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LA QUESTION DE LA GESTATION POUR AUTRUI A LA LUMIERE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME

LA QUESTION DE LA GESTATION POUR AUTRUI A LA LUMIERE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME

                                                                ZAOUAQ KARIM

DOCTEUR EN DROIT PUBLIC ET SCIENCES POLITIQUES DE L’UNIVERSITE HASSAN II- CASABLANCA

INTRODUCTION

Désignant un contrat par lequel une femme accepte de porter un enfant pour le compte d’une autre personne ou en d’autres termes la technique par laquelle « une femme, appelée mère de substitution accepte de porter un enfant conçu au moyen d’une méthode de procréation médicalement assistée et de le remettre définitivement à des tiers après l’accouchement» (art. 2 de la loi fédérale suisse sur la procréation médicalement assistée du 18 décembre 1998), la gestation pour autrui (GPA), ayant connu un grand essor depuis les années 70 et 80 du siècle dernier, a été le réceptacle en Europe de législations nationales fort disparates d’un Etat à un autre, ce qui a débouché sur des différends transfrontières portant spécifiquement sur la problématique d’établissement de la filiation de l’enfant issu de la gestation et les effets juridiques qui en découlent en terme de naturalisation de l’enfant, de l’exercice de l’autorité parentale, d’octroi des documents de voyage, etc..

De fait, « Souvent, les “parents d’intention”, à leur retour dans l’État de leur résidence, surtout, quand celui-ci interdit toute forme de gestation pour autrui, ne sont pas reconnus comme les parents légaux de l’enfant[1] ». Ces différends sont récurrents sur le continent européen où la GPA n’est autorisée qu’au Royaume-Uni (Human Fertilisation and Embryology Act de 1990, modifié en 2008 et en 2010), en Grèce (loi du 19 décembre 2002 portant sur l’assistance médicale à la procréation), en Irlande, au Danemark, en Belgique ou aux Pays-Bas (autorisation donnée par les tribunaux dans ces deux derniers Etats), tandis qu’elle est d’une part pratiquée « sans conditions trop pesantes[2] » en Ukraine et en Géorgie et demeure d’autre part interdite légalement en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Portugal ou en Bulgarie.

Les disparités dans les régimes juridiques des Etats européens portant sur la GPA ont engendré des conflits de lois sur la base desquels des requêtes individuelles alléguant de la violation de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dite Convention européenne des droits de l’homme, ont été soumises devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Or, la réponse apportée par cette Cour aux différends suscités par la GPA a pris une tournure ambivalente : elle a admis dans certains cas la filiation des enfants nés de la GPA pratiquée à l’étranger au motif du respect de la vie familiale ou de la vie privée de l’enfant et de son intérêt supérieur (I), mais elle a refusé dans d’autres affaires de reconnaitre une telle filiation en s’alignant le cas d’espèce sur les jugements rendus par les tribunaux nationaux ou les dispositions prévues par les législations nationales (II).

I- La reconnaissance de la filiation des enfants nés de la gestation pour autrui

Face à l’essor depuis plusieurs années d’un marché mondial de procréation permettant à des citoyens d’Etats européens n’admettant pas la GPA, de recourir à cette pratique dans les Etats permissifs en la matière, un contentieux important est né à l’occasion des différentes affaires instruites devant la CEDH. Ces différends ont principalement tourné autour de la problématique de non reconnaissance de la filiation des enfants nés de la GPA à l’étranger et partant leur non inscription dans le registre de l’état civil des naissances.

Le premier différend soulevé devant la CEDH a été celui de l’affaire Wagner et J.M.W.L. c/Luxembourg jugée le 30 juin 2007. En l’espèce et malgré l’interdiction imposée par la législation du Luxembourg aux personnes célibataires en matière d’adoption, « la Cour avait fait prévaloir le statut d’adoption valablement prononcé à l’étranger par une décision de la justice péruvienne et correspondant à une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention entre l’enfant et l’adoptante luxembourgeoise[3] ». Elle avait aussi manifesté dans cet arrêt « sa préférence pour la reconnaissance de la “réalité sociale” créée par le jugement étranger[4]».

Cette décision de la CEDH qui est venue reconnaitre le statut de l’enfant né à l’étranger (Pérou) et sa filiation avec l’adoptante sur fonds du respect de la vie familiale, a été confirmée par la suite par d’autres arrêts où le raisonnement de la Cour européenne a évolué vers une prise en compte de la vie privée et de l’intérêt supérieur de l’enfant né de la GPA.

Ainsi dans l’affaire « Menesson », la ressortissante française nommée Sylvie Menesson qui s’est rendue en l’an 2000 avec son mari en Californie aux USA où elle a eu recours à une mère porteuse qui accoucha et lui remet des jumelles, s’est vue délivrer à cet effet un certificat de naissance par les autorités californiennes, mais le consulat de France a refusé d’inscrire ces enfants sur son passeport et celui de son mari. De retour en France, ce couple s’est vu refusé encore une fois, par décision de la Cour de cassation, du 17 décembre 2008, le droit de transcrire la filiation des enfants en question sur l’état civil « en estimant que puisque la pratique des mères porteuses est interdite en France une telle transcription serait susceptible de “contrarier l’ordre public”[5] ». Saisi de cette affaire, la Cour de Strasbourg a condamné la France dans son arrêt du 26 juin 2014 et ce en vertu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, « au motif que le refus de reconnaître un lien de filiation à l’homme ayant un lien biologique avec l’enfant issu d’une GPA à l’étranger constitue une violation de la vie privée des enfants[6] ». Toutefois, la retranscription de l’acte de naissance étranger de l’enfant né de la GPA sur le registre français de l’état civil s’est heurté, malgré l’arrêt de la Cour européenne, à l’autorité de la chose jugée, règle fondamentale de la procédure civile française, qui interdit aux parties de saisir à nouveau le juge après que le contentieux ait été définitivement tranché.

Ces mêmes blocages du droit interne français ont poussé cette juridiction européenne à condamner la France dans les arrêts qu’elle a rendus respectivement le 26 juin 2014 dans l’affaire « Labassee c. France »  qui concerna un couple marié français qui, en raison de l’infertilité de la femme, recourut à la GPA aux Etats-Unis, et le 21 juillet 2016 dans l’affaire “Foulon et Bouvet c/ France”, ayant porté sur le refus des autorités françaises de transcrire des actes de naissance indiens sur le registre d’état civil français. Là encore, la Cour européenne s’est appuyée sur le précédent jurisprudentiel Mennesson c. France, pour « conclure à la non-violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit des requérants au respect de leur vie familiale et à la violation de l’article 8 s’agissant du droit des enfants concernés au respect de leur vie privée[7] ».

La reconnaissance de la filiation d’un enfant né d’une GPA à l’étranger au motif du respect de sa vie privée et de son intérêt supérieur, a été une nouvelle fois réaffirmée et consolidée par la CEDH dans son arrêt Laborie c/ France, rendu le 19 janvier 2017 à propos d’un enfant né en Ukraine et dont l’acte de naissance ukrainien n’a pas été admis en tant que tel par les autorités françaises.

II- La consécration d’une marge d’appréciation nationale en matière de gestation pour autrui

Si la CEDH a donné droit aux parents d’intention et aux adoptants dans leur démarche d’établissement de la filiation de l’enfant né de la GPA et ramené par eux de l’étranger, en arguant des violations du droit à la vie familiale et plus particulièrement du droit à la vie privée, il n’en demeure pas moins que cette Cour a refusé à deux reprises de reconnaitre la filiation entre les parents d’intention et ces enfants nés de la GPA, en légitimant par-là les décisions prises par les autorités administratives nationales de non retranscription des actes de naissance étrangers de ces enfants.

Ainsi dans le premier arrêt Paradiso et Campanelli c. Italie, rendu par la CEDH le 27 janvier 2015 et portant sur la non-reconnaissance en Italie d’une filiation entre un couple d’italiens et un enfant né par gestation pour autrui en Russie, cette juridiction a cherché à « vérifier si l’application du droit italien par les tribunaux italiens pouvait se justifier, l’enfant étant né (d’un couple italien) en Russie[8] ». En guise de réponse à cette question, la CEDH avait formulé la réponse suivante : « Les juridictions italiennes ne se sont pas basées sur le certificat de naissance étranger mais elles ont opté pour l’application du droit italien s’agissant du lien de filiation. En fait, l’application des lois italiennes qui a été faite en l’espèce par le tribunal pour mineurs découle de la règle des conflits des lois selon laquelle la filiation est déterminée par la loi nationale de l’enfant au moment de la naissance. En l’espèce, compte tenu du fait que l’enfant est issu de gamètes de donneurs inconnus, la nationalité de l’enfant n’était pas établie[9] ». Ceci dit, la Cour a laissé une marge d’appréciation entrouverte pour les Etats, comme cela se manifeste dans l’affaire en l’espèce où elle a estimé que « l’application du droit italien par les juridictions nationales ayant abouti au constat que l’enfant était en état d’abandon ne saurait passer comme étant arbitraire[10] », et que « l’ingérence – fondée en particulier sur les articles pertinents de la loi sur le droit international privé et de la loi sur l’adoption internationale – était “prévue par la loi”[11] ». 

De la même manière, la CEDH avait décliné, dans l’affaire D. et autres c. Belgique du 8 juillet 2014, « les griefs des requérants (un couple de ressortissants belges) à propos du refus des autorités belges de délivrer un document de voyage pour un enfant né d’une gestation pour autrui en Ukraine[12] », tout en déclarant que « le refus des autorités d’autoriser la venue de l’enfant sur le territoire national, opposé jusqu’à ce que les requérants fournissent suffisamment d’éléments permettant d’établir l’apparence d’une filiation avec l’enfant, avait certes engendré une séparation effective entre l’enfant et les requérants et avait constitué une ingérence dans leur droit au respect de leur vie familiale. Néanmoins, la Belgique avait agi dans les limites de la marge d’appréciation dont elle bénéficiait en la matière[13] ».

CONCLUSION

Devant la diversité des régimes juridiques nationaux et l’absence d’une convention internationale ou d’un instrument supranational européen contraignant en matière de GPA, le juge européen se retrouve souvent devant un dilemme où il est tiraillé entre la reconnaissance pure et simple de cette méthode de procréation sur fonds du respect de la vie privée, familiale et de l’intérêt supérieur des enfants qui en sont issus, et un certain penchant à s’aligner sur la ligne jurisprudentielle peu libérale adoptée par les tribunaux nationaux en la matière ainsi que sur le contenu peu ou prou conservateur des législations nationales interdisant cette technique de procréation.


[1] Conférence de La Haye de droit international privé, Étude sur la filiation juridique et questions découlant des conventions de maternité de substitution à caractère international, mars 2014, § 147. Cité in : Commission des Episcopats de la Communauté Européenne, Avis du groupe de réflexion bioéthique sur la gestation pour autrui. La question de sa régulation au niveau européen ou international, Bruxelles, Février 2015, p. 17. Disponible en ligne sur : http://www.comece.eu/dl/knLnJKJONMlJqx4KJK/20150223PUBIOSUR_FR.pdf

[2] Florence G’sell, « La légalisation de la maternité pour autrui à l’étranger : exemples de droit comparé», Cahiers Droit, Sciences & Technologies, 7 | -1, 93-111. Voir : https://journals.openedition.org/cdst/541?lang=en#quotation

[3] Michelle Giroux et Jérôme Courduries (dir.), Le recours transnational à la reproduction assistée avec don. Perspective franco-québécoise et comparaison internationale, note de synthèse du rapport scientifique d’une recherche réalisée avec  le  soutien  du  GIP  Mission  de  recherche  Droit  et  Justice, Juillet 2017, p. 91.

[4] Ibid.

[5] Luc Olekhnovitch, « Qui est ma mère ? Faut-il légaliser les mères porteuses ? », Théologie évangélique vol. 8, n° 1 & 2, 2009, p. 109.

[6] Claire Lengrand et Camille Escuillié, « Statut juridique de l’enfant issu d’une GPA à l’étranger : Une avancée jurisprudentielle en demi-teinte», La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 13 janvier 2015, consulté le 22 décembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/revdh/1772 ; DOI : 10.4000/revdh.1772

[7] Cour européenne des droits de l’homme, Gestation pour autrui, fiche thématique publiée en décembre 2018, p. 2.

[8] Patrick Kinsch, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ayant trait au droit international privé (2014-2015), Document de travail publié le 15 septembre 2015, pp. 2-3. Disponible en ligne sur : https://www.gedip-egpil.eu/reunionstravail/Annexes_reunion_25/CEDH%20et%20droit%20international%20prive%202014.pdf

[9] Ibid., p. 3.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Cour européenne des droits de l’homme, Gestation pour autrui, op. cit., p. 3.

[13] Ibid., p. 2.

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