La légitimité politique et le paradoxe de la démocratie locale

La légitimité politique et le paradoxe de la démocratie locale

                                                              Abdelkader NAJI,

Docteur en Droit Public.

                                                                                                   Chercheur en Droit Constitutionnel et Sciences Politiques.

Introduction

   Chaque fois que l’on évoque laquestion de la démocratie parvient, automatiquement, à l’esprit l’élection. Il s’agit d’un outil de légitimation de la représentation politique. Cette légitimité politique provient de la possibilité pour la collectivité d’élire librement et directement parmi ses membres des représentants qui seront chargés de gérer les affaires de la dite collectivité et sous le contrôle de cette dernière.

   Néanmoins, la problématique c’est que la démocratie n’est pas tributaire au seul fondement de l’élection. Ainsi, par déclinaison, on pose la question suivante : pourquoi l’élection, outil fondamental, est insuffisante pour garantir la démocratie locale? L’éclaircissement de cette question appelle la contribution de différentes théories de la science politique.

   En effet, la relation dialectique entre le centre et la périphérie, entre l’action centripète de l’Etat et celle centrifuge des collectivités territoriales, a révélé la quête d’une autonomie locale basée non seulement sur la légitimité politique des élus locaux mais aussi sur l’autonomie financière.   

   Ces deux indicateurs indispensables à la démocratie locale- à tout gouvernement local- peuvent être vérifiés respectivement par la nature du suffrage adopté  pour l’élection des membres de conseils locaux. Et par la marge de liberté dont dispose les représentants de la collectivité territoriale leur permettant la maitrise de leurs recettes et dépenses ainsi que la disposition d’un budget propre.

   Historiquement, l’étude du gouvernement local a été fondée, depuis les années 1950, sur plusieurs approches et méthodes[1]. Néanmoins, du fait que le mode d’exercice du pouvoir dans une société n’est compréhensible qu’en relation avec sa structure institutionnelle, la méthode du juriste sera fortement présente dans notre essai. En outre, notre problématique, énoncée ci-dessus, nous recommande l’adoption de l’approche politique surtout à caractère extra-institutionnel qui va nous permettre d’analyser les relations de pouvoir centre/périphérie.

   Ainsi, pour analyser notre problématique, on a articulé cette contribution en deux parties. Dans la première partie nous allons examiner l’adoption du suffrage universel pour l’élection des conseillers locaux et l’instauration d’une structure parallèle de veille qui est le caïdat (I).  

   En relation avec ce qui précède, nous analyserons dans une seconde partie l’impact des relations de pouvoir centre/périphérie sur l’action des élus locaux dans la gestion de leurs territoires (II).

IL’instauration d’une structure territoriale bipolaire

   Plusieurs travaux ont été élaborés sur l’analyse de l’évolution des structures traditionnelles locales. Néanmoins, il est utile de retenir que l’articulation et l’interaction de ces institutions, en particulier celle du caïd représentant le makhzen et celle de la jemaa[2] représentant les membres de la tribu[3], révèle la dialectique ancestrale de deux principaux lieux du pouvoir local. La jemaa, avait une assise tribale en particulier dans les montagnes[4]. Elle défendait les intérêts des populations et jouait le rôle d’organe de contrôle des activités des caïds notamment en matière de collecte des impôts[5]. D’où son rôle de contre-pouvoir vis-à-vis des agents du pouvoir central, dit makhzen dans le jargon politique local. 

   Ainsi, notre analyse concernera le début des années soixante, date de l’entrée en vigueur de la première charte communale[6]. Où le choix du pouvoir central a été orienté vers l’emplacement d’une structure locale bipolaire basée sur deux institutions : la commune et lecaïdat.

   Produit de la lutte, latente ou déclarée, entre le pouvoir central et les forces locales, les relations de pouvoir entre les institutions territoriales reflétaient la domination des institutions élues au suffrage universel par les représentants du pouvoir central (A). Néanmoins, avec la révolution du WEB et les rapides changements sociaux, on a constaté la défaillance de fonctionnement de ce système d’administration choisi (B).

A- Le caïdat et la commune ou le face à face territorial

   Malgré l’existence, à l’époque, de discordances et de prises de position entre le pouvoir et l’opposition, nul ne conteste le choix de l’adoption de la commune, institution moderne, en tant que cellule de base (1). Néanmoins, le maintien du caïdat en tant que structure politique parallèle est remarquable (2).

1- La commune : une cellule de base

   Dans sa déclaration du 8 mai 1958, feu Mohammed V a reconnu «l’éclatement des structures tribales» et a préconisé la commune comme une «nouvelle cellule sociale et politique» en tant que «base d’organisation du Maroc moderne». Depuis, le droit public marocain inspiré du droit public français a substitué les termes : commune au terme tribu, assemblée communale au Jemaâ, président au cheikh.

   Pourtant, depuis l’indépendance du Maroc, l’adoption d’un mode de scrutin a fait l’objet de luttes entre le pouvoir et l’opposition. En effet, le pouvoir central, conservateur, a réussi à imposer le mode de scrutin uninominal à un seul tour avec des bulletins de vote en couleurs. Défendu par sa simplicité technique, il a répondu au souci de reconstitution d’un réseau administratif fidèle à la politique de l’Etat. Or, la stratégie de l’opposition était de « libérer » les communautés locales de l’emprise des notables, non seulement parce qu’ils étaient accusés de connivence avec la colonisation mais ils sont par nature conservateurs et incapables d’assurer une gestion moderne des affaires publiques.

   C’est là où se situait la divergence principale entre le pouvoir et l’opposition, jusqu’au premier septembre 1959 où le Roi Feu Mohammed V s’est prononcé en faveur du scrutin uninominal[7]. Néanmoins, le code électoral a été révisé à plusieurs reprises et sa révision de 2003[8] a été considérée comme la première à avoir enterré les résistances du passé et à ouvrir la voie à la satisfaction des anciennes demandes de la classe politique. La nouvelle loi a introduit des amendements dont le plus important consiste en la disparition des vieux bulletins individuels de couleur[9].

   Comme prévu, cette révision a rencontré l’opposition des partis à fort ancrage rural qui craignaient d’être lourdement affectés par la dépersonnalisation de l’acte de vote[10]. Après de longues tractations, la solution retenue a consisté en une sorte de compromis qui fait coexister les deux modes de scrutin en rapport avec le nombre d’habitants[11]. Ainsi, le législateur marocain a reproduit le même principe du droit électoral municipal français[12].

   A croire les textes, cette nouvelle institution communale constituait le meilleur moyen, pour construire un régime démocratique[13]. Toutefois, la commune n’est pas la seule institution existante au bas de l’échelle territoriale, le caïdat, institution makhzenienne, a été maintenu en tant que structure politique parallèle.

2- Le caïdat : une structure parallèle

   Ce n’est pas une pure coïncidence qu’en France aussi il y’a une structure territoriale parallèle à trois niveaux : il y’a d’une part la commune, le département et la région, et de l’autre il y’a une structure correspondante où il y a le préfet de région, le préfet de département et le sous-préfet de la commune. La spécificité de ce système est le partage du pouvoir exécutif entre le pôle décentralisé et le pôle déconcentré.  

   Au Maroc, le même système a été transposé : au pôle décentralisé on a la commune, la province et la région et au pôle déconcentré on a le caïd ou le pacha de la commune, le gouverneur de la province et le wali de la région.  Ainsi, au niveau communal, le caïdat est l’entité de base de la structure administrative déconcentrée du Royaume. De ce fait, l’articulation administrative du système local est, jusqu’à nos jours, bipède.

   Certes, ce système a connu des expériences en matière de décentralisation qui est une technique utilisée dans les pays démocratiques contre le pouvoir central et consiste en une redistribution des pouvoirs entre le centre et ses unités infra-étatiques. Au Maroc, les relations de pouvoir entre le centre et l’opposition (la gauche socialiste) ont, depuis l’indépendance, influencé le partage de pouvoir entre les deux blocs.

   En effet, les traditions marocaines basées sur la centralisation politique ont généré la méfiance vis-à-vis de la décentralisation et alimenté le souci du maintien du pouvoir dans l’arène des administrations centrales. Par conséquent, le pouvoir de l’État ne pouvait être tempéré, les collectivités territoriales ne sont que des structures administratives dominées[14].

   Certes, avant les premières lois de 1976 qui ont marqué une ouverture démocratique locale importante, le penchant vers la décentralisation avait pour objectif, au moins en théorie, la modernisation du pays[15]. Aujourd’hui, il est fortement guidé par le retrait progressif de l’Etat suite aux difficultés rencontrées par celui-ci dans sa capacité à résoudre les problèmes socio-économiques liés aux services de proximité. En particulier, l’emploi, la santé, l’enseignement, la justice,…etc.

   C’est un constat général qu’on peut dresser, presque, dans le monde entier. Aujourd’hui, tout système politique quelque soit son évolution sur l’échelle de la démocratie connait, plus ou moins, une crise de légitimité et d’efficacité. En fait, la vie politique locale s’est progressivement démocratisée avec la généralisation des élections libres[16] ; elle se structure alors principalement autour des élus et renvoie à une conception délégataire du pouvoir qui nourrit l’entretien de fiefs personnels de ces élus eux-mêmes. Ce qui nous permet de dire que la dimension démocratique ne saurait se réduire aux seules élections.

   Actuellement, de nouveaux dispositifs participatifs ont vu le jour pour fortifier la démocratie locale et associer les citoyens sans réaliser l’efficacité souhaitée.

B- Un contrôle démocratique limité

   Depuis quelques jours on a entendu officiellement la reconnaissance, une autre fois de plus, de la faiblesse des moyens de participation (1) et de contrôle de l’action des pouvoirs publics (2) mis à la disposition des citoyens[17].

1- La faiblesse des dispositifs participatifs

   Il serait notamment positif de réaliser une plus grande implication des citoyens ordinaires dans des questions « concrètes ». Il n’est guère étonnant que la thématique de la « démocratie participative » ait trouvé là son principal terrain d’expression et d’expérimentation. D’ailleurs, on a jugé utile d’entendre la voix du citoyen entre les deux élections[18].

   Partout, on accuse la faible représentation politique[19] ; même dans le monde occidental, on militait en faveur d’une démocratie directe et meilleure. Dans les pays tels que les Etats-Unis d’Amérique, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne,…etc., on assiste souvent à des mouvements réclamant une grande participation des citoyens à la prise de la décision politique[20].

   Au Maroc, des mouvements contestaient l’exercice autoritaire du pouvoir et réclamaient un droit de regard des citoyens sur l’action publique. Cette expression citoyenne ainsi que la mise en place des mécanismes participatifs de dialogue et de concertation sont

désormais codifiés[21].

   Cette reconnaissance constitutionnelle de ces droits a donné un fondement juridique, à titre d’exemple, au droit de pétition en vue de demander l’inscription à l’ordre du jour du conseil local d’une question relevant de sa compétence[22]. Néanmoins, ce droit est étroitement encadré.

   En outre, la nouvelle constitution de 2011 a prévu l’installation d’une « instance d’égalité des chances et de l’approche genre »[23]. Toutefois, cette instance n’a qu’une attribution consultative[24].

2 La faiblesse des contre-pouvoirs

   La conception libérale de la démocratie suppose théoriquement l’existence de contre-pouvoirs susceptibles d’éviter une concentration excessive du pouvoir entre les mains des exécutifs. À l’échelle locale, ce principe trouve des difficultés pratiques.

   Les assemblées délibérantes ne jouent que très imparfaitement une fonction de contrôle des exécutifs et ceux-ci gouvernent grâce au soutien de la majorité. Or, la démocratie est le pouvoir de la majorité dans le respect de la minorité, sinon elle dégénère en cette fameuse ‘‘dictature de la majorité’’[25]. Ainsi, il est indispensable d’octroyer le droit aux minorités (opposition et autres voix) de se prononcer et de participer.

   Pratiquement, le fonctionnement des C.T. revêt un caractère déséquilibré au profit d’un cercle restreint d’élus en charge de la gestion des affaires locales. Le rôle des assemblées délibératives est très faible. Elles ne se réunissent que trois fois par an[26]. L’ordre du jour de ces réunions est fixé à l’avance et l’organisation des débats est largement contrôlée par le chef de l’exécutif qui est, aussi, le président de la séance. Dès lors, ces assemblées s’apparentent plus à des chambres d’enregistrement.

   Cet affaiblissement des assemblées est le parallèle logique du processus de renforcement de l’exécutif, les affaires soumises au vote en assemblée plénière sont en fait préparées par les membres du bureau et les commissions permanentes, ainsi que par les services de l’administration sans que la plupart  des conseillers disposent du temps et de l’information nécessaires pour agir sur les choix.

   Certes tous les conseillers bénéficient préalablement, au nom d’un droit à l’information reconnu par la loi, des documents supports des délibérations à venir. Les conseillers peuvent, en séance plénière, poser des questions, voire exprimer leur désaccord ; mais, en pratique, leur droit d’amendement est relativement restreint.

   En dépit de cette limite, l’opposition voit souvent l’opportunité de contester la politique menée par l’exécutif à l’occasion des séances plénières. Néanmoins, l’analyse de l’organisation interne du conseil local révèle la question de la place de l’opposition et de son rôle. En principe le président est élu par les membres du conseil pour six ans. Mais en fait, le plus souvent, c’est le président qui forme la liste de la majorité qui va gouverner la collectivité et son élection n’est qu’une formalité. Ainsi, si les luttes entre candidats pour l’accès au poste de président ont été vives ; une fois le conseil élu, c’est son caractère homogène et apolitique qui prévaut. Et on assiste, généralement, à la disparition de l’opposition.

   Par conséquent, le pouvoir d’opposition s’éclipse en dehors des séances de l’assemblée. En fait, on a rarement fait recours au tribunal administratif pour contester la légalité d’une délibération ou d’une décision locale.

   En tout état de cause, la pratique a révélé que ces différents dispositifs participatifs sont inefficaces et leur portée demeure très faible dans la mesure où le Web reste un outil plus efficace pour que les citoyens influent sur les choix politiques. Ces derniers ont, de plus en plus, la conviction que leur grande question d’aujourd’hui, c’est le droit d’expression et non pas le droit de vote.

II- Le maintien du lien de dépendance par rapport au centre

   La survivance du pouvoir du gouverneur (A), responsable de l’exercice de la tutelle (B)  rapprochée des C.T. et la faiblesse des moyens financiers (C) dont disposent les communes maintiennent la dépendance de la commune vis-à-vis du pouvoir central.

A- La survivance du pouvoir du gouverneur

   L’ouverture du champ politique local était relative tant que l’agent d’autorité régnait sur la scène locale, et en particulier dans le domaine politico-sécuritaire. La pratique politique nous renseigne que la survivance du pouvoir du gouverneur est toujours de mise. Son intervention pour orienter le jeu politique local est quasi déterminante vu sa qualité de représentant du centre qui lui accorde la responsabilité de veille sur les différentes actions dans l’espace local.

   Aujourd’hui, certes, les attributions de la commune et de son président ont connues une grande évolution au sens quantitatif et qualitatif[27] ; elles sont plus précises et plus claires. Mais, les attributions de l’agent d’autorité demeurent toujours imprécises et générales[28]. Ainsi si le taux élevé d’analphabétisme parmi les élus justifie l’intervention de l’agent d’autorité, ceci n’empêche que l’exercice d’une tutelle vague et imprécise constitue un véritable obstacle pour le développement des communes[29].

B- La pesanteur de la tutelle

   En droit civil, la « tutelle » est une mesure protectrice des mineurs, ou des majeurs aux facultés mentales altérées. C’est une forme d’hétéronomie qui impose au mis en cause le contrôle par l’instance de tutelle de l’opportunité du processus décisionnel ainsi que la libre gestion du patrimoine propre. Appliqué au domaine administratif, il s’agit du contrôle exercé par l’Etat sur des personnes morales, à savoir les collectivités décentralisées au nom de l’intérêt général[30]. En matière de tutelle, la différence entre le droit civil et le droit administratif réside dans le fait qu’en droit civil, la tutelle concerne des personnes physiques dépourvues de la capacité de discernement ; alors qu’en droit administratif, elle concerne toutes les collectivités territoriales. Les actes entrepris par ces dernières hors du processus de tutelle sont passibles de nullité et leurs auteurs peuvent être sanctionnés.

   En effet, certaines délibérations du conseil communal ne sont exécutoires qu’après avoir été approuvées par l’autorité de tutelle[31]. Le contrôle qu’exerce l’Etat sur l’activité des communes est un contrôle à priori qui concerne aussi bien la légalité que l’opportunité. D’où l’altération de l’autonomie communale. En outre, l’analyse du pouvoir de substitution[32] réservé à l’autorité administrative révèle la puissance du pouvoir central. Il s’agit d’un contrôle des plus rigoureux en matière de tutelle[33]. Il porte une atteinte extrême, voire la plus dangereuse[34], pour l’autonomie communale. De son côté, le pouvoir central se justifie à l’aide des mêmes prétextes avancés dans les années soixante : ‘‘veiller à l’application des lois et règlements’’, ‘‘garantir la protection de l’intérêt général’’ et ‘‘assurer l’assistance et le concours de l’administration’’[35], provoquant des entorses à la décentralisation et aggravant la subordination des collectivités infra-étatiques au pouvoir central. Ce qui s’oppose au renforcement du pouvoir local et conduit, ipso-facto, à son affaiblissement.

C- La disproportionnalité entre les charges et les moyens financiers

   Il est à remarquer que la réforme communale de 2002 s’est attelée davantage sur des volets à caractère purement administratif, elle a comporté de nouveaux apports tel le renforcement du statut de l’élu local[36]. Cependant, elle a élargi les attributions communales[37] jusqu’à l’overdose.

   Ces lourdes attributions n’ont pas été accompagnées par l’octroi de moyens adéquats, ce qui met les présidents des conseils dans une situation de malaise causée par leur incapacité à faire face aux doléances populaires de plus en plus nombreuses[38].

   Par ailleurs, les mesures de décentralisation introduites par la réforme communale de 2015 ne peuvent avoir d’effet si elles restent formelles. Or si l’on suit à la lettre les textes relatifs à l’organisation des finances des collectivités territoriales et de leurs groupements[39] qui ont accompagné cette réforme, on se rend compte qu’il s’agit des mesures qui portent sur l’organisation de la comptabilité publique de ces entités infra-étatiques. Il ne s’agit pas de mesures d’appui et de renforcement des budgets locaux. Ces derniers comptent plus sur les principales ressources qui sont la part des revenus des impôts et taxes locaux, la part du produit de la Taxe sur la valeur ajoutée et les emprunts.

   Ces mesures engagent la commune sur la voie de la rationalisation et de la modernisation de la gestion communale, mais elles ne sont pas destinées à accroitre leur capacité financière. Les chiffres témoignent de l’insuffisance de l’autofinancement qui se traduit par l’absence du pouvoir financier des C.T. Le taux global des recettes et des dépenses de fonctionnement, par rapport à l’Etat, ne dépasse pas 8%, et le taux de dépenses d’équipement ne dépasse pas 4%[40]. Ce qui montre le rétrécissement du champ décisionnel des collectivités infra-étatiques et, par conséquent, leur dépendance vis-à-vis du centre et leur appel à l’emprunt auprès du «fonds d’équipement communal»[41] pour l’exécution de tout projet d’équipement[42].

   Déjà, à l’entrée politico-administrative des nouveaux conseils après les élections locales du 04 septembre 2015, on a enregistré des réclamations de certains présidents des conseils qui pointent du doigt les insuffisances des ressources financières de leur collectivité. ‘‘On ne peut pas répondre aux besoins, de plus en plus différents et coûteux, des habitants’’. Généralement, ce genre de déclaration se répète chaque fois que le président est dénigré par ses opposants ou discrédité par les habitants de sa collectivité[43].

   De ce fait, on peut poser la question suivante : cette situation de faiblesse financière des collectivités territoriales ne maintiendra-t-elle pas les réclamations des citoyens orientées vers le centre ?

La protection du domaine public communal : « Le patrimoine communal, au profit d’un  nouveau modèle du développement ».

Conclusion :

   Partout dans le monde, un sentiment d’aspiration à la démocratie est des plus grands. Toutefois, on n’y croit que rarement. Il s’agit là d’un phénomène social paradoxal, conséquence de la limitation de la démocratie aux seules élections. En fait, avec les changements sociopolitiques survenus dans le temps, la démocratie est en constante construction. Pour prévenir son imminente destruction, on doit toujours renforcer son socle par l’écoute de la voix du peuple, le respect de son choix et la recherche sans cesse de moyens efficaces pour sa consolidation.

ANNEXE N° 1

Graphique relatif à l’évolution du niveau d’instruction des élus communaux :

Supérieur          Secondaire        Primaire           Sans

Source : Collectivités locales en chiffres, DGCL, Ministère de l’Intérieur, Edition 2011, p. 30.

ANNEXE N° 2

   Tableau relatant les taux de recettes et de dépenses de l’Etat et des C.T. en   millions de Dhs :

DESIGNATIONAnnée 2008
Part dép. ou rec. C.T dans dép. ou rec. publiquesETATC.T
Recettes de fonctionnement8%203 04217 200
Dépenses de fonctionnement8%155 81714 187
Dépenses d’équipement4%38 1781575

Source : Ministère de l’Intérieur, Annuaire statistique du Maroc, les collectivités locales en chiffres, 2009, p. 69.


[1]– Voir Pierre GREMION, Le pouvoir périphérique : Bureaucrates et notables dans le système politique français, Seuil, Paris, 1976, p. 244.

[2]–  La jemaa est une assemblée « primaire », constituée de notables qui représentaient les membres de la tribu. Elle légiférait à l’échelon local et gérait une terre réputée commune (bled jemaa).  C’est une institution traditionnelle dont la composition et les fonctions ne sont pas uniformes suite aux différences et diversités traditionnelles intertribales. Voir M’Faddel SMIRES, Centralisation et décentralisation territoriale au Maroc, Thèse de Doctorat d’Etat en Droit Public, Faculté de Droit, Université de Paris, 1985, Publication de la Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales, Fès, Série Thèses 1, 2001, p. 50 et p. 119.

[3]–  Le terme “tribu” est employé par commodité au sens le plus large. Au sens strict, il ne se rapporte pas au même niveau d’organisation sociale. La tribu est un fait social évolutif et changeant selon les circonstances et les faits extérieurs et expliqué par des théories changeantes. Voir Abdallah LAROUI, Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain 1830-1912, Centre Culturel Arabe, Casablanca, 1993, p. 157 et s.  

[4]–  Jacques VIGNET-ZUNZ, L’apport d’un milieu rural à la définition des élites marocaines : La péninsule Tingitane à la veille du Protectorat, in Anciennes et nouvelles élites au Maghreb, Actes du colloque Zarzis III, (sous la dir.), Ed., Edisud, Aix-en-Provence, 2003, p. 41.

[5]–  Albert AYACHE, Le Maroc : bilan d’une colonisation, Ed. Sociales, Paris, 1956, p. 46.

[6]– Dahir n°1-59-315 du 23 juin 1960 relatif à la charte communale, B.O. n° 2487 du  24 juin 1960.

[7] Conférence de presse du 11 septembre 1959.  

[8] Loi n° 9.97 formant code électoral, B.O n° 4470 du 3 avril 1997, telle qu’elle a été modifiée et complétée par la loi n°64.02 promulgué par le dahir n° 1.03.83 du 24 mars 2003 et par la loi n°11.59 B.O n°5997 bis du 22 novembre 2011.

[9] Ibid. 

[10] Mohammed BRAHIMI, La commune marocaine : Un siècle d’histoire de la veille du protectorat à 2009, In REMALD, n°65, T. 1, Première édition, 2010, p. 359. 

[11] Ibidem. 

[12] En France, la loi n°2013-403 du 17 mai 2013 prévoit l’application de deux modes de scrutin : le scrutin majoritaire plurinominal pour les communes de moins de 1000 habitants et le scrutin proportionnel de liste pour les communes de plus de 1000 habitants. Voir https://fr.wikipedia.org consulté le 01/07/2018.

[13] Feu Mohammed V a déclaré dans son discours du 12 novembre 1956 : « Nous jetterons les fondements du régime démocratique en instituant des assemblées locales dans les villes aussi bien que dans les campagnes, qui permettront l’éducation politique des citoyens et leur participation à la gestion de leurs propres affaires ».

[14] Mohamed GHOMARI, Prédominance du pouvoir central et tolérance des pouvoirs locaux au Maroc, Publications de l’Université Qadi Ayyad, Série Séminaires et Colloques, n°13 novembre 1994, p. 35.

[15] M’Faddel SMIRES, Centralisation et décentralisation territoriale, op. cit., p. 52.

[16] Les élections sont pratiquées avec des degrés d’efficacité et de sincérité variables un peu partout dans le monde contemporain. Raymond BOUDON et François BOURRICAUD, Dictionnaire Critique de la Sociologie, PUF, 4ème édition, Paris, 1994, p. 218.

[17] Voir recommandations du Conseil Economique, Social et Environnemental du Maroc concernant l’adoption des outils de la démocratie participative. Al Akhbar maroc.ma consulté le 05/11/2019.

[18] David Van REYBROUCK, Contre les élections, Babel, Actes Sud, France, 2014, p. 131.

[19] Ibid., p. 40.

[20] Ibid, pp. 40-41-42.

[21] Voir articles 27 et 139 de la constitution révisée du 30 Juillet 2011, B.O. n°5964 bis.

[22] Ibid

[23] Voir article 139 de la constitution de 2011, op. cit.

[24] Les articles 119-120 de la loi organique communale, les articles 116-117 de la loi organique régionale et les articles 110-111 de la loi organique des préfectures et provinces.

[25] David Van REYBROUCK, Ibid, p. 31.

[26] Selon les articles 33, 34 et 36 respectivement des lois organiques des communes, des provinces et des régions.

[27] Les articles 92 à 112 de la loi organique n°14-113 relative aux communes op. cit., énumèrent toutes les attributions du conseil communal ainsi que celles du président.

[28] Ibid., article 110 relatif aux attributions de l’autorité locale. 

[29] Voir graphique relatif au niveau d’instruction des élus communaux en annexe n°1. 

[30] Martine BABE, Encyclopédie Universalis, Paris, 2002, p. 4660.

[31] L’article 118 de la loi organique communale n°14-113, op. cit.

[32] L’article 76 de la loi organique communale n°14-113, op. cit.

[33] Voir Hassan CHAHDI OUAZZANI, L’organisation administrative, (1997), In Mohammed BRAHIMI, La commune marocaine…, op. cit., pp. 293-294.

[34] Mohammed EL YAAGOUBI, L’organisation administrative (1997), In Mohammed BRAHIMI, Ibid., p. 294.

[35] Pour plus de détails voir Mohammed BRAHIMI, op. cit., pp. 293-301.

[36] Hassan CHAHDI OUAZZANI, Le statut de l’élu local à la lumière de la nouvelle charte communale du 3 octobre 2002, REMALD n° 44, 2003, p. 26.

[37] Ibid, p. 171.

[38] D’après les déclarations de certains présidents des communes des provinces de Rhamna, Taounate, Errachidia, et des préfectures de Mohammedia et de Séfrou.

[39] Voir le décret n° 2.17.449 du 23 novembre 2017 relatif à l’organisation de la comptabilité publique des régions et de leurs groupements, le décret n° 2.17.450 du 23 novembre 2017 relatif à l’organisation de la comptabilité publique des Préfectures et des provinces et de leurs groupements et le décret n° 2.17.451 du 23 novembre 2017 relatif à l’organisation de la comptabilité publique des communes et des établissements de coopération intercommunales.

[40] Voir tableau relatif aux recettes et dépenses de l’Etat et des C.T. en annexe n° 2.

[41] Le F.E.C. est un établissement bancaire public créé en 1959 pour financer les projets communaux.

[42] A titre d’exemple les dépenses d’équipement de la commune de Bhalil ne dépassent pas 18% du budget global. Sachant que le soutien de l’Etat par la TVA représente plus de 80%. Voir archives du Service de comptabilité et du Budget de la dite commune.

[43] Exemple du président du conseil provincial de Séfrou et le président du conseil communal de Bhalil. En effet, ces présidents ont déclaré lors des sessions de septembre et d’octobre 2015 de leur conseil respectif que leur budget est faible et les dotations en TVA qui leur sont allouées sont médiocres. Voir les archives du Secrétariat de conseil provincial de Séfrou et les archives du Secrétariat de conseil communal de Bhalil.

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