La protection des droits de l’Homme contre les abus des pouvoirs publics
Khalid EL ANTRI – Docteur chercheur-
Introduction
La protection des droits et des libertés est indispensable pour que leurs affirmations ne soient pas vaines. Afin que les libertés puissent avoir en pratique une réelle consistance, il faut que soit mis en place un système cohérent d’institutions et de procédures susceptibles d’en garantir le respect effectif et d’en sanctionner éventuellement les violations.
Pour répondre à ce besoin et faire ainsi face aux risques éventuels de violation desdits droits, le système marocain a essayé d’assurer une protection adéquate entre les pouvoirs publics. Cette protection concerne la limitation de l’influence aussi bien du pouvoir judiciaire que du législateur.
Paragraphe 1 : la limitation des pouvoirs publics
Selon le langage militaire et la tradition libérale, le pouvoir est l’ennemi conventionnel, des libertés et des droits[1]. La seule arme dont dispose les libertés demeure une protection bien organisée contre les différents pouvoirs publics.
Néanmoins, les observations laissent entendre que les autorités non-administratives, à priori, sont moins menaçantes pour les droits et les libertés[2]. Le dispositif marocain de protection des libertés et des droits tient compte de cette réalité.
En effet, dans un état démocratique, il est vraiment rare que les violations ou les abus des pouvoirs non-administratifs soient pratiqués puisque ceci suppose une suspicion du législateur et du juge. Pour bien traiter cette question, nous aborderons d’abord la défense des libertés contre le législateur (I) et ensuite contre l’autorité judiciaire (II).
I- La limitation du pouvoir législateur
Nous avons mentionné auparavant que les libertés entrent dans le domaine du législateur. La loi présente une garantie fondamentale pour les droits étant donné qu’elle est générale et votée par une assemblée élue. En l’occurrence le parlement est alors compétent à la fois pour les mettre en œuvre, en les réglementant, et pour les restreindre. Cette confiance quasi-absolue mise dans le législateur à longtemps mis la loi à l’abri de toute censure.[3]
Ceci ne veut pas dire que le législateur ne puisse porter atteinte aux libertés individuelles. Il apparaît réel si nous nous rappelons que le législateur vote des textes qui sont essentiellement l’œuvre du gouvernement. Dans ces conditions, comme l’écrit L.FAVOREU “La loi exprime une volonté majoritaire et non une volonté générale[4]“.
En réalité les assemblées politiques qui créent le droit n’en font pas, elles donnent hâtivement une forme juridique plus ou moins élégante aux décisions que leur suggèrent l’agitation sociale, ou la crise économique…
Désormais, la liberté peut être théoriquement protégée contre les excès du pouvoir législatif, soit indirectement au moyen de divers procédés (B), soit directement au moyen du contrôle de conformité de la loi à la constitution (A).
A- La protection directe
Les garanties qu’offrent la procédure législative pour la bonne élaboration de la loi et le souci des libertés, sont fonction de la lenteur de procédure, de l’absence de surcharge de l’assemblée, des possibilités d’initiative et d’amendement parlementaires, et de l’utilisation par le Chef de l’Etat de son droit de demander, avant promulgation, une seconde lecture de la loi adoptée.
Le respect de la procédure permet en tout état de cause, de prémunir contre les emportements des majorités et d’élaborer des lois dans de meilleures conditions de réflexion, de technicité et de pondération. Comme” il n’est pas de droit sans sanction”, le droit de la procédure législative est appelé au Maroc à être sanctionné par la cour constitutionnelle en cas de son inobservation par le parlement. Au Maroc, les règles selon lesquelles la loi est proposée, votée et promulguées sont déterminées par la constitution, les lois organiques et le règlement intérieur du parlement[5].
En ce qui concerne les lois organiques, il faut reconnaître que leur importance est limitée par rapport aux lois ordinaires. Elles restent cependant déterminantes pour la procédure budgétaire. Enfin, le règlement intérieur de l’assemblée parlementaire, qui est un instrument juridique où sont décrites en détail les différentes phases de la procédure législative, constitue une norme de référence au contrôle de constitutionnalité externe des lois.
En effet, compte tenu du fait que la constitution prévoit un contrôle préalable obligatoire de la conformité du règlement à la Constitution, la déclaration de sa conformité a pour effet de l’intégrer au “bloc de constitutionnalité”, c’est à dire de faire du respect de ses dispositions tel élément de la régularité de l’adoption de la loi[6].
Par ailleurs, il appartient à la cour constitutionnelle, lorsqu’elle sera saisie, de se prononcer non seulement sur la conformité de la loi à la constitution mais d’examiner aussi si elle a été adoptée dans le respect des règles de valeur constitutionnelle relatives à la procédure législative. C’est à ce prix que la cour constitutionnelle devienne le gardien du respect des procédures constitutionnelles d’élaboration de la loi.
D’autre part, le référendum législatif, est également une garantie importante pour le respect des libertés et un autre moyen non négligeable pour la poursuite de la même finalité[7]. En sa qualité de « protecteur des droits et libertés des citoyens », le Roi a le moyen constitutionnel de s’opposer à la loi attentatoire aux libertés.
Ainsi, dans le délai fixé pour la promulgation des lois, c’est à dire dans les trente jours qui suivent la transmission au gouvernement de la loi adoptée, le Roi peut, par un message, demander à la chambre des représentants une nouvelle délibération, qui ne peut être refusée.
De même qu’il peut, après une nouvelle lecture soumettre par dahir, au référendum, tout projet ou proposition de loi. Il reste cependant au parlement la possibilité de passer outre en confirmant son premier vote par une majorité des deux tiers de ses membres. Mais il est peu probable qu’il le fasse, si le cas venait à se présenter.
Bien que disposant de ce droit de “véto”, le Roi ne l’a jamais encore utilisé. Mais dans le contexte de la constitution de 2011, marqué par le thème des Droits de l’Homme, il n’est pas exclu que le Chef de l’Etat userait de sa prérogative pour défendre les libertés mises en danger par une loi formelle.
B- La protection indirecte
Le contrôle de constitutionnalité constitue un progrès du droit en vue d’assurer la supériorité de la norme constitutionnelle des lois. Il s’agit d’un moyen efficace de protection contre le législateur, surtout que les conditions juridiques de sa réussite sont remplies[8].
Il existe tout d’abord, une affirmation constitutionnelle suffisamment large des libertés fondamentales, servant de norme claire de référence pour le juge. Ensuite, il existe désormais un organe spécialisé pour ce contrôle, dont les décisions s’imposent à tous les pouvoirs publics. Enfin, les modalités de saisine de cette juridiction, lui offrent plus de possibilités de contrôle de la loi. Ce contrôle peut revêtir un caractère obligatoire ou facultatif.
Certains textes sont automatiquement soumis au contrôle de la cour Constitutionnelle[9]. Il s’agit des lois organiques et du règlement intérieur de la Chambre des Représentants. Ceci s’explique par l’objet de ces textes, qui pourraient en l’absence de tout contrôle tourner les dispositions constitutionnelles limitant le pouvoir du parlement, ou attenter aux droits et libertés consacrés par la loi fondamentale.
Aussitôt après leur adoption par le parlement, les lois organiques doivent être transmises pour contrôle de leur conformité à la constitution. Par conséquent, elles ne peuvent être promulguées qu’après déclaration par la cour constitutionnelle de leur conformité à la Constitution[10].
Or, justement, la loi organique peut porter sur des matières qui concernent les droits et libertés. Elle porte ainsi sur certains droits civiques, lorsqu’il s’agit de fixer les conditions d’exercice du droit de grève, ou de déterminer le mode d’élection, les conditions d’éligibilité et le régime des incompatibilités des députés. Aussi, le règlement intérieur du parlement présente une importance considérable. La constitution a prévu le contrôle du règlement intérieur du parlement avant sa mise en application.
L’obligation faite au parlement de respecter les droits et libertés présente un intérêt d’abord pour les députés eux même. En effet, la liberté de l’élu est un principe fondamental de valeur Constitutionnelle.
La Constitution souligne à cet égard que “les parlementaires tiennent leur mandat de la nation” et que “leur droit de vote est personnel et ne peut être délégué”. De même, elle garantit la liberté d’opinion et d’expression des élus dans les termes suivants : « Aucun membre de la chambre des représentants ne peut être poursuivi ou recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions… »[11].
II- La limitation du pouvoir judiciaire
S’il est vrai que le pouvoir judicaire demeure le protecteur naturel des libertés et des droits des individus contre toute atteint, il n’en est pas moins vrai qu’une protection contre ce même pouvoir est souvent nécessaire[12]. Bien que ceci apparaisse improbable, plusieurs raisons peuvent justifier cette protection[13].
En effet, le pouvoir judiciaire est composé de plusieurs acteurs. En plus des magistrats, il comprend les officiers de police judiciaire et les agents de la police judiciaire. Nous ne devons pas, épargner également l’hypothèse selon laquelle l’exécutif influence sur les décisions judiciaire[14]. Justement, les observations laissent entendre qu’une connexité, organique et fonctionnelle, de l’autorité judiciaire avec le pouvoir exécutif est largement observée lorsqu’il s’agit des dossiers politiques[15].
Puisque cette connexité est très dangereuse pour les droits et les libertés des individus, le système marocain de protection des droits et des libertés a instauré certaines règles tendant à sanctionner les abus éventuels de cette autorité. En résumé, ces mesures touchent la protection contre les actes du pouvoir judiciaire (A) et contre ses agents (B).
A- La limitation des actes judiciaires
En principe, pour assurer la bonne administration de la justice et éviter le risque d’une atteinte à la sérénité et à l’indépendance des magistrats, les actes juridictionnels sont irresponsables. En d’autres termes, l’Etat-Juge n’est pas responsable. Toutefois, nous pouvons souligner en même temps que le législateur a prévu quelques exceptions pour ce principe.
Deux cas précis d’admission de la responsabilité de l’Etat à raison des actes juridictionnels peuvent être soulevés. En effet, une décision de justice ne peut engager la responsabilité de l’Etat, dès lors que le dommage subi trouve sa source dans un acte juridictionnel sauf en cas d’une erreur judicaire ou d’une faute grave d’un juge et d’un magistrat.
En effet, à partir du C.P.P, une personne qui estime avoir été condamné, en matière pénale, suite à une erreur de fait, peut demander la révision du jugement de sa condamnation. Elle peut alors demander à l’Etat des dommages-intérêts pour taler le préjudice que lui a causé la condamnation si la nouvelle décision l’innocente.
Ainsi, ce recours extraordinaire, n’est ouvert que pour la réparation d’une erreur de fait commise au détriment d’une personne condamnée pour un crime ou un délit[16]. Elle n’est admissible que dans le cadre de cas précis[17].
En vue de la protection des droits et des libertés, la solution de la Cour suprême est la protection par la procédure de la prise à partie. En effet, la prise à partie obéit à des règles strictes dé procédure, organisées par le C.P.C. Elle ne peut être portée que devant la Cour suprême, ayant compétence exclusive en la matière. Si la prise à partie aboutit à la condamnation du magistrat au paiement des dommages-intérêts, l’Etat se substitue à lui automatiquement pour indemniser la victime.
Toujours est-il nécessaire de souligner que cette procédure est caractérisée par sa complexité et sa difficulté de mise en œuvre. En plus des cas limités de son application, il est difficile pour le plaideur de remplir les formalités de son admission.
D’un autre coté, cette procédure est complétée une reconnaissance d’une responsabilité pour les dommages résultant des actes non-juridictionnels. C’est ainsi qu’un dispositif important de règles juridiques sanctionnant les agissements attentatoires des agents de l’autorité judiciaire.
B- Les mesures à l’encontre des agents judiciaires
Le système marocain de protection des droits et des libertés des individus, tout en poursuivant la garantie effective de ces derniers, a prévu des mesures répressives à l’encontre les autorités administratives ou judiciaires qui touchent aussi bien à des mesures pénales et des mesures disciplinaires.
A vrai dire, toute une section qui traite de la répression des actes attentatoires à la liberté individuelle, perpétrés par les agents de l’Etat est consacrée par le code pénal marocain. Ainsi, d’après ce code : « tout magistrat, tout fonctionnaire public, tout agent ou préposé de l’autorité ou de la force publique qui ordonne ou fait, quelque acte arbitraire, attentatoire soit à la liberté individuelle, soit aux droits civiques d’un ou plusieurs citoyens est puni de la dégradation civique ». Cette sanction est appliquée aux supérieurs, si jamais l’intéressé justifie qu’il avait agi par ordre de ses supérieures hiérarchiques, dans un domaine de leur compétence, pour lequel il leur devait obéissance.
A cet effet, nous soulignons que la portée de ce texte est très large et il vise aussi bien les actes attentatoires à la liberté individuelle que les atteintes aux droits civiques des citoyens. En réalité, la notion d’acte arbitraire, est extrêmement large, elle dépasse la notion même d’acte illégale, elle contient l’acte pour lequel le fonctionnaire serait compétent mais qu’il exécute pour des mobiles personnels.
La formule de Montesquieu selon laquelle “lorsque la peine est sans mesure on doit souvent lui préférer l’impunité[18]” pourrait expliquer l’absence de poursuites principalement à l’égard des magistrats.
A l’instar de la procédure de la prise à partie, traitée ci-dessus, plusieurs contraintes notamment de la preuve de la matérialité des faits et de leur imputabilité, s’opposent à des sanctions pénales de l’agent de police judiciaire[19]. Aussi, le ministère public est souvent réticent pour engager des poursuites.
Les libertés et les droits des individus sont également protégés contre les abus des fonctionnaires judicaires au moyen des sanctions disciplinaires. En effet, les mesures disciplinaires constituent, un palliatif à la carence des poursuites et des sanctions pénales contre les agents de l’autorité judiciaire. Ces mesures diffèrent suivant qu’il s’agit des magistrats du siège ou des membres du ministère public[20].
Le statut de la magistrature affecte au ministre de la justice le droit d’exercer l’action disciplinaire devant le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire. Il pourrait communiquer le dossier avant l’audience. Il apprécie alors les faits reprochés et vérifie s’ils constituent effectivement un manquement aux devoirs et obligations du magistrat[21]. Si a l’issue de ses travaux le Conseil conclut à la culpabilité du magistrat, il peut alors prononcer à son encontre l’une des sanctions prévues. Celui-ci distingue, selon leur gravité, deux degrés de sanctions.
Pour leurs parts, les officiers de police judiciaire ainsi que les simples agents et fonctionnaires peuvent faire l’objet de sanctions disciplinaires en cas de manquement vis-à-vis de toute liberté ou droit.
En conclusion, le système marocain de protection des droits et des libertés contre l’autorité judiciaire a prévu certaines mesures importantes mais qui sont plus ou moins difficiles à entamer.
Paragraphe 2 : la responsabilisation des pouvoirs publics
Nous avons abordé lors du paragraphe précédent, le rôle important que joue l’appareil judicaire dans la protection des libertés et des droits des citoyens. Ainsi, l’accès au juge demeure l’un des droits les plus essentiels dans la sphère des droits des individus.
La reconnaissance des libertés et des droits individuels n’est pas pour autant absolue. Cette reconnaissance des droits est accompagnée généralement par certaines limites obligations ou règles de conduite qui doivent être observées par les citoyens[22].
En effet, il est constaté que la plupart des violations des libertés et des droits sont commises par les autorités administratives à l’occasion de l’exercice du pouvoir de réglementation, prenant alors la forme d’un pouvoir sécuritaire. Par la restriction des libellés qu’ils peuvent imposer, et la gravité des sanctions qui comportent, ces pouvoirs rendent indispensables l’existence de garanties efficace contre l’arbitraire et les excès[23].
Dans ce cadre, l’équilibre entre la mission d’intérêt général à la puissance publique et l’exercice des libertés appartenant aux citoyens incombe au juge administratif. Il doit non seulement veiller sur le contrôle de la légalité des actes administratifs portant atteinte aux libertés des citoyens (I) mais également sur leur protection contre l’arbitraire sécuritaire (II).
I- le contrôle de l’activité sécuritaire
A coté des limites tracées par les régimes généraux organisés par les lois, dites “lois de police”, les libertés et les droits individuels sont confrontés également et particulièrement au pouvoir sécuritaire.
Ce pouvoir, qui dépend des autorités administratives, est profondément appelé à atteindre la garantie et le maintien l’ordre public, et à concilier convenablement les actions qui doivent être prises aux circonstances qui les provoquent. Aussi, le juge administratif estl amené à contrôler l’opportunité de l’intervention sécuritaire ainsi que la pertinence de la procédure suivie lors de l’intervention.
A- Le contrôle d’opportunité
L’action sécuritaire est entamée pour atteindre un seul but qui est le maintien de l’ordre. Si une autre finalité est poursuivie notamment un intérêt particulier, intérêt personnel ou intérêt d’un tiers, nous parlons dans ce cas d’un détournement de pouvoir. Ainsi, cette action doit être réalisée conformément aux dispositions réglementaires. En cas de non-conformité, nous parlons dans ce cas d’un détournement de procédure[24].
En effet, il s’agit d’un détournement de pouvoir lorsque le pouvoir administratif utilise sa prorogative pour des finalités différentes à celles dont il doit répondre même si ces actions sont décidées conformément à la loi. En général, deux cas peuvent se produire :
Premièrement, l’action administrative poursuit un but d’intérêt privé à la place de l’intérêt général. Ce droit est souvent usé par les fonctionnaires en cas d’une mutation prise comme une sanction déguisée par le prétexte de l’intérêt du service. Deuxièmement, l’action administrative poursuit un but d’intérêt public mais différent de celui prévu par la loi.
Même s’il dépend d’une grande partie de l’existence d’une jurisprudence très active, le contrôle du but de l’acte administratif, témoigne d’un heureux revirement particulièrement favorable à la protection des droits des administrés. L’analyse de la jurisprudence récence le prouve amplement.
D’autre part, Il y a détournement de procédure lorsque l’administration recourt à une procédure administrative dans un but autre que celui assigné par la loi à cette procédure[25]. Il en est ainsi lorsque par exemple l’administration utilise la réquisition pour obtenir un résultat que seule une nationalisation permet ; ou bien encore l’emploi de la procédure d’alignement pour acquérir un immeuble riverain de la voie publique, afin d’éviter le recours à la procédure d’expropriation.
Dans ce cadre, nous devons mentionner, que le juge se heurte de plusieurs contraintes lors de l’exercice du contrôle aussi bien du détournement de procédure ou bien de pouvoir. La principale contrainte est celle de la preuve.
Justement, puisqu’il s’agit d’un aspect psychologique, l’intention n’est pas aisée à démontrer. Déjà, nous constatons en conséquence, que le juge annule beaucoup moins des décisions administratives au motif de détournement de pouvoir. Ceci provient d’une part, de ce qu’il est très exigeant, sur la preuve du détournement de pouvoir, et d’autre part de ce que les autres cas d’illégalité suffisent le plus souvent à conclure à l’annulation d’un acte.
Enfin, ce contrôle juridictionnel est complété dans la pratique par un autre sur la violation de la règle de droit. A cet effet, le juge se livre alors à un examen poussé des raisons qui ont poussé l’auteur à les accomplir.
B- Le contrôle de la légalité
Les motifs de l’acte administratif constituent donc le facteur, la raison et la justification de l’action administrative. Nous parlons ici exactement, de circonstances de fait et de droit qui précèdent et justifient l’acte administratif. Il faut entendre par motifs de l’acte administratif “les éléments objectifs de fait au de droit qui sont à la base des décisions administratives el qui ont conduit l’administration à agir[26]“.
Dans le domaine des droits et des libertés individuels, la liberté étant la règle et la limitation l’exception ; les motifs d’un acte qui leur portent atteinte sont toujours des faits objectifs, car c’est en fonction des circonstances et du trouble apporté à l’ordre public que la mesure doit être prise. Dans ces conditions, le rôle du juge de l’excès de pouvoir consistera alors à vérifier l’existence et la régularité de ces motifs.
Pour l’accomplissement de cette mission, le juge procède au contrôle des motifs de droit sur lesquels s’est basée l’administration pour agir et les motifs de faits, en vérifiant l’exactitude matérielle et la qualification juridique des faits ayant servi de fondement à l’action de l’administration[27].
Pour le cas du contrôle des motifs de droit, le juge vise la régularité juridique des décisions administratives. L’irrégularité des prescriptions légales de l’administration de certaines, conduira le juge à censurer son acte, soit à cause d’un défaut de base légale, soit à cause d’une erreur de droit[28].
Ainsi, le juge administratif doit soulever automatiquement tout vice concernant la méconnaissance du champ d’application de la loi par l’administration. Dans le même cadre, il peut vérifier également le respect par l’administration des limites de ses compétences légales[29].
Dans le même sens, le juge veille aussi sur le contrôle de l’exactitude matérielle des faits. Pour ce faire, il s’assure que l’acte n’a pas été édicté à raison de circonstances, ou sur la base d’une situation qui n’existait pas effectivement. Lors de ce contrôle, le juge se base non seulement sur les faits prévus par la loi, mais encore lorsque l’administration, sans y être obligée déclare fonder sa décision sur une certaine situation de fait.
Parallèlement, le contrôle des faits par le juge de l’excès de pouvoir ne se limite pas à leur existence matérielle, il s’étend aussi à leur qualification juridique qui consiste à rechercher si les faits retenus par l’auteur de la décision attaquée sont de nature à justifier légalement cette décision.
Il convient de signaler, à cet effet que le contrôle du juge devient particulièrement poussé lorsqu’il s’agit d’une mesure de police. Ce type de contrôle, appelé “contrôle maximum” constitue en quelque sorte un contrepoids au pouvoir de police souvent menaçant pour les libertés publiques[30].
En matière de police, l’intervention sécuritaire ne doit pas apporter atteinte aux activités privées des citoyens. Le juge a le devoir de vérifier l’adaptation de la mesure aux circonstances l’ayant motivée. Ainsi, il peut annuler des mesures d’interdiction générale et absolue non proportionnelles aux nécessités du respect de l’ordre public en évitant que l’action ne commette une voie de fait.
Tous ces pouvoirs en matière de contrôle de la légalité de l’activité administrative, dont jouit le juge et qui demeurent un gage pour la protection des libertés, pourraient être complétés par la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics en cas de violation d’une liberté reconnue.
II- La protection du citoyen contre l’arbitraire
Le contrôle d’opportunité et de la légalité abordé lors du paragraphe précédent, donnera lieu en cas de gain de cause à l’annulation de la décision ou de l’action administrative notamment sécuritaire. Aussi, l’engagement de la responsabilité des pouvoirs public en cas d’irrégularité, demeure au vue de la protection des libertés et droits individuelles, un moyen complémentaire.
Ladite responsabilité des pouvoirs publics peut être mise en œuvre en cas d’existence d’une faute administrative (A) comme elle peut être engagée même en l’absence
de toute faute, lorsque l’intéressé a subi un dommage potentiel par la décision administrative prise (B).
A- la défaillance dans le fonctionnement du service[31]
En général, l’action sécuritaire est motivée par des finalités d’intérêt général dont la plus importante est le maintien du bon ordre. Lors de la poursuite de la tranquillité, de la sécurité ou de la salubrité publique, les forces de la sécurité peuvent limiter l’exercice de certaines libertés individuelles sans toutefois que cette limitation ne soit encadrée par la loi.
Ainsi, cette limitation des libertés doit être proportionnelle aux buts poursuivis. Il s’ensuit que, si plusieurs mesures sont possibles, l’autorité de police doit choisir celle qui affecte le moins la liberté du citoyen. En cas d’inobservation des dispositions, la responsabilité de l’Etat peut être engagée en vue de réparer le dégât causé[32].
En effet, la réparation du dommage s’impose et va de soi, dès que la violation de la liberté est causée par un acte déclaré illégal. La position de la jurisprudence marocaine est à cet égard évidente. Les décisions administratives ne peuvent, engager la responsabilité de la puissance publique vis-à vis des particuliers que si ces décisions sont entachées d’illégalité[33].
Nous devons souligner à cet effet, que seule l’illégalité de la mesure est suffisante pour déclencher la responsabilité de l’Etat, bien qu’il n’y a pas d’automaticité entre l’illégalité et la responsabilité de l’Etat.
Par ailleurs, la responsabilité de l’Etat se trouve engagée même en cas de sa passivité envers la protection d’une liberté. Cette activité négative de l’administration qui consiste soit en un refus de prendre un acte, soit en une inertie ou retard excessif, peut être une entrave à l’exercice des libertés, lorsque ce dernier est contrarié par un trouble à l’ordre public.
Nous avons bien souligné la difficulté d’engager des actions de dédommagement à l’encontre de l’Etat en cas de sa passivité envers un droit à la sécurité des victimes notamment en cas d’une agression ou un attentat terroriste. Ceci dit, nous constatons que l’Etat n’épargne aucun effort pour les soutenir aussi bien matériellement que psychologiquement. Ainsi, il se peut que même en dehors de toute faute, la responsabilité de l’administration peut être engagée.
B- la présomption de responsabilité administrative : la théorie du risque :
Il est évident que généralement, la responsabilité de l’administration est engagée dès l’existence d’une faute. Pourtant, elle peut l’être en l’absence de toute faute lorsque l’administration crée par son action un risque exceptionnel pour l’administré, ou lorsqu’elle fait peser sur lui une charge excessive par rapport aux autres citoyens[34].
Dans le domaine de la police, il arrive que l’administration, sans commettre de faute, cause un préjudice aux administrés. Le dommage subi par une ou plusieurs victimes constitue alors une rupture du principe de l’égalité des citoyens devant les charges publiques.
Nous pouvons distinguer aussi la responsabilité de l’Etat peut être engagée à l’occasion de mesures légales portant préjudice, à l’occasion d’un refus d’exécution d’une décision judiciaire, ou enfin à l’occasion d’usage d’armes à feu[35]. L’étude du dernier point est intéressante pour notre cas.
En se basant sur le principe d’égalité des individus devant les charges publiques, principe de justice et d’équité, et dont la rupture fonde le droit à indemnité, la victime peut obtenir une indemnité lorsqu’elle subit un préjudice résultant d’un acte régulier pris dans l’intérêt général. Parallèlement, à cette situation le juge administratif peut ordonner la réparation d’un préjudice résultant du refus d’exécuter d’une décision de justice.
Pour des raisons d’ordre public, les pouvoirs publics se trouvent, dans certains cas, dans la difficulté d’exécuter un jugement. Cette situation peut amener le juge à réparer le préjudice causé. Nous parlons dans ce cas d’un refus légal qui engage la responsabilité sans faute de l’administration.
Aussi, pendant les interventions sécuritaires à l’encontre des personnes délinquantes, les forces de sécurité peuvent faire recours à l’usage d’armes. Mais il arrive aussi, qu’incidemment de paisibles passants soient blessés lors de ces opérations de maintien de l’ordre. Dans ce cas, le juge peut prononcer la réparation des dommages causés par l’usage d’armes et d’engins dangereux.
Il va sans dire que la protection et la perception des droits de l’homme dépendent en fin de compte, et pour l’essentiel, des développements et des mécanismes mis en place par l’Etat. Dans chaque pays, la jouissance des droits et leur protection dépend des lois, des politiques, des procédures et des mécanismes en vigueur à l’échelon national.
Il est crucial que ces libertés et ces droits de l’individu fassent partie des systèmes nationaux constitutionnels et juridiques, que les magistrats soient formés à l’application des normes en matière de droits de l’homme et que leurs violations soient condamnées et sanctionnées. Un système de protection des droits de l’homme n’a d’intérêt que s’il contribue à assurer plus efficacement les droits de l’homme.
Par ailleurs, une protection efficace et effective des droits de l’Homme nécessitent, en plus de qui a été dit, la consécration des structures organiques de la protection des droits et des libertés individuelles.
[1] C. SERFATI, Impérialisme et militarisme. Actualité du XXI siècle, Editions Page 2, Lausanne, 2004.
[2] Ibid.
[3] Fréderic SUDRE, SABRINA QUELLIN NICOLAS RAMBION et Caroline SALVIEJO, « Droit communautaire des droits fondamentaux » 1999.
[4] C.F. J. RIVERO : “Les libertés publiques”. op. cit. p 181 et 182 voir aussi PR BRAUD • “La de liberté publique en droit Français”. op.cit. p : 337
[5] Article 70 de la constitution marocaine de 2011.
[6] Dean SPIELMANN, « L’effet potentiel de la convention des droits de l’homme entre personnes prives », préface de pierre Lambert 1995
[7] Fréderic SUDRE et Henri LABAYLE, « Réalité et perspectives du droit communautaire des droits fondamentaux » 2000.
[8] Voir infra page 168.
[9] Article 131 de la constitution marocaine de 2011.
[10] [10] Article 133 de la constitution marocaine de 2011.
[11] Article 64 de la constitution marocaine de 2011.
[12] Rousset, « le système politique du Maroc ». Collectif –Le grand Maghreb- Paris- Economica, 1997. P. 57.
[13] Il faut souligner ici que la garantie se distingue de la sanction en ce qu’elle est préventive et non répressive.
[14] M WALINE « traité de droit administratif » 1993, p. 314.
[15] Ibid.
[16] Article 612 du CPP marocain.
[17] Selon l’article 613 (C P. P) marocain.
[18] Montesquieu : “L’esprit des lois”. Livre 6. Chapitre 13 Edition Granier 1965.
[19] Ibid.
[20] M DRAN « le contrôle juridictionnel et la garantie des libertés publiques », op. cit, p12.
[21] Ibid.
[22] Marie Joëlle REDOR « L’ordre public et droits fondamentaux » actes du colloque de Caen des jeudi 11 et vendredi 12 Mai 2001.
[23] Ibid.
[24] M. ROUSSET « de l’indépendance du pouvoir judiciaire au contrôle juridictionnel de l’administration » R.J.P.I.C ? 1980, P : 522.
[25] Ibid.
[26] M DRAN « le contrôle juridictionnel et la garantie des libertés publiques », op. cit, p16.
[27] Ibid.
[28] Ibid.
[29] J. Habermas, Droit et démocratie. Entre faits et normes (1992), trad. R. Rochlitz, C. Bouchindhomme, Paris, Gallimard, coll. « nrf essais », 1997, p. 340.
[30] Ibid.
[31] La faute de service est défini par M. Rivero comme étant » une défaillance dans le fonctionnement normal du Service, incombant à un ou plusieurs agents de l’administration, mais non imputable à eux personnellement. ».
[32] M. RIVERO « Droit administratif » 7ème édition. Paris 1975. P 32.
[33] Ibid, p : 41.
[34] M. ROUSSET « Droit administratif marocain » . op ;cit. p : 578.
[35] Ibid, p : 603.