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La problématique de l’article 54 et ses effets sur la protection du consentement par le droit civil

La problématique de l’article 54 et ses effets sur la protection du consentement par le droit civil
Réalisé par :

·         HTOUK Safae

·         Etudiante chercheur au C.E.D.O.C  de la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Salé.

C.E.D.O.C :

·         La législation, méthodologie et problématique

Groupe de recherche :

·         Droit, Santé et Sociétés

 

 

 

 

 

 

 

 

Le droit civil constitue l’un des rouages essentiels de la vie en société. Pour se nourrir, se loger, se soigner, chacun de nous conclus à intervalles des contrats variés.

Cette étude s’inscrit dans le cadre de l’évaluation d’un article qui a suscité la volonté des chercheurs académiques, notamment entre l’ancienneté du texte régissant le sujet, l’obscurité du contenu de l’article, et la difficulté de sa qualification juridique. Il s’agit de l’évaluation de la problématique de l’article 54 du D.O.C et son effet sur la protection du consentement par le droit civil.

L’article 54 du D.O.C dispose que « les motifs de rescision fondés sur l’état de maladie, et autres cas analogues, sont abandonnés à l’appréciation des juges ». En l’absence d’une définition claire et précise de l’état de maladie et autres cas analogues, et le pouvoir large donné à l’appréciation des juges, il est utile de s’interroger sur l’efficacité des dispositions de cet article sur le consentement, prière angulaire des engagements contractuels.

Cette étude va être divisée en deux parties :

  1. Les difficultés d’identification de l’état de maladie et les cas analogues
  2. L’enchevêtrement des moyens de preuve relatifs à l’article 54 du D.O.C.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’article 54 du D.O.C n’a donné aucune précision au sujet de ce qu’il entendait par « maladie et cas analogues », et a conféré aux juges, de façon explicite, une appréciation souveraine en la matière.

Cette consécration légale de la maladie en tant que motif de rescision est pleinement justifiée puisque cette dernière,  peut en effet provoquer un affaiblissement de la volonté et des facultés intellectuelles de nature à réduire et à altérer la conscience et la liberté du malade . Le consentement donné dans de telles circonstances serait un consentement amoindri qui pourrait parfaitement justifier l’annulation du contrat.

Devant le silence du D.O.C., la jurisprudence fournit des indications quant à la nature de cette maladie ainsi que les caractères qu’elle doit revêtir pour donner lieu à la rescision de l’obligation. Un degré de gravité est exigé à propos de l’état de maladie invoqué à l’appui de la demande d’annulation. Celui qui se prévaut des dispositions de l’article 54 précité devra prouver qu’il ne disposait pas au moment de la conclusion du contrat de toutes facultés intellectuelles et n’était pas en mesure de veiller au mieux à ses intérêts.

La jurisprudence est constante à rejeter toute demande fondée sur des moyens de preuve (essentiellement des certificats médicaux) qui se contentent d’attester que le demandeur était malade  durant la période de conclusion du contrat, mais qui ne prouvent pas que cette maladie est de nature à altérer les facultés mentales de dernier[1].

L’action fondée sur l’atteinte d’un état dépressif n’est guère mieux lotie, la jurisprudence estimant que cela ne saurait suffire à annuler le contrat tant qu’il n’est pas démontré qui en souffre « était incapable de comprendre la portée et la valeur de l’acte qu’il a signé »[2].

L’état de maladie, pose une condition commune à tous les vices du consentement : la maladie doit avoir exercé une influence déterminante sur le consentement. C’est en effet ce qui ressort d’un arrêt de la cour d’appel de Marrakech rendu en date du 8 mai 1980 qui exige que «  la maladie ait déterminé le consentement et que sans elle, le consentement n’eût pas été donné »[3].

Il est n’est pas non plus exigé que la maladie ait provoqué des troubles mentaux.  Cette affirmation est d’importance puisqu’elle démontre que le terme « maladie », contenu dans l’article 54 du D.O.C, possède son propre champ d’application différent de celui des dispositions du code de la famille relatives à l’incapacité des malades mentaux.

La délimitation des contours de la notion de « maladie » étant effectuée, il convient à présent de déterminer ce que le législateur a entendu par « cas analogue ».

L’expression est très vague et englobe une variété de situations, ce qui explique sûrement pourquoi les rédacteurs du D.O.C ne se sont pas aventurés dans une tentative de définition. Cette tâche complexe a été dévolue à la jurisprudence qui dispose, en vertu de l’article 54 du D.O.C., d’un très large pouvoir d’appréciation.

La doctrine est majoritairement opposé à ce pouvoir conféré aux juges qu’elle estime trop large, voir absolue[4] ; ce courant considère ainsi qu’un contentieux aussi important que la cause de validité ou de nullité des obligations ne devraient pas dépendre entièrement de la seule conviction personnelle des juges. Car cela risquerait de conduire à des solutions absolument opposées d’où une instabilité juridique que le législateur aurait pu éviter en mentionnant, au moins, un ou plusieurs critères d’admission de ces motifs de rescision.

Le souci d’éviter une contrariété entre quelques décisions judiciaires est moins impérieux que celui de protéger des millions de contractants qui se trouvent presque démunis en matière de protection et qui n’ont certainement pas besoin que l’on limite la portée de textes, déjà assez rares, qui tentent de protéger l’intégrité de leur consentement.

L’opinion émise par le ministre de justice,  peut être admise, dans la mesure où elle préconise une interprétation large des dispositions de l’article 54 qui engloberait toute situation où la liberté des contractants aurait été limitée[5]. En revanche, une certaine perplexité au sujet de certains arrêts peut être soulignée qui, en confondant cas analogues et lésion, ont estimé que cette dernière était une condition pour obtenir la rescision de l’obligation sur la base de l’article 54[6].

Sans doute, l’intérêt de cet article réside à titre particulier, dans le cas où le juge ne pourrait pas annuler des contrats manifestement préjudiciables aux contractants, faute par ces derniers de remplir les conditions d’admission de la demande en rescision pour erreur, dol ou lésion[7].

L’intention du législateur, en précisant que les cas analogues à la maladie constituaient une cause de rescision des obligations, était de sanctionner les contrats conclus à la suite d’échanges de consentements qui n’étaient pas totalement éclairés. C’est la maladie qui a constitué l’élément déterminant les ayants incités à conclure des transactions dans les conditions qui leur sont défavorables. Cette interprétation large semble de nature à aider les juges à identifier ces « cas analogues » dans le cadre des espèces qui leur seront soumises.

L’une de ces situations que l’on retrouve souvent en pratique et celle de « la dernière maladie » ou « la maladie mortelle »[8] pour laquelle devrait être retenue, la qualification de « cas analogues à la maladie ». Cette notion inspirée particulièrement de droit musulman[9], part de l’idée que les actes consentis par le malade à l’article de la mort sont en général dictés à leur auteur par la pensée de cette fin plus ou moins imminente : « quand un malade se trouve dans de pareils conditions, ses actes juridiques sont présumés avoir été voulus par lui, précisément en présence d’une fin qu’il estime proche[10] ».

Le D.O.C n’a pas défini la « dernière maladie », abstention saluée par la majorité de la doctrine qui relève que toute définition ne pourrait pas valoir pour des situations susceptibles de se présenter ; en outre, grâce à l’évolution de la médecine, certaines maladies, considérées jadis, faute de moyens de guérision, comme mortelles, ne le sont plus[11].

Certains auteurs l’ont tout de même définie comme étant la maladie qui provoque généralement la mort ou dont les chances de guérision sont très faibles[12].

Notons dans le même ordre d’idées, que l’article 479 du D.O.C. dispose que la vente faite par un malade, durant sa dernière maladie, à un non susceptible est régie par l’article 345 de même texte . Ce dernier, relative à la remise, dispose que cet acte «  est valable jusqu’à concurrence du tiers de ce qui reste dans la succession après le payement des dettes et des frais funéraires ».

Cette application est aisée lorsqu’il s’agit d’actes à titre gratuit (article 344 du D.O.C).En revanche lorsqu’on est en présence d’un acte à titre onéreux, tel que la vente, la mise en œuvre de la solution édicter par l’article 345 conduit inévitablement à une aberration :celle d’annuler un « pourcentage déterminée de la vente » en fonction de prix et de ce qui reste  dans la succession, autrement dit, l’acheteur n’aurait le droit de garder qu’une partie qu’une partie du bien vendu et il devrait restituer le reste, quant aux héritiers du défunt vendeur, ils seraient dans l’obligation de rendre à l’acquéreur un pourcentage du prix qu’il précédemment versé !

La règle contenue dans l’article 345 étant une application extrêmement malaisée et n’ayant manifestement pour objectif que la sauvegarde des intérêts des héritiers du vendeur. Le recours à l’article 54 dans ce cas sera salutaire.

En guise de conclusion, la généralité des dispositions de l’article précité ainsi que le pouvoir d’appréciation dévolu aux juges permettront aisément à ces derniers d’inclure le cas de la dernière maladie dans le champ d’application de ce texte et de protéger ainsi le consentement manifesté dans de telles conditions.

La doctrine est unanime à considérer que la preuve de la maladie et des cas analogues peut être rapportée par tous les moyens[13]. Il en est de même en ce qui concerne la jurisprudence[14].

La diversité des sources du D.O.C, a entraîné une variété au niveau des moyens de preuve de la maladie. A côté des preuves issues du droit musulman, d’autres moyens issus du droit positif ou de l’évolution scientifique peuvent être mis en place.

La première catégorie est surtout représentée par les documents émanant des « adoul». La seconde réside essentiellement dans les certificats médicaux (ex. l’expertise médicale).

Cette diversité a donné naissance à un débat doctrinal troublé qui a conduit à l’enrichissement de  la discussion. Aux partisans de la force probante quasi absolue des actes des « adoul » s’opposent les fervents partisans de la modernisation des moyens de preuve.

Le premier courant[15] s’appuie sur de l’article 419 du D.O.C qui dispose : « L’acte authentique fait pleine foi, même à l’égard des tiers et jusqu’à inscription de faux, des faits et conventions attestés par l’officier public qui l’a rédigé comme passé en sa présence ». Ce mouvement doctrinal affirme que les actes rédigés par les adoul sont des actes authentique et , qu’aux terme de l’article 419, ils font pleine foi.

Les adoul sont en principe des gens vertueux dont le témoignage fait foi, soient qu’ils rapportent des faits dont ils ont la connaissance personnelle, soit qu’ils rapportent les dires des parties ou d’autres témoins. « La preuve testimoniale constituant le fondement de la procédure notariale et juridique musulmane, il s’ensuit que les adoul jouent dans la vie des musulmans un rôle extrêmement important [16]».  Les actes qu’ils dressent sont en effet  considérés comme « des actes notariés[17] ». C’est ce qui ressort en effet de la jurisprudence qui les qualifie d’actes du notariat musulman[18] et qui confère aux adoul le statut de notaire[19]. Pendant le Protectorat, les tribunaux ont toujours accordé à l’acte adoulaire le caractère d’acte authentique et ont considéré qu’il ne peut être discuté que la procédure d’inscription en faux[20]. Après l’indépendance, l’attachement à cette institution « musulmane » et maintenu, en gardant ce caractère authentique[21].

Certaines juridictions sont même allées plus loin en accordant aux actes dressés par les adoul la primauté sur tout les autres moyens de preuve. Ils font toujours primer l’acte adoulaire sur le « lafif », soit en faisant référence à la force probante dudit acte, soit en estimant que si le « lafif », au point de vue de forme, est considéré comme un acte authentique, en revanche, il ne constitue, au fond, qu’un simple témoignage.

Ce même mouvement jurisprudentiel va même jusqu’à écarter les certificats médicaux attestant que le contractant était atteint de telle ou telle maladie, prétexte pris de ce qu’il n’y a pas eu inscription de faux, et ceci que les certificats en question émanant de médecins généralistes ou spécialistes à moindre somme d’argent.

Paradoxalement, le deuxième courant n’a pas accordé aux actes adoulaires une force probante absolue[22]. Certains auteurs[23] lui dénient ainsi la qualité d’acte authentique en se fondant sur les dispositions de l’article 420 du D.O.C qui dispose que l’acte authentique fait foi des contestations faites par l’officier public « lorsqu’il énonce comment il est parvenu à connaître ces faits ». Tandis que dans le cas de la maladie, les adoul ne se basent que sur l’aspect extérieur des contractants.

En guise de conclusion, l’acte dressé par les adoul constitue une preuve des faits qui y sont énoncés, mais ne saurait admettre qu’il ne souffre pas la preuve contraire et qu’il faudrait absolument passer par la procédure d’inscription en faux.

Les limites à la force probante des actes authentiques instituées par l’article 420 du D.O.C , la capacité des adoul à déceler certaines maladies est mise en question. Les certificats médicaux dont ils prennent comme preuve sont facile à obtenir par une somme modique. C’est dans cette mesure que l’intervention de tribunal dans l’appréciation de ces preuves est primordiale pour apprécier la pertinence. A défaut une expertise médicale qui lui fournira sûrement des éléments supplémentaires qui lui permettront de rendre une décision juste et équitable.

 

En guise de conclusion, on peut déduire qu’entre la diversité et l’incohérence des dispositions du D.O.C. et son application dans la pratique, la nécessité de reformuler les dispositions de l’article 54 du D.O.C. semble d’urgence. Cette urgence se manifeste notamment dans l’importance que revêt cet article sur la validité des contrats passés dans le cas de maladie de mort.

Le pouvoir large d’appréciation donné au juge doit être limité sur la base d’un texte clair qui met fin à toute discordance en la matière, devant un sujet pareil.

L’ancienneté des dispositions du Dahir des obligations et contrats met en question l’efficacité de ces dispositions non seulement pour le sujet objet de cette étude, mais aussi sur les contrats en Droit civil vu les changements constants et continus de la vie contractuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] C.S.CIV., 14 sep.1983, précité ; C.S.ch.mixte, 5fév1986, in Les arrêtes de la cour suprême en chambre mixte ou en assemblée plénière, 1ère partie, p.72 ; CA Rabat, 26 Juin2003, B.C.A.R., 2004, n°1, p.225.

[2] Cass.Civ.1 Cass.Civ.1avr.1957,G.T.M.,1957,n°1212,p.78,R.A.C.A.R.,T.XIX,p.207.

[3] Cas.Marrakech, 8mai1980, précité.

[4] Cf.à ce propos, I. EL ALAOUI ABDALLAOUI, leçons de droit civil, la théorie générale de l’obligation, théorie du contrat, Annajah Al Jadida, 1ère éd., 1996, p.426 ; M.ALAM EDDINE, Les sources du droit civil, 1ère partie, la théorie des obligations, Aîn chams, 1977, p.247.

[5] Opinion citée par A.ADRIOUCH, L’effet de la maladie sur le contrat de vente, Silsilat Al Maarif Al Kanounia, 1996, p.50.

[6] CA Casablanca, 13 Juin 1988, R.J.I.M., n°139, p.103.

[7] M.KAZBARI,  La théorie des obligations au regard du dahir des obligations et contrats marocain, première partie : les sources des obligations, Beyrout , 1968.p.149.

[8] « L’expression de ‘’dernière maladie ‘’ a été utilisé par le D.O.C dans les articles 344, 345et 479, paradoxalement, certains auteurs préfèrent parfois  l’emploi de « maladie mortelle ».Cf. à titre d’exemple, Y.LINANT de BELLEFONDS, Traité de droit musulman comparé, Mouton& co, 1965, p.266.

[9] Ibid., p.262 et s.

[10] Ibid., p.266.

[11] M. AL KACHBOUR, La vente effectuée par le malade durant sa dernière maladie, Annajah Al Jadida, 2002, p. 37.

[12] Cf. au sujet de la définition de la dernière maladie, A.ADRIOUCH, op.cit.,p.68 ; M.AL ALAMI, La vente consentie par le malade durant sa dernière maladie et les effets de la « atammiya » sur la validité de l’acte, Majallat Al Kasr, 2005, n°12,p.171.

[13] M.AL ALAMI, art.précit. ; p.173 ; M. AL KACHBOUR,art.précit. ,p.68.

[14] CA El Jadida, 29 nov.2005, Rev. Al Milaf, 2006, n°9, p.241.

[15] C.f Y.WAHABI, l’annulation du contrat de vente entre l’attestation des adoul et les certificats médicaux, Rev. Al milaf, 2005, n°7,p .210.

[16] Extrait de Bulletin d’Information et de documentation, in »la réorganisation de la justice civil musulmane au Maroc : le statut des adoul », G.T.M., n°784, 23 juill.1938,p.238.

[17] Ibid.

[18] CA Rabat , 3 avr.1928, R.A.C.A.R. ;T.IV ,p.440, cet arrêt qui énonce qu’ »qu’il n’y a pas authenticité de l’dentité des comparants dans un acte de notariat musulman, lorsque les adoul n’ont certifié, ni qu’ils connaissaient… ».

[19][19] CA Rabat, 24 juin 1931, R.A.C.A.R. , T.VI, p.358, cet arrêt a estimé que « la date certaine d’un acte d’Adoul est celle de la transcription sur le registre de contrôle de la mahkama (tribunal) et n’ont  celle à laquelle les notaires prétendent avoir reçu les déclarations des parties ».

[20] CA Rabat 13 fév1924, R.A.C.A.R., T.II, p.513 ; C.A. Rabat, 3 avr. 1928, précité.

[21] CA.Civ., 25 oct.1960, R.A.C.S.,Civ.T.I, p.202 ;C.S., 20 juill.1994, R.J.C.S, n°48, p.67, cité par Y.WAHABI, l’annulation du contrat de vente entre l’attestation des adoul et les certificats médicaux,art.précit.,p.210

[22] Cf. à titre d’exemple, M. AL ALAMI, art. précit.,p.177 ; M. AL KACHBOUR, art. précit., p.73.

[23] Pour une meilleure explication sur ce courant, voir : Y.WAHABI, « L’annulation du contrat de vente entre l’attestation des adoul et les certificats médicaux », article précit., p.210.

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