Dynamique des prix immobiliers résidentiels au Maroc : bulle spéculative ou autre phénomène ?
Housing prices dynamic in Morocco: bubble or other phenomenon?
CHAFIK Omar
Etudiant chercheur
Faculté des Sciences Juridiques,
Economiques et Sociales de Salé
Université Mohamed V
Résumé : Le Maroc a connu probablement une bulle immobilière au niveau du marché résidentiel au cours de la dernière décennie (2004/2013). Cette bulle a été alimentée par la disponibilité du crédit à l’habitat qui a entretenu un mouvement spéculatif en facilitant le financement des acquisitions de logements. L’euphorie a continué jusqu’à la fin de 2009 lorsque les banques ont déclenché l’éclatement de la bulle en resserrant les conditions de financement de l’offre immobilière (crédit promoteurs immobiliers). Heureusement, ce resserrement n’a pas touché la demande (crédit à l’habitat), ce qui a permis, grâce aux « réserves » de ménages toujours solvables et désirant acquérir un logement, d’absorber le surinvestissement et, en conséquence, de stabiliser le marché. Seulement, il semble que ces « réserves » sont en train de s’épuiser, et plus rapidement que le stock des maisons invendues, comme en atteste la baisse du taux de croissance du crédit à l’habitat, et les difficultés financières des promoteurs immobiliers. Paradoxalement, les estimations des autorités marocaines dévoilent un déficit important en termes de logement. Cette situation est typique d’une crise puisque même s’il y a une offre et une volonté de vendre, et une demande et une volonté d’acheter, il n’y a pas d’échange.
Mot clés : Marché immobilier résidentiel ; Bulle spéculative ; Offre de logement ; Demande de logement ; Crédit.
Abstract: Morocco has probably experienced a real estate bubble in the housing market during the past decade (2004/2013). This bubble was fueled by the availability of housing loans that has maintained a speculative movement by facilitating the financing of housing acquisitions. The euphoria continued until late of 2009 when banks triggered the bursting of the bubble by tightening financing conditions of the real estate supply (Real estate developer loans). Fortunately, this tightening has not affected the demand (housing loans), which allowed, thanks to ‘reserves’ of creditworthy households wishing to acquire a house, to absorb over-investment and stabilize the market. However, it seems that these ‘reserves’ are being depleted, and faster than the stock of unsold houses. Paradoxically, the estimates of the Moroccan authorities reveal a significant deficit in terms of housing. This is typical of a crisis because even if there is a supply and a willingness to sell, and a request and a willingness to buy, there is no exchange.
Key words: Housing market, Speculative bubble, Housing supply, Housing demand, Credit.
1. Introduction
Une bulle spéculative peut être définit comme un écart important et persistant du prix d’un actif par rapport à sa valeur fondamentale (Coudert & Verhille, 2001)[1]. Cette situation est généralement suivie par un renversement des attentes et une forte diminution des prix, entrainant souvent une crise financière (Kindleberger, 1987).
Au Maroc, les prix des actifs immobiliers résidentiels ont affiché une dynamique particulière au cours de la dernière décennie (2004/2013). En effet, l’analyse de l’évolution de l’indice des prix des actifs immobiliers résidentiels (IPAI Résidentiel)[2] dévoile que le prix de ces actifs a connu une série d’augmentations importantes au cours de la période 2007-2009, avant de subir une correction qui reste significative en 2010. En moyenne, la croissance de l’IPAI résidentiel a été aux à l’entour de 1,5% entre 2004 et 2013. Ainsi, le fait d’observer des taux de croissance qui avoisinent les 12% et les 14% à certains trimestres pousse à se demander : es ce qu’il n’est pas possible qu’une bulle spéculative en soit responsable ?
Figure 1 : IPAI Résidentiel en glissement annuel entre 2004 et 2013
(Source données : ANCFCC & BAM)
L’approche de travail adoptée au niveau de cet article pour répondre à cette question consiste à combiner un test statistique de détection de bulles avec un modèle de régression. En effet, pour vérifier si le marché immobilier résidentiel marocain a connu bulle spéculative entre 2004 et 2013, nous avons adopté une approche de travail qui passe par deux grandes étapes. La première étape consiste à appliquer la méthode statistique de Phillips, Wu et Yu (2011) sur la série de l’IPAI résidentiel. Cette première étape nous a permis d’identifier les bulles potentielles et d’estimer leurs dates de début et de fin. Cependant, cette méthode reste une méthode statistique, et donc malgré la force dont elle a fait preuve au niveau des travaux empiriques, elle reste faible en termes d’explication. Pour cette raison, ce travail fait appel à la modélisation économétrique pour tenir compte des fondamentaux du marché dans la deuxième étape. Cela a permis d’abord de soutenir les résultats de la méthode PWY, puis il a permis de formuler une explication de la dynamique des prix immobiliers résidentiels durant la période 2004-2013.
L’article est organisé comme suit: la section 2 donne un résumé d’un vaste corpus de la littérature sur les approches de détection de bulles. La section 3 présente les différents aspects relatifs à l’approche adoptée au niveau de ce travail. Tandis que la section 4 présente les résultats obtenus et la section 5 présente une discussion de ces résultats.
2. Revue de la littérature
La littérature économique propose une multitude de travaux qui traitent de la question de la détection des bulles. Principalement, on distingue entre deux grandes catégories de méthodes : méthodes statistiques et méthodes économétriques. La première catégorie teste l’hypothèse nulle d’absence de bulle en se basant sur certaines propriétés statistiques des séries. Tandis que la seconde catégorie analyse la présence de bulle selon une vision macroéconomique basée sur les fondamentaux du marché immobilier.
La recherche sur l’identification des bulles était principalement orientée vers les méthodes statistiques au départ. Shiller, LeRoy et Porter (1981) sont parmi les premiers auteurs qui ont proposé un test pour la détection de ce phénomène. L’idée principale était de définir une limite de variance du prix fondamental, une fois dépassé la cause serait probablement une bulle. West (1986) développera un nouveau test appelé « West’s two-step test ». L’innovation de ce dernier était la distinction entre la présence d’une bulle et la mal spécification du modèle du prix[3]. Cependant, ces tests n’ont pas donné des résultats satisfaisants ce qui a poussé Diba et Grosman (1987, 1988) à proposer une nouvelle méthode. Leur idée consiste à étudier la relation de Co-intégration entre la série des prix réel et les dividendes. Mais encore une fois, Evans (1991) avait démontré que les tests basés sur l’étude de Co-intégration ne peuvent pas détecter les bulles à effondrement périodique puisqu’ils les assimilent à des processus stationnaires. L’intervention d’Evans a beaucoup impacté la littérature sur la détection des bulles en motivant plusieurs auteurs à proposer des alternatives qui puissent répondre à sa critique[4]. D’une part, certains auteurs ont proposé de traiter l’expansion et la contraction des bulles comme le résultat de deux régimes distincts («regime switching model’s »)[5]. Tandis que d’autres auteurs comme Phillips, Wu et Yu (2011), Katja Taipalus (2012) ou Phillip, Shi et Yu (2012) se sont orientés vers des méthodes reposant sur la détection du caractère explosif des prix durant les périodes de bulles.
Parallèlement à ces dernières évolutions, des chercheurs ont tenté d’analyser des périodes de bulles par des méthodes économétriques reposant sur les fondamentaux des prix des actifs. Grossmann-Wirth et al. (2010) avaient analysés l’évolution de la bulle immobilière américaine grâce à un modèle économétrique. Ils avaient conclu que la hausse des prix est survenue conjointement avec une forte augmentation du volume de crédit octroyé. Dans une autre étude concernant la France, Antipa et Lecat (2013) ont essayé de modéliser le phénomène de bulle immobilière du marché résidentiel à l’aide d’un modèle structurel. Cette étude vise à déterminer si la dynamique des prix observée est expliquée par les facteurs économiques et démographiques fondamentaux, ou bien le résultat d’une bulle spéculative. Leur modèle, inspiré du « stock-flow model » de DiPasquale et Wheaton (1994), les a permis de calculer un prix d’équilibre qu’ils ont comparé avec le prix réel observé. La conclusion principale qu’ils ont tirée est que la hausse des prix pendant les années 2000 s’explique par l’augmentation de la capacité d’achat des ménages suite à l’allongement de la durée des prêts immobiliers octroyés à ces derniers.
3. Une approche combinée pour l’identification des bulles immobilières
Dans ce travail, une approche combinée est proposée pour vérifier l’existence d’une bulle sur le marché des actifs immobiliers résidentiels au Maroc. Cette approche passe par deux étapes. La première étape consiste à appliquer la méthode statistique de Phillips, Wu et Yu (2011) sur la série de l’IPAI résidentiel. Tandis que la seconde étape fait appel à la modélisation économétrique pour tenir compte des fondamentaux du marché. Le passage par cette deuxième étape trouve sa nécessité dans la définition même d’une bulle spéculative. En effet, les méthodes statistiques restent faibles en termes d’explication, et pourrait même conduire à des conclusions erronées. Par exemple, un mouvement explosif dans la série du prix des maisons ne signifie pas systématiquement une bulle. Il pourrait être dû à une forte pression de la demande suite à une augmentation importante du revenu des ménages désirant s’approprier un logement.
3.1 Test statistique de Phillips, Wu et Yu (2011)
La méthode PWY est l’une des méthodes les plus récentes d’identification des bulles spéculatives. Cette méthode repose sur le caractère explosif des prix durant les périodes de bulles afin de détecter la présence d’une bulle dans un marché et de déterminer sa date d’apparition ainsi que sa date d’effondrement.
Au niveau de l’application de la méthode PWY, les séries sont supposées suivre un processus autorégressif d’ordre,
Où représentent la valeur de la série à l’instant t et des variables aléatoires indépendantes et identiquement distribuées selon une loi normale.
Le caractère explosive des prix est alors détecté à l’aide du test « Sup ADF », qui n’est autre qu’un test ADF (Augmented Dickey-Fuller) pour la racine unitaire mais contre l’alternative d’une racine explosive (H0 : δ=1 vs H1 : δ>1)[6]. L’hypothèse H0 correspond à une absence d’explosivité dans les prix, et donc H0 correspond à l’absence de bulles dans le marché correspondant. Et l’hypothèse alternative H1 correspond à une explosivité des prix, et donc H1 correspond à l’existence de bulles dans le marché :
La méthode PWY repose sur des régressions récursives qui permette d’augmenter à fur est mesure la taille de l’échantillon à partir d’un échantillon initiale fixé par l’utilisateur. Ceci permet de déterminer la date d’apparition et la date d’effondrement de la bulle. Cette méthode constitue un outil simple pour détecter les bulles spéculatives, mais c’est un outil très puissant comme cela a été montré théoriquement et empiriquement dans le travail de Phillips, Wu et Yu (2011) et dans d’autres travaux. Cette méthode a aussi détecté les bulles à effondrement périodiques du modèle d’Evans (1991), la chose que tous les tests standards ont échouée à faire.
Toutefois cette méthode souffre de quelques limites. D’abord le fait de se baser sur l’explosivité seulement pour juger l’existence de bulle, puisqu’il se peut que le comportement explosive des prix soit expliqué en totalité par des changements dans les fondamentaux. La seconde limite de cette méthode est son incapacité de détecter plusieurs bulles dans une série au cas où elles existent (Phillips, Shi et Yu, 2012).
3.2 Modèle économétrique du prix des actifs résidentiels
L’analyse des périodes de bulles immobilières par des méthodes économétriques revient au fait à une analyse des déterminants fondamentaux du prix. Or, la littérature économique affiche une divergence à ce niveau : revenu, disponibilité du foncier, vieillissement de la population, état matrimonial, rigidité de l’offre, globalisation, …[7]. D’abord, une distinction est à faire entre facteurs d’offre et facteurs de demande. D’un autre côté, les facteurs d’offre sont principalement en lien avec la marge des promoteurs. Tandis que les déterminants de la demande dépendent surtout du facteur démographique et de la situation économique des ménages.
Au niveau de ce travail, nous avons tenté d’estimer une régression qui lie les variations du prix des actifs résidentiels au Maroc avec des déterminants de l’offre et de la demande. Pour le vecteur des variables explicatives potentielles, nous avons choisie l’IPAI foncier et l’indice des sociétés immobilières à la bourse. Alors que pour la demande nous avons choisi le revenu national brut disponible, le crédit à l’habitat et le chômage[8].
Du côté de l’offre, une corrélation positive est attendue entre le prix du foncier et le prix de logement, contre une corrélation négative pour l’indice des sociétés immobilières à la bourse. En effet, le foncier est le principal déterminant du cout de production du logement. Par conséquent, si le prix du foncier augmente alors le cout de production d’un logement augmente et des pressions à la hausse seront exercées sur le prix. Par contre, si l’indice des sociétés immobilières à la bourse affiche une amélioration alors les conditions de financement comme la rentabilité des promoteurs s’améliorent exerçants ainsi des pressions à la baisse sur le prix des logements. Pour la demande, une corrélation positive est attendue entre le revenu des ménages et le prix de logement. Le revenu national brut disponible peut être utilisé comme une approximation en absence de cette variable. Concernant la relation qui lie le reste des variables avec le prix de logement, nous nous attendant qu’elle soit positive pour le crédit à l’habitat et négative pour le chômage. En effet, la première variable renseigne sur les conditions de financement alors que la seconde renseigne sur les perspectives futures. Plus les ménages arrivent à disposer d’un financement, plus cela génèrent des pressions haussières sur les prix. Tandis que plus les perspectives futurs se détériorent, moins les prix sans sous pressions. Par ailleurs, nous estimons que certaines variables doivent avoir un certain nombre de retard étant donnée le temps nécessaire pour la construction d’un logement. Par exemple, l’effet direct d’une hausse du prix du foncier sur le prix de logement n’apprêtera qu’après quelques trimestres.
3.3 Description des données
L’ensemble des données utilisées au niveau de ce travail sont trimestrielles s’étendant du début de 2003 jusqu’à la fin de 2013. Pour le test PWY, la seule variable utilisée est l’indice des prix immobiliers résidentiels. Cet indice rapporte l’évolution moyenne du prix des actifs résidentiels au niveau des principales villes du Maroc. Il se base sur les prix déclarés après deux ventes successives d’un même bien. Pour le modèle de prix, la variable expliquée et les 5 variables explicatives candidates sont en glissement annuel[9]. L’indice des prix foncier est calculé de la même façon que l’indice des prix immobiliers résidentiels. Tandis que l’indice des sociétés immobilières est la moyenne trimestrielle des valeurs journalières publiées par la bourse de Casablanca. Concernant le revenu national brut disponible, il est calculé comme étant le PIB ajusté du solde net des revenus et des transferts avec le reste du monde. Etant donné que l’analyse s’intéresse au prix de marché, cette variable a été introduite en valeur. De même pour le crédit à l’habitat qui représente l’encours global du crédit accordé aux ménages pour l’acquisition d’un logement.
Tableau 1 : Source de données
Variable | Abréviation | Source[10] |
Indice des prix des actifs immobiliers résidentiels | IPAI_R | BAM |
Indice des prix des actifs fonciers | IPAI_F | BAM |
Indice Sectoriel Immobilier sur le marché financier | ISI | Bourse Casablanca |
Crédit pour l’habitat | Credit_Hab | BAM |
Revenu National Brut Disponible | RNBD | HCP |
Taux de Chômage | TC | HCP |
4. Résultats
4.1 Résultat du test de Phillips, Wu et Yu (2011)
Après avoir vérifié que la série de l’IPAI résidentiel est intégrée d’ordre 1 et que les résidus sont normaux, nous avons choisi un échantillon initial de 11 observations, donc du 1er trimestre de 2003 au 3ème trimestre de 2005[11]. L’implémentation du test a donné les résultats suivants :
Tableau 2 : Résultat test PWY (2011)
Statistique SADF | Valeur critique au seuil de 95% |
1,7048 | 0,5199 |
Ces résultats indiquent qu’au seuil de 95%, l’hypothèse H0 d’absence de bulles est rejetée contre l’alternative H1 d’existence de bulles. Donc, selon la méthode PWY, le marché des actifs immobiliers résidentiels marocain a connu une bulle spéculative durant la période 2003-2013.
Figure 2 : Identification des périodes de bulles sur le marché des actifs immobiliers résidentiels marocain entre 2003 et 2013 au seuil de 95%
Source : Auteur
Le graphique montre donc que le marché des actifs immobiliers résidentiels au Maroc a connu deux périodes où les prix ont affiché une forte explosivité entre 2003 et 2013. Le pic de la première période correspond au dernier trimestre de 2007 où les prix ont augmenté de 14% en glissement annuel. Tandis que le pic de la seconde période correspond au 1er trimestre de 2009 où les prix ont augmenté de plus 11%. Ainsi, la date de la formation de la bulle correspond éventuellement à la période 2007-2009.
4.2 Résultat de la modélisation
Cette section présente les résultats de l’estimation d’un modèle de prix des actifs immobiliers résidentiels au Maroc. Ces résultats sont obtenus en appliquant la méthode MCO, et montrent deux spécifications différentes. La première spécification incorpore l’ensemble des variables explicatives candidates. Tandis que la seconde garde seulement celles qui ont affiché un degré de signification supérieur à 5%. Le tableau 3 montre les paramètres estimés pour chaque spécification avec les erreurs standards entre parenthèses.
Tableau 3 : Estimation des paramètres du modèle de prix des actifs immobiliers résidentiels au Maroc
Coefficient | ||
Variables explicatives | Spécification 1 | Spécification 2 |
Indice des prix des actifs fonciers (-1) | 0.8188*** (0.1166) | 0.7786*** (0.1085) |
Indice Sectoriel Immobilier sur le marché financier | -0.0003 (0.0094) | — |
Revenu National Brut Disponible | 0.1620 (0.2246) | — |
Crédit pour l’habitat | 0.5604*** (0.1487) | 0.5877*** (0.0925) |
Taux de Chômage | -0.0096 (0.0607) | — |
Persistance (-3) | -0.2482* (0.1426) | — |
Constante | -0.0917*** (0.0209) | -0.0898*** (0.0165) |
R2-ajusté | 0.58 | 0.58 |
* coefficient significatif au seuil de 10%, ** coefficient significatif au seuil de 5%, *** coefficient significatif au seuil de 1% |
Les résultats de l’estimation dévoilent que le prix du foncier et le crédit à l’habitat sont les seules parmi les variables explicatives candidates qui expliquent significativement l’évolution du prix des actifs immobiliers résidentiels. De plus, le pouvoir explicatif de la deuxième spécification est le même que celui de la première. Montrant ainsi que ces deux variables sont à elles seules capables d’expliquer presque 60% du mouvement des prix, et que l’ajout des autres variables n’est pas susceptible d’améliorer l’explication. Evidemment, le modèle proposé est loin d’expliquer l’intégralité de la dynamique. Par exemple, le modèle ne permet pas de capter directement l’effet du facteur démographique ou celui de l’avènement de la crise financière internationale sans oublié celui des différents programmes et politiques publics (comme le programme des villes nouvelles, ou la politique d’exonération et de récupération des taxes). Mais le plus important est que le modèle met en évidence le rôle capital du crédit dans la hausse des prix des actifs immobiliers résidentiels au Maroc.
5. Analyse des résultats et discussion
Ce dernier résultat rejoint la conclusion d’un ensemble de travaux qui ont étudié la formation des bulles immobilières. Notamment, le travail de Grossmann-Wirth, Rivaud et Sorbe (2010) qui montrent que l’accroissement de l’endettement des ménages est parmi les causes principales de la hausse non « fondamentale » des prix de l’immobilier aux Etats-Unis à la veille de la crise[12]. Ainsi que l’analyse de Le Goff (2002) qui avance que l’octroi de crédits hypothécaires entretient la formation des bulles immobilières d’une façon indirecte en procurant aux acheteurs potentiels des moyens de financement.
Au Maroc, la période 2003-2008 connaissait en effet une amélioration des perspectives économiques et une hausse du pouvoir d’achat. Ces conditions ont favorisé l’investissement immobilier des ménages ce qui a causé une augmentation de la demande. L’offre étant plus rigide à court terme, puisqu’il faut du temps pour construire de nouveaux logements, alors les prix ont augmenté. Cette augmentation des prix a éventuellement entrainée un mouvement spéculatif comme le montre la dynamique explosive du prix des actifs résidentiels (Figure 2). Cependant, c’est la disponibilité du crédit à l’habitat qui a entretenu ce mouvement spéculatif en facilitant le financement des acquisitions de logements. Ainsi, tant que les spéculateurs avaient la possibilité de trouver des acheteurs prêts à payer des prix élevés, alors ils n’avaient pas intérêt à baisser la barre des prix.
En effet, le Maroc a connu une évolution du volume du crédit à l’habitat de presque 20% en moyenne annuelle entre 2003 et 2013 alors que volume globale du crédit bancaire a enregistré une évolution moyenne de 11% durant la même période. Vers la fin de 2013, l’encours global du crédit à l’habitat a été de l’ordre de 160 009 MDH pour un volume global de crédit bancaire de l’ordre 744 242 MDH, soit un taux de contribution du crédit à l’habitat dans le crédit bancaire de l’ordre de 21%. Plusieurs facteurs sont derrière cet accroissement important du crédit à l’habitat. D’une façon générale, lors des périodes de stabilité et de reprise économique, l’aversion au risque diminue et les banques accordent de plus en plus de crédits comme en atteste la théorie du cycle de crédit de Minsky (1964). Cependant, nous estimons que le facteur principal qui a motivé les banques à miser davantage sur le crédit à l’habitat est l’absence d’un autre secteur porteur capable de réaliser un rendement similaire tout en présentant les mêmes garanties. L’Etat a favorisé davantage cette orientation en instaurant un ensemble de mesures fiscales pour soutenir l’accès à la propriété à travers l’endettement (comme la mise en place des fonds de garantie pour les crédits habitats à partir de 2003 : Fogarim, Fogaloge, Fogalef, …).
Ainsi le Maroc a vraisemblablement connu la formation d’une bulle spéculative au niveau de son marché des actifs immobiliers résidentiels au cours de la dernière décennie. Cette bulle a été principalement alimentée par la disponibilité du crédit à l’habitat et la cherté du foncier. Mais si un ensemble de faits permet d’affirmer cette conclusion, alors il n’est pas aussi évident de dire si la bulle à éclater ou non. Lorsque la réponse avancée est oui, alors il faut expliquer pourquoi les prix ne sont pas revenus à leur niveau d’avant la bulle comme c’était le cas aux Etats-Unis ? Par contre si la réponse avancée est non, alors le défi est d’expliquer les faillites et les plans de restructuration mis en œuvre par les promoteurs immobiliers, même certains majors du marché ?
En effet, pour que la bulle commence à éclater, il faut à la fois une prise de conscience par les acteurs concernés que les prix sont probablement surévalués, et un événement déclencheur de l’éclatement. Cet évènement pour la dernière bulle immobilière aux Etats-Unis était le ralentissement du relâchement des conditions de crédit qui était en cours depuis plusieurs années. D’abord, par une légère remontée des taux longs au cours de l’année 2005. Puis le plafonnement de la part des prêts subprime dans l’ensemble des prêts à partir de 2006. Ainsi, un facteur capital de soutien de la demande adressé au marché immobilier lui a été enlevé. Au départ, la vitesse et l’ampleur de la correction à venir étaient clairement sous-estimées. Mais une fois les anticipations à la baisse ont été bien ancrée et qu’une correction était à attendre, les prix ont chuté. Les interactions avec la sphère financière ont alors accentué l’ampleur de la crise, à travers un accélérateur financier qui a nettement joué en faveur d’une correction plus rapide que prévu.
Au Maroc, la bulle a probablement éclaté vers la fin de 2009 comme en atteste la série des baisses du prix au niveau du marché immobilier résidentiel entre fin 2009 et début 2010 (Figure 1). En effet, une fois le sentiment d’une surévaluation s’est installé, la banque centrale marocaine a entrepris un ensemble de mesures pour limiter l’exposition des banques face au risque d’une bulle immobilière. D’abord en demandant une augmentation des fonds propres des banques en 2008, puis en publiant un indice des prix immobiliers et finalement en exigeant des reportings réguliers sur l’avancement opérationnel des projets immobiliers. Ces actions ont permis d’attirer l’attention des banques marocaines au surinvestissement que connaissait le marché immobilier en ce moment. Chose qui les a poussés à resserrer les conditions de financement de l’offre immobilière (crédit promoteurs immobiliers) dès la fin de 2009. La figure 3 montre comment la croissance des crédits aux promoteurs immobiliers est passée de 58% en 2008 à 1% en 2010 et -6% en 2014. Cette réaction des banques était l’évènement qui a déclenché l’éclatement de la bulle au Maroc. Le mouvement baissier des prix a duré une année avec un pic de -10% au premier trimestre de 2010. Par rapport à l’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis qui a duré presque cinq ans[13], celui de la bulle marocaine a été largement moins persistent : dès le troisième trimestre de 2010, les prix de l’immobilier résidentiel ont commencé à se stabiliser[14] (Figure 1). Certainement, la profondeur du marché financier marocain reste très limitée par rapport à celle des Etats-Unis. Sans oublier la dominance du taux constant au Maroc et le régime de change fixe avec un contrôle des entrées et sorties de capitaux. Tous ces facteurs ont joué en faveur d’un atterrissage beaucoup plus en douceur au Maroc qu’aux Etats-Unis. Néanmoins, nous estimons que le principal facteur reste le fait que les banques ont continué d’octroyer des crédits à la demande : le crédit à l’habitat a continué de réaliser une croissance à deux chiffres jusqu’en 2012 (figure 3). Cette conduite des banques a permis, évidemment grâce aux « réserves » de ménages toujours solvables et désirant acquérir un logement, d’absorber le surinvestissement et, en conséquence, de stabiliser le marché immobilier résidentiel.
Figure 3 : Evolution du crédit immobilier au Maroc entre 2008 et 2014
Source de données : BAM
Seulement, il semble que ces « réserves de ménages » solvables sont en train de s’épuiser, et plus rapidement que le stock de maisons invendues. La baisse du taux de croissance du crédit à l’habitat de 13% en 2010 à 6% en 2013 et 2014, et les difficultés financières des promoteurs immobiliers en attestent. En effet, ces derniers n’arrivent pas à liquider leurs stocks de maisons, et par conséquent ne trouvent pas assez de liquidité pour honorer leurs engagements. Cela expliquer les faillites et les plans de restructuration mis en œuvre par les promoteurs immobiliers dernièrement, même certains majors du marché. Pourtant, les estimations des autorités marocaines dévoilent un déficit important en termes de logement[15]. En d’autres termes, même s’il y a une offre et une volonté de vendre, et une demande et une volonté d’acheter, il n’y a pas d’échange.
6. Conclusion
Ainsi la dynamique particulière des prix au niveau du marché immobilier marocain au cours de la dernière décennie (2004/2014) est le résultat d’une bulle spéculative. En effet l’amélioration des perspectives économiques et la hausse du pouvoir d’achat ont favorisé l’investissement immobilier des ménages. Devant la rigidité de l’offre immobilière, puisqu’il faut du temps pour construire de nouveaux logements, les prix ont augmenté, ce qui a éventuellement entrainée un mouvement de spéculation. La disponibilité du crédit à l’habitat a entretenu ce mouvement en facilitant le financement des acquisitions de logements et, tant qu’il y’avaient la possibilité de trouver des acheteurs prêts à payer des prix élevés, les spéculateurs n’avaient pas intérêt à baisser la barre des prix.
L’éclatement de la bulle, qui a été déclenché par les banques, a engendré un mouvement baissier des prix qui a duré toute une année avant que le marché se stabilise. Principalement, grâce à la disponibilité d’une demande solvable que les banques ont continué de financer. Cependant, la baisse du taux de croissance du crédit à l’habitat et les difficultés financières des promoteurs immobiliers laissent croire que cette demande en train de s’affaiblir, et plus rapidement que le stock des maisons invendues. Cette situation aurait été effectivement expliquée par la baisse du nombre de ménages désirant acquérir un logement si les estimations des autorités marocaines n’avaient pas dévoilé le contraire. Par conséquent, soit cette situation est le résultat d’un resserrement de l’offre de crédit de la part des banques. Soit elle est le résultat de l’importance du prix des logements par rapport au revenu des ménages, qui ne leur permet pas d’accéder à la propriété même par crédit.
La réponse à cette question est primordiale pour pouvoir penser à des mécanismes adaptés capables de servir la demande qui reste, et surmonter cette situation typique d’une crise. Puisqu’en absence de mesures de la part des acteurs du marché immobilier (Etat, banques et promoteurs), cette situation ne pourra finir que par une correction importante des prix, qui entrainera des faillites en masse des sociétés actives dans l’immobilier. Un développement dans ce sens pourra entrainer des effets néfastes pour l’économie vu l’importante de l’immobilier dans l’actif de l’ensemble des agents. Ce scénario reste fort probable vu l’atonie de l’activité et le manque de rigueur qui caractérise la croissance économique depuis plusieurs années.
LE MANAGEMENT EMOTIONNEL OU COMMENT CRÉER
DES LIENS AFFECTIFS QUI RENFORCENT L’EFFICACITÉ
Joel MOULHADE Docteur en gestion Professeur Skema business School (2018) Maître de conférences à l’Université du Littoral (2014) Prix « stylo d’or de la chambre de commerce et d’industrie de Paris » (2004) | SHAAT Ashraf Docteur en droit, ancien Doyen de la faculté de droit de Dubaï Professeur a l universite de Zaid-dubai |
Résumé
Cet article, présente un tour d’horizon sur le développement actuel du concept d’intelligence émotionnelle de l’environnement et de la gestion des hommes dans le contexte particulier des maisons de repos.
Si la notion de management doit être précisé, il est important de la resituer dans ce cadre où les parties prenantes possèdent des caractéristiques bien établies.
Dans un premier temps, nous rappelons brièvement les différentes notions utilisées à savoir les différentes composantes du management, de l’intelligence émotionnelle et des émotions.
Dans un deuxième temps, nous présentons les différents modèles élaborés par les chercheurs sur le management émotionnel et ses composantes.
Enfin, nous analysons les différentes émotions, les méthodes et les outils opérationnels utilisés pour les reconnaître et les mettre en œuvre dans le management émotionnel.
Pour aborder le sujet, nous devons d’abord préciser les trois notions les plus importantes de cet exposé qui sont le management, l’intelligence et les émotions. C’est au croisement de ces concepts que se forge le management émotionnel. Cependant on comprend très vite que les trois termes sont difficiles à cerner tant leur utilisation est à la fois courante et diverse dans leurs expressions.
Tableau n°1 Les composantes du management émotionnel
MANAGEMENT
ÉMOTION MANAGEMENT ÉMOTIONNEL
INTELLIGENCE
I- LE CONCEPT DE MANAGEMENT
Le management[16] est le terme plus ancien[17] des trois ; polysémique, il est complexe à appréhender du fait de ses multiples acceptions mais aussi de l’évolution rapide de son contenu et de sa propension à englober de nouvelles techniques. Ainsi on peut essayer de dresser un tableau de différents types de management. Il ne prête pas à être exhaustif.
Tableau n°2 Les différents types de management
Management méthode de gestion des hommes et des équipes | Management des organisations | Management opérationnel | Management fonctionnel et technique |
Participatif, directif, collaboratif, émotionnel, Leadership, consultatif, Autocratique, intégrateur, Interculturel, attentiste, Négociateur… | Projet, organisation, Public, Organisationnel, Transversal… | De la qualité, De proximité, Par objectif… | Stratégique, marketing, Financier, production, Comptabilité, Communication, Des Ressources Humaines.. |
Cette approche superficielle mais large dans sa dimension nous démontre l’ampleur du concept et surtout son aptitude à s’associer à des environnements divers pour envahir de nouveaux champs de recherche.
Dans notre présentation, nous traiterons du management et de la gestion des hommes mais dans un contexte particulier qui met en relation des hommes, des méthodes et des actions dans le milieu des personnes âgées.
Les hommes, contrairement à une entreprise traditionnelle, ont des caractéristiques spécifiques puisqu’ils peuvent être atteints de déficiences physiques, mentales ou psychologiques.
L’autre particularité est que le management des personnes dans des maisons de retraite peut faire l’objet d’intrusion de la part des parties prenantes proches (parents ou enfants).
Cette particularité introduit une importance accrue de l’aspect émotionnel dans la relation et donne ainsi une valeur supplémentaire à la notion de management émotionnel dans ce secteur.
II- LE CONCEPT DE L’INTELLIGENCE
Le concept de l’intelligence artificielle est apparu à la fin du 19ième siècle avec les recherches de F. Galton[18] sur la mesure de l’intelligence, puis C. Spearman[19] qui détermine au début du 20ième siècle un indice global qu’il nomme le facteur g pour intelligence générale.
A la même époque, A. Binet[20] développe des recherches sur la phrénologie qui seront reprises par le neurologue Allemand F. J. GALL[21]. Elles aboutiront par la suite à l’élaboration grâce à une collaboration entre A. Binet et le docteur H. Simon[22] à l’échelle psychométrique dénommée “échelle métrique de l’intelligence”. Elle est basée sur le concept “d’âge mental” calculé par la moyenne d’âge des enfants capables de réussir une tâche demandée par le test.
En 1916, L. Terman[23] modifie le test de Binet sur la base des travaux W. Stern[24] en calculant le rapport entre les résultats obtenus au test de Binet-Simon et l’âge des enfants. C’est à partir de cette époque que L. Terman donnera au nouveau test le nom de Stanford-Binet. Il sera calculé selon la formule de l’âge mental divisé par l’âge chronologique de l’enfant et multiplié par 100 et sera dénommé le quotient intellectuel (QI). Le concept de l’intelligence était ainsi défini et sa principale dimension était cognitive.
Cette vision de l’intelligence au fil des approfondissements est vite apparue comme restrictive, n’expliquant pas toutes les capacités d’adaptation de l’être humain.
Le concept de l’intelligence, s’il a bien été défini pour détecter l’intelligence, n’a pas encore fait l’objet d’analyse de l’évolution de l’intelligence au cours de la vie. Cela pourrait apparaître extrêmement important dans le cas de la gestion des personnes en situations particulières de faiblesse, de maladie, de fin de vie.
Avec les des personnes âgées, la notion d’intelligence est fonction évidemment de leur passé mais aussi de leur état de santé morale et physique ; elle sera de ce fait fortement influencée par l’émotionnel.
III- LE CONCEPT DE L’INTELLIGENCE EMOTIONNELLE
C’est en 1939 que le concept bien établi de l’intelligence est remis en cause par
L. L. Thurstone[25] qui considère l’intelligence comme un concept multi-dimensionnel avec une composante sociale.
Cette nouvelle approche sera popularisée dans le cadre des recherches de
H. Gardner[26] sur les enfants en échec scolaire. Il détermine de façon empirique neuf catégories d’intelligence (logico-mathématique, linguistique, intra-personnelle, visio-spatiale, musicale, kinesthésique, naturaliste et existentielle).
Cette nouvelle vision de l’intelligence a permis de développer des études sur la validité du QI. Il s’est avéré par ailleurs que QI n’avait pas une valeur prédictive assurée qui permettrait de prédire les résultats dans le domaine professionnel (Hunter & Hunte)[27].
Une autre étude[28] réalisée sur un échantillon de 450 garçons a montré peu de relations entre le QI et la situation dans la vie professionnelle mais a démontré la capacité à gérer la frustration, les émotions et les relations interprofessionnelles[29].
La voie au concept d’intelligence émotionnelle était ouverte.
La paternité du concept revient à P. Salovey & J. D. Mayer[30] qui la définissent ainsi :
La notion d’intelligence émotionnelle est une forme d’intelligence qui suppose l’habileté à contrôler ses sentiments, ses émotions et celles des autres. Être capable de faire la distinction entre eux et à utiliser cette information pour orienter ses pensées et ses actions.[31]
C’est donc une forme d’intelligence qui suppose la capacité à contrôler ses sentiments et émotions et ceux des autres. Elle permet de faire la distinction entre eux et à utiliser cette information pour orienter ses pensées et ses gestes.
Ainsi l’intelligence émotionnelle désigne «l’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les émotions chez soi et chez les autres» (Mayer).[32]
Elle comprend la motivation, les émotions, les cognitions et, moins fréquemment, la conscience.
Cette définition nous oblige à nous questionner sur la notion d’émotions et d’en définir les pourtours.
Il apparaît évident, bien que cela ne soit pas prouvé scientifiquement, qu’un individu en situation de fragilité dans une situation où son corps est pour lui l’objet de contraintes développe des pratiques ou des artifices lui permettant de s’adapter au monde qui l’entoure. Cette approche est très développée pour les personnes fragilisées ou en situation physique délicate.
Cela est d’autant plus intéressant que ce monde est à la recherche pour lui de solutions rationnelles pouvant modifier son état ou lui permettre de vivre mieux son état.
L’individu est ainsi pris dans une double contrainte :
– sa contrainte propre : comprendre son état pour s’y adapter,
– son environnement humain (médecin famille) : essayant d’apporter une solution à son état à travers la compréhension qu’il a de son état.
IV- LES EMOTIONS
Le concept d’émotions a été étudié dans la Grèce antique. Ainsi les premiers, Platon et Aristote,[33] développent une réflexion sur ce thème. La vision platonicienne considère les émotions comme un élément venant pervertir les raisonnements.
Au contraire de Platon, Aristote considère les émotions comme un stimulus permettant d’évaluer le gain potentiel et le plaisir rattachés à la réalisation d’une action et il distingue trois catégories de biens : les biens du corps, les biens de l’âme et les biens de la vie.[34]
Cette vision sera reprise par Descartes[35] qui proposera une classification des passions fondamentales de l’âme en cinq catégories : l’admiration, l’amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse.
Par la suite les recherches sur les émotions se sont développées dans deux directions. L’une conserve les prémisses instillées par Platon à l’instar des behavioristes comme Carlson[36] qui considère les émotions comme peu pertinentes dans l’étude des comportements humains. Le deuxième courant mené par
S. Schachter[37] explique l’émotion par l’interaction entre les signaux corporels et la cognition.
R. Lazarus[38] démontrera plus tard que la manière dont on interprète une situation influence fortement l’émotion ressentie.
Ainsi l’émotion peut être définie au travers des différentes analyses comme un état lié à la modification d’un état initial. L’émotion désigne ce qui nous met en mouvement à l’extérieur comme à l’intérieur de nous-mêmes.[39]
L’émotion devient un facteur puissant de notre fonctionnement; elle est un indicateur qui signifie une modification de notre comportement face à un événement survenu et nous pousse à nous adapter pour augmenter nos chances de survie.
A. R. Damasio[40]considère que “même les organismes très simples éprouvent des émotions, c’est-à-dire des réactions naturelles, automatiques qui les conduisent directement ou indirectement à préserver leur corps et assurer son équilibre interne…C’est cette série de réactions, visibles ou non qui constitue ce que l’on appelle émotions”.
L’émotion devient un mécanisme d’adaptation créant une interaction entre notre environnement et notre condition de survie. Cette adaptation se réalise en quatre étapes selon I. Kotsou[41].
- l’évaluation fonctionnelle : analyse de la situation et de son importance.
- les modifications biologiques (accélération du rythme cardiaque, sueur) mais aussi expressives, gestuelles (posture, qualité de la voix).
- les tendances à l’action : l’organisme prépare une réponse en fonction de ce qu’il a perçu.
- les cognitions : l’esprit prépare une contre-attaque en fonction de ses méta-programmes.
L’analyse des différents facteurs composant l’intelligence émotionnelle a incité les chercheurs à développer de nouveaux modèles d’approche ; ainsi de nombreuses méthodes sont vite apparues dans le sillage de ces découvertes.
Nous allons présenter les plus connus, sans pour autant négliger les évolutions possibles.
Il s’agit, par ordre chronologique, du modèle de P. Salovey et J. Mayer (1990) où l’intelligence émotionnelle est une intelligence pure, c’est-à-dire une habileté cognitive.
Vient ensuite le modèle de R. Bar On (2000) qui considère l’intelligence émotionnelle comme une intelligence mixte composée à la fois d’une habileté cognitive et des traits de personnalité. Dans son modèle, Bar On fait ressortir l’influence des facteurs cognitifs et de la personnalité sur le bien-être général.
Le modèle de D. Goleman (2000) est basé sur le même schéma mais D. Goleman n’en tire pas les mêmes conclusions. Il considère que les facteurs cognitifs et la personnalité assurent le succès dans le milieu du travail.
Le modèle de Petrides et Furnham (2000) considère que l’intelligence émotionnelle est partie prenante de la personnalité.
Enfin le modèle de A. Bandura (2007) est basé sur la croyance de l’individu en ses capacités à atteindre le résultat souhaité.
Nous allons passer en revue chacun de ces modèles pour montrer leur particularité et leur intérêt dans le management des hommes.
Le modèle de P. Salovey et J. Mayer
Ce modèle est centré sur la capacité de l’individu. Il organise l’intelligence émotionnelle autour de deux dimensions : la dimension expérientielle et la dimension stratégique. Chaque branche est ensuite divisée en deux sous-parties :
La dimension expérientielle :
- la perception émotionnelle ou l’habileté à percevoir et exprimer ses émotions, la capacité à faire la différence entre les expressions honnêtes et malhonnêtes des émotions.
- l’assimilation émotionnelle ou la faculté à intégrer dans la pensée les aspects émotionnels et à distinguer les différentes émotions que l’on ressent.
[1] Voir aussi Blanchard & Watson (1982), West (1987), Diba & Grossman (1988), Brunnermeier (2001), Garber (2000), Van Norden & Vigfusson (1996), Wu (1997), Shiller (2000).
[2] Publié conjointement par l’Agence Nationale de la Conservation Foncière, de la Cartographie et du Cadastre (ANCFCC) et Bank Al-Maghrib (BAM).
[3] Voir le document de Kenneth O. West, A specification test for speculative bubbles, 1986.
[4] Voir le document de Refet S. Gurkaynak, Econometric Tests of Asset Price Bubbles: Taking Stock, 2004
[5] Hall & Sola (1993), Van Norden & Vigfusson (1996) ,Van Norden et Schaller (1997).
[6] Le test « Sup ADF » ou aussi « The Right-tailed ADF test » a un objectif différent de celui du test ADF : l’objectif du « Sup ADF » n’est pas de tester la stationnarité de la série mais de tester son explosivité, et c’est pourquoi l’hypothèse alternativedevient (H1 : δ>1) au lieu de (H1 : δ<1)
[7] Mankiw et Weil (1989), Engelhart et Proteba (1991) DiPasquale et Wheaton (1994), Megbolugbe et Cho (1993), Maclennan et Pryce (1996), Renaud (1997), Levin et Wright (1997), Tse (1998), X. Ge, K. Poon, et J. Boon (2006).
[8] Le principal critère derrière ce choix est la disponibilité.
[9] Cette transformation a été conduite pour 1) stationariser les séries et 2) enlever les effets saisonniers.
[10] BAM : Bank Al Maghrib, HCP : Haut-commissariat au plan
[11] Le choix de 11 trimestres comme période minimale pour appliquer le test ADF a été selon la logique suivante : « choisir la période la plus grande possible pour avoir des résultats significatifs, mais sans éliminer des trimestres où une formation de bulles est soupçonné ».
[12] Grossmann-Wirth, Rivaud et Sorbe (2010) ont montré que l’augmentation des prix immobiliers au Etats-Unis a eu lieu conjointement avec une forte augmentation du volume de crédit octroyé, et que la détérioration de la « qualité » des prêts émis par les institutions financières a entraîné une vague de défauts sur prêts immobiliers, ce qui a conduit à une baisse subséquente des prix.
[13] Selon l’indice « S&P/Case-Shiller U.S National Home Price Index », le mouvement baissier a commencé en avril 2007 et ne s’est arrêté qu’en mai 2012.
[14] En effet, le taux de croissance des prix des actifs immobiliers résidentiels au Maroc entre fin 2010 et 2013 a été de 1.2% en moyenne.
[15] Mohamed Nabil Ben Abdallah, ministre de l’Habitat et de la Politique de la Ville avait déclaré dans un entretien avec La Nouvelle Tribune publié le 10/03/15 que : « le déficit en logements est passé de 840.000 unités vers la fin de 2011 à environ 642 000 unités à fin 2013, et devrait se situer aujourd’hui aux alentours de 580.000 unités ».
[16] Selon le Journal officiel du 14/05/2005 (voir FranceTerme), ce terme est accepté en France par la DGLF qui précise qu’il ne doit pas être prononcé à l’anglaise.
[17] L’Oxford English Dictionary fait découler le terme management du vocabulaire français, et plus particulièrement du substantif « mesnage » et du verbe « mesnager » qui, au XIIIe siècle, caractérisent “l’art de gérer les affaires du ménage », c’est-à-dire « conduire son bien, sa fortune et ses domestiques de façon judicieuse”
[18] « Regression Towards Mediocrity in Hereditary Stature », F. Galton in Journal of the Anthropological Institute, vol. 15, 1886, p. 246-263 [texte intégral]
[19] The Abilities of Man: Their Nature and Measurement. Spearman, Charles B. (2005). The Blackburn Press.
[20] L’étude expérimentale de l’intelligence Alfred Binet (1903)
[21] Crâniologie, ou découverte nouvelles concernant le cerveau, le crâne et les organes. F.J. Gall Paris 1807
[22] Models of bounded rationality vol. 3 Empirically grounded econmic reason CambridgeMA/ the MIT press H. Simon
[23] The Measurement of Intelligence L. Terman (1916)
[24] IL est l’inventeur du QI. Son intérêt pour les différences individuelles mena au développement du concept de quotient intellectuel, le Q.I. En collaboration avec Heinz Werer, il développe une méthode de détermination du quotient intellectuel. Stern définit le quotient intellectuel comme l’union, le rapport, entre l’âge mental et l’âge chronologique multiplié par 100.
[25] “Psychophysical analysis. L. L. Thurstone, 1927
[26] Frames of Mind: the Theory of Multiple Intelligence H. Gardner1983
[27] Validity and utility of alternativepredictors of job performance Hunter & Hunter Psychological Bulletin 1996 PP. 72- 98
[28] How lower and working-class youth become middle-class adults : the association between ego défense mechanisms and upward sox-cail mobility J. R. Snarey & G. E. Valliant Child Developpement 1985
[29] Il en est de même avec une étude menée auprès 80 docteurs. Emotional intelligence and acdemic intelligence in career and life success G. J. Feist & F. Barron in paper presented at the Annual Convention of the American Psychological Society, San Francisco CA 1996
[30] Emotional intelligence. Imagination, Cognition, and Personality, Salovey, P., & Mayer, J.D. (1990). 9, pp 185-211.
[31] Emotional intelligence. Imagination, cognition and personality P. Salovey & J. D. Mayer 1990 pp. 185-211
[32] Emotional Intelligence in Everyday Life: A Scientific Inquiry. Philadelphie Mayer (Eds.) Psychology Press, pp. 133-149.
[33] Psychologie des émotions. Confrontation et évitement, O. Luminet 2002 Bruxelles DE Boeck Université
[34] La philosophie des émotions, les sages nous aident à en faire bon usage J. Frère 2011 Ed. Eyrolles
[35] Les passions de l’âme œuvres philosophiques et morales Paris Bibliothèque des lettres art. 211 P 572
[36] Psychology the Science of Behaviour Carlson, Neil R. and Heth, C. Donald (2010) Ontario, CA: Pearson Education Canada. Pp 20-22.
[37] The interaction of cognitive and physiological determinants of emotional state. Schachter,S (1964) Advances in Experimental Social Psychology, ed. L. *Berkowitz, pp. 49–79. New York: Academic Press.
[38] Emotion and adaptation R. Lazarus 1999 NY oxford University press
[39] Intelligence émotionnelle et management I Kostou 2012 Ed. de Boeck p.29
[40] L’erreur de Descartes : la raison des émotions, Antonio R. Damasio Paris, Odile Jacob, 1995, ,
et Le Sentiment même de soi : corps, émotions, conscience, Antonio R. Damasio, Paris, Odile Jacob, 1999,
[41] Ilios Kotsou op. ci