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Déterminants démographiques de la production scientifique des enseignants chercheurs en sciences humaines et sociales dans les universités marocaines.

Déterminants démographiques de la production scientifique des enseignants chercheurs en sciences humaines et sociales dans les universités marocaines.

DOUKKALI Sanaa

Doctorante – Laboratoire des Sciences Sociales –

Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales

Université Hassan II de Casablanca- Maroc

 sanaadoukkali@gmail.com

Résumé

Cette étude examine la production scientifique des enseignants chercheurs en Sciences humaines et sociales dans les universités marocaines. Plus précisément, elle explore les caractéristiques démographiques des enseignants chercheurs, leur production scientifique pendant les 10 dernières années et les facteurs démographiques qui déterminent le niveau de leur production. Nous avons réalisé une enquête par questionnaire auprès d’un échantillon de 341 enseignants chercheurs, puis nous avons  effectué des statistiques descriptives et une analyse de régression multiple standard. Nous avons constaté que les universitaires marocains en sciences humaines et sociales sont fortement orientés vers la publication dans les revues nationales ou dans les actes de colloques. Toutefois, ils sont peu tournés vers la publication internationale et les revues indexées En outre, la production scientifique est influencée par un certain nombre de facteurs, notamment le genre, le grade, le domaine, et l’ancienneté.

Mots clés: Production scientifique- Enseignants chercheurs- Université- Maroc- déterminants démographiques.

  1. Introduction

La question du développement de la recherche scientifique occupe aujourd’hui toutes les institutions universitaires dans le monde et concerne toutes les disciplines du savoir.  Même si l’enseignement demeure l’activité principale dans la quasi-totalité de ces institutions, la recherche et les autres activités savantes semblent être tout aussi importantes aussi bien pour les universités que pour les chercheurs qui mènent ces recherches eux-mêmes[1]. Un profil de recherche solide améliore la réputation, la visibilité et la reconnaissance de l’établissement.  Il apporte également au chercheur une reconnaissance et des avantages personnels et professionnels[2].A cet effet, les universités et les universitaires sont constamment appelés à améliorer leur positionnement dans les systèmes d’évaluation qui tentent d’évaluer l’activité de recherche à plusieurs niveaux (International, national, université, établissement, laboratoire, etc.).  Confrontés à ces systèmes souvent basés sur une normalisation des critères d’évaluation, les sciences humaines et sociales doivent toujours défendre leur légitimité épistémologique, leurs méthodes de recherche et leurs modèles de publication spécifiques afin de justifier l’état terne généralement reflété par ces évaluations[3].

Les rapports publiés à cet effet par plusieurs pays font état d’un manque de production scientifique de la part des enseignants chercheurs en sciences humaines et sociales en comparaison avec leurs homologues en sciences exactes et sciences naturelles[4]. Cette situation est souvent liée à la non adéquation des systèmes d’évaluation à l’activité de recherche dans les disciplines des sciences humaines et sociales d’une part, ou à des considérations budgétaires d’autre part[5]. Cependant d’autres constatations émergent à travers des recherches réalisées dans le cadre de la sociologie des sciences : malgré l’importance reconnue de la recherche tant pour les universités que pour le corps professoral, on constate une grande variation de la  production en recherche parmi les membres du corps professoral et cette variation serait due à un ensemble de facteurs qui ont été regroupés dans des modèles proposés depuis plusieurs années pour essayer de résoudre le puzzle[6].

La littérature  fait état d’un nombre important de travaux qui ont examiné la question des déterminants de la production en recherche des enseignants chercheurs. Jusqu’à présent, presque toutes les études publiées ont porté sur les milieux universitaires des pays développés[7]. La productivité de la recherche en sciences humaines sociales a été moins souvent prise en compte, tandis que dans les pays en voie de développement et au Maroc, elle est rarement examinée. J. Scott Long and Robert McGinnis[8] affirment que ces études réalisées dans un pays ne sont pas nécessairement valables (ou applicables) pour d’autres régions du monde, en particulier pour celles des pays en développement. La qualité et la quantité de la productivité du corps professoral en matière de recherche ont un rapport important avec les composantes du milieu structurel dans lequel s’effectuent ces recherches et plus précisément avec les caractéristiques individuelles des personnes réalisant ces recherches.

S’agissant des SHS, le système universitaire marocain apparait comme bien loin d’être inscrit dans les logiques de compétition mondiale. Ceci peut être constaté à travers les chiffres de publication rapportés à l’occasion de rapports mandatés ou d’expertises réalisées par des organismes nationaux ou internationaux[9], ou encore en faisant état de la rareté des travaux qui ont étudié les déterminants de la production des enseignants chercheurs en SHS au Maroc[10]. D’où l’objectif de cette recherche est d’étudier les déterminants de la production scientifique des enseignants chercheurs en Sciences humaines et Sociales dans le contexte des universités marocaines en soutenant que les caractéristiques démographiques des enseignants chercheurs marocains doivent être prise en compte pour expliquer la variation dans le rendement en recherche des enseignants chercheurs dans les disciplines des SHS. 

L’intérêt de ce travail de recherche consiste donc à offrir une étude empirique sur la réalité de l’exercice de la recherche en sciences humaines et sociales par les enseignants chercheurs marocains, ainsi que sur les facteurs démographiques qui favorisent ou freinent leur production scientifique. En outre, ce  travail permettra aux politiques publiques d’envisager des mesures parallèles à celles déjà établies afin de rehausser le niveau de la recherche en sciences humaines et sociales et en ciblant les sources réelles du problème. Etant donnée la rareté de travaux spécifiques sur la production de la recherche universitaire en SHS, et au Maroc, cette recherche vise à combler cette lacune en fournissant des données spécifiques aux enseignants-chercheurs en sciences humaines et sociales qui sont souvent confondus avec leurs collègues des autres domaines scientifiques.

 Notre recherche vise donc à combler certaines lacunes dans la connaissance de la dynamique sociale des pratiques de production du savoir en SHS.

Notre recherche se penche sur la production scientifique des enseignants chercheurs en sciences humaines et sociales dans les universités marocaines. Elle intervient dans un contexte marqué par de fortes pressions liées à la recherche scientifique dans toutes les disciplines et par des changements dans la mission même de l’Université qui impactent le travail de l’universitaire à tous les plans. 

Le but étant de considérer en premier l’enseignant chercheur, en tant qu’élément central de la recherche, de connaitre ses caractéristiques, son profil, de dresser les contours de son activité de recherche et d’essayer d’expliquer le niveau de sa production en matière de recherche.

Il s’agit d’aller au-delà des analyses macro qui étudient l’impact des politiques publiques sur le niveau de production scientifique des chercheurs pour examiner plus en détail l’activité de recherche de l’enseignant chercheur en Sciences humaines et sociales, souvent en décalage avec les politiques institutionnelles et les besoins des systèmes d’évaluation nationaux et internationaux.

Bien que les rapports institutionnels permettent de retracer l’évolution de l’allocation des ressources aux différentes universités ainsi que l’évolution de la production scientifique selon les standards internationaux, elles fournissent toutefois peu d’informations sur les activités de recherche effectives en sciences humaines et sociales et sur les enseignants-chercheurs qui les réalisent et qui sont toujours confondus avec leurs collègues des autres disciplines scientifiques. Notre recherche vise donc à combler certaines lacunes dans la connaissance de la dynamique sociale des pratiques de production du savoir en SHS.

 La question principale de cette recherche est la suivante :

Quels sont les déterminants démographiques de la production scientifique des enseignants chercheurs en sciences humaines et sociales dans les universités marocaines?

Plus spécifiquement, notre étude tentera de répondre aux questions de recherche suivantes :

– Quelles sont les caractéristiques démographiques (Age, Sexe, grade, domaine d’affiliation, langue d’enseignement, Années d’expérience) des enseignants chercheurs marocains ? – Quel est leur niveau de production scientifique ? – Quels sont les déterminants démographiques qui impactent le niveau de leur production scientifique ?

4. Revue de la littérature

L’examen des différences qui marquent  la production scientifique peut se  faire à plusieurs échelles au niveau de l’institution universitaire (Individu, équipe, laboratoire, faculté, université). Cet examen  peut également s’effectuer en comparant les institutions d’un même pays ou être utilisé pour comparer les performances de deux ou de plusieurs pays en matière de recherche.

Quelle que soit l’échelle adoptée, la dimension individuelle relative au degré d’implication de l’élément humain dans la réalisation de résultats de recherche est toujours présente avec force. Dans ce sens de nombreuses études portant sur les explications des différences observées au niveau de la production des enseignants chercheurs portent sur les variables démographiques étant données qu’elles sont essentielles pour bien comprendre la vie sociale des membres du corps professoral. Ainsi la littérature s’intéresse au rôle de facteurs comme l’âge et le sexe.  L’étude d’autres facteurs comme le grade, le domaine d’études, la langue d’enseignement et les années d’expériences est également indispensable pour étudier l’impact des variables démographiques sur la production scientifique des enseignants chercheurs en SHS.

L’Age 

Plusieurs chercheurs ont étudié la relation entre l’âge et la production scientifique des enseignants chercheurs sans pour autant donner une explication concluante sur la nature de cette relation. Le premier point de vue est celui porté par la littérature qui postule que les chercheurs les moins âgés ont une contribution plus importante que les chercheurs les plus âgés et que la production en recherche diminue avec l’âge. Bland and Berquist cités par Kortlik[11] ont observé que la productivité moyenne du corps enseignant semble diminuer avec l’âge. Goodwin et Sauer cités par Over[12] ont étudié la production des économistes universitaires dans sept universités américaines. Ils ont constaté que la production des économistes diminue avec l’âge. Teodorescu[13] a mené une étude transnationale sur la production scientifique du corps professoral dans 10 pays et a découvert que l’âge élevé a une influence négative sur cette production.

D’autres auteurs suggèrent que l’âge n’affecte pas de façon significative la recherche. C’est le cas de Kotrlik et al.[14] qui ont mené une étude sur un échantillon d’enseignants universitaires de collèges et d’universités aux États-Unis. Les résultats leur ont permis de conclure que l’âge n’était pas responsable de la variation observée dans les niveaux de production des enseignants chercheurs.

Aussi, Gonzalez-Brambila et Veloso[15] ont exploré les déterminants de la production en recherche chez des chercheurs mexicains. Leurs résultats confirment une relation quadratique entre l’âge et le nombre d’articles publiés. Toutefois, la publication atteint des sommets lorsque les chercheurs sont environ 53 ans, 5 ou 10 ans plus tard que ce que les études antérieures ont montré. Dans l’ensemble, les résultats suggèrent que l’âge n’a pas une influence considérable sur les résultats et l’impact de la recherche.

Le troisième point de vue est celui des chercheurs qui établissent un lien positif entre l’âge et la production en recherche[16]. Cette relation serait due au fait que que l’âge jouerait un rôle positif dans l’analyse et la synthèse nécessaires à la recherche[17]. Une étude menée à l’Université d’Addis-Abeba en Afrique acorroboré cette idée en  établissant que le corps professoral plus âgé (51 à 75 ans) publiait plus de publications que tous les autres groupes d’âge[18].

Le genre

La question du genre liée à la production scientifique des enseignants chercheurs intéresse de manière permanente les chercheurs et les décideurs en enseignement supérieur dans le monde entier et elle renvoie généralement à la place de la femme dans la science[19]. Les différences entre les hommes et les femmes dans le domaine de la science ont fait l’objet d’une attention particulière au point que l’on peut constater la présence de l’hypothèse liant le genre à la production scientifique dans presque l’ensemble des travaux traitant de la question[20]. Cependant, les résultats obtenus à travers ces études ne peuvent confirmer de façon évidente la relation directe entre la question du genre et le niveau de production en recherche des enseignants chercheurs.

De nombreuses études ont révélé que les femmes publient moins que les hommes[21]. Cependant, les explications de cette tendance n’ont pas réussi à émerger, et les différences entre les sexes dans la production de la recherche demeurent liées à d’autres facteurs explicatifs. Zuckerman, cité par Stack[22] avait constaté que les femmes publiaient en moyenne de 40 à 50% moins d’articles que les hommes..

Aussi, A partir d’un échantillon d’enseignants-chercheurs économistes allemands, les auteurs[23] montrent que les femmes manifestent, par rapport aux hommes, une plus faible production scientifique dans les huit premières années de leur carrière jusqu’à 38 ans. Ce n’est que vers 48 ans que leur production scientifique devient comparable à celle des hommes. Stack[24] précise que cet effet genre négatif sur les publications est surtout perceptible chez celles dont les enfants sont en bas âges.

Dans des études plus récentes, certains auteurs ont pu soulever que les différences entre les sexes en matière de production de la recherche ont tendance à diminuer au cours des dernières années[25]. D’un point de vue contradictoire, certains auteurs  n’ont constaté aucun effet significatif du genre sur la production de la recherche[26].

Afin d’éxliquer ces variations, de nombreux facteurs, tant personnels qu’académiques, ont été identifiés comme responsables de la production limitée des femmes en matière de recherche. L’âge, le mariage, les enfants et la charge de travail domestique sont des facteurs personnels qui sont supposés influer négativement sur la productivité de la recherche chez les femmes, tandis qu’une discrimination au niveau de l’élévation de la femmes à des rangs académiques supérieurs et la sous-représentation des femmes dans l’enseignement supérieur, sont des facteurs académiques qui semblent avoir un effet négatif sur la productivité de la recherche[27]. Globalement, ces analyses suggèrent que la sous-représentation historique des femmes dans les sciences elles-mêmes et les facteurs socio-psychologiques et culturels qui sous-tendent les préjugés sexistes contre les femmes contribuent au maintien d’un environnement académique et non académique défavorable aux femmes et à perpétuer l’écart de productivité entre les sexes. Ces discriminations sexistes n’émanent pas forcément des hommes mais les femmes peuvent aussi être responsables de discriminations à l’égard de leurs homologues femmes. Ces résultats suggèrent que les différences entre les sexes en matière de productivité de la recherche découlent des différences entre les sexes dans les lieux structurels et, en tant que telles, répondent à l’amélioration de la position des femmes dans les sciences[28].

Le grade

Le rang académique ou le grade est un facteur évoqué dans la littérature et jugé comme déterminant de la production scientifique des enseignants chercheurs.Un système de grades universitaires forme une structure hiérarchique qui permet aux enseignants chercheurs de passer d’un grade à un autre dans le cadre de la promotion. La promotion est liée à une augmentation de statut et de salaire ce qui améliore le positionnement de l’enseignant chercheur au sein de l’organisation universitaire[29]. Le passage d’un grade à un autre se fait généralement sur la base de l’évaluation des activités d’enseignement et de recherche de l’enseignant chercheur en plus de son implication dans les tâches administratives.  Dans cette évaluation, les activités liées à la recherche sont celles sui reçoivent le plus d’attention

et de points[30].

En étudiant l’impact du grade académique sur la production scientifique des enseignants cherchuers, certaines études ont confirmé que les membres du personnel académique détenant un grade académique supérieur ont plus de publications que ceux ayant un grade inférieur[31]. En Iran, Hedjazi et Behravan[32] ont pu établir que le rang universitaire (et l’âge) sont des prédicteurs importants de la production en recherche des enseignants chercheurs.

Toutefois, d’autres études ont montré que le grade n’avait pas d’effet significatif sur de la production en recherche des enseignants chercheurs[33].

Certaines études lient le système de grades à la motivation et suggèrent que la position de l’enseignant chercheur à un stade de sa carrière où l’éventualité de promotion (passage à un grade supérieur) est présente augmente sa production scientifique. Le passage d’un grade à un autre constitue une motivation extrinsèque qui pousse le coprs professoral à être plus productif[34].

C’est à cet effet que certains chercheurs ont suggéré de  modifier la structure de promotion universitaire en augmentant le nombre de grades que les professeurs pourraient atteindre . Il s’agit en effet de maximiser la productivité du corps professoral en utilisant la structure de promotion par le passage de grade en grade[35].

En outre, d’autres études ont suggéré que les enseignants chercheurs ne publient dans le but d’obtenir une récompense quelconque ou une promotion, car si c’était le cas, leur productivité chuterait après avoir atteint le statut souhaité.  Cependant, certains chercheurs maintiennent leur rythme de production au-delà de cet objectif car ils sont motivés par d’autres facteurs intrinsèques (intérêt pour la recherche ou sparked star, reconnaissance par les pairs, satisfaction personnelles et la joie de l’accomplissement)[36].

Le domaine d’affiliation

Les disciplines ou plus généralement les domaines du savoir se différencient par leurs théories, par leurs méthodes de recherche et par leurs paradigmes. En outre ils se distinguent par  les conditions techniques, sociales et normatives du travail des universitaires[37], qui donnent lieu à des pratiques et des modèles de publications propres. Ainsi, la discipline ou le domaine est l’une des variables les plus importantes qui influencent l’activité académique et la production scientifique des universitaires.

Jung a pu établir que la discipline académique a un impact significatif sur le niveau de production scientifique des enseignants chercheurs et que les universitaires en sciences humaines ou sociales ont des préférences différentes en matière de publication. Ces différences sont dues en partie à des différences dans les modèles de publication et en partie à des différences dans la préférence pour le travail collaboratif qui est étroitement liée au travail d’équipe dans la recherche, qui est beaucoup moins fréquent dans les sciences humaines et sociales que dans les sciences de la nature[38].

Toutefois, un certain nombre d’études sur la production scientifique ont porté sur des échantillons limités dans une ou quelques disciplines scientifiques seulement, ce qui rend difficile la généralisation des résultats entre les disciplines. Il est donc important de distinguer le contexte disciplinaire pour examiner les facteurs qui déterminent la production scientifique des universitaires[39].

La langue d’enseignement

La langue est considérée par beaucoup d’études comme un déterminant du niveau de la production scientifique aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif. Certains auteurs considèrent même que la langue anglaise, qui est la langue dominante de publication dans le monde constituerait même une menace pour les enseignants qui ne maitrisent pas cette langue et qui pourraient ainsi être pénalisés en ne pouvant accéder aux meilleures revues ni être lus par la communauté internationale[40]. Stremersch et Verhoef[41] indiquent que les facteurs d’impact de l’ISI couvrent uniquement des journaux écrits en anglais qui proviennent en grande partie des États-Unis et de la Grande-Bretagne, qui, à leur tour, sont des pays de langue anglaise.

Dans les pays où l’anglais n’est pas la langue officielle ni une langue d’enseignement, la langue apparait clairement comme un facteur déterminant de la production scientifique

les résultats d’entretiens exploratoires menés avec des spécialistes du management basés en Pologne suggèrent que les compétences linguistiques en anglais influencent fortement la productivité de la recherche internationale[42].

Les années d’expérience

L’expérience a été considérée comme l’un des facteurs les plus importants qui influencent la production scientifique des universitaires. Pour évaluer l’expérience, certaines études utilisent l’âge ou la position académique (grade). Cole[43] suggère que les professeurs de rang académique supérieur accumulent un certain capital académique et une certaine dynamique pour écrire et publier. Selon Zhang[44], étant donné que les professeurs titulaires ont tendance à publier davantage que les non titulaires, les universitaires seniors auraient un niveau de production scientifique plus élevé que ceux qui se trouvent aux échelons inférieurs de l’échelle académique.

Par ailleurs, certaines études ont mis l’accent sur l’âge de la carrière comme mesure clé. L’âge de la carrière est mesuré par le nombre d’années de travail après l’obtention d’un diplôme universitaire supérieur, généralement un doctorat. Certaines publications soulignent que la publication d’articles de journaux diminue avec l’âge de la carrière, ce qui est probablement dû au fait que les universitaires de haut niveau sont plus susceptibles de publier un ou plusieurs livres plus tard dans leur carrière[45].

5.                   Particularités de l’évaluation de la production en sciences humaines et sociales

Evaluer la production scientifique des enseignants chercheurs peut se faire par le biais d’instruments qualitatifs (Peer Review) et quantitatifs. Mais ce sont surtout les instruments quantitatifs de mesure qui reçoivent le plus grand nombre de critiques au sein de la communauté scientifique.

Ce constat concerne toutes les disciplines du savoir. Pourtant, quand il s’agit d’évaluer cette production dans les domaines des sciences humaines et sociales, d’autres complications surgissent rendant tout travail d’évaluation et de mesure des produits de la recherche à partir de quelques chiffres extrêmement difficile, et ce en raison de quelques spécificités qui marquent ces disciplines notamment la diversité des approches méthodologiques, les langues et les formes de publications qui les différencient des autres sciences.

Aussi, tout essai de généralisation et de normalisation au sein même des sciences humaines et sociales pourrait s’avérer inadéquat en raison de la divergence des pratiques d’une discipline à une autre. En effet, les origines diverses du fait de l’histoire de l’institutionnalisation et du modèle épistémologique de chaque discipline SHS font que certaines disciplines évoluent vers l’unilinguisme et vers un type de publication privilégié, se rapprochant ainsi des pratiques des sciences de la matière et de la vie.  D’autres disciplines SHS conservent des objets d’étude locaux ou nationaux, ainsi qu’un système de production de la connaissance qui s’adresse aussi bien à la communauté scientifique qu’au reste de la société. Globalement, les disciplines SHS sont peu homogènes entre elles, difficilement constituables en un corpus international et difficilement normalisables[46].

Il est donc souhaitable dans le cas des sciences humaines et sociales de développer des analyses locales et contextualisées, étant donné que les analyses générales tendant à transposer des mesures quantitatives d’un domaine à un autre, et d’un contexte à un autre ne rendraient pas fidèlement compte de la réalité.

Par ailleurs, la publication en sciences humaines et Sociales est une activité qui requiert beaucoup plus de temps que celle en sciences et techniques et cet allongement de temps est dû principalement à la nature du support de publication que ces sciences tendraient à produire, mais également à la nature du travail que requiert ces disciplines[47]. Dans plusieurs cas, la durée de vie des publications issues des recherches en SHS ne connaissent pas une trajectoire linéaire. Elles peuvent demeurer inaperçues pendant un long moment avant que leur intérêt ne soit remarqué ou rester ancrées dans les travaux des chercheurs pendant longtemps étant donné qu’elles portent sur des réflexions profondes ou transmettent des savoirs qui dépassent la limite des savoirs nouveaux vite dépassés par les publications suivantes.

Dans ce sens, l’adaptation de l’évaluation des produits de la recherche aux spécificités des disciplines des sciences humaines et sociales devrait tenir compte de l’élargissement de la durée, du spectre des sources données et des indicateurs et suppose d’étudier l’intérêt d’intégrer certains types d’ouvrages, dans des bases de données permettant le calcul d’indicateurs. Cela suppose parallèlement un changement dans les pratiques de production et de diffusion des auteurs eux-mêmes, le resserrement des mécanismes de contrôle des éditeurs de livres et un travail acharné de la part des professionnels de l’information et de la documentation afin d’augmenter la visibilité des ressources en Sciences humaines et sociales.

6.                   Méthodologie

La dimension empirique de cette thèse repose essentiellement sur une enquête quantitative par questionnaire auprès de 341 enseignants chercheurs en Sciences humaines et sociales (SHS) dans les universités marocaines. Afin de réaliser notre enquête, nous avons procédé par méthode d’échantillonnage non aléatoire réalisée sur la base des quotas  sexe, grade (PA, PH, PES, et autres), soient 4 catégories, la région où exerce l’enquêté pour garantir une représentativité natioanale (Casa Settat El Jadida Berrechid, Rabat Salé Kénitra, Fès Meknes, Marrakech Safi Essaouira, Agadir et Oujda) soient 6 catégories, et le domaine (Juridiques, économiques et Sociales, Lettres et Sciences humaines) en 2 catégories.

Figure 4 : Profil des personnes interrogées

59,5%  

Pour l’analyse des données, nous avons utilisé le logiciel SPSS qui a permis d’appliquer différentes techniques pour répondre aux questions de recherche suscitées. Ainsi, pour répondre à la question relative aux caractéristiques démographiques (Age, genre, grade, domaine, langue d’enseignement, années d’expérience) des enseignants chercheurs marocains, ainsi que celle sur leur niveau de production scientifique,  nous avons utilisé les statistiques descriptives à une dimension (tri à plat). L’objectif de ces tris à plat est de décrire, à l’aide de fréquences et de pourcentages, les caractéristiques individuelles des enseignants chercheurs, ainsi que leur production scientifique pendant les 10 dernières années. A partir de la revue de la littérature sur la mesure de la production scientifique des enseignants chercheurs, et des données disponibles sur les publications des enseignants chercheurs marocains en Sciences humaines et sociales, la variable dépendante « Production en recherche » utilisée dans le présent travail est constituée de 5 items :

En ce qui concerne la question relative au degré de contribution de chacun des facteurs démographiques à la variation de niveau de production scientifique des enseignants chercheurs en SHS, nous avons opté pour une régression multiple. Pour cela nous avons procédé à une agrégation des 5 variables qui constituent notre variable dépendante, et  nous avons opéré une pondération en fonction de l’importance de chaque type de publication en prenant en considération la spécificité de la publication dans notre champ d’investigation à savoir les sciences humaines et sociales. Le calcul du score en fonction des réponses des enquêtés a donné lieu à une nouvelle variable agrégée nommée score de publication.

Quelles sont les caractéristiques démographiques (Age, genre, grade, domaine, langue d’enseignement, Années d’expérience) des enseignants chercheurs marocains ?

Parmi les répondants de notre étude appartenant aux établissements délivrant un enseignement en sciences humaines et sociales dans les universités marocaines, 70% sont des hommes (236 enseignant chercheur) et 30% des femmes (105 enseignante chercheure). Cette répartition reflète à peu près la composition du corps enseignant dans les domaines des Sciences humaines et sociales où les hommes représentent les ¾ du corps enseignant et les femmes le 1/4.

Tableau n°1 : Distribution des répondants selon les caractéristiques démographiques 

Genren(%)
Femme10530,8
Homme23669,2
Age  
NR123,5
-30ans41,2
30-394914,4
40-4912035,2
50-5910831,7
+ 60ans4814,1
Grade  
PA12035,2
PH9929,0
PES11734,3
Autre51,5
Domaine  
Sciences humaines13840,5
Sciences sociales20359,5
Langue d’enseignement  
Arabe7421,7
Français18754,8
Anglais236,7
Bilingue (arabe et français)3410,0
Autres langues236,7

L’âge de notre échantillon varie entre 27 et 68 ans avec un âge moyen de 47 ans. Un pourcentage de 67% des enseignants chercheurs de notre échantillon appartient à la tranche d’âge 40-60 ans dont un peu plus de la moitié a entre 40 et 50 ans. 16% ont au-dessous de 40 ans et 14% ont plus de 60 ans. A cette question d’âge, 3% n’ont pas souhaité répondre.

En ce qui concerne la distribution des répondants en fonction du grade, notre échantillon est constitué de 117 enseignants chercheurs appartenant au grade de PES, soit 35.2%, de 99 au grade de PH soit 29% de PH et 117 au grade de PA soit 34.3%. 1,5.% appartiennent à d’autres grades Le grade est un indicateur important de classement scientifique et social des enseignants chercheurs.

Les domaines auxquels appartiennent nos répondants sont classés en 2 grands domaines :

Les sciences sociales, regroupant toutes les disciplines enseignées dans les facultés des sciences juridiques, économiques et sociales ainsi que, le commerce et gestion enseignés dans les ENCG et les EST qui représentent 203 enseignant chercheur soit (59%) d’une part,  et les lettres et sciences humaines regroupant les disciplines enseignées dans les Facultés des lettres et des sciences humaines qui représentent 138 enseignant chercheur soit (41%) d’autre part.

Pour ce qui est de l’ancienneté dans le poste, 123 enseignants chercheurs (36,1%) ont une ancienneté de moins de 10 ans. 63 (18,5%) ont une ancienneté de 10 à 20 ans, 88 (25,8%) ont une ancienneté de 20 à 30 ans et 54 (15,8%) ont passé plus de 30 ans dans leur fonction.

Prenant en compte la langue d’enseignement, notre échantillon se compose de 187 (54.8%) enseignants qui utilisent le français comme langue d’enseignement, 74 (21.7%) utilisent l’arabe, 35 (10.3%) utilisent les deux langues (arabe et français), 33 (9.7%) enseignent en utilisant l’anglais et 12 (3.5%) enseignent d’autres langues comme l’espagnol, l’italien, l’allemand, le russe ou encore le hébreux.

Quel est le niveau de production scientifique des enseignants chercheurs en SHS pendant les dix dernières années ?

Tableau n°2 : Production scientifique des enseignants chercheurs en SHS pendant les dix dernières années

 OuvragesArticles de revues marocainesArticles de revues internationalesArticles de revues internationales indexéesActes de colloques
Sans réponse7,6%8,2%11,1%15%5,9%
Aucun33,1%13,2%21,4%46,3%7,3%
Un22%13,2%17,9%14,1%11,7%
De 2 à 528,7%40,5%34,9%21,1%44,3%
De 6 à 105%14,4%10,9%2,6%16,7%
Plus de 103,5%10,6%3,8%0,9%14,1%

La publication d’ouvrages ou de chapitres d’ouvrages constitue le mode de publication privilégié en SHS, pourtant 33,1% des enseignants chercheurs déclarent n’avoir jamais fait de publication de ce type pendant les dix dernières années, 22% ont publié un ouvrage ou un chapitre d’ouvrage, 28,7% ont publié de 2 à 5% ont publié de 6 à 10 et 3,5% ont publié plus de 10 pendant les 10 dernières années ;

Concernant la publication d’articles dans des revues nationales, 26,4% n’ont jamais publié ou ont publié un article pendant les dix dernières années, 40,5% ont publié de 2à5, 14,4% ont publié de 6 à 10 et seulement 10,6% ont publié plus de 10 articles pendant les 10 dernières années.

Pour ce qui est de la publication dans des revues internationales non indexées, 39,3% n’ont jamais publié ou ont publié un article pendant les dix dernières années, 34,9% ont publié de 2à5, 10,9% ont publié de 6 à 10 et seulement 3,8% ont publié plus de 10 articles pendant les 10 dernières années.

Concernant la publication dans des revues internationales indexées, 60,4% n’ont jamais publié ou ont publié un article pendant les dix dernières années, 21,1% ont publié de 2à5, 2,6% ont publié de 6 à 10 et seulement 0,9% ont publié plus de 10 articles pendant les 10 dernières années.

Pour ce qui est de la publication dans actes de colloques, 19% n’ont jamais publié ou ont publié un article pendant les dix dernières années, 44,3% ont publié de 2à5, 16,7% ont publié de 6 à 10 et 14,1% ont publié plus de 10 articles pendant les 10 dernières années.

Quels sont les déterminants démographiques qui impactent le niveau de production scientifique des enseignants chercheurs ?

Afin de répondre à notre question, nous avons utilisé une régression multiple standard où toutes les variables indépendantes sont entrées en même temps dans l’analyse. Cette méthode nous permet  d’évaluer la variance expliquée par un ensemble de variables, d’évaluer la contribution unique de chaque variable en comparant les coefficients de corrélation, et enfin d’estimer la signification statistique de la contribution de chaque variable lorsque toutes les variables sont dans l’analyse.

Évaluation de la qualité du modèle de régression : On vérifie si le modèle construit à l’aide des variables démographiques (âge, genre, grade, domaine d’études, langue d’enseignement et ancienneté) explique significativement plus de variabilité qu’un modèle sans prédicteur. Ensuite, il s’agit de s’assurer que toutes les variables introduites contribuent à améliorer significativement la variabilité expliquée par le modèle final. 

Analyse de variance : Le tableau d’ANOVA nous donne cette information sur la qualité de la régression. En effet, il nous permet de déterminer si nous devons rejeter l’hypothèse nulle (H0) ou non. Dans notre étude, nous voulons tester si les variables indépendantes expliquent mieux le niveau de production scientifique.

ANOVAa
ModèleSomme des carrésddlMoyenne des carrésDSig.
1Régression51,44868,57512,220,000b
Résidu234,358334,702  
Total285,806340   

La lecture du tableau d’ANOVA nous permet de constater qu’on ne peut pas rejeter l’hypothèse nulle. En effet, les valeurs de la p-value sont significatives à p < 0,000 pour toutes les variables de notre modèle. Cela indique que nous n’avons pratiquement pas de chance de se tromper en affirmant que les modèles contribuent à mieux prédire la productivité scientifique que la simple moyenne.

Évaluation de l’ajustement du modèle de régression aux données : Le tableau récapitulatif du modèle permet de déterminer la contribution du bloc de variables. Ce tableau indique le R2 cumulatif du modèle (colonne R-deux) ainsi que l’apport spécifique du bloc (colonne Variation de R-deux).

Récapitulatif du modèlec
ModèleRR-deuxR-deux ajustéErreur standard de l’estimationChangement dans les statistiques
Variation de R-deuxVariation de F
1,424a,180,165,838,18012,220
Récapitulatif du modèlec
ModèleChangement dans les statistiquesDurbin-Watson
ddl1ddl2Sig. Variation de F
16a334,0002,155

Premièrement, la valeur de la corrélation multiple (R) correspond à l’agglomération des points dans la régression simple. Elle représente la force de la relation entre la variable dépendante et les variables indépendantes du modèle. Nous avons une valeur de 0,42 ce qui veut dire que les données sont ajustées de manière assez satisfaisante au modèle. Ensuite, la signification du R2 est évaluée. La variation de la p-value associée au modèle montre que toutes les variables sont significatives (p < -.001). Ce modèle explique donc une proportion significative de la variance de la variable Production scientifique. 

La colonne « Variation de R-deux » nous montre la contribution de l’introduction de chaque variable. Nous sommes passés d’un R² = 0 à R² = 0.180. Les variables démographiques contribuent donc significativement à l’amélioration de l’explication de la variabilité de la variable dépendante (production scientifique).

Les résultats suggèrent que notre modèle explique près de 18% de la variabilité de la production scientifique. 

Enfin, la dernière colonne concerne le test de Durbin-Watson. En effet, la statistique de Durbin Watson (DW) est un test d’autocorrélation dans les résidus d’une analyse de régression statistique. La statistique de Durbin-Watson a toujours une valeur comprise entre 0 et 4. Les valeurs de 0 à moins de 2 indiquent une autocorrélation positive et les valeurs de 2 à 4 indiquent une autocorrélation négative. Avec une valeur de 2,155, nous pouvons dire qu’aucune autocorrélation n’est détectée dans notre échantillon.

Évaluation des paramètres du modèle 

  ModèleCoefficients non standardisésCoefficients standardiséstSig.
AErreur standardBêta
1(Constante)-1,741,764 -2,279,023
Sexe de l’enquêté,447,102,2254,370,000
Age de l’enquêté,028,053,035,537,592
GRADE RECODE,345,064,3275,393,000
domaine-,280,102-,150-2,738,007
ancienneté1-,148,049-,190-3,014,003
Langue E,045,118,020,387,699
a. Variable dépendante : score (Regroupé par casiers)

Nous savons maintenant que notre modèle est significatif et que les variables de notre modèle expliquent 18% de la variance de la variable dépendante avec un (R = 0,42).

Il est possible, donc, d’interpréter les coefficients de la régression.

Le sexe (Femme : 1 et hommes :2)  est un déterminant significatif du niveau de production (p= 0,000) avec un coefficient de signe positif de 0,447 et un t de 4,370. Ce qui veut dire que les hommes dans notre échantillon ont un niveau de production de 0.44 fois plus que les femmes.

Le grade est également est un déterminant significatif du niveau de production (p= 0,000) avec un coefficient de signe positif de 0,345 et un t de 5,393. Ce qui veut dire que plus on avance dans le grade plus la production augmente de 0.34 fois .

Le domaine (1= Sciences sociales ; 2= Lettres et sciences humaines) est un déterminant significatif du niveau de production (p= 0,007) avec un coefficient de signe négatif de – 0,280 et un t de -2,738. Ce qui veut dire que Lettres et les sciences humaines dans nos échantillons ont un niveau de production de 0,28 fois moins que les sciences sociales.

L’ancienneté est un déterminant significatif du niveau de production (p= 0,003) avec un coefficient de signe négatif de – 0,148 et un t de -3,014. Ce qui veut dire que la production diminue de 0,14 fois au fur et à mesure que l’ancienneté augmente, 

Les variables âge et langue se sont avérés non significatifs pour ce modèle avec des valeurs de P respectives de 0,592 et 0,699.

Sur la base des résultats ci-dessus, nous pouvons présenter quelques discussions intéressantes. Premièrement, le sexe de l’enquêté a un effet significatif sur la production scientifique. Puisque selon les résultats de notre étude, les hommes en SHS produisent plus que les femmes. Ces résultats ne concordent pas avec certaines études qui ont révélé qu’il n’y avait pas de différence de productivité en fonction du sexe[48]. Toutefois, ils sont en accord avec Teodorescu (2000), Diamond et al.[49] et  van & Sandström[50] qui ont indiqué qu’une grande partie de l’écart de productivité entre hommes et femmes peut s’expliquer par la sous-représentation historique des femmes dans les sciences elles-mêmes et les facteurs socio-psychologiques et culturels qui sous-tendent les préjugés sexistes contre les femmes et contribuent au maintien d’un environnement académique et non académique défavorable aux femmes et à perpétuer l’écart de productivité entre les sexes.

En ce qui concerne le grade, notre étude a pu établir sa relation significative positive avec la production scientifique des enseignants chercheurs. Ces résultats concordent avec ceux de Hedjazi et Behravan[51] dont l’étude a permis de noter que le rang universitaire est un des prédicteurs significatifs de la production scientifique des membres du corps enseignant en Iran. Toutefois, Williams cité par Anyaogu et Iyabo[52] ;  Guyer et Fidell ; Over ; et Warner Lewid et Gregorio cités par Zainab[53] n’ont pas trouvé que le rang était un facteur déterminant de la production scientifique

Pour sa part, le domaine ou l’affiliation disciplinaire a, selon les résultats de notre étude, une relation négative mais significative avec la production scientifique. Ceci concorde avec les résultats de Jung (2012) qui a pu établir que la discipline académique a un impact significatif sur le niveau de production scientifique des enseignants chercheurs et que les universitaires en sciences humaines ou sociales ont des préférences différentes en matière de publication.

Elles sont également en accord avec les conclusions de Kyvik[54] qui suggère pour sa part que cette relation significative est également due aux différences dans la préférence pour le travail collaboratif qui est étroitement liée au travail d’équipe dans la recherche, et qui est beaucoup moins fréquent dans les sciences humaines et sociales que dans les sciences de la nature.

Nos résultats ont permis également d’établir une relation négative mais significative entre l’ancienneté et la production scientifique ce qui laisse comprendre que le fait de passer plus d’années dans la fonction peut avoir un effet négatif sur la production. Ceci est en contradiction avec les résultats de Anyaogu et Iyabo[55] qui montrent que le nombre d’années d’expérience est significativement lié au niveau de productivité de la recherche des répondants (r=0,114, p>0,05). Cela montre que plus le nombre d’années d’expérience est élevé, plus le niveau de productivité des répondants en matière de recherche est élevé.

Nos conclusions sont conformes à celles de Wanner et al. (1981) qui suggèrent que, selon la discipline, l’expérience est considérée comme ayant un effet soit négatif soit positif et que les universitaires connaissent des pointes différentes dans leur carrière en fonction de leurs domaines d’expertise spécifiques. 

La présente recherche a eu comme objectif d’étudier quels sont parmi les facteurs démographiques (Sexe, âge, grade, domaine, langue d’enseignement, années d’expérience), ceux qui déterminent le niveau de production scientifique des enseignants chercheurs en Sciences humaines et sociales dans les universités marocaines.

Nous avons pu établir à travers l’enquête quantitative menée auprès de 341 enseignants  chercheurs que le sexe, le grade, le domaine et l’ancienneté avaient une relation significative avec la production scientifique des enseignants chercheurs alors que l’âge et la langue d’enseignement n’étaient pas considérés comme déterminants.

Il est clair que nous ne pouvons, à partir de ces résultats, généraliser ces conclusions. Néanmoins, la présente recherche constitue une contribution empirique qui pourrait éclairer les décideurs sur les facteurs impactant le niveau de production scientifique des enseignants chercheurs. Elle devrait cependant être complétée par d’autres études intégrant d’autres facteurs individuels et institutionnels.


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