La courtoisie internationale des tribunaux québécois

La courtoisie internationale des tribunaux québécois

Kamal Yassine

Laboratoire de Recherche sur l’Espace Saharien (LARES),

 université Ibn Zohr, Maroc

E-Mail: [email protected]

Introduction

Au migrant conquérant a succédé le migrant en quête de bien-être ou de liberté. Si les premiers ont pu, pour bonne part, imposer leurs lois, les seconds ne parviennent à conserver les leurs que dans quelques espaces et matières allant se rétrécissant.

Avec l’ouverture des frontières et la recrudescence de la liberté de circuler, l’affrontement entre les civilisations du monde n’est plus totalement politique, il est devenu un affrontement de communautés. Les distinctions majeures entre les peuples sont idéologiques et culturelles, ce qui intègre en première ligne la religion.

Dès lors, le droit de la famille franchit les frontières et suit la personne là où elle se trouve d’une manière permanente ou provisoire. Ce qui a générée, par conséquent, un conflit inévitable entre les normes québécoises et les règles étrangères. Ce conflit affecte en profondeur la vie des québécois dans leurs relations avec les autres sur le territoire québécois. De nombreuses communautés provenant des pays de l’Islam se sont installées Au Québec.

Les flux migratoires des personnes musulmanes au Québec laissent présager un accroissement parallèle des litiges non seulement entre les parties privées, mais aussi entre États, précisément entre les tribunaux qui appliquent des régimes de droit divers et des législations quelquefois difficiles à concilier sinon inconciliables.

Ce qui mène à s’interroger sur la courtoisie internationale des tribunaux québécois. Sommes-nous devant l’ouverture sur l’autre ou devant un repli sur soi. Autrement dit,

Nous allons vérifier et dévoiler s’il existe un accueil courtois au Québec des jugements rendus par les tribunaux des pays musulmans y compris le Maroc.

Avant de traiter la reconnaissance au Québec des jugements rendus dans les pays musulmans en matière du droit de la famille (chapitre 2), il nous semble nécessaire de traiter dans un premier temps la compétence juridictionnelle des autorités québécoises (chapitre 1)

Chapitre 1 : La compétence juridictionnelle des autorités québécoises 

L’article 3141du code civil du Québec (C.c.Q) énonce que « les autorités du Québec sont compétentes pour connaître des actions personnelles à caractère extrapatrimonial et familial lorsque l’une des personnes concernées est domiciliée au Québec ».

En l’absence de dispositions particulières, le domicile de l’une des parties du litige au Québec donne compétence aux tribunaux québécois pour trancher le litige.

A l’instar des conflits de lois, le facteur de rattachement du domicile est également omniprésent en matière de conflits de juridictions en DIP québécois.[1]

Il est important de noter que même si le domicile des parties concernées au litige se trouve à l’étranger, le tribunal québécois peut trancher le litige. Il s’agit là de deux exceptions qui viennent favoriser la compétence juridictionnelle du for québécois : le for de nécessité et les cas d’urgence ou d’inconvénients sérieux.

En revanche, même si le tribunal québécois est compétent, il peut quand même décliner sa compétence en vertu de la doctrine du forum non conveniens et celle de la litispendance.

Section 1 : Les entorses au facteur du domicile 
Paragraphe 1 : Le for nécessité 

En vertu de l’article 3136 du C.c.Q même incompétent selon le facteur du domicile, le tribunal québécois peut trancher le litige, il peut quand même entendre la cause lorsqu’en appliquant le facteur du domicile, le demandeur se trouve dans l’impossibilité de poursuivre le défendeur à l’étranger[2] et que le litige présente un lien suffisant avec le Québec.

En parlant du lien suffisant avec le Québec, monsieur Henri Kelada a cité l’exemple de la résidence temporaire au Québec de l’une des parties au litige[3].  Sauf que nous ne partageons pas cette position de monsieur Henri Kelada dans la mesure où la résidence temporaire de l’une des parties au Québec n’est pas suffisante pour véhiculer l’exception du for de nécessité prévue à l’article 3136 du C.c.Q. Il nous semble que le for de nécessité fondé sur la résidence temporaire de l’une des parties au Québec ne peut que créer des situations boiteuses, et les jugements québécois seront dépourvus de toute effectivité au niveau de la reconnaissance et de l’exécution à l’étranger si un autre État prend compétence ; ce qui peut influencer négativement l’harmonie internationale des solutions et la coordination entre les différents systèmes juridiques.

Certes, l’exception du for de nécessité permet de réaliser certains objectifs généraux du droit, à savoir l’égalité de tout le monde devant la loi, l’intérêt de l’enfant…etc. Ces objectifs généraux du droit véhiculent dans certains cas les objectifs du droit international privé  de tendance interne, précisément la cohésion du système juridique interne et la cohérence des situations juridiques internes. Toutefois, comme l’exige l’article 3136 du C.c.Q pour faire exception au facteur du domicile fondé sur le principe de proximité et véhiculer l’exception du for de nécessité, il doit y avoir un lien suffisant entre le litige et le Québec, sinon toute application abusive du for de nécessité risque de mettre en cause la coordination entre les différents systèmes et l’harmonie internationale des solutions lorsqu’un autre État étranger auquel on demande la reconnaissance est concerné.      

Paragraphe 2 : Les cas d’urgence ou d’inconvénient sérieux 

Même incompétent en vertu du critère du domicile, le tribunal québécois peut trancher le litige en vue de protéger une personne ou ses biens en cas d’urgence ou inconvénients sérieux. Cette exception prévue à l’article 3140 du C.c.Q a par exemple pour but de pallier des inconvénients sérieux ou une situation d’urgence en cas de compromission de la santé physique ou morale de l’enfant, si sa protection est difficile à mettre en œuvre parce que le recours devant le tribunal étranger normalement compètent nécessite un délai considérable.

À notre avis, cette exception protège juste les intérêts individuels des personnes : la protection de la partie faible par exemple et peut réaliser la justice et l’égalité au sein du système juridique québécois. Mais, un tel objectif reste un objectif général du droit et non un objectif du droit international privé (DIP). On est donc loin de la théorie des objectifs du DIP.

Il est à noter que le for de nécessité et les cas d’urgences ou d’inconvénient sérieux ne réalisent pas les objectifs du DIP de tendance internationale. Au contraire ces deux exceptions prévues par le code civil du Québec, au cas où elles auraient été mises en œuvre de façon abusive mettraient en cause la coordination des différents systèmes juridiques et l’objectif d’effectivité.

 Parfois les tribunaux québécois utilisent ces exceptions d’une façon correcte c’est le cas de la décision de droit de la famille – 082431 [4] relative à la garde de deux enfants domiciliés à l’étranger. Au début, le tribunal a conclu qu’aux termes de l’article 3142 du C.c.Q, la cour supérieure du Québec n’aurait pas juridiction pour entendre la requête de la demanderesse car les enfants étant clairement domiciliés aux Émirats Arabes unis avant que naisse le litige. Cependant, la cour québécoise n’a pas tardé de mentionner que la compétence supplétive de la cour supérieure du Québec subsiste, laquelle est prévue par l’article 3136 du C.c.Q. Dans le premier élément du double test de cet article, le tribunal retient que la renonciation de l’épouse à la garde, dans la convention du divorce qui a eu lieu aux Émirats Arabes Unis est définitive, il s’ensuit que le recours de la demanderesse aux tribunaux de ce pays est voué à l’échec ou se révèle impossible aux termes de l’article 3136 du C.c.Q. En ce qui concerne le deuxième élément du double test de l’article 3136 du C.c.Q relatif à la question du rattachement avec le Québec, le tribunal québécois considère qu’un tel lien existe vu les motifs suivants : la vie commune des parties au Québec, le mariage célébré au Québec le 30 avril 2001, les parties continuent de résider au Québec après le mariage, les deux enfants sont nés au Québec.

Pour tous ces motifs, le tribunal considère que le lien de rattachement avec le Québec est suffisant. En conséquence, le tribunal rejette la requête en exception déclinatoire de l’époux, de même le retour forcé des enfants aux Émirats Arabes Unis et confie de façon intérimaire, la garde des enfants à l’épouse. 

Qu’en est-il des autres exceptions : le forum non conveniens et la litispendance ?

Paragraphe 3 : Le forum non conveniens 

Même compétent, le tribunal québécois peut quand même décliner sa compétence en vertu de la doctrine du forum non conveniens prévue à l’article 3135 du C.c.Q.

A ce sujet, les professeurs Talpis et Castel[5] ont écrit : « Cet article du droit nouveau qui fait le pendant à l’article 3082 du C.c.Q met fin à la controverse qui existait au Québec au sujet de la doctrine du forum non conveniens. Désormais, un tribunal québécois normalement compétent peut s’en dessaisir au profit d’un tribunal étranger lorsque les circonstances sont telles que ce dernier a un meilleur titre à en juger. Ce pouvoir discrétionnaire, qui ne doit être exercé qu’exceptionnellement à la demande d’une partie, devrait faciliter l’administration de la justice ».

En effet, le tribunal le mieux placé pour trancher le litige est celui de l’État qui a le meilleur lien avec la situation litigieuse (Closest Connexion).

Dans la cause Colida contre Motorola Inc.[6], même s’il a décidé que la cour canadienne est compétente, le juge Lesyk a considéré que les tribunaux américains étaient mieux placés pour trancher le litige. « The domicile or residence of the ordinary and expert witnesses of both parties is in The United States. The domicile of Motorola Incorporated, the united states…. On the basis of these factors, which would ensure that the trial be held in the jurisdiction that has the closest connection with the action, the court is of the view that the U.S courts are in the better position to decide all the issues based on the interest of the parties and the requirements of justice ». En l’espèce, le juge met l’accent sur l’intérêt des parties et la bonne administration de la justice.

Dans une autre cause Lamborghini (Canada) Inc. Contre automobili Lamborghini S.P.A[7], le juge Lebel soulignait : « La doctrine du forum non conveniens n’intervient qu’à titre subsidiaire. Cette subsidiarité circonscrit la sphère d’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge. Les règles de compétence restent en principe déterminées par les dispositions du code civil. Une fois la compétence naturelle du tribunal établie, l’article 3135 du C.c.Q permet toutefois d’y déroger. Pour obtenir cette dérogation, il faut cependant que le défendeur démontre qu’il se trouve dans un cas qui le justifie ». Pour pouvoir obtenir l’exception du forum non conveniens, le juge Lebel exige qu’elle soit bien justifiée[8].

Dans  droit de la famille – 2930[9], même si l’article 3141 du code civil permet à l’intimé domicilié au Québec de s’adresser aux tribunaux québécois pour décider de la pension alimentaire, il faut tenir compte de l’article 3076 du C.c.Q qui prévoit la préséance des traités internationaux sur les règles du DIP contenues au code civil du Québec. À cet égard, la convention relative aux droits de l’enfant de 1991 édicte le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant que l’on trouve d’ailleurs à l’article 33 du C.c.Q. Par conséquent, il faut prendre en considération tous les besoins de l’enfant. En l’espèce, compte tenu de la situation de l’enfant, dont le milieu familial est situé à l’étranger, et de la preuve qu’il faudra faire de ses besoins, le tribunal est d’avis qu’il est préférable que les tribunaux anglais tranchent le litige même si l’intimé est domicilié au Québec. Selon nous, une telle solution ne peut que favoriser l’harmonie internationale des solutions et dévoile la courtoisie internationale des tribunaux québécois.

 Le forum non conveniens tient compte de l’ensemble des circonstances qui entourent le litige pour déterminer le for le plus approprié pour entendre la cause.

À notre avis, l’exception du forum non conveniens ne doit pas être interprétée de façon abusive car une telle interprétation risque d’usurper aux tribunaux québécois leur compétence naturelle octroyée par la loi. En contrepartie, si le forum non conveniens est bien fondé et que les circonstances qui entourent le litige le justifient, il nous semble que ceci participerait à la réalisation de l’harmonie internationale des solutions et la coordination des différents systèmes juridiques à travers la reconnaissance des jugements étrangers au Québec. Une telle attitude démontre la courtoisie internationale au sens propre du terme.

 D’ailleurs, au Québec, l’adoption de l’article 3135 du C.c.Q a mis un terme à l’article 68 du code de procédure civile qui empêchait les tribunaux du Québec de recevoir une requête leur demandant de décliner leur compétence[10]. Toutefois, l’article 3135 du C.c.Q, ne s’applique pas en vase Clos, mais plutôt dans le contexte des articles du troisième titre du dixième livre du code civil, qui énonce les fondements de la compétence. La cour suprême du Canada, dans Spar[11] a insisté sur le fait que l’exception déclinatoire fondée sur le principe du forum non conveniens ne peut être accueillie que de façon exceptionnelle.

 Si les autorités du Québec déclinent leurs compétences aux autorités étrangères et que ces dernières aient un lien étroit avec le litige et respectent les dispositions de l’article 3165 du C.c.Q, les décisions rendues par ces autorités étrangères peuvent être facilement reconnues au Québec si les autres conditions de l’article 3155 du C.c.Q sont remplies.

De même, l’exception de forum non conveniens tient compte de l’effectivité des solutions comme on l’a vu dans droit de la famille -2930[12] : le tribunal québécois a pris en considération le milieu familial de l’enfant et des éléments de preuve situés en grande Bretagne avant de décliner sa compétence en faveur des tribunaux anglais.

 
Paragraphe 4 : La litispendance

Le tribunal québécois peut également surseoir à la poursuite lorsque le même litige entre les mêmes parties avec le même objet est déjà soumis à un tribunal étranger. C’est ce que la doctrine appelle l’exception de litispendance. Selon les professeurs Goldstein, Talpis et Castel[13], cette exception prévue par l’article 3137 du C.c.Q a pour but d’éviter la possibilité des jugements contradictoires. L’exception de litispendance a le mérite d’éviter les frais et les pertes de temps.

Il est important de noter que contrairement aux exceptions prévues aux articles 3136 et 3140 du C.c.Q, l’exception de litispendance favorise l’administration de la justice.

L’exception de litispendance favorise également la réalisation de l’harmonie internationale des solutions et l’articulation des différents systèmes juridiques. D’ailleurs, l’article 3155 al. 4 du C.c.Q exige l’absence de litispendance pour faire reconnaître et exécuter les jugements au Québec.

Malgré les quatre entorses au facteur du domicile, le critère du domicile fondé sur le principe de proximité semble prédominant en matière de détermination de la compétence juridictionnelle en droit de la famille. C’est ce que nous allons constater en matière des règles spécifiques du DIP québécois.

Section 2 : Les règles spécifiques 
Paragraphe 1 : La garde de l’enfant 

L’article 3142 du C.c.Q énonce que : « les autorités québécoises sont compétentes pour statuer sur la garde d’un enfant pourvu que ce dernier soit domicilié au Québec ».

Néanmoins, qu’en est-il si un parent est domicilié dans un État alors que l’enfant réside avec l’autre parent domicilié dans un autre État ?  La réponse se trouve dans l’article 80 al 2 du C.c.Q l’enfant est présumé domicilier chez le parent avec lequel il réside habituellement. Toutefois, le critère du domicile est-il le seul à prendre en considération pour déterminer la compétence internationale des tribunaux québécois en matière de garde de l’enfant ?

Le professeur Glenn met l’accent sur l’intérêt de l’enfant[14] : selon lui, le meilleur intérêt de l’enfant doit être pris en considération aussi bien sur le plan de la compétence juridictionnelle que sur celui de la loi applicable. Même au cas où l’on conclurait préalablement que l’enfant est domicilié en dehors du Québec, les autorités québécoises pourraient être saisies s’elles constituent un forum de nécessité (article 3136 du C.c.Q) ou pour prendre des mesures nécessaires à la protection de l’enfant en cas d’urgence ou d’inconvénients sérieux (article 3140 du C.c.Q).

Nous ne partageons pas cet avis avec le professeur Glenn : le critère de l’intérêt de l’enfant ne doit plus agir comme facteur discrétionnaire pour déterminer si le tribunal est compétent selon l’article 3142 C.C.Q mais seul le domicile de l’enfant doit être pris en compte[15].

Le raisonnement du professeur Glenn ne semble plus adopté par les tribunaux du Québec. Par exemple dans droit de la famille – 3428[16], la cour d’appel du Québec a décidé que les tribunaux québécois ne sont pas compétents et que les tribunaux de Costa Rica sont compétents, étant le forum du domicile de l’enfant.

À notre avis, déterminer la compétence des tribunaux québécois en matière de garde de l’enfant en fonction de l’intérêt de l’enfant en dehors des cas des articles 3140,3138 ou 3136 du C.c.Q  ne peut que conduire vers des résultats dépourvus de toute effectivité dans les relations du DIP, et ce pour la raison suivante : la conception de l’intérêt de l’enfant est un concept ambigu, large et difficile à déterminer. L’intérêt de l’enfant n’est pas le même en allant d’un pays à l’autre. À titre d’exemple, selon la conception québécoise l’intérêt de l’enfant réside dans son développement au Québec pour avoir accès à la bonne formation scolaire et pour pouvoir profiter du système d’assurance maladie et non dans sa résidence à l’étranger. En revanche, selon la conception musulmane, l’intérêt de l’enfant se manifeste dans sa vie au sein de la société musulmane et non pas dans son établissement dans un pays non musulman.  

Paragraphe 2 : La nullité du mariage 

En matière de nullité du mariage, les tribunaux québécois sont compétents lorsque l’un des époux a son domicile ou sa résidence au Québec ou que le mariage y a été célébré.

Les tribunaux du Québec peuvent donc annuler le mariage des personnes qui n’y sont pas domiciliées.

En DIP québécois, pour la validité du mariage, on exige le respect des conditions de fond, y compris celles de la loi étrangère alors qu’en matière de nullité du mariage, on ignore les dispositions de la loi étrangère même si les époux ne sont pas domiciliés au Québec. Il suffit que le mariage soit célébré au Québec pour remplacer le droit étranger par le droit québécois.

À notre avis, ceci peut présenter un danger pour la courtoisie internationale ainsi que pour la réalisation des objectifs du DIP de tendance internationale. Comme le souligne Monsieur Henri Kelada, la compétence des tribunaux québécois en matière d’annulation d’un mariage célébré au Québec ne peut que nous surprendre[17].

Imaginons que deux étudiants ressortissants d’un pays musulman poursuivent leurs études à l’université de Montréal et décident de se marier au Québec, si pour la forme, c’est la loi québécoise qui s’applique, la lex loci celebrationis. En revanche, les conditions de fond sont celles de la lex domicilii soit la loi étrangère (Article 3088 du C.c.Q). Il y aurait un problème de reconnaissance du jugement québécois en annulation du mariage si le motif invoqué dans le code civil du Québec, n’était pas celui que prévoit la loi du domicile des époux, soit la loi musulmane. Où est donc l’objectif d’effectivité internationale des solutions, le respect de la prévisibilité des parties voire la courtoisie internationale ?

Paragraphe 3 : Les effets du mariage

S’agissant des effets du mariage, l’article 3145 du C.c.Q énonce : « pour ce qui est des effets du mariage, notamment ceux qui s’imposent à tous les époux quel que soit leur régime matrimonial, les autorités du Québec sont compétentes lorsque l’un des époux a son domicile ou sa résidence au Québec »

Dans droit de la famille – 1636[18], le juge a soumis aux règles du patrimoine familial des époux dont le régime matrimonial était ontarien et qui divorçaient alors qu’ils étaient établis au Québec. Selon la juge Nicole Benard, les dispositions relatives au patrimoine familial québécois sont d’ordre public et que les parties domiciliées au Québec au moment de leur divorce doivent partager leurs biens selon les critères fixés par la loi québécoise. Prenons pour acquis que les deux époux qui divorçaient au Québec ont le régime matrimonial d’un pays musulman (séparation absolue des biens des époux), sans doute la juge Nicole appliquerait les dispositions de la loi québécoise au patrimoine familial de ces deux époux domiciliés au Québec au moment du divorce. Toutefois, un tel jugement peut-il produire ses effets dans le monde musulman ? Il nous semble que la réponse est non tout simplement parce que certains systèmes juridiques musulmans autres que le système juridique marocain ignorent le principe de la communauté des biens.

La même chose s’applique aux autres effets du mariage du droit québécois tel que la prestation compensatoire, la protection de la résidence familiale, la fiducie par interprétation etc.

C’est le critère du domicile des époux au moment du divorce qui détermine la compétence des juridictions québécoises en matière des effets du mariage. Certes, ce critère est non conciliable avec la courtoisie internationale, il représente au moins une stratégie ou un choix de la part du système juridique québécois, un choix qui favorise la cohésion du système juridique interne du Québec en général et la protection de la partie faible dans le milieu de vie réel des époux en particulier. Mais, cela réalise l’effectivité au niveau interne seulement et non au niveau international.

Paragraphe 4 : Le divorce 

Les tribunaux étrangers normalement compétents pour statuer sur les actions de divorce peuvent être aussi compétents pour statuer sur les actions accessoires. Car l’accessoire suit le principal.

À notre avis,  si toute décision est prise par le tribunal québécois en matière de garde ou en matière de pension alimentaire et que l’acte de divorce soit pendant devant le tribunal d’un pays musulman, le jugement rendu au Québec ne peut être ni reconnu ni exécuté dans l’État qui statue sur l’action principale surtout lorsque le milieu de vie de l’enfant et certains éléments de preuve son situés dans cet État.

Il nous semble que la loi fédérale adoptée en matière des actions accessoires dépendantes du divorce est incompatible avec l’harmonie internationale des solutions ainsi que l’objectif d’effectivité des solutions sur le plan international. Ce qui nuit à la courtoisie internationale.

Paragraphe 5 : La filiation

A – La filiation par le sang :

Les tribunaux québécois sont compétents lorsque l’enfant ou l’un de ses parents a son domicile au Québec (Article 3147 al.1 du C.c.Q). Toutefois, que peut-on dire des familles qui viennent s’installer au Québec qui y sont résidentes à long terme sans y être domiciliés ? Les tribunaux du Québec peuvent-ils connaître les actions relatives à l’établissement de la filiation par le sang d’un enfant né d’un concubinage de deux personnes domiciliées dans un pays musulman ? Selon l’article 3147 et l’article 80 al.1 du C.c.Q, la réponse est oui.  Selon l’article 80 al.1, le mineur non émancipé a son domicile chez son tuteur. Selon l’article 3147du C.c.Q, si l’enfant réside habituellement au Québec les autorités du Québec sont compétentes. Cependant, toute décision prise relative à l’établissement d’une filiation issue d’un concubinage ne sera pas reconnue dans les pays musulmans d’où la création des situations boiteuses sauf si l’article 3135 du C.c.Q intervient pour jouer son rôle.

En outre, le nouveau code civil du Québec tend à favoriser le plus possible l’établissement de la filiation lorsque celle-ci est avantageuse pour l’enfant (Article 3091 du  C.C.Q).

Selon les professeurs G. Goldstein et E. Groffier[19], cette nouvelle disposition du droit québécois est en faveur de l’enfant et non pas en faveur de l’établissement de la filiation car il peut arriver que l’établissement de la filiation soit défavorable pour l’enfant en question. Le cas par exemple de l’arrêt fontaine[20] : selon cet arrêt, la mère française n’avait reconnu sa fille qu’une fois que celle-ci avantageusement mariée et ce pour lui demander une pension alimentaire.

Il est probable que la rédaction de l’article 3091 soit interprétée dans un sens défavorable à l’enfant. D’ailleurs, les commentaires du ministre de la justice favorisent l’établissement de la filiation et non pas l’enfant[21].

B – La filiation adoptive :

Les autorités québécoises sont compétentes si l’enfant ou l’adoptant est domicilié au Québec (Article 3147 al.2 du C.c.Q). Cette disposition du code civil du Québec permet aux tribunaux québécois de statuer sur l’adoption d’enfants non domiciliés au Québec lorsque l’adoptant y est domicilié et par conséquent statuer sur l’adoption d’enfants domiciliés dans des pays qui n’autorisent pas l’adoption.

A notre avis, permettre aux tribunaux du Québec de statuer sur l’adoption internationale des enfants domiciliés dans des pays musulmans risque de poser des problèmes de grande taille même si l’adoptant est domicilié au Québec surtout lorsque on applique la loi québécoise aux effets de l’adoption internationale. À notre avis le risque est inévitable même en présence des articles 568 et 574 du C.c.Q qui exigent que les parents naturels aient donné leur consentement et que celui-ci soit valide. Or, les parents musulmans donnent leur consentement seulement dans le but d’une prise en charge et non une adoption prohibée par leur religion. Quelle serait donc l’utilité des articles 568 et 574 du C.c.Q si les tribunaux québécois ne font pas de distinction entre le consentement à une adoption et le consentement à une kafala ?

   Si on est fidèle au rattachement du domicile et au principe de proximité, pourquoi donner compétence aux tribunaux du Québec pour statuer sur l’adoption des enfants non domiciliés au Québec ? Le domicile de l’adoptant au Québec est-il suffisant pour donner compétence aux autorités québécoises ? La réponse est oui si on protège bien les parents naturels selon la règle de conflit et la règle matérielle.

Chapitre 2 : La reconnaissance au Québec des jugements rendus dans les pays musulmans 

Section 1 : Les principes généraux de la reconnaissance et de l’exécution des jugements étrangers au Québec 

En principe, toutes les décisions rendues hors du Québec sont reconnues et déclarées exécutoires par les tribunaux québécois. Les décisions étrangères sont traitées sur un pied d’égalité avec les jugements des autorités des autres provinces canadiennes.

 À plusieurs reprises, le ministre de la justice explique[22] la souplesse de certaines règles par des considérations de courtoisie internationale. Toutefois, il est à signaler que cette fameuse courtoisie internationale cède le pas à d’autres considérations, celles de la protection de la cohésion et la cohérence du système juridique interne du Québec.

L’article de principe en la matière est l’article 3155 du C.c.Q. Ce dernier crée une présomption de validité des décisions étrangères à condition que la décision étrangère réponde à certaines exigences.

Le législateur québécois interdit aux autorités du for de refuser la reconnaissance d’une décision étrangère pour la simple raison que l’autorité étrangère a appliqué une autre loi que celle qui aurait dû être appliquée en vertu des règles du DIP québécois (Article 3157 du C.c.Q). De même, le législateur québécois interdit aux autorités judiciaires du for de  réviser au fond les décisions étrangères (Article 3158 du C.c.Q) sauf en matière d’adoption, et ce pour l’intérêt de l’enfant[23].

Section 2 : Les exceptions aux principes de reconnaissance des décisions étrangères telles quelles sont prévues par l’article 3155 du C.c.Q 

Nous allons vérifier comment ces exceptions sont interprétées par les tribunaux du Québec.

Paragraphe 1 : La compétence juridictionnelle des autorités étrangères

Selon l’article 3164 du  C.c.Q, on applique aux tribunaux étrangers les mêmes règles de compétence que celles applicables aux tribunaux québécois. Ces règles conçues pour régir les litiges comportant un élément d’extranéité sont valables pour juger de la compétence des autorités étrangères. C’est ce que la doctrine appelle « le principe du miroir ».

L’examen de la compétence du tribunal étranger se fait en deux étapes : Il convient d’abord de s’assurer en appliquant les règles de compétence applicables aux autorités québécoises que l’autorité étrangère a compétence. Il faut ensuite vérifier si le litige dont elle est saisie se rattache de façon importante à l’État étranger. Autrement dit, il doit exister un lien substantiel entre l’autorité étrangère et le litige.

Il nous semble que cette théorie du miroir prévue par l’article 3164 du C.c.Q vient favoriser l’harmonie internationale des solutions et la courtoisie internationale, et ce par l’extension du domaine de compétence des autorités étrangères. Par conséquent, le DIP québécois a pris une nouvelle voie, celle de la favorisation de la compétence des autorités étrangères.

Déterminer la compétence des autorités étrangères en vertu des dispositions du code civil du Québec offre la possibilité aux tribunaux étrangers de connaître des litiges. Dans les mêmes circonstances, les autorités du Québec auraient accepté d’exercer la compétence, évidemment avec le respect de la règle du rattachement réel et substantiel entre le litige et l’État étranger dont l’autorité est saisie.  

Dans les actions en matière de divorce, la compétence des autorités étrangères est reconnue en vertu de l’article 3167 du  C.c.Q,  soit que l’un des époux ait son domicile dans l’État où la décision a été rendue ou y résidait depuis au moins un an avant l’introduction de l’action, soit que les époux aient la nationalité de cet État.

En revanche, la loi fédérale concernant le divorce et les mesures accessoires prévoit que les divorces prononcés hors du Canada sont valides et sont reconnus si l’un des époux a résidé habituellement dans l’État où la décision a été rendue depuis au moins un an avant l’introduction de l’action (article 22 Al.1 de la loi fédérale sur le divorce). Cet article, on le voit, diffère de l’article 3167 du code civil du Québec. Ce qui met le droit québécois en contradiction avec la loi fédérale sur le divorce et risque de rendre la disposition québécoise inconstitutionnelle[24].

Dans la cause A.K contre H.S[25] en première instance, le juge québécois avait refusé la demande du mari de reconnaître le jugement de divorce prononcé en Algérie et avait déclaré que l’article 3167 du C.c.Q n’est pas applicable en matière de divorce pour les motifs suivants :

  • L’article 3167 constitue un empiètement sur la compétence fédérale en matière de divorce, selon l’article 91 (26) de la loi constitutionnelle de 1867.
  • L’article 22 (3) de la loi sur le divorce ne peut constituer une délégation de compétence qui lui est conférée par la constitution.
  • L’article 3167 du C.c.Q est en conflit avec l’article 22 al.1 de la loi sur le divorce.
  • L’application de l’article 3167 du C.c.Q  en l’espèce conduirait à un résultat socialement inacceptable.

Certes, l’article 3167 du C.c.Q contredit les dispositions de la loi fédérale et risque de créer un problème de constitutionalité au sein du système juridique québécois. Néanmoins cet article du droit québécois prévoit un facteur de rattachement alternatif qui donne la compétence aux tribunaux étrangers de statuer sur le divorce des nationaux. Cette situation est davantage adaptée à la courtoisie internationale et permet de réaliser certains objectifs de DIP de tendance internationale.

À notre avis, le tribunal étranger peut être saisi des actions de divorce qui concerne les nationaux domiciliés au Québec et cela ne présente aucun risque pour la société québécoise du moment où l’article 3155 du code civil du Québec prévoit d’autres conditions pour la reconnaissance des divorces étrangers, à savoir l’ordre public, le respect des règles de procédure, la litispendance….etc. On peut être ouvert et protégé à la fois.

 La cour d’appel[26] a préféré s’abstenir de se prononcer sur la question constitutionnelle de l’article 3167 du C.c.Q lorsque cela n’est pas nécessaire pour régler le litige. La cour d’appel a soumis la requête en reconnaissance et exécution du divorce algérien présentée par l’appelant au test de l’article 3155 C.c.Q. On peut donc donner compétence aux autorités étrangères pour statuer sur le divorce de leurs nationaux, ensuite on peut soumettre ces décisions étrangères au test de l’article 3155 du C.c.Q si les parties viennent demander la reconnaissance de leur divorce au Québec.

 Au surplus, à l’instar du principe consacré en Common Law, les décisions étrangères ne seront reconnues au Québec que s’il existe un lien réel et substantiel entre le litige et l’État où l’autorité a été saisie. Ceci a été concrétisé dans  la décision de droit de la famille-2054[27] : dans cette affaire, la cour d’appel a confirmé la décision de la cour supérieure qui avait refusé de reconnaître le jugement de divorce algérien parce que le tribunal étranger n’était pas compètent. Faute d’un lien suffisant entre le litige et l’Algérie. À ce sujet, la cour dit : « la loi canadienne du divorce a juridiction pour entendre les causes lorsqu’un des époux résidait habituellement au Canada, dans l’année précédant l’introduction de l’instance, et comme le tribunal a décidé que les deux parties résidaient à Montréal dans l’année précédant l’introduction de l’instance, c’est la cour supérieure de Montréal qui a juridiction. » Le litige a donc un lien suffisant avec le Québec. De plus, si le tribunal québécois avait été saisi en premier, le tribunal algérien aurait dû décliner compétence en vertu de l’exception de litispendance.

Paragraphe 2 : La décision au lieu où elle a été rendue est susceptible d’un recours ordinaire ou n’est pas définitive ou exécutoire 

Il est entendu que seules les décisions finales rendues par une autorité étrangère peuvent être reconnues au Québec[28]. Une décision étrangère ne peut avoir au Québec plus d’effet qu’elle n’en a dans l’État où elle a été rendue.

Dans la cause Canetti-Calvi contre assicurazioni Generali S.P.A[29], la cour d’appel a refusé d’exécuter la décision étrangère du tribunal de Milan pour ce qui suit : « La décision du tribunal de Milan n’a plus d’effet au Québec qu’elle n’en a dans son pays d’origine. Cette décision n’est pas sujette à exécution suivant le droit qui la gouverne non plus qu’elle ne l’est suivant les disposition du code civil du Québec».

À notre avis, il est impensable d’exiger des tribunaux québécois de conférer à cette décision un caractère d’autorité dont elle n’a jamais été revêtue. 

Il est à noter également que la doctrine reconnaît unanimement qu’un jugement étranger frappé d’appel ne peut être exemplifié au Québec même s’il est exécutoire dans l’État d’origine[30].

Paragraphe 3 : La décision a été rendue en violation des principes de procédure 

Une décision étrangère ne saurait être reconnue et, par conséquent, produire ses effets au Québec que s’il était démontré que les droits fondamentaux, tel le droit à une défense, n’ont pas été respectés. Les principes de la procédure dont parle l’article 3155 al.3 du C.c.Q se limitent aux principes très larges d’être assigné avant son procès ainsi que le droit de faire valoir ses moyens de défense. Le code civil du Québec contient une disposition expresse sur les décisions rendues par défaut ainsi l’article 3156 du C.c.Q précise qu’une décision rendue par défaut ne sera pas reconnue et déclarée exécutoire que si la demande a dûment été signifiée en vertu des règles de procédure existantes au lieu où la décision a été rendue.

Dans la décision de droit de la famille- 3454[31], le Monsieur avait procédé par défaut après avoir signifié sa demande par publication dans un journal. Madame n’a jamais été informée de cette procédure même si les deux parties étaient représentées par un avocat au Québec. À ce propos, la cour dit dans le paragraphe 9 de cette décision : « Même s’il est vrai que le défendeur a résidé en Floride pendant au moins un an avant l’introduction de sa demande dans cet État, le jugement obtenu ne passe pas le test des articles 3155 al.4 et 3156 du C.c.Q ».  

Dans une autre décision droit de la famille- 072464[32], la cour supérieure a refusé de reconnaître un jugement du Bahrain pour la fraude dans la procédure (article 3155 al.3 du C.c.Q) car la preuve démontre que «Monsieur a amené madame à croire qu’il avait réconciliation avant le prononcé du divorce. Mais, une fois la signification de la dernière convocation faite, retour à la maison par lui, reprise de la vie commune, reprise des relations sexuelles, décision de partir au Canada avec toute la famille. Au moment même où il agissait ainsi, Monsieur a continué les procédures en divorce entreprises, s’est présenté à la cour sans le dire à Madame et même en lui cachant sa présence à la cour. En la confortant dans son idée que les parties étaient réconciliées, Monsieur a donné à madame des raisons de ne pas se présenter à la cour pour s’opposer au divorce. Monsieur est allé jusqu’à induire les juges en erreur en leur déclarant que Madame avait déjà quitté le pays pour le Canada. Ce qui était faux. Monsieur a également caché aux juges qu’il avait repris la vie commune avec Madame. En conséquence, le tribunal est d’avis de rejeter la requête de monsieur en reconnaissance de jugement de divorce prononcé à l’étranger le 4 octobre 1995».

Dans cette affaire droit de la famille – 072464[33], la cour d’appel a confirmé la décision du tribunal de première instance et elle est d’avis que le jugement irrévocable de divorce du pays a fut obtenu à la suite d’un stratagème de l’appelant qui a menti au tribunal étranger et qui a manœuvré de façon à empêcher l’intimée de faire valoir ses droits.

Nous sommes totalement d’accord avec les autorités du Québec d’avoir refusé ces jugements de divorce pour la violation des principes de procédure. L’un des époux subit déjà des préjudices lors de son divorce, voire des effets psychologiques, faut-il encore qu’il ne soit pas informé de sa procédure de divorce afin de pouvoir présenter au moins sa défense ? La reconnaissance des divorces qui violent les principes de procédure aurait des effets néfastes sur le plan de la sécurité juridique des individus.  

Paragraphe 4 : La litispendance

La décision rendue hors du Québec est reconnue et le cas échéant déclarée exécutoire par les autorités du Québec sauf si un litige entre les mêmes parties, fondé sur les mêmes faits et ayant le même objet, a donné lieu au Québec à une décision ou le litige est pendant devant une autorité québécoise, première saisie. Comme le souligne le professeur G. Goldstein, le législateur n’exige pas l’identité de la cause mais l’identité des faits[34].

Dans l’affaire L.P contre F.B[35], le tribunal québécois a refusé de reconnaître un jugement marocain qui ne répond pas aux exigences de l’article 3155 al.4 du C.c.Q.  Le tribunal a conclu que l’autorité québécoise, le 15 mai 2002, a été la première saisie d’une demande en divorce alors que le mari n’a intenté son recours en divorce que le 4 juin 2002 devant la cour du Maroc et que la demande en divorce de l’épouse était pendante devant la cour supérieure du Québec au moment où le jugement du divorce a été rendu le 26 septembre 2002 par la cour de première instance de Rabat au Maroc.

En définitive, les auteurs sont unanimes sur les notions et conséquences du « premier saisi ». Selon le professeur Glenn par exemple[36], dans tous les cas où l’autorité étrangère est saisie la dernière, la reconnaissance ou l’exécution de sa décision sera refusée même si sa décision précède la décision des autorités québécoises.

Dans droit de la famille- 2054[37], la cour d’appel de Montréal a refusé de reconnaître le jugement de divorce prononcé en Algérie car le premier tribunal saisi au sens de l’article 3155 al.4 du C.c.Q est la cour supérieure de Montréal qui a été saisie de la demande de divorce le 19 mai 1994. Le jugement algérien ne pouvait être reconnu en vertu de cet article.

À notre avis, l’exception de litispendance a pour but d’éviter la possibilité des jugements contradictoires qui peuvent avoir lieu. Elle a le mérite d’éviter les frais et les pertes de temps. Sans oublier que la litispendance peut faciliter la réalisation de la courtoisie internationale et la sécurité juridiques des individus. Et cela ne peut se réaliser que par l’inexistence de jugements contradictoires.

 
 
Paragraphe 5 : Le résultat de la décision étrangère est manifestement incompatible avec l’ordre public tel qu’il est entendu dans les relations internationales

On reconnaissait en général à l’ordre public, dans tous les systèmes du DIP, un rôle particulier en matière de reconnaissance des jugements étrangers.

Il ne s’agit pas ici de porter un jugement sur le contenu de la décision étrangère, mais de vérifier si elle pouvait être exécutée telle quelle dans l’ordre juridique du for.

La doctrine et la jurisprudence reconnaissent la distinction entre l’ordre public interne et l’ordre public international. À titre d’exemple, la loi sur la protection du consommateur est d’ordre public en droit québécois interne, mais ne l’est pas dans le sens international. On ne protège pas tous les consommateurs du monde.

En général, les tribunaux québécois se sont montrés très hésitants à se servir de l’exception d’ordre public pour faire échec à la reconnaissance des jugements étrangers lorsque la solution donnée pouvait s’intégrer harmonieusement dans l’ordre juridique du for québécois.

Le ministre de la justice québécois, dans ses commentaires sur l’article 3081 du C.c.Q[38], souligne  « pour que l’application des dispositions de la loi d’un État étranger soit exclue, il faut que celle-ci heurte des conceptions morales, sociales, économiques et politiques fondamentales ».Au Québec, pour définir l’ordre public international, on aura recours aux principes juridiques fondamentaux du droit du for, notamment aux principes consacrés par les chartes québécoise et canadienne des droits et libertés, mais on peut également se référer à la déclaration universelle des droits de l’homme.

Dans la décision droit de la famille- 2054[39], le tribunal québécois a refusé de reconnaître la répudiation prononcée en Algérie qui ne rencontre pas l’exigence de l’article 3155 al.5 du C.c.Q.

À ce sujet, la cour dit : « le jugement étranger ne peut être reconnu, car le résultat de la décision étrangère est manifestement incompatible avec l’ordre public tel qu’il est entendu dans les relations internationales, car la loi sur le divorce algérien permet de prononcer le divorce à la seule demande de l’époux, sans que celui-ci soit tenu de la motiver, alors que ce droit n’est pas reconnu pour dame H.A ». Pour ce motif, le tribunal rejette la requête en reconnaissance du jugement étranger. Dans cette même cause la juge Nicole Benard soulignait que le simple fait que le code de la famille algérien permette à l’époux de répudier son épouse, que ceci se fasse sous contrôle judiciaire ou non, constitue un manquement fondamental à l’ordre public international.

Dans une autre cause L.P contre F.B[40], la cour supérieure a rejeté la demande en reconnaissance du jugement du divorce révocable rendu le 26 septembre 2002 par la cour de première instance de Rabat au Maroc. La cour soulignait : «la preuve révèle que le droit marocain prône le régime de séparation absolue des biens, ce qui risque de heurter le fondement à la base de la législation familiale au Canada, qui est axé sur la protection de l’époux économiquement faible. En conséquence, l’application et le résultat de la loi marocaine seront rarement conformes à notre notion d’ordre public international ».

Mais, nous ne partageons pas cet avis avec le tribunal québécois car le régime de la séparation des biens des époux ne heurte pas l’ordre public international du Québec. Ce régime de séparation des biens existe également dans le système juridique québécois. En quoi donc le régime de la séparation des biens du droit marocain heurte-t-il l’ordre public international du Québec ?

En revanche, dans le droit de la famille- 072464[41], le juge Jean-pierre Sénécal est d’avis que le jugement de divorce prononcé le 4 octobre 1995 au Bahrain ne peut se voir refuser la reconnaissance au Québec parce qu’il est contraire à l’ordre public tel que défini dans les relations internationales. Dans le paragraphe 45 de cette décision le juge précise : « Quant au fait qu’un divorce puisse venir d’une décision unilatérale d’un seul des époux, cela ne pose pas de problème en droit canadien où la chose est acceptée mais après l’écoulement d’un temps de vie séparée plus long qu’en pays musulmans ».

 Au paragraphe 47 du jugement le juge Jean-pierre Sénécal ajoute « Pour ce qui est de l’inégalité de statut des époux quant aux motifs de divorce pouvant être invoqués, on ne peut perdre de vue que l’article 3155 al .5 ne réfère pas à l’ordre public tel qu’il est conçu au Canada, mais tel qu’il est entendu dans les relations internationales. Il est difficile de prétendre que tout ce qui contrevient aux chartes canadienne et québécoise va contre l’ordre public international. Par exemple, les chartes font en sorte que nous reconnaissons le mariage entre conjoints de même sexe. Toutefois, très peu de pays sur la planète ont une législation qui va en ce sens. Cela n’est pas conforme aux chartes du Canada. Il apparaît néanmoins au tribunal que dans ces circonstances, on ne peut conclure pour autant que les législations étrangères en matière de mariage violent l’ordre public tel qu’il est entendu dans les relations internationales. En réalité, il y a 50 ans à peine, les motifs de séparation de corps étaient différents au Québec pour les hommes et les femmes. L’adultère ne pouvait être invoqué par celle-ci que lorsque commis par le mari sous le toit conjugal. (Article 188 C.C.B.C jusqu’en 1954). À l’inverse, tout adultère commis par l’épouse pouvait être invoqué par le mari (article 187 C.C.B.C). Force est donc de constater que le droit évolue, tout comme les mentalités, et qu’en droit international, on ne peut exiger que tous aient les mêmes valeurs en même temps et en tout temps. La notion d’ordre public international doit être examinée dans ce contexte en prenant également en considération la théorie allemande du Binnenbeziehung » [42]. L’approche du juge Sénécal a été approuvé par le silence de la cour d’appel et cela constitue selon le professeur Talpis un ‘’accommodement raisonnable’’[43].

En appliquant l’alinéa 5 de l’article 3155 du C.c.Q, il faut d’abord déterminer s’il existe une divergence intolérable entre la loi étrangère applicable et les principes fondamentaux du for. Une simple divergence ne suffit pas, même si la loi du for est impérative et d’ordre public[44].

Il est généralement admis au moins au Canada et dans certains pays de l’Europe qu’il est nécessaire pour l’intervention de l’ordre public que la situation juridique présente un lien suffisant et étroit avec le for (Inlandbeziehung). Ainsi si l’institution ou les effets se réalisent à l’étranger que sur le territoire du for, la loi étrangère sélectionnée ne heurte pas l’ordre public. Toutefois, le problème se pose, quand est-ce qu’il faut vérifier le lien suffisant entre la situation juridique et le système du for ? Au moment de la création de la situation juridique ou au moment de la reconnaissance de cette situation dans le for ?

La doctrine québécoise est divisée en la matière. Selon le professeur J. Talpis, la vérification doit se faire au moment de la création de la situation juridique à l’étranger. Selon lui faire de l’absence de lien avec le Québec au moment de la demande de reconnaissance du divorce une condition de refus reviendrait à conférer un blanc-seing aux tribunaux pour refuser de reconnaître les divorces musulmans.  Le professeur G. Goldstein dit totalement le contraire. Il propose de vérifier le lien le plus étroit avec le Québec au moment de la reconnaissance de cette situation juridique dans le système juridique du for en se fondant sur le fait que le divorce a des impacts au Québec.   

  En adoptant le raisonnement du professeur Talpis cela limiterait les cas d’intervention de l’ordre public. En contrepartie, la proposition du professeur Goldstein risque d’augmenter les cas d’intervention de ce mécanisme du DIP.

En somme, le raisonnement de la cour supérieure dans la décision droit de la famille – 072464 en 2007 et le silence de la cour d’appel en 2008, semble amorcer un changement dans l’évolution du droit puisqu’on reconnaît la non contrariété de la répudiation du droit musulman aux principes fondamentaux du Québec. Sommes-nous devant la concrétisation du droit à la différence au sens propre du terme voire une courtoisie internationale des tribunaux québécois? S’agit-il d’un précédent en matière de reconnaissance de la répudiation du droit musulman au Québec ? Ou s’agit-il d’une exception de circonstances ?

Il nous semble qu’il serait préférable et opportun d’adopter le raisonnement de la cour dans droit de la famille – 072464, car celui-ci contribuerait à limiter la création des divorces boiteux et suivrait l’évolution de la reconnaissance de la répudiation en droit comparé, car le raisonnement de la cour québécoise est conforme avec la nouvelle loi belge selon laquelle la répudiation est reconnue en Belgique s’elle respecte les conditions suivantes :

  • L’homologation de l’acte de répudiation par une juridiction de l’État où il a été établi.
  • L’acceptation par l’épouse.
  • Lors de l’homologation aucun époux n’avait la nationalité d’un État qui ignore cette forme de dissolution du mariage, ni avait de résidence habituelle dans un tel État (Inlandbeziehung).

Et enfin le respect des droits de la défense.

Conclusion

Le facteur du domicile est omniprésent en matière de compétence des tribunaux à statuer sur le droit de la famille musulman. Les tribunaux québécois sont compétents pour trancher les litiges des musulmans domiciliés au Canada. Si cela est bien fondé du point de vue du principe de proximité, il ne doit pas toutefois conduire à refuser la compétence des tribunaux étrangers sur la base du facteur de la nationalité. Cette dernière constitue selon nous un rattachement suffisant et un lien réel et substantiel entre l’immigrant musulman et le tribunal de son pays d’origine. Les tribunaux de la Common Law adoptent bien ce raisonnement mais pas au Québec. Normalement l’article 3167 du C.c.Q en matière de divorce devrait aider les juges québécois à adopter cette approche. On peut donner compétence aux tribunaux étrangers à trancher les litiges de leurs nationaux comme ça on participe à la courtoisie internationale dont parle le ministre de la justice québécois. Et en même temps protéger la cohésion du système juridique québécois par le biais de l’article 3155 du C.c.Q si les parties au litige demandent la reconnaissance de la décision étrangère au Québec.

En matière de reconnaissance des décisions rendues dans les pays musulmans, le code civil du Québec crée une présomption de leur validité. Toutefois, l’utilisation du test de l’article 3155 du C.c.Q mène le plus souvent au refus de reconnaitre ces décisions. Mais cela s’explique tout simplement par l’antagonisme juridique entre le système québécois et le système juridique des pays musulmans. C’est la raison pour laquelle, il serait préférable de chercher des solutions autres que la méthode classique de Savigny, qui nous semble non pertinente pour régler de façon efficace les rapports de DIP dans le contexte musulman et éloigne les tribunaux québécois de toute courtoisie internationale.


[1] Voir les articles 3134, 3141, 3142, 3144, 3145,3147, du Code civil du Québec

[2] Lorsque le défendeur jouit de certaines immunités dans l’État étranger, le cas de certaines personnes dans le monde arabe par exemple.

[3] Henri KELADA, les conflits de compétence et la reconnaissance des jugements étrangers en DIP Québécois, Cowansville, Québec, éd.  Yvon  Blais, c2001

[4]Droit de la famille – 082431, 2008 QCCS 4493, J.E.2008- 1937 C.S.

[5] Jeffrey TALPIS et J.Gabriel CASTEL, « le code civil du Québec interprétation des règles du DIP », dans barreau du Québec et chambre des notaires du Québec, Vol 3, la réforme du code civil, Québec, Presse Université Laval, 1993, p. 801

[6]Colida  c.Motorola inc., [1999]2 C.P.R  (4th) 126(QCCS)

[7]Lamborghini (Canada) inc.  C. Automibili Lamborghini S.P.A, [1997] R.J.Q. 58 (C.A).

[8]Spar Aerospace  Ltd  v. American mobile satellite corp., [2002] S.C.J. N° 51

[9]Droit de la famille -2930, [1998] R.D.F 295

[10]Gérald GOLDSTEIN, « Canada (Québec)» , dans J.J.FAWCETT, Declining jurisdiction in private international low, Oxford (R.U) Clarendon Press 1995, 145 at 147.

[11]précité note 8

[12]Droit de la famille -2930, [1998] R.D.F 295

[13] Gérald GOLDSTEIN, Éthel GROFFIER, Droit international privé, Vol.2, Cowansville, Québec, éd. Y.Blais1998-2003 Voir aussi, Jeffrey TALPIS et J.Gabriel CASTEL, le code civil du Québec interprétationdes règles du DIP, précité note 5

[14] Patrick GLENN,  droit international privé, cité par Henri Kelada dans , les conflits de compétence et la reconnaissance des jugements étrangers en DIP québécois,  précité note 3, p.33

[15] Même opinion défendu par le juge P. Chapute dans droit de la famille – 2094 [1995] R.J.Q 107 ( C.S).

[16]Droit de la famille -3428, AZ- 50067889

[17]H. KELADA, les conflits de compétence et la reconnaissance des jugements étrangers en DIP québécois précité note 3., p.39.

[18]Droit de la famille – 1636 [1992] R.D.F. 600 (C.S)

[19] G. GOLDSTEIN, É. GROFFIER, droit international privé, précité note 13

[20] Id.

[21] Voir les commentaires du ministre de la justice, Tome II, commentaire sur l’article 3091du C.c.Q.

[22] Voir commentaires du ministre de la justice, Tome II, commentaire sur l’article 3155 du C.c.Q, p. 2015.

[23]Droit de la famille– 2954, 98 DCQI 400 (C.S).

[24]Éthel GROFFIER, la réforme du DIP québécois : supplément au précis du DIP québécois, Cowansville, Québec, Yvon Blais, c1993, p.166

[25]A.Kc.H.S,  [1998]  J.Q. no 1573 (C.A)

[26]Id.

[27]Id.

[28] Voir l’article 3155 al.2 en ce sens.

[29]Cannetti-calvi c. Assicurazioni Generali S.P.A [1994] R.J.Q 1269 (C.A)

[30]C.Mc.  CA.   A.S,  [2005] R.D.F. 8

[31]Droit de la famille – 3454, [1999] R.D.F. 805

[32]Droit de la famille – 072464 [2007] R.J.Q 2656 (C.S)

[33]Id.

[34] G. GOLDSTEIN, É. GROFFIER, Droit international privé, précité note 13

[35]L.P c.F.B [2003] R.J.Q. 564 (C.S)

[36] Patrick. GLENN, DIP dans la réforme du code civil, T.3, Québec, presses de l’université de Laval 1993, p.763.

[37]Droit de la famille- 2054. [1997] R.J.Q.1124 (C.S)

[38] Québec (prov.) ministère de la justice, commentaires du ministre de la justice : le code civil du Québec. Tome 2 Québec, Publication du Québec, 1993, p.2024-2025.

[39]Précité note 37

[40]L.P c. F.B, [2003] R.D.F. 1009

[41]Précité note 32

[42]GOLDSTEIN Gérald, de l’exception d’ordre public aux règles d’application nécessaire, Montréal, éditions Thémis, c1996, p.366

[43]JEFFREY Talpis, l’accommodement raisonnable en DIP québécois, Montréal, éditions Thémis, c2009

[44]Id.

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