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La protection du secret médical et la liberté d’expression

La protection du secret médical et la liberté d’expression

université Mohamed premier

faculté des sciences juridiques économiques et sociales

oujda

 

Benthami mountasser

Docteur en Médecine

Doctorant en droit

 

L’articulation entre La liberté d’expression consacrée à l’article 10  de la convention européenne des droits de l’Homme et la protection du secret médical sera illustrée par deux arrêts : l’arrêt Gubler et le (CE du 27 janvier 2016 ; n : 392033).

-L’affaire « Gubler»[1] :

-Les faits :

Le 17 janvier1996, les éditions Plon publient « le grand secret », un livre écrit par le docteur Claude Gubler en collaboration avec le journaliste Michel Gonod révélant que le président François Mitterrand (décédé une semaine avant : le 8 janvier 1996), savait sa maladie cancéreuse depuis le16 novembre 1981, et avait décidé de la tenir secrète et de ne pas la diffuser, mais de faire des fausses publications concernant sa santé.

-Procédure pénale :

Le tribunal correctionnel de paris, saisi par le procureur de la république déclare  le docteur Gubler coupable dans un  jugement rendu le 5 juillet 1996, et le condamne à quatre mois de prisons avec sursis. Le tribunal précise que :

« La publication d’un ouvrage tout entier fond » sur une violation du secret médical constitue, à la charge de M .Claude Gubler, un manquement grave aux devoirs de son état, qui doit appeler un ferme rappel de la loi ». A défaut d’appel, ce jugement est devenu définitif le 5 septembre 1996. (n°13).

Une procédure civile en référée a été entamée par la famille du président qui saisit le tribunal de grande instance de paris qui a interdire  la diffusion du livre le 18 janvier 1996 à titre conservatoire

« attendu quelque les révélations ont été faites en viloation de textes qui imposant un secret professionnel  d’autant plus rigoureux qu’il s’agit du secret médical, et qu’elles sont susceptibles  de faire encourir à leur auteur les sanctions prévues par l’article 226-13 du code pénal ;attendu que  qu’elles constituent par leur nature une intrusion particulièrement grave dans l’intimité de la vie privée familiale du président François Mitterrand, et dans celle de son épouse et de ses enfants ;attendu que l’atteinte ainsi portée est d’autant plus intolérable qu’elle survient dans les  quelques jours qui ont suivi l’inhumation et le décès du président Mitterrand ;attendu que s’agissant d’un abus caractérisé de la liberté d’expression, à l’origine d’un trouble manifestement illicite, il entre dans les pouvoirs du juge des référés d’ordonner les mesures pouvant le faire cesser ou en limiter la portée [2]».La cour d’appel a confirmé la mesures d’interdiction.

Les ayants droit (la veuve du président madame Mitterrand et ses enfants assignent au fond le docteur Gubler et son éditeur  devant le tribunal de grande instance de Paris pour un  arrêt définitif de la diffusion du livre.

Le 23  octobre 1996,le tribunal [3]condamna in solidum le docteur Gubler et ses éditeurs a verser 100.000 F français (FRF) de dommages intérêts a Mme Mitterrand ainsi que 80.000 F a chacun des autres demandeurs, et maintient l’interdiction de diffusion livre. Le 27 mai 1997, la Cour d’appel de Paris[4] confirma ce jugement. le 14 décembre 1999.La Cour de cassation [5]rejette  le pourvoi  formé par les éditions Plon et son directeur général. Elle  confirmait également la mesure d’interdiction de diffusion du livre pour violation du secret médical, puisque l’ouvrage révélait que François Mitterrand se savait malade d’un cancer dès le début de son premier septenat.

Le 9 juin 2000 le docteur Gubler et son éditeur saisissent la cour européenne.

Les requérants invoquent la violation de la liberté d’expression

Sur la violation de la liberté d’expression :

« La société requérante dénonce une violation de son droit à la liberté d’expression. Elle soutient que l’interdiction qui lui fut faite par les juridictions internes de poursuivre la diffusion de l’ouvrage intitulé « Le Grand Secret » n’était pas prévue par la loi, ne visait pas un but légitime, enfin n’était pas « nécessaire dans une société démocratique » ; elle ajoute que sa condamnation en sus au paiement de dommages-intérêts « exorbitant[s] » n’était pas proportionnée au but poursuivi. Elle invoque l’article 10 de la Convention….. » n°21.

Le 18 octobre 2004, la cour européenne conclut :

« Qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention (liberté d’expression) du fait de l’interdiction de la poursuite de la diffusion du Grand Secret en tant qu’elle a été ordonnée à titre conservatoire par le juge des référés ;

Qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention du fait du maintien de cette interdiction au-delà du 23 octobre 1996, décidé par le juge civil statuant au fond ;…. » .

La cour met en évidence une nouvelle notion à savoir le « secret limité dans le temps » mettent en balance[6]Les exigences du secret médical et les exigences de la liberté d’expression. La cour a tranché pour la poursuite d’un « but légitime » qui doit correspondre à « un besoin impérieux social » estimant que l’interdiction du livre aurait dû être levée après quelques mois, au nom de la liberté d’expression, considérant que l’in capacité ou la maladie d’un président de la République ne relève pas du secret médical mais concerne la vie de tout les citoyens.

La cour ne méconnait pas la gravité de la divulgation du secret médical par le docteur Gubler et son éditeur, mais a sanctionné l’état français pour avoir sanctionné la violation du secret du docteur Gubler d’une façon « disproportionnée » 

« Le juge des référés statua le lendemain de la publication du ’’ grand secret’’, laquelle intervenait dix jours à peine après le décès de François Mitterrand une date aussi proche de sa mort, la diffusion d’un ouvrage le présentant comme ayant sciemment ment au peuple français ,tout en méconnaissant le secret médical, ne pouvait qu’aviver le chagrin de ses proches. Par ailleurs ce décès, survenu après un long combat contre la maladie et quelques mois après la fin de la vie des fonctions présidentielles, suscita une vive émotion dans la classe politique et l’opinion, si bien que l’atteinte portée par le livre à la mémoire du défunt était particulièrement forte. Dans ces circonstances , la cour estime que l’interdiction temporaire de la diffusion du ’’grand secret’’ jusqu’ à ce que les juridictions compétentes statuent sur sa compatibilité avec le secret professionnel et les droits d’autrui ,pouvait passer pour « nécessaire  dans une société  démocratique »à la protection des droits du président Mitterrand et de ses ayants cause .[…] la cour considère qu’une fois le secret médical a été enfreint et que son auteur a été condamné pénalement et disciplinairement, il faut nécessairement prendre en compte  le passage du temps pour apprécier la compatibilité avec la liberté d’expression d’une mesure aussi grave que  l’interdiction générale et absolue  d’un livre comme c’est le cas en l’espèce .Par ailleurs lorsque le juge statua sur le fond , 40 000 exemplaires de l’ouvrage avaient été déjà vendus, celui-ci était déjà diffusé sur internet et avait fait l’objet de nombreux commentaires dans les medias. Des lors la sauvegarde du secret médical ne pouvait plus constituer un impératif prépondérant .En outre, cette mesure  parait d’autant plus disproportionnée qu’elle s’ajoute à la condamnation de la société Plon au payement d’indemnités aux ayants cause de François Mitterand.des lors, la cour considère que lorsque le tribunal de grande instance  statua, aucun besoin social impérieux  ne justifiait plus le maintien de l’interdiction  de la diffusion du ’’grand secret’’ [7]».

-procédure disciplinaire :

le 2 février 1996,une action est entamée par le conseil national de l’ordre des médecins  contre le docteur Gubler devant le conseil régional d’ile de France qui a prononcé la radiation de l’ordre le 6 avril 1997.le conseil national de l’ordre des médecins s’aligne à son homologue régional .le conseil d’état est saisi par le docteur Gubler pour recours en  annulation de la décision qui est alors rejetée par un arrêt rendu le 29 décembre 2000.

à Partir du 15 mars 2001,Le docteur Gubler saisit  alors la CEDH pour absence d’Independence du conseil national de l’ordre des médecins :en effet le docteur Gubler allègue un défaut d’indépendance et d’impartialité du conseil national de l’Ordre des médecins, dans la mesure où celui-ci aurait été à la fois juge et partie, puisqu’il était plaignant en première instance et ensuite instance d’appel, cette dernière étant ainsi amenée à statuer sur sa propre plainte en tant qu’organe disciplinaire.

Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations à caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) ».

La cour dans un arrêt[8] rendu le 27 juillet 2007 précise que

 « ….Pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant », il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance. A ce dernier égard, la Cour rappelle l’importance de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables.

Quant à la condition d’« impartialité », elle revêt deux aspects. Il faut d’abord que le tribunal ne manifeste subjectivement aucun parti pris ni préjugé personnel. Ensuite, le tribunal doit être objectivement impartial, c’est-à-dire offrir des garanties suffisantes … » n°27.

-CE du 27 janvier 2016 ; n : 392033) :

Cette affaire oppose un médecin psychiatre et un malade mental vénézuélien Ilich Ramirez Sanchez dit « Carlos » qui refuse de se présenter et de se soumettre à son examen d’expertise dans le cadre d’une information judicaire en 1994 .Le patient refuse de répondre aux questions du médecin qui publie un article sur la « vacuité psychique » de plusieurs malades y compris Carlos dans le Figaro du 29 mars 2012 .Le 19 juin la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins l’a condamné à une interdiction d’exercer la médecine durant un mois.

Cette décision pose le problème de conciliation entre la protection du secret médical et la liberté d’expression consacrée à ‘article 10 de la convention européenne des droits e l’Homme.est ce que le fait de publier des informations sur des patients dont (certaines ont été publiées avant comme dans le cas Carlos) porte atteinte au secret professionnel ?

La chambre disciplinaire nationale motive sa décision en estimant , d’abord que la restriction à la liberté d’expression qui semble provenir de la protection du secret médical n’est pas incompatible avec la liberté d’information découlant de l’article 10 de la convention, ensuite elle considère que le fait pour le patient de ne pas se soumettre à l’examen d’une part et d’autres part que certains informations ont été déjà publiées ne dégagent pas sa responsabilité quant à la protection du secret médical .

Le pourvoi du médecin a été rejeté par le CE[9] qui approuve l’analyse de la de la décision de chambre  nationale disciplinaire[10] .Cette décision élève la protection du secret médical au rang d’un droit sacré en estimant que cette protection justifie la limitation à la liberté d’expression.

Le secret couvre toutes les informations concernant le patient : son état de santé et même son identité, ainsi le médecin ne doit pas divulguer à des tiers le nom des patients qu’il a soignés.

Le médecin psychiatre intervenant dans le cadre de son expertise judicaire n’est pas autorisé à porter atteinte à la vie privée du patient en diffusant des informations les considérant dans le cadre de la liberté d’expression.

Le secret médical peut alors être considéré que comme un moyen de protection de la vie privée du patient et par conséquent être  rattachée à l’article 8 de la convention[11].

 

 

 

[1] CEDH 18 mai 2004, affaire «  Plon c/France » (Requête no 58148/00).

[2] F. Vialla, «  les grandes décisions du droit médical » L.G.D.J, lextensoeditions, Paris, 2009, p.240.

[3] TGI de Paris, première Chambre, 23 octobre 1996, Mme Mitterrand et a. c/ Gubler et a. JCP G, n° 21, 21 mais 1997, juris., 22844, obs. Emmanuel DERIEUX.

[4] CA Paris, A, 27-05-1997, n° 97/4669P, EDITIONS PLON, S.A c/ Madame Danielle GOUZE épouse MITTERAND, section 1 : Emmanuel DERIEUX, Légipresse, 1erjuillet 1997, n° 143, pp. 100-103

[5] Cass. 1er ch. Civ., 14 décembre 1999, Société les Editions Plon et a. c/ Mme Mitterrand et a. : JCP G 2000 ,II,10241,concl.C.Petit.D.2000,n°17,p.372, Bernard BEIGNIER.

[6] C.Bergoignan-Esper /P.Sargos .op.cit. p.361.

[7]CEDH,18 mai 2004,affaire « Plon/France »,requête n°58148/00,JCP G 2004,n°23  act249 ; « du secret médical  au secret d’état… ou la justification d’une violation du secret médical par la protection de la liberté d’expression »,L.Delprat, médecine&droit 2006,n°76,p.1 ;Théo Hassler, LPA 20 aout 2008,n°167,p.3. Cité par François. Vialla, les grandes décisions du droit médical, L.G.D.J, lextensoeditions, Paris, 2009, p.241.

[8] CEDH, 27 juillet 2006,Gubler c/France, requête n°69742/01.

[9] Cécille Manaouil«Le secret partagé entre les s professionnels depuis la loi santé du 26 janvier 2016 » Revue générale du droit médical, 2016, Bordeaux, LEH édition ; n°61, p.58.

[10] Revue générale du droit médical, 2016, Bordeaux, LEH édition ; n°61, p.300-302.

[11] Ibidem.

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