La contractualisation entre l’Etat et les collectivités territoriales  à la lumière des lois organiques de 2015

La contractualisation entre l’Etat et les collectivités territoriales  à la lumière des lois organiques de 2015

Hayat Boumaaza 

étudiante chercheur à la faculté de droit de Salé.

     Comme d’autres modalités d’action publique, la contractualisation reflète la montée progressive du pouvoir local et le retrait parallèle de l’Etat. « La contractualisation peut désigner aussi le mouvement, considérée comme souhaitable, par lequel les relations contractuelles entre des personnes se développent, se multiplient au point de devenir un mode normal ou habituel de relation entre ces personnes»[1].

     Le terme « contractualisation » est issu du terme « contrat » mais il est  beaucoup plus large que ce dernier. Ce n’est pas seulement un acte, qui sert à la concrétisation juridique d’un accord de volonté, mais toute une activité ou un mode de relation entre des personnes[2]. La contractualisation entre l’Etat et les collectivités territoriales  signifie la substitution de relations fondées sur la discussion et l’échange à des relations commandées par la subordination et le commandement[3].

   Tout comme l’Etat, Les collectivités territoriales poursuivent l’intérêt général. Mais tandis que l’Etat assure un intérêt public national, les collectivités territoriales s’occupent de l’intérêt public local. L’intérêt public local est certes subordonné à l’intérêt public national ce qui  justifie les  relations contractuelles entre l’Etat et les collectivités territoriales[4].      

        Dans cette logique, les lois organiques relatives aux collectivités territoriales  tendent à rééquilibrer les rôles et les moyens entre l’Etat et les collectivités. Le transfert des compétences conjugué à l’allégement des tutelles fait que les collectivités gagnent en liberté mais aussi en responsabilités par les engagements contractuelles que conditionne ce transfert.

         Jean-Marie Pontierexplique que le contrat devient, d’une part pour l’Etat un instrument de contrôle, d’autre part pour les collectivités locales un moyen de coordonner leurs compétences récemment acquises, lorsqu’en effet, le législateur supprime la tutelle administrative (qui est surtout de l’ordre du symbolique), la tutelle financière (bien réelle, elle  réduit la tutelle technique (d’autant plus efficace qu’elle n’était prévue par aucun texte de loi), l’autorité administrative centrale est bien obligée de trouver un autre moyen que les circulaires et instructions qui constituaient de véritables fourches caudines[5] sous lesquelles, bon gré mal gré, étaient obligées de passer les autorités locales. Le contrat, ou des relations de type contractuel, sont un substitut possible à la perte du pouvoir de tutelle[6].

      De plus, l’étude de la contractualisation trouve son intérêt  pratique dans un contexte où l’imprécision de la répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales est, selon M. El yaagoubi : « une des grandes plaies qui caractérisent le système administratif marocain »[7]. L’enchevêtrement des compétences reste une problématique centrale où la plupart d’entre elles sont exercées de manière partagée entre plusieurs collectivités territoriales et rares sont celles qui relèvent exclusivement d’une catégorie de collectivité.

        Pour affronter cette difficulté, la commission[8] a trouvé la solution dans la technique contractuelle qui se matérialise dans toute une série de mécanismes prévus par le rapport : « une base contractuelle dument formalisée », « concertation », « partenariat », « accord ».

     Les textes de décentralisation apparus en 2015 n’ont pas manqués de poser question. Cela s’explique par le caractère complexe et compliqué de l’opération de raison de l’identité des compétences de l’Etat et des régions voire même à certain degré les autres entités territoriales. Les perspectives envisagées par les textes de loi et leurs multiples amendements montrent cette ambivalencefruit du tiraillement entre la tradition centralisatrice autoritaire et le  pouvoir  local, entre la volonté d’encadrer totalement leur action et une nécessaire adaptation locale pour une optimisation de l’action publique.

        Ce sont donc les conventions qui seront conclues par l’Etat et les régions qui détermineront dans une large mesure de façon précise les compétences et les moyens de chaque partie concernée[9]…Les lois organiques relatives aux collectivités territoriales, par l’appel de la commission consultative, ont pris dans leurs plis l’instrument de la contractualisation pour apaiser le chevauchement des compétences exercées en application des textes anciens. De ce fait, les  compétences des collectivités territoriales, qu’il s’agisse de compétences propres, partagées ou transférées, sont désormais des compétences contractualisées.

      Toutefois il ne faut manquer de mentionner que le législateur a désigné, conformément à la constitution, d’autres principes qui vont servir de base à la répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales à savoir le principe de subsidiarité[10] et le principe de corrélation entre le transfert des compétences et le transfert des moyens[11]. Ce qui permettrait d’ouvrir la voie devant la technique de contractualisation qui est aussi fait partie intégrante desdits textes organiques.

     Cette dernière, au-delà de son rôle majeur dans la répartition et la  clarification des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales, n’est pas sans conséquences sur l’équilibre budgétaire de la collectivité territorial. Elle ferait face aux manques de ressources dans certaines entités décentralisées par la mutualisation des moyens financiers  qu’elle implique. Cependant, la multiplication des engagements financiers issus des contrats par une même collectivité peut impacter les charges budgétaires.

      Avant d’aborder la problématique de l’impact de la contractualisation sur l’équilibre budgétaire des collectivités territoriales (B). Il convient tout d’abord de faire une lecture des dites compétences contractualisés(A).

  1. Lecture analytique des compétences contractualisées avec l’Etat

      Le législateur, dans chaque délimitation de masses des compétences, a fait appel au procédé contractuel soit directement ou indirectement, il faut juste une lecture analytique de ces compétences pour  extraire l’existence de ce procédé.

               1- Les compétences propres 

          Par principe, les compétences propres sont interdites à l’intervention de personnes autres que les collectivités territoriales. Elles sont incontournables pour asseoir les bases de la libre administration.[12] Par contre, aucun texte juridique n’interdit que les compétences propres soient exercées par voie contractuelle entre l’Etat et les collectivités territoriales,[13]chaque fois que l’intérêt général l’exige. De surcroit, la planification locale est devenue une compétence propre des collectivités territoriales, notamment la commune et la région, qui doit être exécutée par voie contractuelle entre l’Etat et ces collectivités[14].  

      De plus, L’objectif ultime du principe de libre administration selon le doyen Favoreu Louis est de protéger les libertés des pouvoirs décentralisés, dont figure la  liberté contractuelle, contre l’Etat, les établissements publics et même contre les collectivités territoriales.[15] 

        Sans négliger de signaler que cette liberté de contractualisation et son indépendance à la disponibilité des ressources financières se considère comme l’instrument qui juge concrètement la gestion décentralisée des collectivités territoriales[16].

       Indubitablement, au Maroc, les textes sont très avancés au niveau des termes juridiques et de leur vision prospective, mais au niveau de la réalité, l’insuffisance des ressources reste parmi les grands maux contre lesquels se battent la plupart des unités territoriales. Un grand nombre de ces dernières, surtout celles de base, font appel aux subventions du centre. Ce qui engendre une recentralisation du rapport Etat et collectivités territoriales,  d’où la nécessité de penser à donner un vrai élan à l’autonomie financière.

       Les compétences propres comportent les compétences dévolues aux communes, aux provinces et préfectures et aux régions dans un domaine déterminé de manière à lui permettre d’accomplir, dans la limite de ses ressources et à l’intérieur de son ressort territorial, les actes relatifs à ces domaines, notamment la planification, la programmation, la réalisation, la gestion et l’entretien[17] Pour la commune ; la promotion de développement social au milieu rural et urbain pour la province ou la préfecture[18] ; des missions de promotion du développement intégré et durable à travers l’organisation, la coordination et le suivi pour la région[19].  Par contre, aucun texte juridique n’interdit que les compétences propres soient exercées par voie contractuelle entre l’Etat et les collectivités territoriales,[20] chaque fois que l’intérêt général l’exige.      

      Plusieurs éléments montrent que l’Etat ouvre  le champ  la  contractualisation à toutes les catégories de compétences. Notamment les compétences propres, objet de notre étude. Et   si on se réfère au nombre de conventions conclus avant l’avènement des lois organiques, on comprend déjà que ceux-ci  ne viennent que  pour donner un cadre juridique à des relations qu’ont déjà commencé à se contractualiser.    

      D’abord, la constitution en consacrant « l’organisation décentralisée », qu’est une nouveauté dans le texte constitutionnel, affirme déjà qu’il y’a des entités distinctes de l’Etat par l’existence de missions différentes de celui-ci, c’est-à-dire des compétences propres. Sans pour autant que cela importe  de sacrifier le caractère unitaire de l’Etat au profit d’une organisation décentralisée dans laquelle le pouvoir étatique perdrait toute compétence. La nouvelle constitution dessine un nouveau paysage politique et détermine la manière de l’administrer. Dès lors la notion de compétence propre ne peut conduire à l’absorption d’un pouvoir par l’autre, mais bien plutôt elle vise une complémentarité entre eux.

     Ensuite, La question des compétences propres des collectivités territoriales est étroitement liée à celle de leur  libre administration. La constitution en  garantissant la libre administration  par l’article 136 de la constitution marocaine[21],  protège par principe les compétences propres qui sont la condition sin qua non de l’existence même des collectivités territoriales.

      Comme  il a été déjà mentionné  dans le premier chapitre, les collectivités territoriales  tire leur liberté de contractualiser  les compétences propres de la libre administration. Sans négliger de rappeler  que cette liberté de contractualisation et son indépendance à la disponibilité des ressources financières se considère comme l’instrument qui juge concrètement la gestion décentralisée des collectivités territoriales.

   Même  s’exerçant  dans les conditions prévues par la loi. Reste un principe gestionnaire à la main des collectivités territoriales pour l’exercice de leurs compétences propres en toute liberté. Ce principe s’applique à la fois aux relations des collectivités avec l’État mais aussi à celles qui lient les collectivités entre elles.

    De ce fait, il ne saurait y avoir de tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre mais aussi avec respect strict de la souveraineté de l’Etat. Ledit principe, en occupant rang constitutionnel et magistral, s’impose au législateur et à toutes les autorités administratives.

     Loin de reproduire l’analyse déjà effectuée sur la liberté contractuelle en relation avec la libre administration. Cependant, il n’est pas sans importance de rappeler l’affirmation du  doyen L. FAVOREU  selon laquelle : « L’objectif ultime du principe de libre administration selon le Louis est de protéger la liberté des pouvoirs décentralisés contre l’Etat, les établissements publics et même contre les collectivités territoriales.[22]      

          La contractualisation des compétences propres peut découler ensuite  de la nature même de ces compétences qui sont devenu en nombre croissant et d’une importance économique et sociale qui se rapproche des compétences de l’Etat, ce qui nécessite des ressources accrues qui ne peuvent être mobilisées que par la contractualisation. La contractualisation répond à la logique du partenariat et de la coopération renforcée par le législateur dans l’économie des lois organiques. La technique contractuelle devient alors l’instrument naturel de concrétisation du partenariat est l’une des conséquences obligées du renforcement des compétences. La contractualisation permet, entre autres, à la collectivité territoriale d’obtenir des financements extérieurs pour ses propres projets… » . C’est la logique même de la libre administration qui n’implique pas seulement une liberté de gestions mais également l’obligation de recherche des ressources auprès de différents partenaires publics ou privés.

     Ainsi, es compétences propres comportent les compétences dévolues aux, communes, aux provinces et préfectures et aux régions, dans un domaine déterminé de manière à lui permettre d’accomplir, dans la limite de ses ressources et à l’intérieur de son ressort territorial, les actes relatifs à ces domaines, notamment la planification, la programmation, la réalisation, la gestion et l’entretien[23] Pour la province ; la promotion de développement social au milieu rural et urbain pour la province ou la préfecture[24] ; des missions de promotion du développement intégré et durable à travers l’organisation, la coordination et le suivi pour la région[25]

      Par conséquent, à l’exception de l’interdiction de  tout rapport contractuel avec un  Etat étranger[26],  toute entité décentralisée a le pouvoir de contracter avec les autres entités territoriales, même étrangères, avec l’Etat central ou  des entreprise privées  en vue de la mutualisation des ressources et la réalisation des objectifs.  

      D’ores et déjà, cette coopération volontariste bénéficie d’une protection constitutionnelle, et les collectivités sont en principe libres d’en définir les modalités, contractuelles soient –elles ou institutionnelles. Pourtant, le choix de l’option contractuelle n’est pas  absolu et fait l’objet de limites justifiées par la nécessité de concilier l’exercice de ce choix avec le respect de règles d’ordre public ainsi que des impératifs et des objectifs d’intérêt général liés à la transparence des procédures publiques et à la liberté de concurrence.[27]    

     Les compétences partagées 


         L’impossibilité d’une clarification des compétences des collectivités territoriales est un constat non dépassé tant le partage semble inévitable et la spécialisation marginale. À côté de ces secteurs réservés à une collectivité particulière, il en est d’autres pour lesquels tous les échelons de la pyramide sont concernés, chacun recevant une part, fixée d’une manière plus ou moins précise. C’est dans ce raisonnement que le législateur marocain a vu que le remède au schéma classique de répartition des compétences pourrait s’effectuer par le partage et la responsabilisation. Ainsi il a identifié un nombre de compétences susceptibles de se partager entre l’Etat et les entités décentralisées.

       Ces compétences à partager avec  les collectivités  territoriales comportent les compétences dont l’exercice s’avère efficace lorsqu’elles sont partagées.  Dans cette même articulation des idées,  lesdites compétences sont exercées par le biais contractuel, soit à l’initiative de l’Etat ou sur demande de la collectivité décentralisée composant chaque niveau territorial.[28]

        Or chaque collectivité territoriale peut, à son initiative et moyennant ses ressources propres, financer ou participer au financement de la réalisation d’un service ou d’un équipement ou à la prestation d’un service public qui ne fait pas partie de ses compétences propres et ce, dans un cadre contractuel avec l’Etat, s’il s’avère que ce financement contribue à atteindre ses objectifs.[29]

         Pour les communes, elles exercent des compétences partagées avec l’Etat dans les domaines suivants : le développement de l’économie locale, et la promotion de l’emploi, la préservation des spécificités, la préservation des spécificités du patrimoine culturel local et son développement ;…[30]

         Alors que pour la préfecture ou la province, elles exercent les compétences partagées entre elles et l’Etat dans les domaines de la mise à niveau du monde rural dans les domaines de santé, de formation, des infrastructures et des équipements….[31].

        Au sujet de la région, cette dernière exerce des compétences partagées entre elle et l’Etat dans les domaines du développement économique,  Le développement rural…[32].

        L’objectif de l’existence de compétences partagées consiste à affermir la logique initiale des blocs de compétence, en clarifiant les champs d’intervention de chaque collectivité mais en permettant des financements croisés pour la réalisation d’un projet, à l’initiative de celle qui en a la charge : une collectivité intervient dans le cadre du bloc de compétences qui lui a été dévolu par la loi. L’unité territoriale, principalement compétente, peut solliciter des financements d’autres partenaires en tant que chef de file d’un projet .la sollicitation s’effectue essentiellement dans le cadre conventionnel.

  1. Les compétences transférées

     Les transferts de compétences ne peuvent avoir lieu évidement qu’après avoir opérés une répartition des compétences entre l’Etat et les différents niveaux de collectivités territoriales. l’objectif des compétences transférées est de définir la décentralisation, en reconnaissant aux collectivités l’existence d’un domaine d’intervention autrefois « propriété » de l’Etat, les conséquences des transferts de compétences consistent   

En France, les lois de 1982 et 1983 ont fait du recours au contrat le mode normal de règlement de deux séries de problèmes majeurs liés à la décentralisation : la répartition des personnels entre les services de l’Etat et ceux des collectivités décentralisées et la mise en œuvre des compétences nouvelles transférées aux autorités locales.[33]

     Ainsi si l’Etat constate qu’une collectivité territoriale pourrait être chargée de certaines affaires qui ne font pas partie de leurs compétences propres par la force de la loi, il pourrait les transférer.

   Au Maroc, les matières susceptibles de faire l’objet de cette démarche ont été consacrées dans chaque loi organique relative à la décentralisation[34].

        Il est si indispensable de noter que les compétences transférées créent une obligation de s’accorder d’abord parce qu’il faut (ou qu’il est souhaitable qu’il y ait) une coordination des actions, ensuite parce que malgré les efforts parfaitement illusoires, du législateur pour parvenir à établir des blocs de compétence , la répartition des compétences entre les différentes collectivités, parce qu’elle est condamnée à demeurer complexe et qu’elle est marquée par l’enchevêtrement, appelle inéluctablement aux accords.

       Les compétences transférées comportent les compétences qui sont transférées de l’Etat à l’entité territoriale de manière à permettre l’élargissement progressif des compétences propres.[35]

      Sur le plan communal, les compétences transférées par l’Etat sont fixés sur la base du principe de subsidiarité, Ces domaines comprennent notamment : la protection et la restauration des monuments historiques, du patrimoine culturel et la préservation des sites naturels, la réalisation et l’entretien des ouvrages et équipements hydrauliques de petite et moyenne envergure…[36].

       Sur le plan de la préfecture ou la province, ces unités territoriales exercent les compétences qui lui sont transférées par l’Etat, dans le domaine du développement social et la réalisation et l’entretien des petits et moyens ouvrages hydrauliques notamment en milieu rural…[37].

       Alors que la région et ce conformément à l’article 94 de la loi organique la régissant qui dispose que « Sont fixés sur la base du principe de subsidiarité, les domaines des compétences transférées de l’Etat à la région. Ces domaines comprennent notamment : les équipements et les infrastructures à dimension régionale,  l’industrie… »[38]

       Assurément chaque échelon territorial lui a été attribué un bloc de compétences susceptible de faire l’objet du transfert de la part du pouvoir  central, cependant l’Etat dans son traitement de chaque échelon doit se faire en se référant à un principe tributaire à l’existence des ressources financières et humaines convenables. C’est un principe qui a une force constitutionnelle et qui a été intégré dans les organiques relatives à la décentralisation.

         Il s’articule autour d’une idée magistrale qui est celle que tout transfert des compétences de l’Etat à chaque niveau territorial, il est pris en compte, au moment de cette démarche, L’existence de trois blocs de compétences et des principes de primordiales importances, à côté des procédés contractuels, permettrait une bonne articulation dans la gestion de l’administration locale. La contractualisation intervient au carrefour de l’ensemble de ces modes d’exercice de compétences par les collectivités pour tenter d’harmoniser et d’organiser l’exercice des compétences entre les différents échelons tout en respectant le principe de subsidiarité.[39]

  • L’impact des conventions sur l’équilibre budgétaire des collectivités territoriales

    Les collectivités territoriales sont devenues des acteurs majeurs de la vie locale. Leurs compétences sont en effet en nombre croissant, ce qui nécessite des ressources accrues et une fonction publique spécifique, dont les effectifs augmentent également.

      Les collectivités territoriales ont un impact économique déterminant, spécialement en matière d’investissement public. Or, l’accroissement du poids économique quotidien du secteur public local a pour conséquence de faire augmenter le niveau des budgets gérés du fait de l’accroissement des compétences des collectivités locales. Le budget est l’acte par lequel est prévu et autorisé, pour chaque année budgétaire, l’ensemble des ressources et des charges de la commune, la préfecture ou de la province et la région.[40]

     De ce fait, les lois  posaient pour les budgets des collectivités territoriales une obligation d’équilibre. Cette obligation s’est précisée avec les lois organiques relatives aux collectivités territoriales de 2015 aux termes desquelles le budget doit être en équilibre réel. La contractualisation des compétences des collectivités territoriales, elle aussi, a un grand impact sur les ressources (a) et sur les charges (b) et  de ce fait sur cet équilibre.

  1. L’impact sur les ressources

     Depuis longtemps, les sources de financement des collectivités locales en matière d’équipement provenait essentiellement des subventions de l’Etat et à un degré moindre des ressources propres des collectivités, alors qu’elles devaient se situer, pour assurer la réalisation des équipements, au niveau de la fiscalité, de la gestion de l’impôt, des concours du trésor public et du crédit à l’investissement. C’est pour cette raison que les collectivités locales n’arrivaient point à couvrir leurs dépenses en matière d’équipement et les moyens dont elles disposaient ne coïncidaient pas avec leurs ambitions et le rôle économique qui leur a été conféré[41].

      Par  la contractualisation, un nouvel outil d’organisation des compétences  déterminé par les structures institutionnelles et fait partie des normes de fonctionnement qui  encadrent la gestion financière. L’Etat va contribuer au financement des travaux d’investissement  dans le cadre des compétences partagées ou transférées aux collectivités territoriales.

      Ainsi, et dans un souci de préserver l’Equilibre budgétaire des collectivités territoriales en matière de compétences transférés, La constitution impose l’obligation d’accompagner tout transfert de compétences vers les régions et les autres collectivités territoriales, d’un transfert de ressources correspondantes.[42]Ainsi, comme l’avait déjà indiqué, M.EL YAGOUBI : « à moyen et à longue terme, la possibilité pour les collectivités territoriales d’exercer effectivement un certain nombre de compétences va changer la nature de leurs relations avec l’Etat. Avant le transfert de compétences, bien que les collectivités locales fussent théoriquement en mesure d’intervenir dès lors qu’il s’agissait « d’affaire locales », la modicité de leurs moyens associés à la réticence de l’Etat représentait un obstacle souvent déterminant. En composant financièrement les transferts de compétences, en attribuant de nouvelles ressources, l’Etat donne aux collectivités locales des raisons, des occasions et des moyens d’intervenir »[43].

      Sur un autre plan,  La liberté contractuelle dans le cadre des compétences propres    des collectivités dépend des moyens financiers qui leur sont reconnus et garantis. Le Conseil constitutionnel français a jugé en ce sens que les règles posées par la loi ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources globales des collectivités locales ou même de réduire la part des recettes fiscales dans ces ressources au point d’entraver leur libre administration. C’est ce qu’on pourrait observer à travers la lecture d’une décision du conseil constitutionnel dans laquelle il affirme que les collectivités doivent conserver la liberté d’utiliser leurs ressources, leur liberté de dépenser, si bien que les dépenses obligatoires prévues par le législateur doivent être définies ” avec précision quant à leur objet et à leur portée et ne sauraient méconnaître la compétence propre des collectivités territoriales ni entraver leur libre administration.[44] Par conséquent la volonté de contracter et de s’engager implique évidemment la liberté de faire mouvementer les ressources dont dispose chaque collectivité territoriale.

        Au Maroc, la question de la fixation des ressources est strictement réglée par des différents textes en laissant une marge d’intervention de la part des assemblées territoriales, aussi le contentieux de l’engagement matériel ou financier n’a jamais été posé entre l’Etat et les collectivités territoriales[45].

        L’article 71 de la constitution précise que seul le pouvoir législatif est compétent pour fixer le régime fiscal et l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impôts.[46]La dépendance aux subventions de celui-ci ne laisse plus l’espace à l’émergence d’un tel conflit et fait par conséquent entrave à la sainte libre administration. 

       A côté des atouts juridiques que portent ces textes,  le développement des ressources patrimoniales et financières des collectivités décentralisées impliquent, dans une large mesure, non seulement la mobilisation des ressources financières supplémentaires mais aussi et surtout, l’amélioration de leur gestion[47]en se référant à d’autres modalités d’exploitation tel que la contractualisation surtout avec l’Etat, ce qui permettrait de réussir une expansion économique du territoire, de dépasser ces problèmes et d’atteinte des objectifs majeurs du développement durable.

  • L’impact sur les charge

      Il est primordial  de souligner que le pouvoir de décider d’une dépense des collectivités territoriales est de la compétence de l’assemblée délibérante qui, l’exerce par le biais de son exécutif. L’acte qui consiste à décider de l’engagement la dépense locale se réalise à la “libre appréciation” de l’ordonnateur, à la suite du vote du budget, pour exécuter les dépenses inscrites et autorisées pour l’année.

        Les collectivités ont montré, depuis des années, qu’elles savaient maîtriser leurs dépenses de fonctionnement. Pourtant il faut dépasser la vision purement comptable et mécanique. Leurs missions de rendre service au public se sont accrues et développée, ceux qui nécessitent d’autre mode de gestion financière. Les contrats et les conventions, en l’occurrence.

       La contractualisation ouvre la porte à la diversité des acteurs et elle aboutit à la multiplication des financeurs  des politiques publiques. Ce procédé consiste à éclaircir les points de vue puis accorder les divergences au niveau de ces opinions par sa base  stratégique et ce pour réduire les risques de conflits. Les négociations entre acteurs locaux et acteurs centraux pour se lancer dans l’engagement financière est un atout important pour l’administration décentralisée. La négociation liée à la contractualisation appelle pour sa part « un portage commun des dossiers ». Elle engage donc le  rapprochement entre acteurs publics ne se connaissant pas ou s’évitant,[48]même la proximité avec les représentants du pouvoir central.

        Pour l’Etat, la contractualisation devient, par la même occasion, un moyen de transférer des compétences et donc un certain nombre de charges aux collectivités territoriales. De la participation à la co-élaboration, les collectivités territoriales ont connu, à travers le contrat, un réel rapprochement de l’Etat dans la responsabilité des politiques publiques[49] surtout au niveau de l’engagement des charges financières.

     Par contre et afin d’éviter le surcharge  susceptible de menacer  l’équilibre budgétaire des collectivités territoriales à l’occasion de l’engagement du budget de la collectivités par la  conclusion des conventions, le législateur a prévu plusieurs dispositions et mécanismes  certaines d’entre elles ont trait à la sincérité des recettes et des charges qui  se manifestent au cours de la préparation du budget. D’autres comme le contrôle sur les actes se font après la préparation du budget et sa présentation au visa.

        Dans le même ordre d’idées, le législateur et pour garantir l’exécution du principe de la sincérité a prévu des mécanismes en vue d’organiser les prévisions budgétaires notamment qui font l’objet de contrats et de conventions  sans que cela risque de mettre à la charge de la collectivité des dépenses dépassant les ressources d’une année budgétaire. D’abord,  Le législateur subordonne l’engagement des dépenses relatif aux actes y compris  les contrats et conventions  à la disponibilité des crédits budgétaires[50]. Il convient donc à l’assemblée de la collectivité de vérifier sa capacité contributive au cours des négociations pour  la signature  d’un contrat ou d’une convention de partenariat qui peut engager les finances de  la collectivité.    C’est pour cette raison que  la réalisation des ressources s’effectue  avant celle des dépenses.

         Ensuite  et contrairement à la programmation selon la  règle d’annualité budgétaire.  La prévision des dépenses de la collectivité généralement et  contractuelles selon la  programmation pluriannuelle présente des atouts majeurs pour la réalisation réelle des engagements financiers issus des contrats et conventions conclues par les collectivités territoriales. Les premières expériences contractuelles en France sont battues en brèche parce que le principe de l’annualité budgétaire leurs sont appliqué[51]. La solidité de ce principe peut entrainer soit le déséquilibre budgétaire de la collectivité territoriale soit la non-exécution des projets qui font objets des engagements contractuels.     

     Dans cette logique, les lois organiques des collectivités territoriales prévoient la programmation pluriannuelle d’équipement découlant de la programmation triennale, de surcroît, la programmation pluriannuelle peut faire l’objet d’autorisation de programmes établis sur la base des excédents prévisionnels[52].  

      Ensuite, et pour garantir l’exécution des engagements financiers selon une programmation pluriannuelles, les lois organiques prévoient que les conventions peuvent engager l’équilibre des budgets des années ultérieures[53].

       Ensuite,  Les lois organiques relatives aux collectivités territoriales  ont introduit dans leurs plis des dispositions qui vont encadrer la gestion financière de chaque collectivité territoriale et ont fait du visa l’outil de contrôle administratif. Dorénavant, ce procédé a pris place de la tutelle qui fait partie intégrante de la gestion décentralisée ancienne et les contrats passés par les unités territoriales vont y être soumis et ce par l’implication de chaque budget de celles-ci dans toute démarche contractuel.

     Ainsi le budget de la collectivité doit être établi sur la base d’une programmation triennale de l’ensemble des ressources et des charges des collectivités conformément à son plan d’action. Le budget de la collectivité, ainsi préparé, doit être accompagné, lors de sa soumission à l’examen de la commission du budget, des affaires  financières et de la programmation, par un ensemble de documents obligatoires  tels qu’un état relatif à la programmation triennale, un projet de performance pour l’année en question, un état portant les engagements financiers résultant des contrats et conventions signés par la collectivité.

     Ainsi, et afin de préserver l’équilibre budgétaire et pour l’encadrement de la gestion procédurale et financière de la collectivité territoriale,  à chaque rapport contractuel, le législateur fait appel à un procédé éminent. Ainsi pour tout projet de coopération, un budget ou un compte d’affectation spéciale de l’une des collectivités territoriales concernées sert de support budgétaire et comptable.

      Le budget n’est exécutoire qu’après visa du gouverneur de la préfecture ou de la province. Celui-ci peut refuser d’opposer son visa sur le budget si le contrôle relève le manque de respect des dispositions de lois organiques relatives aux collectivités territoriales, et des lois et règlements en vigueur, ou si l’équilibre du budget sur la base de la sincérité des prévisions de recette de la dépense n’est pas observé ou enfin si les dépenses obligatoires n’y sont pas inscrites. 


[1] El yaagoobi (M), « contractualisation et décentralisation au Maroc », in  réflexions sur la démocratie locale au Maroc, Al Maarif Al Jadida, 2007, p. 389.

[2] Pontier (J-M), le contrat de plan entre l’Etat et les régions, presse universitaire de France, 1ère  édition, 1998, p. 17  

[3] Ibid., p.17.

[4] Ibid, p.18.

[5] Cette expression fait allusion romaine qui, en 321 J.C fut cernés dans un défilée appelés les fourches caudines ou Furcae Caudinae ( par l’armée Samnite dont le chef obligea les soldats romaines à passer, courbés et les mains liées dans le dos, sous un jouge formé de fourche et lances dressées par les vainqueurs.

[6]Gérard (M), « Les instruments contractuels de l’aménagement du territoire dans les relations entre les collectivités publiques », p. 371-383 in « Le renouveau de l’aménagement en France et en Europe / sous la direction de Hervé Groud, Jean-Claude Némery »,  Paris : Economica, 1994, n°706.

[7] El yaagoobi (M), « contractualisation et décentralisation au Maroc », précité, p. 389.

[8] La Commission consultative de la régionalisation (CCR) a été instituée par le roi Mohammed VI le 3 janvier 2010 afin de proposer une conception générale de la régionalisation avancée en gardant à l’esprit toutes les dimensions y afférentes, ainsi que le rôle qui revient aux institutions constitutionnelles compétentes dans sa mise en œuvre. Cette mission a été menée par Omar Azziman.

[9]  El Yaagoubi (M), « La régionalisation avancée à la lumière du rapport de la commission consultative ». REMALD. Collections thèmes actuels n° 93, 2015, p.51

[10] Article 140 de la constitution

[11] Article 141 de la constitution

[12]  Zair (T), «  le principe de libre administration des collectivités territoriales », REMALD « thèmes actuels », n° 93, 2015, p.131

[13] El yaâgoubi (M), « décentralisation et contractualisation », in « réflexions sur la démocratie locale aux Maroc », Al Maârif Al Jadida, 2007, p.  

[14] Article 78 de la loi organique sur les communes, article 83 de la loi organique sur les régions.

[15]FAVOREU (L), « Libre administration et principes constitutionnels », in libre administration des collectivités locales, Economica, Paris, 1984, p.69.

[16] Ibid, p.69.

[17]Article 77 de la loi organique  113-14 relative à  la commune.

[18] Article 78 de la loi organique  n° 112-14 relatif aux provinces et préfectures. 

[19] Article 80 de la loi organique n° 111-14 relatif à la région.

[20] El yaâgoubi (M), « décentralisation et contractualisation », in « réflexions sur la démocratie locale aux Maroc », Al Maarif Al Jadida, 2007, p.384.  

[21] L’article 136 de la constitution marocaine de 2011 dispose : « « L’organisation régionale et territoriale repose sur les principes de libre administration, de coopération, de solidarité »

[22] FAVOREU Louis : « Libre administration et principes constitutionnels », in libre administration des collectivités locales, Economica, Paris, 1984, p.69.

[23]Article 77 de la loi organique  113-14 relative à  la commune.

[24] Article 78 de la loi organique  n° 112-14 relatif aux provinces et préfectures. 

[25] Article 80 de la loi organique n° 111-14 relatif à la région.

[26] Voir : l’article 82 de la loi organique n : 111-14  relative à l’organisation régionale ; L’article 94 de la loi organique n : 112-14  relative à l’organisation préfectorale et provinciale; l’article 86 de la loi organique n : 113-14 relative à l’organisation communale.

[27]   Meyer (L),  «  Collectivités territoriales – Intercommunalité », 2003, n° 11, novembre, Chronique, n° 14, p. 5

[28]L’article 88, article 87 et article 92 respectivement de la loi organique  113-14 relative à l’organisation communale; loi organique 112-14  relative à l’organisation préfectorale et provinciale; de la loi organique  111-14  relative à la région

[29] L’article 89, article 88 et article 93 respectivement de la loi organique  113-14 relative à la commune ; loi organique  112-14  relative à la  préfecture  et province; de la loi organique 111-14  relative à la région.

[30]Article 87 de la loi organique n 113-14 relative à la commune

[31]Article 86 de la loi organique n 112-14 relative aux préfectures et aux  provinces.

[32]Article 91 de la loi organique n : 111-14  relative à l’organisation régionale 

[33] Poulet-Gibot Leclerc (N), la contractualisation des relations entre les personnes publiques Revue française de droit administratif Dalloz mai-juin 1999  p: 554

 

[35]  Paragraphe 4 del’ Article 146 de la constitution de 2011.

[36] Voir l’article 90 de la loi organique n 113-14 relative à l’organisation communale

[37]Voir l’article 89 de la loi organique n 112-14 relative à l’organisation provinciale et préfectorale

[38]La loi organique n 111-14 relative à l’organisation régionale

[39] HUGLO (B), La contractualisation des relations entre l’Etat et les collectivités territoriales, Thèse de doctorat en droit public soutenue en  2014 à Université Panthéon-Assas de  (Paris II), p. 408

[40]Art. 144, 146 et 154 respectivement des lois organiques 111-14, 112-14 et113-14

[41] El Mouchtary (M), «  le rôle des collectivisées locales dans le développement économiques et sociales au Maroc », Remald, “thèmes actuels”   , n° 24, 1ere édition, 2000.p 124.

[42]Art. 141. De la constitution marocaine de 2011

[43] El yaâgoubi (M), contractualisation et décentralisation, précité, p.398-390.

[44]Conseil constitutionnel français : décision. nº 90-274 DC du 29 mai 1990.

[45] Certes, il n y a pas d’impôt local idéal. Les problèmes posés par la fiscalité locale sont plus complexes que ceux posés par la fiscalité nationale. La complexité est inhérente à l’économie locale, aux acteurs intervenant dans la vie locale, à la nature de l’Etat. Un impôt local idéal n’existe pas.

[46]Le principe de l’exclusivité de la compétence du législateur en matière de création d’impôts nationaux et locaux a été défendu par certains auteurs sur le fondement de l’article 14 de la déclaration de 1789 : « Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la qualité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».

[47] Ouhajjou (A), « les  finances locales  », P.43.

[48]BOUTET (A), précité, P.146

[49]Ibid. P. 149

[50] Article 153 de la loi organique  relative aux provinces, article 161 de la loi organique relative aux communes, 174 de la loi organique relative aux régions.

[51] De Montricher (N), le contrat comme instrument de politique publique : les cas des contrats de plan Etat- région, SLD de d’Yvonne Fortine, in la contractualisation dans le secteur public dans les pays industrialisés depuis 1980, l’Harmattan, 1999, p.269. 

[52] Article 163 de la loi organique relative à la commune, article 155 de la loi organique relative à la province et à la préfecture,  article 176 de la loi organique relative à la région 

[53] Article  162 de la loi organique relative aux communes,  article 145 de la loi organique relative aux  provinces et  préfectures,  article 175 de la loi organique relative aux régions.

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