité de la décentralisation, In Revue Française de la Science Politique, Op. cit, P. 445.
[42] – VEDEL (G.) et DEVOLVE (P.), Droit administratif, Tomme 1, PUF, 1992.
[43] – Gaudin (J.P), L’action publique, Sociologie et politique, Dalloz, 2004.
[44] – KING (F-T), The economics of multi-level government, London/Sydney, George ALLEN and UNWIN 1984.
[45] – Article 6 de la loi organique 112-14, op. cit.