La difficile réconciliation de la sûreté aérienne et du respect des libertés individuelles.
Pr TBITBI ELMOUKHTAR
PA à la faculté polydisciplinaire
El-Jadida
Concilier sûreté et liberté représente une problématique de nature philosophique et même juridique qui n’est pas nouvelle .D’ailleurs, la Déclaration des droit de l’hommes et du Citoyen de 1789naccorde aux valeurs de liberté et de sûreté une égale pondération ,comme droits naturels et imprescriptibles de l’homme ,aux côtés de la propriété et de la résistance à l’oppression.
La question qui se pose : « Est-il possible de préserver les libertés civiles tout en luttant efficacement contre le terrorisme ? »
L’avion, en effet, ne peut être considéré un moyen de transport comme les autres et sa différence se manifeste à divers niveaux. Il s’agit d’abord et sans doute la différence principale au regard des autres moyens de transport, d’un moyen de transport aérien ; au-delà du pléonasme, cette réalité entraine de nombreuses conséquences .Tout d’abord, en c.-à-d. d’accident, la possibilité de retrouver des survivants est extrêmement faible. Ensuite, ce transport ce caractérise par sa dimension technologique extraordinairement poussée et donc par sa relative fragilité .La combinaison de ces deux éléments rend ce moyen de transport assez périlleux .En cas d’accident [1] Une autre caractéristiques doit être prise en considération ; celle de l’autonomie de l’aéronef ;celui-ci ne se déplace que sur des lignes virtuelles ;qu’il en à même de quitter de sa propre initiative ,sans qu’il en est possible de le contrôler à distance.[2]
Ces caractéristiques de l’aéronef comme moyen de transport le rendent très accessible aux dispositions de sureté et de sécurité.[3] L’avion est très fragile de point de vue technologique ; il l’est encore de point de vue de la sûreté .Si la criminalité n’apparut que récemment sur les appareils aériens ; elle connut un fort développement au cours des années 1970 ; essor qui contribua à l’extension progressive des normes de sûreté ; ainsi qu’à leur nécessaire harmonisation internationale.
Mais deux éléments primordiaux donnent une acquitté accrue à cette question de la sûreté des transports aériens .C’est tout d’abord l’extension exceptionnelle du volume des transports aériens de point de vue du fret et celui des passagers [4]c’est ainsi par ailleurs et chacun conserve cet évènement en mémoire ;les attentats qui touchèrent Manhattan au mois de septembre 2001 .Extension inédite de la circulation aérienne d’une part ,montée en puissance des dangers d’autre part ,ce double mouvement devait nécessairement conduire à développer une réflexion –et une action-accrue sur les mesures propres à assurer une sûreté maximale de la navigation aérienne.
Avant même que le vol ne se produise ; ce sont les mesures visant à assurer la sécurité des aérogares et des aérodromes qui se sont vues étendues ,par meilleur contrôle des accès à ces zones .Ce sont ensuite les mesures de vérification des passagers qui ont été accrues ,ainsi que l’internationalisation de l’échange des données relatives à ceux-ci. Ce sont encore les mesures visant à sécuriser les vols stricto sensu qui ont été prises ; par le recours à une présence policière au sein des appareils ou par une accentuation des mesures de défenses aériennes susceptibles d’être mises en œuvre.
L’extension de ses dispositions ne va pas sans soulever un certain nombre de difficultés au regard du respect, si ce n’est des libertés fondamentales des passagers tout au moins de leurs vie privée. En effet, si les rapports entre la sûreté et la liberté doivent sans doute nécessairement s’envisager sous forme d’une conciliation entre les impératifs de l’une et les exigences de l’autre ; les dispositions actuellement applicables en la matière semblent toutes marquées à l’aune d’une volonté de sécurisation accrue des transports, laquelle induit inévitablement une diminution sensible de la sphère de la liberté individuelle.
L’exigence de la sûreté passe aujourd’hui par une extension des contrôles opérés ; laquelle cause des atteintes au respect de la vie privée des personnes transportées.
- L’exigence de sûreté par l’extension des contrôles.
Assurer la sûreté des transports aériens suppose que chaque phase d’un vol phase l’objet d’une surveillance vigilante .Pour être atteint, cet objectif exige que se trouvent étendus aussi bien les contrôles au sol ; avant l’embarquement du fret et des passagers ; que les contrôles opérés au cours du vol lui-même .Ces deux aspects seront envisagés successivement :
- avancement de l’heure limite d’enregistrement ;
- entretien avec les passagers à destination sensibles,
- vérification de la carte d’embarquement,
- sensibilité accrue des portiques sensibles
- palpation aléatoires des passagers ;
- Retrait des objets dangereux,
- contrôle renforcé des bagages envoyés en soute (inspection par radiographie)
- contrôle par chien (cynotechnique)[5] ;
- comparaison des documents attestant l’identité et de la carte d’embarquement,
- agent de sûreté anonyme sur certains vols.
- Les contrôles au sol :
La sécurité dans les aéroports et dans la zone de fret ; ainsi que la fouille des personnes et le contrôle de l’accès aux appareils constitue une mission primordiale que se partage de trop nombreux services .L’ampleur de cette mission justifie en outre une participation accrue d’agents de sécurité privées à cette tache policière.
La multiplicité des services concernés : les grands aérogares internationaux aujourd’hui sont devenus de véritables lieux de vie et sont extrêmement fréquentés .Le contrôle de cette marée humaine a donc été renforcé et a nécessité la coordination et la collaboration entre de nombreux services de sécurité.
La sécurité des infrastructures aéroportuaires est tout d’abord assurée par la police aux frontières qui est chargée de l’inspection et du filtrage des passagers ainsi que des bagages à mains, avec l’aide des services de la direction de la défense et de la sécurité civile[6] .Le contrôle des pistes relève, lui ;de la gendarmerie des transports aériens ;tandis que celui des marchandises et des bagages de soute ressort de la compétence des services des douanes .Enfin la coordination des différents services et l’élaboration de la règlementation incombe la direction générale de l’aviation civile DGAC[7] .
L’intervention d’une multitude de services est rendue nécessaire par l’ampleur de la tâche, laquelle a également justifié un recours étendu à des agents de sécurité privés.
Recours à des agents de sécurité privés ; afin d’assurer une plus grande sûreté de l’accès des zones aéroportuaires ; les contrôles peuvent être effectués par des agents de sécurité privés agrées sous le contrôle des officiers de police judiciaire et avec le consentement préalable des personnes concernées[8] . Désormais la visite des personnes ;des bagages ,des aéronefs et véhicules dans les aéroports ,peut être effectuée par les agents de sécurité privés agrées ;sous le contrôle des officiers de police judiciaire ,pour assurer préventivement la sûreté des transports aériens .Enfin et en tant que de besoin : « En cas de circonstances particulières liées à l’existence de menaces graves pour la sécurité publique. » les fouilles de bagages et les palpitations de sécurité peuvent être aussi réalisés par les personnels agrées des entreprises des surveillance ,de gardiennage et de transport de fonds.
B- les contrôles en vol :
L’exigence de la sûreté des transports aériens s’étend également au déroulement du vol lui-même .Si le commandant de bord est en principe chargé de sûreté à bord[9] ,il a paru nécessaire d’améliorer cette sécurité en mettant en place ou étendant différentes mesures .Les unes visent à assurer une sureté maximale du vol par la présence de gardes armés au sein des vols ;les autres visent à répondre à la menace résultant de la prise de contrôle d’un aéronef par des individus hostiles .
La présence de sky Marshall sur certains vol afin d’assurer une sécurité toujours accrue des personnels et des aéronefs ; un certain nombre d’Etats ont cherché à rendre leurs aéronefs, moins vulnérables à l’intrusion des individus hostiles. Dans un premier temps ; ce dispositif a conduit à mettre en place des dispositifs visant à empêcher ou contrôler l’accès au poste de pilotage [10] .Au-delà c’est l’hypothèse née outre –atlantique du recours aux sky marshals qui tend à être développée .Ces personnels ,sont armés ,présents le plus souvent de manière anonyme parmi les passagers durant le vol .Le recours à des personnels armés au sein des aéronefs civils est de plus en plus étendu ;Il parait même devenir une norme pour certains Etats .Les Etats Unis mais aussi l’Allemagne ,le Royaume Unis ou les Pays Bas disposent d’unités spécialisées de ce type de contrôle.
Cette extension des contrôles opérés, qu’ils interviennent au sol ou visent l’aéronef durant son trajet ne s’opèrent pas sans que soit porté atteinte au respect de la vie privée des passagers .Si les libertés individuelles ne paraissent pas sortir réellement affaiblies des mesures déjà envisagées on ne peut en dire autant du respect de la vie privée tant celui-ci semble faire les frais de l’exigence d’une sûreté accrue.
- L’atteinte au respect de la vie privée par l’extension des contrôles.
La présence des terroristes à bord des vols aériens a conduit à renforcer le contrôle préventif des listes de passagers ; ce qui met la question de l’accès aux données personnelles fournies par les clients des compagnies aériennes au cœur des impératifs liés à la sûreté des transports aériens .Un tel accès aux données n’est assurément pas sans porter atteinte au respect de la vie privée des passagers ;d’autant plus que ces données personnelles font l’objet de transferts significatifs vers des tiers .La question du contrôle extensif des passagers après l’accès à leurs données personnelles se double en effet de leur transfert.
- Le contrôle des passagers et l’accès aux données personnelles[11]
Suite aux attentats intervenus en septembre 2001 ;les Etats Unis ont exigé la transmission d’informations personnelles relatives aux passagers de vol à direction de leur territoire [12] « cette législation prévoyait qu’à compter du 5mars 2003 les compagnies aériennes devaient transmettre certaines informations concernant leurs passagers sous peine de contrôle renforcé voire de sanctions « amendes ,remise en cause des droit d’atterrir» de la part des autorités américaines .Cette collecte d’informations personnelles vise l’alimentation d’une base de données fichant les passagers .
L’accès à telles données est de fait en mesure de donner des indications considérables à tout service de police les utilisant, mais aussi à toute personne qui y aurait accès ; il est non moins certain que l’accès à ces données apparait susceptible de porter atteinte au respect de la vie privée des passagers .Cette situation explique que l’accès à ces données soit de prime abord sévèrement règlementé
B.Le transfert des données personnelles.
Si les passagers sont réputés accepter ce transfert d’informations vers les Etats Unies ; ils ne sont toutefois en mesure que de la faire ….ou de ne pas monter dans un avion à destination de ce pays [13] l’accord donnée par la commission européenne le 24 mai 2004 au transfert de données s’est efforcé d’encadrer celui-ci ,mais l’atteinte au respect de la vie privée n’en n’est moins certain au regard de l’ampleur des projets américains de fichage des passagers .
L’ampleur et les modalités des transferts autorisés : aux termes de l’accord intervenu entre la commission entre la Commission et les Etats Unis, c’est un nombre finalement plus réduit de données que ce qu’exigeaient initialement les autorités américaines qui se trouve transmis [14] .En outre ,les Etats Unis se sont engagés à ce que à ce que ces données ne servent qu’à la prévention du terrorisme ,de la criminalité liée au terrorisme et de la grande criminalité y compris la criminalité organisée de nature transnationale et non pas à une application beaucoup plus large de disposition répressive ,comme cela était souhaité au départ .
Les modalités pratiques de ce transfert doivent être évoquées, car deux méthodes sont susceptibles d’être employés ; celle du « PUSH » et seconde « PULL » ; parler de push signifie que les données sont sélectionnées, puis transférées par les compagnies aux diverses administrations américaines ; ce qui permet à l’auteur de transfert de filtrer les données qu’il souhaite faire parvenir à son interlocuteur. A l’inverse la méthode du PULL consiste à permettre à une autorité extérieure de bénéficier d’un accès en ligne directe sur l’ensemble des systèmes de réservation et des bases de données des compagnies aériennes.
De plus, tout visiteur se rendant aux Etats Unis sous couvert d’un visa doit présenter une photo numérisée et ses empreintes digitales sont scannées lorsqu’il passe la douane aux aéroports et dans quatorze des principaux ports maritimes, ici c’est bien entendu la conservation de ces données et leur stockage qui suscitent l’interrogation. Enfin, outre le fichage des individus ; les atteintes au respect de la vie privée effectuées au nom de l’impératif de sûreté des transports aériens se vérifient encore au regard de la nature et de l’intensité des fouilles réalisées sur les passagers aux Etats Unis ; lesquelles ont assurément de quoi surprendre [15] ;
La mise en œuvre de dispositions visant à garantir une sûreté maximale des transports aériens induit corrélativement une nette restriction de la sphère des libertés individuelles ;ne serait-ce sous l’angle des atteinte portées au respect de la vie privée .Or ,si une conciliation doit nécessairement se voir réalisée entre ces deux impératifs fondamentaux ;il semble bien qu’actuellement l’impératif de sûreté ait très nettement prévalu .Cette situation est notamment visible en matière de transports aériens .Toutefois ,il y a peut-être lieu de s’interroger sur la pertinence des solutions choisies afin d’assurer une sécurité toujours plus étendues des transports aériens ;le contrôle chaque jour plus étoffé de l’identité et du passé des personnes voyagent en avion est-il réellement en mesure d’assurer une sûreté convenable ?
Enfin, si lessentiel des contrôles porte actuellement sur l’identité des passagers empruntant les aéronefs ;il semble pourtant que le danger le plus important réside ailleurs[16] .
[1] Cette réalité ne doit pas masquer le fait qu’il s’agit d’un moyen de transport très fiable, puisque l’on y dénombre moins d’accidents que dans les transports routiers et ferroviaires.
[2] Il existe, bien entendu ; des moyens de contrôle et de guidage des aéronefs à distance ; mais ceux-ci peuvent faire l’objet de contre – mesures .Une fois en vol ; l’appareil est pleinement autonome et cette réalité peut être remarquée dès les débuts de l’aventure aérienne.
- [3]la sécurité est la prévention et la protection contre les défaillances accidentelles, c’est garantir la protection des personnes et des biens contre tout incident, toute défaillance technique, matérielle ou mécanique susceptible d’entraîner un accident, voire une catastrophe ; c’est l’absence de risque d’accident.
- La sûreté est une combinaison de mesures ainsi que de moyens humains et matériels visant à protéger l’aviation civile contre les actes d’intervention illicite.
- C’est la prévention ; protection et intervention contre les actes malveillants intentionnels.
[4] L’importance de l’aviation civile n’est plus à démontrer aujourd’hui .Pour l’année 2017 uniquement le rapport du conseil de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale fait état d’un trafic aérien régulier de 4 ,1 milliards de passagers aériens acheminés par les différentes compagnies aériennes internationales ,soit une augmentation de 7,1 % par rapport à l’exercice précédent ,aussi bien le fret aérien a enregistré également une haute de 9.5 par rapport à l’exercice de 2016 .
[5] La cynotechnie est l’ensemble des connaissances et des techniques liées à l’élevage du chien, à son éducation et à sa formation à des tâches spécialisées (détection, pistage, protection…).
Une équipe cynotechnique désigne généralement une association homme(s)-chien(s) dont les tâches sont la recherche et le sauvetage de personnes (avalanches, séismes, sauvetage en mer…).
[6] Ceux-ci sont compétents pour les interventions des aides artificiers à l’occasion de l’alerte à la bombe.
[7] La DGAC assure la coordination, le contrôle et l’évaluation des interventions du ministère dans le domaine aérien. Elle est responsable des infrastructures de base et des installations de la navigation aérienne et du fonctionnement général du secteur aérien dont elle établit la réglementation et veille à son application ;
[8] Cette possibilité constitue pourtant une remise en cause quasi universel qui fait que la sécurité est une prérogative régalienne.
[9] Bernard (Pestel) : « Le Commandant de bord et la Sûreté. » Cours dispensés aux étudiants de l’institut de formation universitaire et de recherche du transport aérien (IFURTA).Université Marseille Aix- en Provence.
[10] De tels dispositifs sont obligatoires depuis 2003 pour les Vols à destination des Etats Unies.
[11] La PNR Passenger Name Record rassemble le nom, le numéro de carte de crédit, les données de voyage, le numéro de siège, le nombre de bagages, les adresses de contacts, les préférences alimentaires, toutes sortes d’informations qui permettent d’établir un profil du passager.
[12] Cette exigence résulte de la loi sur la sécurité de l’aviation et du transport « Aviation and transportation Security act »du 19 nov 2001, et de la loi du 5mai 2002 renforçant les conditions d’entrée sur le territoire américain « enhanced border Security and visa entry reforma ct »
[13] Voici la clause qui figure dans les contrats de vol fournis par une compagnie aérienne :Dispositions relatives aux vols à destination des Etats Unis ;pour assurer la sûreté aérienne et protéger leur sécurité nationale les Etats Unies ont adopté le 25 juin 2002 une règlementation obligeant toutes les compagnies aériennes internationales effectuant des vols vers les Etats Unis à donner aux douanes américaines un accès à l’intégralité des informations à donner détenues sur leurs passagers dans leurs systèmes de réservation.
[14] Une liste visant 34 catégorie de données à été circonscrite « les PNR de certaine compagnies aériennes contiennent plus de 60 champs, tandis que les données les plus personnellement identifiantes ne seront pas fournies « commande de repas ou exigences spéciales de passagers susceptibles d’indiquer le leur race ; religion, ou état de santé personnel ;ou si elles le sont ;doivent être filtrées et supprimées par le bureau de douanes et de la protection des frontières des Etats Unis
[15] Il n’est pas rare que les fouilles au corps se produisent, éventuellement même en présence d’autres passagers, y compris entre les sous-vêtements et la peau –les consignes précisent alors que la paume de celui qui effectue la fouille doit être tournée vers l’extérieur et non pas vers le corps de la personne fouillée-tout cela sans qu’il puisse être garanti que la fouille soit effectuée par une personne du même sexe.
[16] Les membres de G8 considèrent que les attaques terroristes contre les moyens de transports demeurent une menace sérieuse pour nos concitoyens et pour le commerce mondial.