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Dualité antinomique des sources d’inspiration du juge administratif

Dualité antinomique des sources d’inspiration du juge administratif

Hind SIYOURI, Chercheuse en droit public et sciences politiques

Introduction

La justice marocaine présente les attributs d’un système hybride structuré par une tension permanente entre ses habitus – expériences incorporées – et les demandes de modernisation.[1]

Le juge administratif marocain en tant que protecteur de l’administré essaie effectivement de trouver un juste milieu entre deux exigences apparemment contradictoires étant donné que le droit public marocain est sous-tendu par deux dualités majeures au niveau des sources d’inspiration en matière juridique : source étrangère et source nationale, source occidentales et sources islamique. Il est amené à opérer une conciliation entre les particularités nationales et les sources traditionnelles d’une part et l’adaptation de sa jurisprudence aux nouvelles évolutions sociales, politiques, économiques, et sur les plans interne et international d’autre part.[2]

Durant son histoire, Le Maroc a connu le passage de plusieurs dynasties musulmanes. Il a été également l’objet, de 1912 à 1956, d’un double protectorat espagnol au nord et au sud et français au centre. Cet état de choses a généré le développement d’un système juridique complexe et difficilement accessible. Cette complexité que connait l’ordre juridique est imputable à l’existence de nombreuses interférences entre plusieurs ordres normatifs différents. Elle ne peut, par conséquent, être assimilée sans analyser les registres et répertoires juridiques desquels s’est inspiré le droit administratif marocain[3], notamment français(A), et musulman (B).

  1. Jurisprudence administrative française, refuge incontournable du juge administratif marocain

En droit administratif marocain, le domaine de la protection de l’administré est relativement identique à celui dans lequel intervient le juge administratif français. Ce dernier est souvent perçu comme un  idéal-type dans son rapport aux droits administratifs étrangers. En tant qu’exportateur, il voit dans ses homologues étrangers un réceptacle de son influence[4]. Au Maroc l’exportation a concerné différents volets du droit administratif, touchant tant aux principes généraux du droit (a), qu’au recours pour excès de pouvoir (b) et la voie de fait (c).

1-Transposition des principes généraux du droit

Le juge administratif marocain se réfère pratiquement aux mêmes principes généraux appliqués par le juge français. principe de l’égalité, principe de non-rétroactivité, principe de L’autorité de chose jugée, principe de continuité du service public, caractère de droit commun du recours pour excès de pouvoirs, principe de l’intangibilité des droits acquis, principe non bis idem[5].

Dans plusieurs de ses décisions, le juge administratif marocain se réfère même expressément aux arrêts du conseil d’Etat parfois afin d’octroyer à son raisonnement et à la solution de fond une autorité justifiée par le prestige séculaire de la Haute juridiction française[6]. Il en est de même des commissaires royaux de la loi et du droit dans leurs conclusions[7] et de l’Agent judiciaire du Royaume dans ses réponses[8] qui évoquent des arrêts parfois anciens  pour soutenir leur raisonnement et leur argumentation.

L’identité des jurisprudences se révèle à travers la méthode téléologique adoptée et à travers l’évolution extensive que les deux juges appliquent aux principes généraux du droit, elle n’apparaît pas exclusivement au niveau de la norme de référence. Au Maroc comme en France, le principe général de l’égalité connaissant  progressivement une extension  et une précision  dans son contenu et son domaine d’application,  il est devenu un principe de non-discrimination[9]. Le contrôle de légalité connaît également le même ordre que celui exercé par le juge administratif français[10]. En premier lieu, Le contrôle minimum porte sur la compétence, la forme, l’existence matérielle et juridique des motifs et le détournement de pouvoir. Comme en France, son caractère étroit se justifie par les arguments d’opportunité[11] et de technicité[12] qui distinguent l’action administrative. Puis  le contrôle normal comprenant, outre les éléments précités, celui de la qualification juridique des faits. Cependant, le contrôle maximum, pratiqué par le juge en matière de police administrative, se rapporte aux composantes du contrôle normal et vise l’adéquation de la décision aux motifs qui la fondent[13].

Parallèlement, le principe général des droits de la défense s’est pour sa part étendu en dehors des sanctions avec la notion de mesure prise en considération de la personne[14].

Tout cela  justifie l’établissement parfois des propensions ou des équivalences très tangibles entre les décisions du juge administratif marocain et celles du juge administratif français. Dans ce sens, Le jugement Mohamed Zemouri c/Banque du Maroc rappelle les arrêts Robert Lafrégeyre et Dame Pillard. De même l’arrêt SARL Andalous[15] a été rendu à la lumière du fameux arrêt Martin.[16]

2- Le recours pour excès de pouvoir

Le recours pour excès de pouvoir trouve son efficacité dans les modalités de son exercice. D’une part, le juge administratif marocain à l’image du juge administratif français est maître de son instruction. La procédure dirigée par le juge rapporteur ayant pour objectif d’éclairer le débat par le biais des moyens assurant une bonne justice,  est de nature inquisitoriale. D’autre part l’instance s’engage suite à une requête en demande adressée directement au juge et non par une citation en justice contre l’Administration.

En outre, les mémoires et observations ne sont fournis que suite à une invitation du juge qui fixe un certain délai, ordonnant, d’office ou à la demande des parties, toutes les mesures d’instruction stricto-sensu qu’il juge indispensables, en l’occurrence : enquêtes, expertises, vérifications, visites des lieux. . .

Enfin, le rapport sur l’affaire est présenté, en vue du jugement, par un membre de l’organe juridictionnel. Celle-ci est traitée juridiquement par un commissaire royal de la loi et du droit.

Le juge administratif tire la légitimité des larges pouvoirs dont il dispose du caractère inquisitorial de la procédure administrative contentieuse, pour être en mesure de statuer en connaissance de cause. Il est en droit d’exiger la production de toutes pièces, de tous documents qui lui paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité ou d’exiger toutes explications sur les motifs de la décision attaquée.

S’inspirant  de la jurisprudence française,  la sanction efficace à ces pouvoirs est prévue par le législateur dès la mise en place de la Cour suprême. Cette sanction est reproduite par l’article 366 du code de procédure civile et demeure applicable devant les tribunaux administratifs:

«Le conseiller rapporteur met en demeure la partie qui n’a pas observé le délai à elle fixé, en cas de nécessité, nouveau et dernier délai peut lui être accordé. Si la mise en demeure reste sans effet, la Cour statue ; dans le cas d’un recours pour excès de pouvoir formé contre les décisions émanant des autorités administratives, le défenseur qui fait défaut est réputé avoir acquiescé aux faits exposés dans la requête».

À l’instar du juge administratif français, les juges administratifs demandent à l’Administration de leur communiquer les motifs de sa décision.

D’autres pouvoirs prévus par les textes organisant la justice administrative complètent et affirment cette fonction active du juge administratif marocain et dont les concepts et les catégories juridiques sont empruntés au système de protection de l’administré tel qu’il existe en France. C’est le cas notamment du sursis à exécution où  la Cour suprême n’a pas innové. Elle a emprunté purement et simplement les conditions d’octroi exigées par le Conseil d’Etat[17] : le caractère grave et irréparable du préjudice et le caractère sérieux des moyens invoqués par les plaideurs[18] .

3-  La voie de fait

Le Juge administratif frise parfois le mimétisme quand il sert sa jurisprudence “clefs en mains” sans la moindre adaptation. C’est le cas par exemple de la solution donnée pendant un moment à la question de la compétence juridictionnelle en matière de voie de fait.[19]

  1. Période d’hésitation en matière de compétence

En droit marocain, la notion, qui dans la jurisprudence se rapporte généralement à l’atteinte à la propriété privée[20] et rarement à une liberté fondamentale[21], est apparue avec la jurisprudence de la période du protectorat français[22]. Ce n’est qu’après le recouvrement de l’indépendance et l’institution de la Cour suprême qu’elle est entrée en vigueur dans un arrêt du 4 décembre 1958, Consorts Félix[23]. Dans cet arrêt la haute juridiction, imprégnée par la jurisprudence française, avait soutenu que du moment où l’administration procédait à un « acte manifestement insusceptible de se rattacher d’une manière quelconque à l’exercice des pouvoirs dont elle est investie », elle ne pouvait bénéficier de l’application de la matière administrative pour devenir soumise aux règles du droit civil[24].

Quelques semaines après l’entrée en fonction des tribunaux administratifs, fut soumise à la justice la première affaire de voie de fait concernant l’occupation d’un terrain par l’administration, sans respect de la procédure légale et réglementaire[25]. Les propriétaires recourant au Tribunal administratif de Casablanca qui se déclare compétent pour en statuer, et son président, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés en tant que juge des référés[26], ordonne à l’administration la cessation de la voie de fait. On avait judicieusement soutenu qu’il n’y avait aucune raison de laisser au juge ordinaire la connaissance des litiges nés d’une voie de fait en matière administrative puisque le tribunal administratif est érigé en juridiction de droit commun[27]. Cependant cette solution ne fut pas définitive. Moins d’une année plus tard le Tribunal administratif de Rabat, statuant sur des faits semblables[28] sur demande de l’agent judiciaire du royaume, rejette sa compétence en soutenant que « lorsque l’administration abandonne sa qualité de puissance publique jouissant de prérogatives, c’est la juridiction ordinaire, gardienne des droits et libertés qui est compétente pour mettre fin à la voie de fait ». Saisie en appel, la Cour suprême déclare sa décision sur la question par deux arrêts. Dans le premier, elle énonce que l’article 8 de la loi n° 41-90 a « limité les compétences des tribunaux administratifs à la réparation des dommages que cause l’activité des personnes publiques » et conclut à la compétence judiciaire [29] et, dans le second, elle explique que « l’article 8 de la loi n° 41-90 qui limite la compétence des tribunaux administratifs ne mentionne pas qu’ils sont compétents pour faire cesser la voie de fait… »[30]. De ce fait, en procédant à une lecture sèche et littérale de l’article énumérant les domaines d’intervention du juge administratif[31], la cour suprême ne considérait pas la voie de fait comme devant générer l’inapplication de la matière administrative et, conséquemment, l’incompétence du juge administratif[32]. Certainement, était-elle imprégnée par la conception prévalant dans la jurisprudence française où le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires interdit catégoriquement aux juridictions civiles de connaître des actes administratifs et inversement aux juridictions administratives de statuer  en matière des actes privés,  c’est le cas de la voie de fait. Il s’agit d’importer la théorie à son état initial  tel qu’elle a été adoptée dans son pays d’origine, écartant l’intérêt du justiciable dans un pays où les contraintes du principe en question ne peuvent avoir les mêmes effets. L’opposition à un nouveau traitement contentieux de la voie de fait s’explique clairement par «la force de l’habitude qui conduisait certains magistrats à conserver les raisonnements qui, pendant des décennies, avaient été, à juste titre d’ailleurs, ceux des juridictions ordinaires»[33]. Néanmoins, il est incontestable que la pesanteur historique ne justifie pas à elle seule l’imitation du modèle français.

Outre les emprunts législatifs, un facteur psychologique expliquerait la transposition des solutions jurisprudentielles. En effet, le juge marocain manifeste parfois un manque d’audace voire une prudence  en matière de solutions et des interprétations adoptées.

 Ce n’est que postérieurement que l’occasion lui fut offerte de changer sa jurisprudence[34]. Dans deux jugements rendus le même mois, le Tribunal administratif de Rabat revient sur sa jurisprudence précédente pour changer radicalement d’attitude en énonçant, le 2 mai 1996, que :

 « Il n’y a pas d’inconvénient pour le tribunal d’abandonner une jurisprudence antérieure qui ne concorde plus avec l’évolution économique et social »[35].

Puis dans sa décision du 9 mai 1996[36], il avance avec clarté dans une motivation qu’on cite:

« Considérant qu’il s’agit d’une voie de fait administrative sur la propriété privée du requérant, et que ce tribunal a estimé antérieurement que la juridiction ordinaire c’est la juridiction protectrice des libertés publiques et des propriétés privées et que, par conséquent, il déclarait son incompétence de statuer sur de telles demandes suivant en cela la jurisprudence française. Mais considérant que ce tribunal a décidé de revenir sur cette jurisprudence pour deux raisons : La première tient au fait que cette jurisprudence résulte de racines historiques spécifiques à un pays étranger et, par conséquent, son application à la réalité marocaine doit être écartée.  La deuxième raison est relative au but réel de l’institution des tribunaux administratifs au Maroc consistant dans la défense des droits des citoyens et la protection de l’abus de l’Etat et de l’autorité administrative qu’elle que soit la nature de cet abus … ».

 Ces deux jugements ont ouvert la brèche en faveur de la compétence des tribunaux administratifs pour connaître de la voie de fait[37]. Par ailleurs, la Cour suprême, dans un arrêt célèbre du 20 mai 1996, Ammouri,[38], abandonna sa position des arrêts Bisrour et Belkacem pour finalement soutenir que la compétence doit revenir aux tribunaux administratifs[39], mais sans pour autant trancher sur le droit applicable. Enfin, quatre mois après, dans un arrêt du 19 septembre 1996, Inous[40], la haute juridiction, saisie en appel contre un jugement du Tribunal de première instance de Marrakech[41] se prononça sur la question en soutenant « Les articles 79 et 80 du Dahir portant code des obligations et contrats ne s’appliquent pas à la voie de fait administrative car l’article 79 cité concerne la responsabilité de l’Etat et des municipalités pour les préjudices causés directement par le fonctionnement de leurs administrations et les fautes de service de leurs agents, tandis que l’article 80 concerne la responsabilité personnelle des agents de l’Etat et des municipalités. Le jugement déclarant l’incompétence du tribunal ordinaire est confirmé ». Par cet arrêt, la Cour suprême a semblé compléter sa jurisprudence antérieure en matière de voie de fait. Elle a écarté, de ce fait,  la compétence des tribunaux ordinaires et, parallèlement, l’application des articles 79 et 80 du D.O.C. régissant la responsabilité administrative et sur la base desquels le juge déclare, certes assurément, la responsabilité de la puissance publique en prenant en compte l’objectif visé par l’administration ; selon lequel, il aurait du mal à la condamner à une réparation intégrale.  La jurisprudence du juge administratif français notamment celle du Conseil d’Etat représente pour le juge marocain un milieu sécurisant lui fournissant des solutions toutes faites, agencées, procurant à ses décisions la vigueur de l’autorité consacrée et consacrante. L’existence d’une jurisprudence testée par une juridiction séculaire limite les risques d’erreur de logique  juridique et les inadvertances. Le juge administratif marocain, étant confronté généralement aux mêmes problèmes posés par les espèces qui lui sont soumises, cherche auprès des juges français des exemples et des modèles, étant donné que ces derniers avaient pris quelques longueurs d’avance dans leurs solutions.

En tant que fondements de la solution adoptée, la référence aux principes de l’Islam est avancée explicitement dans les discours officiels en dépit de son caractère indirect dans la décision de justice. Ce référentiel qui se manifeste à travers la culture dualiste des praticiens du droit(2) est consacré par la norme suprême (1).

  1. Constitution  marocaine et référence à l’islam

La conception islamique du droit ne cesse d’influencer l’ordre juridique marocain. Ceci se manifeste à travers la constitution qui consacre l’islam en tant que religion officielle de l’Etat. L’Islam est cité à quatre reprises par les différents textes constitutionnels adoptés. L’article 3 de la constitution 2011 affirme que «L’Islam est la religion de l’Etat qui garantit à tous le libre exercice des cultes», alors que l’article 41 reconnaît au Roi le titre d’Amir Al Mouminine (Commandeur des croyants) : « Le Roi, Amir Al Mouminine, veille au respect de l’Islam. Il est le Garant du libre exercice des cultes…». De sa part l’article 175 stipule qu’ «  Aucune révision ne peut porter sur les dispositions relatives à la religion musulmane, sur la forme monarchique de l’État, sur le choix démocratique de la nation ou sur les acquis en matière de libertés et de droits fondamentaux inscrits dans la présente Constitution.». Ces normes se distinguent par un caractère supra constitutionnel puisqu’elles sont des règles intangibles. Elles relèvent de ce qu’on appelle la constitution matérielle[42]. Le droit musulman est ainsi la source des autres sources de droit qu’elles soient écrites ou non écrites. Il s’agit essentiellement du Coran et du Hadith[43].

Il s’agit à cet égard de deux données fondamentales : d’une part la civilisation islamique a contribué à l’élaboration de règles et d’institutions qui participent indubitablement de la discipline administrative, se rapportant soit au fonctionnement de l’Administration ou au contentieux. Permettant ainsi le suivi et l’examen de la conformité de l’action des gouvernants au droit musulman et à ses principes.

Par ailleurs, les règles du droit musulman sont des sources fondamentales des règles positives gouvernant la société et ayant un caractère inviolable.

2-culture dualiste des praticiens de droit administratif

La jurisprudence administrative marocaine est basée essentiellement sur les principes généraux du droit(a) comme ils ont été reconnus universellement. Or cela n’exclut nullement leur origine religieuse (b) attachée à la civilisation islamique.

  1. jurisprudence en droit administratif marocain au crible des principes généraux du droit

Le juge administratif marocain dispose de trois principes de référence sur lesquels il peut se baser pour asseoir sa jurisprudence. Ces principes peuvent être classés en ordre décroissant : le principe d’islamité, le principe de constitutionnalité et le principe de légalité au sens large du terme. Le juge tient compte dans la protection de l’administré non seulement de la légalité au sens du droit administratif français mais aussi de la légalité telle qu’elle est déterminée par les grands principes de l’Islam.[44]

La référence à l’Islam est utilisée  soit pour limiter les droits et libertés quand leur exercice porte atteinte aux principes islamiques et aux fondements religieux de l’Etat, soit comme un instrument de renforcement de la protection des droits des particuliers[45].

Le cas de l’arrêt Dame Veuve Aboud est révélateur, il a remis en cause le régime juridique de la responsabilité des collectivités publiques qui était fondée sur le principe de la faute de service. Le Premier Président de la Cour suprême a souligné, lors de l’audience solennelle d’ouverture de l’année judiciaire le 7 octobre 1968, que ce revirement se justifie par les «principes supérieurs de justice et d’équité » et que la responsabilité des collectivités qui doit être dorénavant une responsabilité sans faute est conforme aux intentions du législateur de 1913 et aux principes fondamentaux du droit musulman[46].

La doctrine estime parfois que le juge au lieu de s’appuyer sur des références tirées des spécificités nationales, il s’est basé sur des fondements inappropriés, voire inexacts pour justifier la solution adoptée. La décision de la Cour suprême du 11 juillet 1985 est un exemple distinct[47]. En dépit du caractère satisfaisant de l’arrêt,  vu que la Haute juridiction a annulé un refus de délivrance du passeport, le fondement de cette décision est fragile dans la mesure où le juge, au lieu de se baser sur le préambule de la constitution qui contient la référence expresse «aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus» impliquant la liberté de circuler en dehors du territoire national, il  s’est appuyé sur l’article 9 de la constitution 1996 stipulant que «La constitution garantit à tous les citoyens la liberté de circuler et de s’établir dans toutes les parties du Royaume». Cependant,  ce que vise cette disposition, c’est bien la liberté de circuler à l’intérieur des frontières du territoire national.

Selon la doctrine, le juge aurait pu faire preuve d’originalité s’il s’était référé directement au Coran notamment à la Sourate Al Houjourate où il est dit «() Hommes… nous vous avons divisés en peuples, en tribus pour que vous vous connaissiez» qui insiste également sur le principe de la liberté de circuler en dehors des frontières nationales [48]. Continuant à se fonder sur l’article 9 de la constitution 1996 pour annuler les décisions soumises à son contrôle en la matière, le juge administratif n’a pas rénové dans sa jurisprudence ultérieure, notamment pour les affaires  Regragui[49], Hamzaoui[50] et Fikri[51] .

Le juge aurait pu déclencher la construction d’une catégorie de principes généraux spécifiquement marocaine en élevant le droit d’avoir un passeport au rang d’un principe général du droit sur la base de la référence coranique et de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.[52]

L’affaire Chaouki[53]où le juge mentionne le principe d’égalité devant le service public de l’enseignement montre clairement la référence du juge au fondement islamique. Le tribunal estime que la généralisation de l’enseignement est indispensable pour toutes les étapes de l’éducation, dès lors que les valeurs culturelles marocaines font de la recherche du savoir une des obligations qui pèsent sur tout musulman comme cela a été affirmé par une sourate du Coran et un hadith du prophète.

On évoque également un jugement du Tribunal administratif de Fès où le juge se base directement sur l’article 6 de la constitution, selon lequel l’Islam est la religion de l’Etat, pour annuler le refus d’inscription d’une élève en tant que femme mariée dans un établissement d’enseignement secondaire[54]. L’Administration a souligné que son refus, conformément au règlement intérieur de l’établissement et à la note de service du délégué provincial de l’Education Nationale, s’explique par l’intention d’assurer et de maintenir la moralité au sein de l’établissement sachant que les élèves sont dans leur quasi-totalité des adolescents.

Soutenant explicitement que le droit musulman est la source principale du droit marocain, le juge estime que le principe d’égalité prévu par la constitution a été appliqué en Islam dès son avènement. Il souligne, par ailleurs, que le droit à l’éducation a été encouragé par le Prophète lui-même, aussi pour les femmes mariées. Le juge a cité, à titre d’exemple, une initiative tangible du prophète prouvant que le droit à l’éducation n’est ni interdit par le droit musulman ni contredit par la coutume, que la femme soit mariée ou non. Ce jugement est d’une grande importance pour deux raisons : la première se rapporte  au fait qu’il  se base sur une double référence, l’une au droit musulman et une autre à un arrêt du Conseil d’Etat disposant que la dérogation au principe d’égalité se justifie seulement par les exigences ou l’intérêt du service[55]. Cela prouve intelligiblement la culture dualiste encore culminante des magistrats et des praticiens du droit.

La seconde est que le juge administratif marocain se prononce, pour la première fois d’une manière expresse, pour l’origine religieuse d’un des principes généraux les plus  importants comme étant attaché à la civilisation islamique.

Le fait que les principes généraux du droit soient importés a peu d’influence. Il s’agirait même peut-être d’une simple coïncidence ou de transposition bénéfique.

b-Principes généraux de droit entre jurisprudence française et conception musulmane

Si le juge administratif consacre le principe d’égalité, le principe de non-rétroactivité, le principe non bis in idem, le principe des droits de la défense, le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, le principe de la continuité du service public… on ne pourrait dire qu’il fait du mimétisme. Cela s’explique doublement.

En premier lieu, les principes généraux susmentionnés sont liés à la civilisation juridique musulmane. Ils sont consacrés par le Coran et le droit public musulman. En effet, beaucoup de principes généraux du droit contribuent en fin de compte à défendre deux exigences singulièrement impérieuses de la civilisation islamique, à savoir la liberté et l’égalité.

Puis, il est question  ici de règles de logique et de bon sens indépendamment du facteur religieux dans la mesure où elles s’attachent  étroitement au respect de la personne humaine et de sa dignité.

Il s’agit  de règles qui s’imposent objectivement, constituant les règles minimales que tout Etat démocratique doit appliquer dans les relations entre la puissance publique et les administrés et dont la violation apparaît comme une illégalité très grave, flagrante et intolérable. Elles existent dans tous les pays du monde. Etant des  principes universels, il n’y a pas forcément de relation causale entre le fait qu’elles aient été consacrées par la jurisprudence française et qu’elles le soient par le juge administratif marocain.

La liste des principes généraux du droit demeure d’ailleurs disposée à en accueillir d’autre. L’Islam renferme de nombreux éléments de référence possibles qui peuvent permettre au juge de se démarquer, quand il le faut, des procédés de raisonnement du juge administratif français.

Le contentieux électoral a constitué aussi, pour le juge administratif marocain, une occasion de se référer concomitamment aux spécificités géographiques du Maroc et au Coran afin de préciser la notion de résidence effective permettant l’inscription sur les listes électorales dans une région quasi saharienne caractérisée par le nomadisme de certaines tribus[56].

Le tribunal a relevé le célèbre «voyage de l’hiver et de l’été» de la tribu de Koraïche[57] que le Coran évoque dans Sourate Korâiche pour rejeter le recours intenté puisque les personnes inscrites, en dépit de leurs déplacements permanents à la recherche de la pluie et du pâturage, étaient résidentes effectivement dans la commune de Tizirine où se situe la source principale qui sert d’abreuvoir au bétail.

Dans un autre cas d’espèce, Le juge estime que la distinction entre les héritiers sur la base du sexe constitue une exclusion non justifiée et contraire au droit musulman lors d’un recours pour excès de pouvoir, intenté au tribunal administratif de Fès, tendant à l’annulation d’une décision du Conseil de tutelle des terres collectives excluant de l’héritage les héritières, faute d’héritiers en prétendant qu’elles ne remplissent pas les conditions pour exploiter ces terres et en prendre soin conformément à la législation en vigueur.[58]

Conclusion

Il est impératif que la compétence du juge administratif, la qualité de ses décisions soient absolument incontestables pour inspirer confiance non seulement au justiciable, mais aussi à l’administration, car  c’est à l’aune de cette confiance que l’on pourra mesurer la réussite des juridictions administratives au Maroc.[59] De ce fait,  Il doit également être conscient des problèmes de sa communauté à l’image du médecin doué pour la douleur de son patient[60].

Le droit administratif marocain moderne et ses techniques sont des fruits directement produits par la pénétration coloniale[61]. La greffe doctrinale constitue également un facteur important qui favorise indirectement la transposition des solutions jurisprudentielles françaises[62].

Le principe de l’inspiration française ne signifie guère que les solutions jurisprudentielles sont transposées telles quelles en droit administratif marocain. Des adaptations sont toujours nécessaires pour permettre leur application.

Le juge marocain, en raison du référentiel islamique et des spécificités du public cible, a tendance justement à s’autonomiser par rapport au juge français en se basant sur un réalisme dominé par la prudence et la progressivité et sur les caractéristiques nationales  qui n’ont pas d’équivalent en France[63].

Bibliographie


[1] Sur le rôle que pourrait jouer une justice libérale (sécularisée) dans la résorption de la contradiction islam/démocratie constitutionnelle, cf. G. Murat Tezcu, « Constitutionalism, Judiciary, and Democracy in Islamic Societies », Polity, 39 (4), October 2007, pp. 479-501.

[2] Mohamed El Yaagoubi, le juge protecteur de l’administré au Maroc ; entre le mimétisme et l’autonomisation, INFO-PRINT- FES , 2006

[3] LAHOUSSINE BELLOUCH,« L’islam : source d’inspiration du droit marocain »,   JURISMAT, Portimão, n° spécial, 2014, pp. 15-31, p. 15

[4] Anna Neyrat. Le rapport du droit administratif national aux droits administratifs étrangers : les cas de la France et de l’Espagne. Droit. Université de Bordeaux, 2016. Français. p.3.

[5]Mohamed El Yaagoubi, Op.cit.

[6] TA. Marrakech, 17 octobre 1995, Société Europist, REMALD no 17, p. 135 (en arabe) ; TA. Meknès, 9 février 1995, Mohamed Zemouri, REMALD no 13, p. 143 (en arabe).

[7] A titre d’exemple. Conclusions sur TA. Fès, 25 octobre 1995, Alem ben Lahcen Ghazi, RDE 1997, n° 14, p. 198. (en arabe).

[8] TA. Meknès, 27 juillet 1995, Sifouh, REMALD na 13, p. 146 (en arabe).

[9] CSA 3 juillet 1968,Syndicat National Professionnel des Agents d’Assurances, Rp. 153 (en arabe).

[10] Michel Rousset, Contentieux administratif, Revue internationale de droit comparé, 45-2,  1993.

[11] CSA 9 janvier 1960, Loc, R.p.95, CSA 19 mars 1962, Société Huilière Annexe, Rp. 37 ; CSA 24 mars 1964, Hadi Lyoubi, R.P 200 19 juin 1967 « B »Rp. 104.

[12] CSA 21 novembre 1969, Drissi Ahmed, Rp. 199 (en arabe).

[13] Michel Rousset, Contentieux administratif précité

[14] CSA 22 avril 1963, Société d’expertises et de visites techniques, Rp. 138

[15] CSA 15 1963, SARL Andalous, R.P. 168.

[16] RDP 1906, note Jèze, p.249.

[17] M. Tourdias, Le sursis à exécution des décisions administratives, Thèse 1957.

[18] CSA 23février 1961, Société balnéaire du Maroc, R.p.83 ; CSA 2 juillet 1 972, SOMAP, Rp 282 (en arabe). CSA mars 1980, Jamaâ Lejana dossier no 70449

[19]Mohamed El Yaagoubi, op.cit ; p.27

[20]E. Serhane, Les développements récents du « droit de propriété » dans le contentieux administratif au Maroc, REMALD n° 20-21, p. 87.

[21]Voie de fait relative à une liberté, C.S.A., 8 juin 1989, Héritiers Nicoliades c/ Gouverneur de la province d’Ifrane, Jurisprudence de la Cour suprême, n° 44, p. 127 : Interdiction aux requérants d’entrer dans leur propriété.

[22]C.A., Rabat, 7 février 1947, Dame R., Recueil des Arrêts de la Cour d’ Appel de Rabat, RACAR, T. XIII, p. 133 ; C.A., Rabat, 26 juillet 1947, Lamoureux, RACAR, T. XIV, p. 248 ; C.A., Rabat, 20 janvier 1948, West, RACAR, T. XIV p. 331 ; C.A. Rabat, 25 mars 1949, Messina, Revue Marocaine de Droit, RMD, 1950, p. 71 note F. Luchaire ; Trib. de Première instance de Casablanca, 9 décembre 1953, Veuve Guisez, RMD, 1954, p. 83.

[23] C.S.A., 4 décembre 1958, Consorts Félix, R. p. 164. Jurisprudence constante jusqu’à pratiquement la veille de la création des tribunaux administratifs, C.S.A., 1er décembre 1993, Boulmsamar, Jurisprudence de la Cour suprême n° 47, p. 27, note Kachbour (en langue arabe), même revue, n° 48, p. 385.

[24] Mohamed  Amine Benabdallah, «  la voie de fait en droit administratif marocain », Contribution aux mélanges offerts au Doyen Yadh Ben Achour, Centre de Publication universitaire, Tunis , 2008, p. 669 et suiv. ; REMALD n°80, 2008, p. 9 et suiv.

[25] Loi n° 7-81 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique et à l’occupation temporaire, promulguée par dahir du 6 mai 1982, B.O. n° 3685 du 15 juin 1983, p. 390.

[26]  L’article 19 de la loi instituant les tribunaux administratifs précise que « Le Président du tribunal administratif, ou la personne déléguée par lui, est compétent, en tant que juge des référés et des ordonnances sur requêtes, pour connaître des demandes provisoires et conservatoires ».

[27] M. Rousset, op. cit., p. 411 ;

[28] T.A., Rabat, 23 février 1995, Bendaoui, REMALD n° 13, 1995, p. 89, note Benabdallah. Possédant un terrain à Aïn Sebt, les requérants déclarent avoir été surpris par le placement de conduites d’eau sur leur propriété par la Commune, sans qu’ils n’aient donné leur permission et sans que leur terrain n’ait fait l’objet d’une quelconque expropriation. Ils demandent au Tribunal administratif de Rabat de condamner la  Commune à revenir sur son acte sous peine d’une astreinte de 500 dirhams par jour de retard. Le Tribunal,  relevant la voie de fait, conclut à l’incompétence.

[29] C.S.A., 20 juillet 1995, Bisrour, REMALD n° 14 -15, 1996, p. 57. Propriétaire d’un terrain à Agadir, le requérant est surpris de son occupation par l’Etat qui y construit une école publique sans respect de la procédure légale d’expropriation. Il s’adresse au Tribunal administratif d’Agadir qui déclare son incompétence. Après appel devant la Cour suprême, celle-ci confirme le jugement du Tribunal.

[30] C.S.A., 20 juillet, Belkacem, REMALD  n° 14 -15, 1996, p. 57.

[31] Sur ces deux décisions, voir commentaire M.A.Benabdallah, La voie de fait et le droit, REMALD n° 14 -15, 1996,  p. 45 et suiv.

[32]A. Heidra, La problématique de la compétence juridictionnelle en matière de voie de fait, en langue arabe, REMALD, série Thèmes actuels n°47, 2004, Dix ans de jurisprudence des tribunaux administratifs au Maroc, p. 45.

[33] M.Rousset, Consécration et évaluation de la notion de voie de fait dans le contentieux administratif marocain, REMALD 1996, no 17, p. 10.

[34] Mohamed  Amine Benabdallah, «  la voie de fait en droit administratif marocain », Contribution aux mélanges offerts au Doyen Yadh Ben Achour, Centre de Publication universitaire, Tunis , 2008, p. 669 et suiv. ; REMALD n°80, 2008, p. 9 et suiv.

[35] T.A., Rabat, 2 mai 1996, Zeroual, REMALD n° 16, 1996, p. 98.

[36] T.A., Rabat, 9 mai 1996, Akouh, REMALD n° 16, 1996, p. 98.

[37] Commentaire des deux jugements, M.A. Benabdallah, Sur la compétence des tribunaux administratifs en matière de voie de fait, REMALD n° 16, 1996, p. 91 et suiv.

[38] C.S.A., 20 mai 1996, Ammouri, REMALD n° 17, 1996, p. 27.

[39] M. Rousset, op.cit, p. 9 et suiv.

[40] M.A. Benabdallah, Vers la fin de la théorie de la voie de fait ? REMALD n° 17, 1996, p. 17 et suiv.

[41]Les faits de l’arrêt Inous : Propriétaire d’un terrain à Marrakech, le requérant reçoit, le 30 avril 1992, une correspondance du service des domaines l’informant qu’en vue d’y construire une école, l’Etat envisage de le lui acheter au prix de 350 dirhams le mètre carré. Il décline l’offre. Passant outre son refus, l’administration, sans obtenir son accord, ni même engager la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique, exécute le projet comme si son acquisition du terrain ne souffrait aucune irrégularité. Soutenant le caractère de voie de fait  du comportement de l’administration, il s’adresse au Tribunal de première instance de Marrakech pour demander, en application de l’article 79 du dahir formant code des obligations et contrats, la réparation du préjudice qu’il a subi. Le Tribunal déclare l’incompétence  matérielle et l’intéressé interjette appel.

[42] M. Rousset; La révision constitutionnelle, in Trente années de \ ie constitutionnelle au Maroc, Edification d’un Etat moderne, LGDJ 1993, p.301

[43] Paroles du Prophète.

[44] Mohamed El Yaagoubi, op.cit. P.92

[45] M. El Aârej, La référence islamique dans les jugements des tribunaux administratifs, REMALD « Thèmes actuels » 2004 n 047 p.29 (en arabe).

[46] Mohamed El Yaagoubi, op.cit. p. 97-98.

[47] CSA. 11Juillet 1985, Mohammed Echmlal, note Benabdellah, RJPEM 1988, n°20, p.29.

[48] E.Benhalima, Autonomie du droit administratif et spécificité juridictionnelle: réflexion sur les fondements du droit administratif marocain, Thèse droit. Strastbourg, 1989. p. 216.

[49] TA. Meknès 22 janvier 1996, Regragui Ayada, REMALD 1996, n°16, p171 (en arabe).

[50] TA Meknès 26 septembre 1996 Hamzaoui  Rachida; REMALD 1997, n°18, p.207(en arabe)

[51]TA, Fès 16 mars 2004 Fikri, dossier n°3/7/2003.

[52]Mohamed El Yaagoubi, op .cit., P.99.

[53] TA Agadir 26 Juin 1998, Chaouki c/Président de l’Université Alkaraouiine REMALD, n°25, p223(en arabe).

[54] TA. Fès, 17 Juillet 1996 Mrabet Jalila, Dossier n° 96-16.

[55] CE 24 avril 1964, S.A de livraisons industrielles et commerciales.

[56] TA. Fès, 9 juin 1996, Alaoui Mohammed et consorts, dossier n° 96-205

[57] Tribu originaire de la Mecque à laquelle appartient le prophète.

[58] TA. Fès 3 avril 2001 Héritiers Ghafer, REMALD n°43, p. 158 (en arabe).

[59] Michel Rousset, « Rétrospective et prospective, la dynamique du contentieux administratif 1912-1992», in Tribunaux administratifs et Etat de droit, travaux du colloque international organisé par la Faculté de Droit, Marrakech, 04 et 05 Février 1994, Séminaires et Colloques n°5, 1996.

[60] Abdallah Haddad, Applications de l'action administrative en droit marocain, Publications d'Okaz, 1999.

[61] Mohamed El Yaagoubi, Le juge protecteur de l’administré au Maroc : Entre le mimétisme et l’autonomisation, Imp. INFO-PRINT-FES, 2006. p.8

[62] Mohamed El Yaagoubi, Le juge protecteur de l’administré au Maroc : Entre le mimétisme et l’autonomisation, Imp. INFO-PRINT-FES, 2006. p. 11

 

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